lundi 27 février 2023

Eruptions -09- Le Comte

 

Assis dans son fauteuil, le professeur Van Dyck fixait les flammes qui ondulaient dans la cheminée. Il était songeur, cela faisait plusieurs jours que Keireen sa guerrière était partie à la poursuite des voleurs du coffret et de la pierre philosophale. Il se disait qu'il touchait enfin au but après tant d'années de recherches et de luttes. Le dernier message de son envoyée avait été encourageant, elle lui disait qu'elle avait retrouvé la trace des jeunes gens dans une ferme auvergnate. Elle les guettait depuis plusieurs jours et avait su déjouer la surveillance du vieux fermier.

Le comte savait qu'elle était loin de son île natale et que le monde avait beaucoup changé depuis sa dernière venue, mais il ne doutait pas de ses capacités d'adaptation et ses dons de de pisteuse. Il était certain qu'elle allait réussir à mettre la main sur la pierre et ses secrets.

Il tenait enfin sa vengeance contre les Veilleurs. Cela faisait des siècles qu'il envoyait ses meilleurs serviteurs autour du globe sur leur piste. Mais à chaque fois qu'il pensait les avoir à sa merci, ils réussissaient à lui échapper. Lorsqu'il aurait la main sur les pouvoirs de la pierre philosophale, il pourrait lui aussi se déplacer de nouveau entre les portails et modeler son avenir comme il l'avait vu lors de sa rencontre avec la Dame du Lac.

Il entendit la jeune femme qui lui louait une chambre sous les toits sortir pour se rendre à son travail, depuis le départ de Viviane, il avait trouvé une nouvelle locataire. Depuis quelques jours, un jeune homme l'attendait tous les matins pour la prendre en voiture. Cela le contrariait aussi. Il avait imposé dans le contrat de location des contraintes très précises comme de ne recevoir personne dans sa chambre, mais il ne pouvait intervenir dans sa vie hors de la propriété, il avait encore besoin d'elle pour atteindre son but ultime. Alors qu'il la regardait monter dans ce cabriolet et s'éloigner à l'arrière du manoir, il sentit une vibration et un grondement.

— Maître ! Maître !

— Que se passe-t-il Satiricon ? Pourquoi arrives-tu aussi rapidement dans mon salon sans y avoir été invité ?

La créature féline orangée se recroquevilla sur elle-même avant de répondre.

— Le pic de Taranis s'est réveillé une nouvelle fois ! Maître !

Avec une rapidité surprenante, le vieil homme bondit sur la terrasse du château et vit s'élever au-dessus de la brume automnale les signes de ce début d'éruption. Une colonne de poussière s'élevait vers le ciel et heureusement que les vents la poussaient vers l'est sinon la ville serait rapidement recouverte de cendres grises. Son regard se porta ensuite sur différents édifices de la ville et le phare qui se dressait au milieu de la baie. Son œil averti remarqua immédiatement les vibrations qui affectaient ces bâtiments. Il se mit à hurler.

— Noooon !!!!!! Et il s'effondra à genou sur les pierres de la terrasse. Le visage décomposé, il regarda son serviteur. File vite ! Va retrouver Keireen !

— Mais Maître ! Je ne peux pas partir comme cela, on doit finir ce que nous avons commencé ici n’est-ce pas ?

— On le finira plus tard… cria le comte. Fais ce que je te demande ! Sinon gare à toi !

— Oui Maître.

En reculant avec crainte, Satiricon rentra dans le manoir et disparut pour tenter de rejoindre la guerrière.

Prostré sur le sol, Van Dyck pleurait, parcouru de spasmes.

— Ô Grand Maître ! Pourquoi m'as-tu abandonné ? J'étais sur le point de réussir à vaincre ton ennemi…

Comme à chaque fois, il ne recevait aucune réponse. Mais cela n'affaiblissait pas sa détermination, il en était convaincu, le Grand Maître lui répondrait un jour et serait fier de lui.

