dimanche 8 novembre 2020

Le Manoir aux Fleurs -06- Visites troublantes

 

 

Le lendemain matin, Viviane se réveilla fraîche comme une fleur. Les vêtements n'avaient pas bougé du lit. Avait-elle simplement rêvé ? Mais elle sentait la piqûre de l'insecte entre ses cuisses.

Elle allait se rendre en courses lorsque lorsqu'elle remarqua un panier sur le pas de sa porte. Ce dernier contenait quelques bouquets de fleur et un petit mot rédigé avec une écriture raffinée mais stricte.

"Mlle Viviane, Merci de porter ces quelques bouquets à l'adresse suivante : "Couvent des sœurs pandorines, Rue de la Pénitence"

Un peu en colère de se faire prendre pour un vulgaire commis, Viviane se rappela le prix auquel elle louait son appartement et le contrat qu'elle avait signé. De plus les fleurs étaient si belles et leur parfum si agréable. Finalement cette dernière journée de vacances commençait bien. Elle n'allait pas la gâcher par un mouvement d'humeur idiot qu'elle pourrait regretter si le Professeur la mettait dehors.

Elle déambula dans la ville pour trouver l'adresse de ce couvent dont personne ne semblait connaître l'existence. Elle n'avait jamais entendu parler de cette congrégation de moniales mais elle trouvait gentil de la part du comte de leur offrir de si jolie fleurs. Ce bleu semblait presque magique et leur parfum très enivrant. Elle finit par trouver la ruelle dans la vieille ville, le couvent était adossé aux remparts de la citadelle. Arrivée devant la porte de bois massif, elle toqua et un petit guichet grillagé s'ouvrit puis un regard sévère la dévisagea.

On ne reçoit personne ! lui lança une voix éraillée 

Surprise et vexée, Viviane allait repartir lorsque la voix reprit chevrotante.

— C'est Monsieur le Comte qui vous envoie ?

Viviane se retourna et vit une femme sous un humble habit de moniale dont la beauté du visage contrastait avec la voix. Cette dernière venait au-devant de Viviane, contrite comme si elle avait commis une grosse faute.

— Monsieur le Comte est si bon avec nous, je n'ai pas reconnu la personne qu'il envoyait. Je suppose que le panier est pour nous ?

— Oui ma sœur ! C'est bien pour vous, de la part de Monsieur le Comte Van Dyck.

— Vous le remercierez du fond du cœur mademoiselle 

— Je n'y manquerais pas. Répondit-elle en songeant qu'elle n'avait encore jamais vu son hôte.

Elle tendit le panier à la femme qui s'en saisit comme si sa vie en dépendait, presque comme un morphinomane s'accrochant à sa dose. Encore un contraste qui surprenait la jeune femme.

Involontairement, la sœur toucha une des fleurs qui se mit à émettre une odeur encore plus suave. Mais aussi vite qu'elle avait surgi de la porte, la sœur disparut derrière cette dernière. Une petite cloche sonna bientôt dans le clocher d'une chapelle cachée dans l'enceinte du monastère. Viviane regarda sa montre et trouva l'heure bizarre pour une célébration quelconque. L’heure des laudes était passé depuis longtemps à moins que ces religieuses ne célébrassent l'office de tierce.

Elle repartit sans se soucier plus que cela de cette bizarrerie. Une sensation bizarre et surtout une pointe de désir au fond de sa culotte commençait à monter en elle. Le bonheur de cette sœur avait été communicatif. Viviane sentit aussi une envie lui appuyer sur sa vessie. C'était de plus en plus étrange car elle avait pris ses précautions avant de sortir. Elle découvrit un passage dans la muraille qui donnait sur un petit espace de verdure sauvage et trouva un fourré pour pouvoir se soulager.

A quelques pas de là, masqué par les fourrés, un inconnu sourire aux lèvres tenait encore dans sa main le paquet de kleenex disparu. Heureux de ce qu'il avait pu observer discrètement, il s’évapora comme s'il n'avait jamais été là, laissant derrière lui un fugace nuage bleu.

Viviane repartit toute guillerette alors qu'à quelques encablures, dans la chapelle des pandorines, une cérémonie peu orthodoxe avait commencé, avec des chants et des montées dans les aigus peu liturgiques.

