Après notre retour, plus le jour de l'équinoxe approchait, plus mon inquiétude augmentait. Cependant, je commençais à apprécier de vivre dans le corps de Mireille malgré les nausées et autres désagréments liés à ce début de grossesse. De plus, nous étions devenues amantes avec Claire et nous passions quasiment toutes nos nuits ensembles ce qui satisfaisait à la fois mon esprit en tant que Clément et le corps de Mireille.
Madame Rose était en pleins préparatifs pour le désenvoûtement et nous avions longuement parlé de l'incident "Ludovic". Elle avait bien compris ce qui s'était passé pour lui. La sorcière Russe nous avait lancé un sort de transposition, mais si dans le cas de Ludovic, il s'agissait simplement d'un échange de corps suite à une relation avec une femme qui n'était pas forcément consentante et amoureuse. S'il avait fait l'amour à sa femme, cela ne serait pas arrivé. Dans mon cas, c'était plus complexe, car deux sortilèges s'étaient cumulés, celui de Mireille et celui de la Russe.
La malédiction sibérienne était pour nous punir tandis que Mireille s'était lancée dans une sorte de philtre d'amour et de fusion pour nous rendre encore plus proches que ce que nous étions. C'est ce qui expliquait que mon esprit avait accès à certains souvenirs que Mireille souhaitait partager avec moi et que mon corps hospitalisé réagissait à ce que je ressentais dans le corps de Mireille. Elle me dit aussi que ces sorts demandaient de grandes connaissances et de grands pouvoirs pour être menés à bout et que ni Mireille ni la Russe ne les possédaient. C'est ce qui expliquait que l'un des corps était resté inerte, le sort n'avait pas été mené à son terme par manque de puissance. L'esprit qui devait le rejoindre errait toujours dans le monde immatériel à la recherche de son corps d'accueil. Elle ne comprenait cependant pas pourquoi dans les deux cas, il s'agissait des corps masculins. Ce soir-là, alors que j'étais venu seule au chevet de mon corps, elle m'informa de l'avancée de ses recherches.
— Tout sera prêt, l'idéal sera de commencer le désenvoûtement au moment de l'équinoxe. Prenez votre journée, nous ferons cela chez vous.
— Pas de soucis, Claire acceptera que je ne travaille pas ce jour-là.
— En parlant de Claire ! Êtes-vous proches ?
Je la regardais. Il était vrai que depuis notre retour, nous passions voir Clément tous les soirs. Je me demandais comment nous gérerions le retour à la normale. Claire accepterait-elle de renoncer à l'amour de Mireille ? Et Mireille ne m'en voudrait-elle pas trop ? Je me demandai si je devais expliquer la situation à Claire.
Je rougis un peu en lui avouant notre liaison.
— Décidément, vous ne me facilitez pas la tâche…
— Comment cela ?
— Vous ignorez la puissance de l'amour et du sexe, ce sont les choses les plus puissantes pour fixer les sortilèges après un sacrifice. Les récits d'accouplements de sorcières lors des sabbats ne sont pas que des légendes.
— Ce qui veut dire ?
— Ce qui veut dire qu'à chaque fois que vous avez connu l'extase avec Claire, la présence de votre esprit s'est renforcée dans le corps de Mireille, peu à peu elle s'éloigne de son corps. Si son philtre avait marché et que vous vous étiez retrouvé ensemble dans le corps de l'autre, vous auriez plus ou moins fusionné. Un esprit, deux corps.
Je baissais la tête ne sachant que lui répondre.
— Il serait bon que vous ne fassiez plus l'amour avec Claire avant le jour du désenvoûtement.
— Oui Madame Rose !
L'équinoxe était dans trois jours et j'espérais que Claire comprendrait que je ne voulais plus passer de nuit avec elle. Rien n'était simple pour moi depuis que j'étais dans cette enveloppe corporelle.
Comme elle me l'avait dit, Claire me rejoignit dans la chambre et je vis le regard de Madame Rose se faire sévère. Je me détournais pour ne pas l'affronter au moment où les lèvres de Claire se posèrent au coin de ma bouche.
— Claire… Je crois que…
— Oui… Ma chérie ?
— Je crois que nous deux….
— Eh bien quoi nous deux ?
— Rien ! dis-je en la serrant dans mes bras.
Je me sentais honteuse et coupable de ne pas réussir à réfréner cet élan qui me traversait et me poussait à aller encore plus loin avec elle.
— Allez ma puce, ça va aller, je vais te consoler. Viens ! Rentrons !
Sur le chemin du retour, je lui dis que je ne pourrais pas venir travailler dans trois jours, j'avais un rendez-vous chez le gynécologue pour le suivi de la grossesse. Cela allait faire maintenant trois mois et les nausées du matin s'estompaient. Je savais aussi que j'allais devoir commencer à chercher d'autres vêtements, car les culottes et les pantalons de Mireille commençaient à me serrer.
— Veux-tu que je t'accompagne ?