Il retourna s'asseoir dans son fauteuil et fit une chose qu'il n'avait pas faite depuis des années. Il alluma son téléviseur et découvrit que ce n'était pas un, mais plusieurs volcans qui étaient entrés en éruption, le pic de Taranis, l'Etna, le Stromboli et surtout le plus inquiétant pour lui, le Pavin. Il comprit alors qu'il était arrivé malheur à la guerrière et que ce n'était pas les deux jeunes qui avaient volé le coffret qui en étaient responsables. Cela le rassurait de moins en moins. Qui avait la puissance suffisante pour faire entrer en éruption plusieurs volcans distants de plusieurs milliers de kilomètres les uns des autres ? Quels mystères voulait-on cacher ? Ces questions lui trottaient dans la tête, mais cela ne le détournerait pas de son objectif final.

Si, au lieu de s'énerver, il avait pris le temps de se renseigner, il n'aurait pas envoyé Satiricon au loin. Il savait maintenant, qu'il ne lui rapporterait pas de bonnes nouvelles et que la pierre était sûrement perdue à jamais. Il devrait attendre son retour pour pouvoir recommencer à surveiller Viviane et Gérald.

Grâce à sa nouvelle messagère, il avait pu reprendre ses livraisons de fleurs au couvent et ainsi reprendre les moniales sous son contrôle après son cuisant échec de l'automne. Avec son serviteur parti, il devrait s'occuper seul de la renaissance de l'ordre pandorin afin de pouvoir faire revivre le sanctuaire qui permettrait le retour du Grand Maître. Pour cela, il allait devoir être plus vigilant avec sa locataire qu'il ne le fut avec Viviane. Il ne fallait pas qu'elle lui échappât comme la pierre philosophale venait de lui échapper.

Il avait réglé le problème d'Élisabeth de Longueville qui avait voulu protéger la jeune enseignante. Quelques fuites bien organisées sur les réseaux sociaux et les médias locaux avaient eu raison de la réputation de la responsable du meilleur lycée de la ville.

En dépit de son aversion pour les technologies du monde moderne, il avait appris à s'en servir et à les utiliser pour ses sombres desseins.

Minuit sonnait au clocher des pandorines quand il entendit revenir la jeune femme ainsi que son brave Satiricon.

— Alors ? lui demanda-t-il sans se faire d'illusion.

— Maître, je crains de n'avoir que des mauvaises nouvelles à vous annoncer.

— Je m'en doute un peu, mais raconte sans crainte.

— J'ai pu retrouver la trace de Keireen sans difficulté, elle ne se cachait pas. Elle a très vite compris que ce monde ne serait pas dangereux pour elle et c'est ce qui je pense l'a perdu.

— Que veux-tu dire ?

— Keireen est morte… sous le choc, les yeux du comte s'embuèrent de larmes.

L'ultime guerrière du clan venait de partir au Valhalla.

— Elle est morte en combattant. Pour une fois, elle a sous-estimé la puissance et la valeur de ses adversaires. J'ai retrouvé son corps au côté de celui de Sophia, ajouta Satiricon.

À ce nom, le comte releva la tête.

— Sophia ?

— Oui Maître !

— Ce qui veut dire que la pierre mène toujours à Athéna ?

— Oui, je le pense…

Le compte parti d'un grand rire, son acolyte le regarda sans comprendre. Quand il vit le regard perdu du félidé, il lui expliqua.

— Tout le monde pensait que la pierre philosophale menait à l'immortalité, en fait d'immortalité, c'est celle de la sagesse. La pierre philosophiale aurait-on du dire…

Le serviteur interrompit son maître avec un toussotement.

— Je pense que tout n'est pas perdu Maître !

— Comment cela ? Explique-moi !

Ravi de retrouver l'attention du professeur Van Dyck, Satiricon reprit :

— Lorsque je suis arrivé là-bas, le volcan grondait toujours, mais les souterrains inondés s'étaient vidés et avec mes pouvoirs, j'ai pu franchir les obstacles dressés par les autorités. J'ai retrouvé le lieu où Keireen et Sophia se sont affrontées. Il portait encore les traces de leur combat, mais j'ai pu découvrir les restes d'une sculpture en forme de chouette…

— Athéna ! Toujours elle !