 

Au même instant, à l'autre bout de la ville, dans la petite maison de Marie, une joute amoureuse qui ne semblait pas sur le point de finir se déroulait entre la petite rousse et le satyre.

Quelques heures plus tôt, Satiricon avait quitté le manoir et glissait furtivement dans les rues de la ville. Il utilisait sa capacité de métamorphe pour se déplacer, ainsi de nuit il passait inaperçu, les gens ne voyaient que l'ombre d'un grand félin au pelage bleuté. Il n'aimait pas trop prendre la forme d'un insecte qui, même si elle était plus discrète, lui demandait beaucoup plus d'énergie pour reprendre son aspect normal, et elle était dangereuse, à la merci d'un animal plus gros que lui ou du geste rageur d'un humain.

En silence, il passait de jardins en jardins, franchissait les clôtures, parfois avançait prudemment sur les corniches le long des murs. Depuis le temps qu'il faisait ce parcours, il aurait pu le faire les yeux fermés. Malgré sa hâte de rejoindre la jeune femme, il prenait aussi le temps d'épier ce qui se passait dans les maisons qu'il longeait. En passant silencieusement devant la fenêtre d'une chambre ouverte où dormait un couple, il s'arrêta et s'ébroua pour remplir l'air de la pièce de cette poussière bleue qui lui recouvrait les poils. Caché derrière la tenture, il put voir l'homme se pencher sur son épouse et la couvrir de baisers en soulevant la légère nuisette qui lui couvrait le ventre. Peu de temps après, les gémissements se transformèrent en cris de plaisirs. Mais il avait déjà repris son chemin.

Parfois, il s'amusait juste à libérer un peu de poussière devant une fenêtre sans s'arrêter, il imaginait la situation qui s'en suivrait et cela dopait son excitation. Devant la maison de Marie, il hésita un instant. Dans la demeure voisine, il y avait une jeune fille qui lorsqu'elle le voyait apparaître dans le jardin sous sa forme féline, se précipitait vers lui pour le caresser. Elle devait avoir grandi depuis sa dernière visite. Mû par la curiosité, il sauta sur le petit appentis qui lui permettrait d'atteindre le rebord du chien-assis et de là se glissa dans la chambre.

La petite fille s'était transformée en une jolie adolescente à la longue chevelure blonde. Satiricon, se fit tout petit pour passer dans l'embrasure de la fenêtre entre-ouverte et bondit sur le lit comme il le faisait autrefois pour jouer avec Samantha. Il n'oubliait jamais les prénoms de ses "victimes". Elle sursauta et poussa un cri de terreur en se relevant brutalement. Il eut peur que ses parents ne se réveillent et se recula en se blottissant dans un coin de la chambre. Il savait qu'en faisant cela, si elle n'avait pas changé, elle viendrait le prendre dans ses bras.

— Oh ! C'est toi mon minou ! dit-elle remise de sa frayeur. Tu m'as fait peur, je pensais ne jamais te revoir.

Elle se leva en tendant les bras vers Satiricon immobile. Il voyait l'adolescente s'accroupir devant lui. Il se mit doucement sur ses pattes et imita le ronronnement des chats et se frotta contre les chevilles. Elle le laissait faire. Samantha, ravie de le retrouver, le caressait doucement. Elle ignorait qu'en faisant cela, ses mains recueillaient la poussière maudite. Elle le laissait se frotter sur ses cuisses, et même pousser sa tête contre son entrecuisse.

— Petit coquin ! lui dit-elle en riant.

Elle le prit alors dans les bras et s'allongea avec lui sur le lit. Sur le dos, elle le posa sur son ventre, la tête de Satiricon entre ses petits seins en forme de mandarines. Elle le caressait de plus belle. Elle se sentait de plus en plus lascive comme cela lui arrivait de temps à autre depuis qu'elle avait eu ses premières règles. Elle ferma les yeux et tandis que d'une main, elle câlinait la fourrure de son petit compagnon, de l'autre elle jouait avec ses tétons qui commençaient à durcir. Satiricon ne voulait pas effrayer la jeune fille et s'écarta doucement. Il s'éclipsa alors, aussi rapidement qu'il était entré en se promettant de revenir.