— Oh non ! Pas la peine ! Ça ira !
J'espérais qu'elle n'allait pas insister, car je ne savais pas comment je pourrais lui expliquer ce qui nous allions faire. Mais elle se rappela alors qu'elle avait un rendez-vous important avec un investisseur potentiel ce jour-là.
Malgré les mises en garde de Madame Rose, je ne pus pas résister à l'invitation de passer la nuit avec Claire et encore une fois ce fut une explosion de sensualité et de plaisirs partagés.
En ce premier jour de l'automne, je me rendis à l'hôpital comme je l'avais dit à Claire pour ce rendez-vous et cette première échographie de bébé. Je n'avais pas retrouvé le numéro du médecin qui suivait Mireille du coup je m'étais rabattu sur le service de l'hôpital. J'y fus accueillie par une femme sévère.
Pendant que je m'installais, elle remplissait le dossier et commençait à me poser des questions sur l'intimité de Mireille. J'hésitai un peu à chaque fois pour répondre, car je n'étais pas au courant de tous les détails de la vie de Mireille avant notre rencontre, mais dans l'ensemble j'arrivai à lui fournir les réponses qui lui convenaient d'autant plus que les souvenirs de Mireille devenaient de plus en plus accessibles.
— Voyons ce bébé maintenant !
J'étais allongée sur la table d'examen pendant qu'elle préparait ses appareils. Je me sentais angoissée, le bébé allait-il bien ? Elle commença à passer la sonde sur mon ventre. Je vis apparaître sur l'écran la forme de ce bébé qui remuait en moi même si je ne le sentais pas encore. J'étais traversée par des sentiments étranges. J'étais à la fois le père et la mère. Une bouffée d'émotion me monta au visage et je commençais à pleurer. En dépit de son aspect austère, elle me sourit en me disant : cela arrive souvent la première fois ! Regardez ! On dirait qu'il vous dit bonjour !
En effet, on pouvait observer sa petite main qui remuait comme pour nous saluer.
Tout juste remise de mes émotions, je rentrai chez moi pour préparer la chambre comme Madame Rose me l'avait demandé. Je devais en retirer tous les objets électriques et tirer les rideaux pour être dans la pénombre. Elle m'avait aussi dit de retirer les draps et de mettre ce qu'il fallait pour protéger le matelas. Lorsque j'eus fini ces préparatifs, elle arriva. Elle portait un panier à chat à la main.
— C'est pour le sacrifice !
J'entendis les gloussements d'une poule. Elle comprit à mon regard que j'étais dubitative.
— Je vous l'ai dit l'autre jour, pour renforcer la puissance d'un sort, il faut l'accompagner d’un sacrifice.
— Je comprends, mais j'espère que cela ne va pas être trop bruyant, il ne faudrait pas que les voisins préviennent la police.
— Ne vous inquiétez pas ! Pour être sacrifié, il peut être étourdi avant… Allez dans la chambre et allongez-vous nue sur le lit. Je me prépare pendant ce temps. Et surtout, quoiqu'il arrive, ne bougez pas et ne dites pas un mot tant que je n'ai pas fini.
Nue sur le lit, je vis Madame Rose entrer dans la chambre, tenant une poule noire inerte à la main. Elle avait revêtu une longue robe noire et portait un collier avec de nombreux pendentifs. Elle déposa entre mes jambes puis de chaque côté de ma tête des coupelles avec des herbes aromatiques qui dégageaient une fumée épaisse et entêtante.
Elle tourna autour de moi en faisant des gestes dans l'air. Elle prononça des paroles dans une langue que je ne reconnaissais pas. La fumée commençait à me monter à la tête, je n'étais plus sûre de ce qu'elle faisait, mais je la voyais prendre le pauvre volatile et l'égorger sur moi. Son sang me recouvrit le ventre, la poitrine puis le visage. Heureusement que j'étais à moitié sous l'emprise des fumées, sinon je me serais mise à hurler et à me débattre. Toujours dans les vapes, je la vis retirer sa robe et venir se mettre à califourchon sur moi, mimant un acte sexuel. Puis plus rien…
Le silence absolu, le noir total…
Une lumière m'attira au loin. Je me dirigeais vers elle. J'avais l'impression d'être frôlé par des spectres, ce n'était pas qu'une impression d'ailleurs. C'était bien des fantômes qui m'entouraient. J'aperçus alors dans une sorte de brouillard mon corps inerte sur le lit d'hôpital.
Je me précipitai vers lui avec enthousiasme.
— Ça marche !
Alors que je n'étais plus qu'à quelques mètres de mon corps, je croisai le regard éthéré et distordu de Mireille. Je me dirigeai vers elle, je vis un léger sourire apparaître sur ses lèvres comme si elle savait que ce mauvais rêve allait finir.
C'est alors que je repensai furtivement à Claire.
Au même instant, je reçus un violent coup qui me repoussa et je tombai dans l'inconscience.