— Oui Athéna ! C'est un point de passage vers le Sur-monde. Et si j'ai retrouvé les corps des guerrières, je n'ai pas retrouvé celui des deux humains. Ils n'ont pas été emportés par les flots.

— C'est normal que tu ne les aies pas retrouvés, Keireen et Sophia étaient de la même nature que toi, les humains ne le sont pas !

— Vous êtes troublé ? Maître ! Osa-t-il dire, en espérant que le comte ne prendrait pas ombrage de sa réflexion. Avez-vous oublié que ma nature est aussi de séduire les femmes humaines ? Je suis capable de les pister à plusieurs kilomètres de distance."

Van Dyck sourit à cette évocation, ne sachant que trop ce que faisait parfois subir son serviteur aux femmes qui avait le malheur ou la chance, selon ce qu'elles attendaient, de tomber entre ses griffes.

— Tu veux me dire que tu n'as pas trouvé la jeune femme ?

— Exactement Maître ! Lorsqu'Asterias est revenu avec le coffre, c'est moi qui suis allé le ranger dans votre cabinet de curiosité. J'ai donc pu sentir et mémoriser l'odeur de cette femme qui l'avait tenu entre les mains.

Le Maître sourit, mais il ne le félicita pas, il ne voulait pas que celui-ci se laissât à prendre trop d'initiatives.

— Je n'ai pas retrouvé leur corps, mais j'ai surtout senti la présence d'une puissance incroyable, divine devrais-je dire, non loin du portail détruit.

— La déesse les aurait pris avec elle ?

— Sûrement Maître ! Mais ils ne sont pas de nature divine, ils ne pourront pas rester là-bas longtemps. Il nous suffit d'attendre qu'ils ressortent.

— Tu sais comme moi que le temps, dans le Sur-monde, ne s'écoule pas comme ici.

— Oui Maître ! Bien sûr ! Si vous m'y autorisez, je peux rester autour du Pavin jusqu'à leur réapparition. J'ai repéré quelques jeunes femmes très attirantes, finit-il avec un sourire carnassier aux lèvres.

— Soit ! Vas-y ! Mais fais attention à ce que tu fais.

— Ne vous inquiétez pas Maître, je serais très discret.

— Il y en a une à qui tu vas manquer ! lança le comte.

— Nos retrouvailles n'en seront que plus agréables.

— Allez ! File !

Sans se faire prier, Satiricon disparut rapidement en laissant derrière lui flotter un nuage de poussière bleue.

Finalement, tout n'est peut-être pas perdu… pensa le professeur. Je connais Athéna, si elle a protégé ce couple de Keireen, elle va continuer à veiller sur eux. Ce qui veut dire qu'elle va leur laisser un objet qui me permettra de remonter aux sources de la pierre philosophale.

Il quitta son fauteuil et se rendit dans sa chambre. Avant de monter les escaliers, il retourna la clepsydre qui marquait le passage du temps dans le manoir.

***

Pris par d'autres occupations, il en avait oublié la disparition du jeune couple et lorsque Satiricon lui annonça quelques mois plus tard, leur réapparition, il fut surpris.

— Maître ! Les humains sont ressortis de la montagne ! Regardez la télé !

Le comte alluma de mauvaise grâce son téléviseur et sur les chaînes d'information, il vit apparaître brièvement le couple accompagné par les pompiers dans un hôpital. Le journaliste répétait à qui voulait l'écouter que les jeunes gens auraient simplement dit qu'il ne se souvenaient de rien que pour eux, cela faisait juste quelques heures qu'ils étaient entrés dans un souterrain. Les gendarmes allaient enquêter pour essayer de comprendre comment ils pouvaient en aussi bonne forme après avoir passé tout l'hiver sur les flancs du volcan en éruption.

Athéna les a guidés dans le Sur-monde ! pensa-t-il.

— Satiricon ! Où es-tu ?

— Derrière vous Maître ! répondit l'homme-chat en tremblant.

— Je veux que tu les surveilles sans arrêt et rapporte-moi tous leurs faits et gestes. Je suis certain qu'Athéna leur a donné une clé du sur-monde.