Il espérait que Monsieur le Comte serait satisfait de cette potentielle nouvelle recrue et arriva enfin devant la porte de sa récompense. Comme à son habitude, il entra par la chatière que Marie avait spécialement installée pour lui et reprit sa forme originale dans le salon. Le trajet et les multiples changements de forme lui avaient donné faim et il savait qu'il ne pourrait pas être rassasié juste avec l'énergie psychique qu'il pomperait à son amante.

Marie ne dormait pas encore, elle était toujours devant son ordinateur pour finaliser ses cours avant la rentrée. Elle le vit entrer et sourit en le voyant reprendre sa forme. Elle eut envie de l'invectiver pour ne pas lui avoir donné de nouvelles depuis toutes ces années, mais elle était si contente de le revoir qu'elle lui ouvrit les bras.

Elle savait qu'elle allait passer une nuit de rêve et qu'à la différence de ses amants humains, lui ne connaitraît pas de défaillance et il avait ce petit plus qu'aucun homme n'avait et la rendait folle à chaque fois qu'il le lui faisait.

Il s'avança vers cette jeune femme qui lui tendait les bras et tandis qu'elle levait le visage vers lui pour l'embrasser goulûment, ses mains soulevaient le tee-shirt qui recouvrait sa nudité. Il le savait, lorsque Marie était seule, elle ne portait pas de sous-vêtement et il pouvait ainsi caresser sans obstacle sa peau douce. Il ne comprenait pas comment les humains s'extasiaient devant des femmes qui n'avaient que la peau sur les os. Il allait pleinement profiter des rondeurs de cette humaine pour laquelle il s'était pris d'affection. Ses obligations auprès du Professeur l'avaient empêché de la retrouver depuis des années, il comptait bien rattraper le temps perdu.

Toujours enlacés, les deux amants se dirigèrent vers la chambre et Marie s'écarta à contre cœur pour retirer le seul vêtement qui lui restait et s'allonger sur le lit. D'un sourire radieux, elle l'invita à venir la rejoindre. Marie le guidait, elle adorait caresser le soyeux duvet qui recouvrait son corps, son aspect félin n'en ressortait que davantage. Elle s'abandonnait sans réserve à la langue démoniaque qui la caressait et lui promettait des plaisirs quasi ininterrompus.

Après une longue nuit et une matinée toute aussi longue à décliner toutes les positions possibles et imaginables avec un tel amant, Marie était épuisée. Elle dormait nue sur le lit, le corps caressé par les rayons du soleil. Satiricon la regardait, repu, et pendant que la jeune femme récupérait, il avait été se servir dans le réfrigérateur et avait constaté qu'elle avait toujours conservé cette habitude d'avoir une grande variété de fruit et légumes, "Oui c'est une créature de l'enfer végétarienne !" Il souriait en pensant à cela car de nombreuses fois, des femmes affolées le suppliaient de ne pas les dévorer. Il les dévorait bien mais pas de cette manière-là.

Il allait devoir rentrer. Il venait de ressentir un appel du Comte qui lui demandait ce qu'il faisait. Ses retrouvailles avec Marie avaient duré bien plus de temps qu'il ne le pensait et il n'aurait pas le temps de faire un détour par la maison voisine. Il lança un baiser dans l'air en direction de son amante et repris sa forme féline pour rentrer.

lundi 2 novembre 2020

Historiettes - Le Virus

 Ce texte a été bien écrit bien avant la pandémie que nous vivons actuellement, tout ce qui est écrit purement imaginaire.

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Phase Une

 

Le soleil qui passe entre les fentes des volets éclaire la chambre. Elle fut le théâtre d'une longue joute amoureuse et les deux corps nus, enlacés, dorment encore. Dans la cuisine, le chat s'étire. Il attend que sa maîtresse qu'il a entendue gémir toute la nuit se lève pour lui donner sa pâté du matin. Au-dehors, les oiseaux gazouillent, ils chantent en hommage à l'astre du jour qui les réchauffe après la nuit printanière encore fraîche, où peut-être, chantent-ils pour appeler un partenaire.

Tout respire le calme et la sérénité, rien ne laissait présager le drame qui allait se dérouler dans quelques minutes.

Tout avait commencé quelques semaines plus tôt dans un laboratoire d'un centre de recherche sur les maladies infectieuses. Sacha travaillait sur ce virus depuis des années. Ce jour-là, il avait prévu de regarder l'effet qu'aurait ce virus au génome modifié sur les cellules. Avec ses collaborateurs, ils espéraient en faire un moyen de lutte contre un parasite qui infectait le blé. Le seul moyen de lutte était de brûler les champs contaminés. Ce parasite n'avait aucun prédateur naturel. Il était apparu d'un coup. En quelques mois, certains pays avaient la moitié de leurs champs de blé contaminé. Les moissons avaient été catastrophiques et la situation économique et sociale devenait de plus en plus instable.

Ce parasite représentait ce que tous les scientifiques redoutaient depuis des années, aucun prédateur connu et surtout une résistance incroyable aux pesticides que les agriculteurs pouvaient déverser dans leurs champs. Dès sa découverte, Sacha et son équipe avaient commencé à travailler sur un moyen de lutte biologique contre lui.

Après de nombreux mois d'efforts, ils avaient réussi à identifier un point de faiblesse. Pour cela, il fallait réussir à modifier un virus anodin en tueur de parasites. La chance avait joué en leur faveur en leur présentant ce virus qui ne contaminait pas les vertébrés terrestres, mais qui était mortel pour ce parasite.

Ils avaient modifié une de ses protéines de surface pour qu'elle ne soit reconnue que par un des récepteurs du système nerveux rudimentaire de ce minuscule ver.

En cette fin d'après-midi là, il se préparait à déposer une préparation du virus modifié sur des cellules mimant le ver.

Comme d'habitude, il respectait les consignes de sécurité applicable pour ce genre de manipulations qui ne présentent apparemment aucun risque pour lui ou ses collègues.

De ses mains gantées, il ouvrit avec précaution le flacon contenant la précieuse solution. Il se préparait à en mettre quelques gouttes sur les cellules. C'était un geste si simple, répété des milliers de fois depuis qu'il avait commencé sa carrière que lorsque Fabrizio, son jeune collègue lui posa une question, il n'hésita pas à tourner le regard pour lui répondre. Il sentit alors une goutte lui tomber sur peau, juste entre sa blouse et le gant, sur la griffure de ronce faite la veille dans son jardin. 

— Mince, pensa-t-il.

Il finit de déposer le mélange et essuya la goutte avec un papier absorbant qu'il jeta.

Ce fut pendant les quelques secondes entre le moment où la goutte tomba sur sa peau, et l'instant où il l'essuya, que le drame se joua.

Rapidement, le virus trouva les cellules nerveuses qui irradiaient partout dans le corps. Il y pénétra et il fut ainsi à l'abri du système immunitaire de son hôte.

Quelques heures plus tard, alors que Sacha dînait avec son épouse, les particules virales arrivèrent à son cerveau.

— Excuse-moi chérie, je me sens pas bien… J'ai mal au crâne et j'ai des vertiges… Je vais me coucher.

— Oui, je vois, tu as les yeux rouges et gonflés…

— Oui ! Sûrement un début de grippe…

— Va te coucher! je finirai de ranger…

— Merci ma chérie…

Sacha embrassa Clarisse et il partit se coucher. Il eut des frissons toute la nuit et il se réveil à énergie nage au petit matin. La fièvre n'était pas retombée. Quand il essaya de se lever, il fut pris de vertiges et sa femme n'eut pas à insister longuement pour lui dire de rester alité. 

Lentement, le virus muté envahissait son système nerveux et se propageant à d'autres organes en voyageant par les neurones. Complètement invisible pour le système immunitaire, il se nicha dans autre organe de Sacha, il infectait maintenant son appareil reproducteur et se multipliait.

La fièvre dura quelques jours et l'organisme de Sacha trouva un équilibre avec cet hôte indésirable.

Quand il retourna à son laboratoire, son assistant l'accueillit excité.

— Sacha ! La manip a marché ! Les cellules que tu as infectées avec le virus muté sont mortes, et comme prévu, il n'a pas infecté les cellules des autres espèces… Nous allons pouvoir tester sur les parasites…

Cette nouvelle Donna le sourire à Sacha, ils allaient peut-être enfin pouvoir combattre cette maladie qui menaçait une des sources de nourriture les plus importantes de l'humanité.