— Bien Maître ! Mais…

— Quoi, mais ?

Vous m'aviez promis que je pourrais revoir Samantha en rentrant.

Van Dyck vit l'air dépité de son sbire.

— Vas-y je t'accorde cette nuit, mais demain, tu retournes les surveiller.

— Oui Maître ! répondit-il en sautillant et en disparaissant sans un bruit par la fenêtre de la terrasse d'où il était arrivé.

mardi 14 février 2023

Historiettes - Extinction

 

 

Jerek2412 vérifiait une nouvelle fois les données que les sondes en orbite autour de la planète lui envoyaient. Depuis plusieurs millénaires, il surveillait avec attention un groupe de sauriens qui habitait au pied d'un éperon rocheux dominant la savane.

Depuis quelques générations, ce groupe se servait d'outils et ils avaient fabriqué des armes rudimentaires pour chasser leur proie et affronter les prédateurs géants qui peuplaient cette planète. Il avait remarqué que certains membres du groupe n'avaient plus peur du feu et semblaient même avoir une certaine curiosité. L'évolution suivrait elle chez les dinosaures de cette planète une route similaire à celle qu'elle avait suivie chez ses ancêtres primates sur la sienne.

Depuis son arrivée dans ce système stellaire, Jerek2412 allait de surprise en surprise. Tout d'abord cette planète avec d'immenses anneaux de glace et ses innombrables satellites, cette autre géante gazeuse qui du fait de sa gravité avait fait un grand ménage parmi les comètes et astéroïde de ce système et enfin cette petite boule rocheuse avec un satellite à faire pâlir de jalousie une géante gazeuse. 

Il avait satellisé un petit astéroïde sur un point de Lagrange de l'orbite de la Lune de cette planète, pour y construire ses installations. 

Son cerveau de silicium et son corps métallique n'étaient plus soumis à la vicissitude du vieillissement organique et à ses contraintes respiratoire et alimentaire. Avec la lumière d'une étoile, il trouvait toute l'énergie dont il avait besoin. Entre deux étoiles, il mettait en veille ses systèmes inutilisés. Ce fut ainsi qu’il put réaliser le long voyage intersidéral depuis son système d'origine.

 

Lorsqu'il avait décidé de partir explorer ce bras galactique, cela faisait plusieurs milliers d'années que son peuple avait trouvé le moyen de quitter leur enveloppe de chair et d'os pour transférer leurs consciences dans des puces de silicium. 

Il avait préparé son départ pendant de longues années. Il lui avait fallu quitter son corps anthropoïde pour mettre son cerveau électronique dans un corps susceptible de voyager plus efficacement à travers l'espace.

La possibilité d'avoir accès à tout le savoir de son espèce en quelques secondes lui avait permis de construire une fusée pour lancer son nouveau corps motorisé à travers l'espace. Il avait fait le choix d'un corps capable de produire tous les éléments essentiels à son projet à partir d'un astéroïde. 

Ce fut sa première étape et son premier défi : vérifier par lui-même que la pratique collait à la théorie. Il eut des sueurs froides lorsque son moteur de descente ne répondait pas exactement de la manière dont il l'avait prévu, car la masse de l'astéroïde ne coïncidait pas exactement aux calculs. Il s'en était rapproché bien plus vite que ce qu'il avait calculé et il dut en catastrophe augmenter la puissance de son moteur pour ralentir. Il utilisa bien plus de carburant que ce qu'il avait escompté et une des jambes articulées avait pris un angle inattendu. 

Après avoir vérifié que hormis sa position alambiquée et sa jambe tordue toutes ses autres fonctions étaient opérationnelles, il envoya un message à ses parents et ses amis. 

— Tout va bien ! Première étape, terminée. 

Quelques heures plus tard, il reçut un message d'encouragement du clone numérique de son père et un message désespéré de sa mère qui lui demandait de renoncer à cette folie. Elle ne voulait pas le perdre comme elle avait perdu sa grande sœur qui s'était aventurée trop près d'une étoile à neutrons et qui avait été cramée dans un sursaut gamma. On avait retrouvé son corps en orbite autour de cette étoile complètement inerte, sa mémoire effacée.