— Montre-moi les résultats.

Aussi excité que Denis, Sacha parcourut les données de chiffres et les images qui défilaient sous ses yeux. À aucun moment, il ne remarqua la petite déviation sur la séquence du génome du virus qu'ils avaient déposé sur les cellules. Cette petite différence qui va avoir de sérieuses conséquences sur l'espèce humaine.

Ils programmèrent ensemble d'infecter des parasites. Au cours des jours suivants, ils produisirent un aérosol pour pulvériser sur du blé infecté.

Sacha fit jurer le secret à ses assistants tant qu'ils ne seraient pas certains des résultats.

Si la préparation d'une solution de virus pour infecter les cellules s'était déroulée sans problème,  la fabrication de l'aérosol fut un peu plus complexe. Elisa, une étudiante, eu la charge de remplir les flacons d'aérosols, elle se retrouva infectée.

Comme pour Sacha, elle fut prise de vertiges et de fièvre le premier soir. Cependant, son état empira rapidement et la veille du jour ou l'essai sur le blé était prévu, elle tomba dans le coma. Chez elle, après avoir envahi son système nerveux, le virus se propage dans ses poumons. Sans le savoir, à chaque respiration, elle répandait le virus autour d'elle.

Ce même soir, Sacha fêtait sa presque réussite avec Clarisse. Comme ils le faisaient depuis leur rencontre, pour fêter un évènement heureux, ils dînaient dans ce petit restaurant en lisière de forêt et généralement, ils finissaient la soirée en fusionnant leurs corps et leur plaisir. Le virus profite de cette occasion pour envahir la grotte chaude et humide de Clarisse. Sans difficulté, il recouvre cette fine paroi douce dont les cellules l'accueillent sans résister. Avide, il se précipite sur l'ensemble des nerfs qui rendent cette région si sensible.

 

Phase Deux

 

Dans la cuisine, le chat miaule. Il ne comprend pas pourquoi sa maîtresse ne se lève pas. Elle est toujours là première debout. Il vient derrière la porte de la chambre de ses maîtres et commence à  gratter tout en miaulant. Il est enfin arrivé à son but. Il entend bouger.

— Attends, je vais te chercher un cachet… J'ai dû te refiler ma crève de l'autre jour…

— Oui, sûrement… Pense à donner à manger au chat aussi…

— Oui bien sûr… Allez, Monsieur Chat ! Suis-moi !

Un peu surpris de voir son maître sortir le premier, Monsieur Chat le suit dans la cuisine et saute sur le plan de travail où on lui prépare sa gamelle. Il ressent une anomalie dans la chambre, une odeur inhabituelle. Il avait senti la même quand son maître avait été malade.

— Tiens ! Le Chat ! lui dit-il en tendant la gamelle vers l'animal. Je dois m'occuper de ta maîtresse.

Sacha prépare le café de Clarisse et le lui dépose à côté d'elle avec les comprimés d'aspirine.

— Monsieur Chat est perturbé ce matin, dit Sacha.

— Le pauvre ! Il n'a pas eu son câlin du matin… Laisse la porte ouverte quand tu iras sous la douche, il viendra se faire caresser sur le lit.

Sacha ne contrarie pas sa femme même s'il n'aime pas que le chat entre dans la chambre. S'il avait pu savoir à cet instant, les conséquences de son geste, il aurait empêché Monsieur Chat de sauter sur le lit.

Dès qu'il entend la douche, Monsieur Chat entre à pas de velours dans la chambre. Il devine sa maîtresse allongée sous la couette. Il saute sur le lit et aussitôt son odorat est saturé par cette odeur étrange. Il s'approche et il se met à ronronner quand la douce main féminine le caresse. Il se love dans le creux du cou et il lèche la peau couverte de sueur de sa maîtresse.

Aussitôt, le virus qui était présent dans la sueur de la femme infectée pendant sa nuit d'amour découvre un nouvel organisme pour se multiplier. De la sueur de la femme, il passe dans la salive du chat.

Bien au chaud, contre sa maîtresse, Monsieur Chat s'endort. Clarisse sent le ronronnement qui la détend. Elle finit par s'endormir à son tour.

Au milieu de la matinée, attiré par un miaulement, Monsieur Chat quitte la douceur du lit de sa maîtresse endormie pour sortir. Il se sent faible, mais l'appel de la chatte voisine est irrésistible.

Il se dirige vers le bosquet où il sait qu'elle se trouve. Après une parade, quelques miaulements et des lèches sur le pelage pour montrer qu'il est celui avec lequel elle doit s'accoupler, les deux félins s'unissent.

Fatigué par cet effort alors que le virus envahit lentement son corps Monsieur Chat se traîne vers la sécurité de sa maison tandis que sa partenaire, encore excitée par ses chaleurs, appelle d'autres mâles. Le virus continue de se répandre insidieusement dans population féline du quartier.

Pendant ce temps à l'autre bout de la ville, alertés par le compagnon d'Elisa, les pompiers emportent avec précaution la jeune femme inconsciente aux urgences de l'hôpital. Elisa n'a pas prévenu Adrien de son état fébrile, il informe simplement les secours que la veille, ils avaient passé la soirée à boire quelques verres d'alcool accompagnés de produits stupéfiants. Le médecin qui se penche sur la malade ignore que l'air qu'Elisa expire est  chargé de particules virales.

Dans le véhicule qui la transporte, l'atmosphère est rapidement remplie de virus. Les trois jeunes pompiers, à leur tour, respirent l'air contaminé.

Dans la chambre de Clarisse, les premiers moustiques de la saison sont attirés par les senteurs émises par la femme endormie. À son réveil, elle découvre ces piqûres agaçantes. Elle se sent mieux, mais elle réalise que son esprit est embrumé. Elle se souvient du départ de Sacha pour son travail et de Monsieur Chat qui ronronnant contre elle. Elle regarde le livre qui se trouve à côté d'elle, mais quand elle le prend, les mots lui apparaissent comme une suite de lettres incompréhensibles. Elle met cela sur le compte de sa fatigue et de sa fièvre. Elle se lève car elle a faim, elle attrape une pomme dans la corbeille de fruits. Elle ne se sent pas capable de se faire chauffer un café et surtout, la tâche lui semble insurmontable. Rassasiée, elle s'installe dans le canapé où Monsieur Chat vient la rejoindre, tout content de reprendre des forces auprès de sa maîtresse.

À l'école voisine, une maîtresse écrase d'un geste rageur un moustique qui vient de la piquer après avoir aussi piqué quelques enfants dans la cour.

Le chauffeur d'un bus se bat lui aussi avec un insecte qui lui tourne autour, depuis qu'il a pris des passagers à l'arrêt proche de la maison de Sacha et Clarisse.

Dans ce même bus, une hôtesse de l'air en partance pour un autre continent, frotte une piqûre récente.

 

Phase Trois

 

Pendant la journée, Sacha est satisfait de son travail. Ils ont pu diffuser le virus sur les plans expérimentaux et ils espèrent voir les résultats dans les prochains jours. Il est un peu étonné de ne pas avoir de réponse de Clarisse quand il l'appelle au téléphone. Elle doit se reposer pense-t-il.

— Au fait, lui dit Fabrizio, j'ai fait de la fièvre ce week-end, tu as dû partager ta crève avec moi… 

— Ce matin, c'est Clarisse qui avait de la fièvre et… toujours pas de nouvelle d'Elisa ? 

— Non, hier, elle se sentait encore fiévreuse…

— Si demain elle n'est pas là, je l'appellerai… En tout cas, les premiers résultats sur les cellules sont impressionnants. La mutation agit exactement comme nous l'avions envisagé, les cellules ralentissent et meurent lentement. J'ai hâte de voir comment le parasite va réagir…

— On devrait le savoir rapidement, le virus infecte le système nerveux. Sur les parasites seuls, ils commençaient à réagir après deux heures…

— Oui, les vers devenaient immobiles et mourraient quelques heures plus tard, mais sur les blés, on ignore comment ils vont réagir.

Du fait de l'état de Clarisse, Sacha ne traîne pas et demande à Fabrizio de l'appeler dans la soirée pour l'informer des premiers résultats des tests.

En arrivant chez lui, il est surpris de constater l'apathie de sa femme. Installée sur le canapé, elle ne lit pas et la télévision n'est pas allumée. Et elle ne s’est pas habillée.

— Chérie comment vas-tu ? 

Elle lève les yeux vers lui sans avoir l'air de le reconnaître.

— Chérie, tu vas bien ?

Il s'approche d'elle, elle le regarde et lui sourit sans dire un mot. Il lui tend la main. Elle attrape cette main tendue et se lève. Elle frissonne quand il la serre contre lui pour l'embrasser et elle pose sa tête sur son épaule toujours sans parler. 

— Qu'est-ce qu'il t'arrive…

Clarisse ne répond toujours pas. Inquiet de tant de mutisme, Sacha la fait se rasseoir sur le canapé et appelle leur médecin.

— Docteur Vonier, pourriez-vous passer rapidement, ma femme a un comportement étrange…

— Comment cela ? 

— Elle avait de la fièvre ce matin quand je suis parti travailler et en rentrant, je l'ai découverte complètement apathique, muette… J'ai l'impression de voir un zombie…

— J'ai encore quelques consultations et je passe vous voir… Laissez-moi une heure.

— Oui ! je vous attends.

Sacha allume la télévision et il peut voir le regard de Clarisse suivre ce qui se passe sur l'écran sans manifester la moindre émotion. Elle a juste un mouvement de recul au moment où un des personnages sur l'écran fait une chute violente. 

Troublé et inquiet, Sacha prépare le repas, il fait quelque chose de simple et apporte un plateau de mets à grignoter devant la télévision. 

Il raconte sa journée à Clarisse qui hoche simplement la tête quand il l'interpelle. De temps à autre, elle tend la main pour prendre de la nourriture ou pour boire. Au bout d'un moment, elle se rapproche de lui pour chercher un câlin. Il la prend dans ses bras.

Il est soulagé quand la sonnette retentit. Clarisse sursaute et se recule effrayée dans un coin du canapé.

Quand il ouvre la porte, Sacha découvre Fabrizio avec surprise.

— Qu'est-ce que tu fais là ? Pourquoi tu n'as pas appelé ?

— Je t'ai appelé, mais tu n'as pas répondu… Ton téléphone me mettait instantanément sur messagerie.

Il constate alors que son appareil est éteint.

— Oh mince ! J'ai oublié de le remettre en charge… Mais avec l'état de Clarisse, j'ai été perturbée…

— Que lui arrive-t-il ?

— Regarde !

Fabrizio entre alors dans le salon et découvre Clarisse, assise. Elle lui sourit sans un mot.

— Elle aussi !

— Comment ça ? Elle aussi !

Après avoir essayé de te joindre, j'ai appelé Elisa pour lui donner la bonne nouvelle. Notre manip a marché, les vers infectés se sont tous décrochés des blés et sont inerte sur le sol… Je suis tombé sur son copain qui m'a dit qu'elle était à l'hôpital. Il l'a trouvé dans le coma au réveil ce matin. Il pensait qu'elle n'avait pas supporté leur soirée un peu trop festive de la veille… Mais quand il est allé la voir cet après-midi à l'hôpital, elle était réveillée, mais dans le même état que Clarisse, apathique…

— Une maladie ?

— Je ne sais pas, mais c'est étrange…

À cet instant, le Docteur Vonier sonne et entre. 

Aussitôt, il examine Clarisse.

— Je ne comprends pas. Pas de fièvre, tension normale, pouls normal, ses réflexes sont normaux. Son regard suit mon doigt… Elle a mangé ?

— Oui elle a mangé et bu normalement, mais en silence… Et elle ne fait rien. Elle semble dans un autre monde…

Alors que le médecin se penche une nouvelle fois sur elle, Clarisse écarte les cuisses et ils peuvent tous voir une tache d’humidité grandir sur le pantalon de pyjama.

— Clarisse ! que faites-vous ?

— Ma chérie ?

Les trois hommes ne peuvent que constater le résultat. Elle s'est urinée dessus sans se poser de question.

— Je suis complètement dépassé, elle semble aller bien, sauf pour ce qui est de ses fonctions cérébrales supérieures… Il faut lui faire passer des examens plus poussés, ce pourrait être une tumeur cérébrale… Mais, à ce stade, je ne peux rien dire…

— Un cancer ?

— Je ne sais pas, mais je ne connais aucun virus, bactérie ou autre qui produisent ce genre de symptômes… Je vais appeler les services d’urgence pour qu’elle soit hospitalisée en attendant… Vous n’allez pas pouvoir vous en occuper dans cet état, non ?

— Cela me semble difficile, même si elle est restée toute seule aujourd’hui.

Quelques minutes plus tard, une ambulance emmène Clarisse vers l’hôpital.

Dans d’autres quartiers de la ville, des enfants se couchent avec de la fièvre. Des mamans inquiètent appellent le médecin ou se rendent dans les services d’urgence avec leurs petits malades. À chaque fois, le virus se répand dans le corps des personnes contaminées, invisible pour les défenses immunitaires cachées au cœur des cellules.

Dans un avion, au-dessus de l’océan, une hôtesse se plaint de vertiges et de maux de tête. Elle s’allonge au fond de la cabine, ne pouvant plus tenir debout, elle s’endort. Quand l’avion atterrit, une de ses collègues vient la réveiller. La jeune femme la regarde en souriant. Les yeux dans le vague, elle ne semble plus savoir où elle se trouve. Aussitôt, elle est prise en charge par les services médicaux de l’aéroport qui sont aussi désemparés devant ce mystère que l’a été le Docteur Vonier quelques heures plus tôt.

Dans l’atmosphère confinée de l’appareil, le virus qui s’est multiplié dans le corps de l’hôtesse a facilement pu se propager aux autres voyageurs. Quelques heures plus tard, des centaines de personnes s’endorment fiévreuses.

Si les hommes se rétablissent sans conséquence, les femmes se réveillent apathiques et sans volonté.

 

Phase Finale

 

La panique gagne les ministères. Cette étrange épidémie gagne du terrain. Des malades apparaissent un peu partout dans le monde, même dans des lieux isolés. Les examens plus poussés des malades ne montrent aucune tumeur. L'imagerie médicale indique des modifications de l'activité cérébrale chez les femmes apathiques, mais qui correspondent à ce que les médecins s'attendaient à voir d'un cerveau qui dysfonctionne.

Les prises de sang ne montrent aucune trace d'agent infectieux.

Il faut attendre plusieurs jours pour que des prélèvements de l'air dans les pièces occupées par les malades permettent de détecter des quantités anormalement élevées de ce virus supposé anodin.

Les hôpitaux mettent alors en place de consignes d'isolement très strictes, mais il est trop tard. Sur le moment, personne n'imagine que ce virus, légèrement différent du virus connu, infecte non seulement les hommes, mais aussi plusieurs espèces animales sans déclencher de pathologie. Seules les femmes sont atteintes de cette manière.

Quelques semaines après les admissions d'Elisa et Clarisse à l'hôpital, le génome du virus est enfin séquencé.

Sacha apprend alors que ce virus est son virus. Enfin presque, il remarque l'infime différence entre celui sur lequel il pensait travailler qui ne cause aucun trouble et celui avec lequel ils ont fait les premiers tests.

Dans son esprit, il revoit ce jour où cette goutte lui est tombée sur sa plaie. Il se souvient de sa fièvre, de son étrange fatigue pendant quelques jours.

Il voulait sauver l'humanité, il est devenu celui qui la condamne.

 

Ce soir, il vient passer quelques heures avec Clarisse. Les soignants ont remarqué que les femmes assurent leurs besoins vitaux, et que si on leur montre, elles utilisent les toilettes et peuvent enfiler seules des vêtements sans trop de fioritures. Elles réagissent à leur nom et à des consignes simples.

Il l'habille et la coiffe avec soin. Ensemble, main dans la main, ils sortent de l'établissement de soin. Il les conduit au bord de la falaise et entraînant Clarisse avec lui, il fait un pas en avant. 

Leurs corps seront retrouvés le lendemain matin par des promeneurs. 

Les journaux titreront que le bourreau de l'humanité a préféré se donner la mort plutôt que d'affronter ses juges.

 

Malgré toutes les précautions mises en place, le fléau s'étend à l'ensemble de la planète en quelques mois. Le chaos s'installe.

 

Par chance, le virus se propage aussi au parasite du blé qui disparaît, les hommes ne mourront pas de faim.