Il analysait maintenant la composition de l'astre sur lequel il se trouvait. Par chance, il correspondait parfaitement à ce qu'il espérait trouver et il comprit la raison du différentiel de masse. Cet astéroïde possédait un petit noyau de fer. Il aurait ainsi plusieurs millions de tonnes de minerais supplémentaires à sa disposition. 

Il commença par mettre son cerveau à l'abri du rayonnement spatial sous plusieurs mettre de roche puis il entama le lent processus de production de tous les systèmes nécessaires à son voyage.

Il restait attentif à toutes avancées scientifiques et technologiques qui lui permettaient d'optimiser ses outils qui n'étaient rien de plus que des extensions de lui-même. Il demandait des conseils aux meilleurs spécialistes des questions qui l'intéressaient. 

Il comprit très vite que pour le voyage qui l'attendait, il était préférable de choisir la fiabilité et la robustesse de technologies anciennes plutôt qu'à l'attrait novateur de système encore incertain. 

Avec ce corps minéral, le temps n'était plus une contrainte. 

Au moment de son départ, il envoya un message d'adieu à travers l'espace avec son plan de vol. Et, telle une nouvelle étoile, son propulseur illumina le ciel de sa planète d'origine pendant quelques mois. 

Il mit en veille tous les systèmes qui ne lui seraient pas indispensables à son voyage et il disparut dans le silence infini de l'espace. 

 

Quelques milliers d’années plus tard et plusieurs escales dans différents systèmes planétaires, Jerek2412 franchit le nuage cométaire de ce nuage. Il avait épuisé la quasi-totalité des ressources de l’astéroïde qui lui avait servi de vaisseau. Il avait mis à profit son voyage pour construire des sondes et d'autres appareils de mesures et d'observation. 

Il était certain que ce système allait lui donner satisfaction. Son périple l'avait conduit à proximité de plusieurs étoiles dont il avait utilisé le puits gravitationnel pour se propulser encore plus vite. Il était devenu un as à ce jeu de billard cosmique. À chaque fois, il n'avait découvert que des mondes déserts et stériles. 

Il se rapprocha d'un objet riche en carbone afin de reconstituer ses réserves, depuis sa mésaventure initiale, il se faisait toujours précéder sur l'astre par une sonde afin de mesurer son champ gravitationnel et sa composition chimique. 

En plus du carbone, cet astéroïde possédait divers éléments lourds ce qui indiquait que l'étoile centrale du système était une étoile troisième ou quatrième génération. 

Au cours de son approche, il avait noté la relative stabilité de ce soleil jaune, un bon signe pour ce qu'il cherchait. La présence de géantes gazeuses sur des orbites externes et de planètes rocheuses plus proches, dont une avec de l'eau liquide sur une orbite quasi circulaire, avait accru son excitation.

Il avait hâte de déployer ses sondes et capteurs sur ce monde prometteur. Sa principale déception venait de l'absence d'émission radio de la planète. 

Il avait affiné les paramètres orbitaux et il calcula que la dernière étape de son voyage durerait encore neuf de ses années.

 

Il avait dispersé des capteurs partout sur la planète des plus hautes montagnes jusqu'au plus profond des océans, dans la fournaise des volcans et sur les étendues glaciales des pôles. Il avait développé un modèle virtuel de cette planète et il arrivait ainsi à prévoir le lieu où se produisaient les tempêtes, les séismes ou les éruptions volcaniques. La seule chose qui restait imprédictible était l'évolution de la vie et le comportement des animaux qui pullulaient sur ce globe.

Il avait donc décidé de s'intéresser plus particulièrement à un groupe de sauriens pour essayer de comprendre le fonctionnement de la vie biologique. Il avait beau être le lointain descendant d'une espèce qui avait respiré de l'air, mangé de la nourriture organique, bu de l'eau, avoir eu un cerveau qui fonctionnait avec un mélange de signaux électrique et chimique, il se nourrissait maintenant d'énergie électromagnétique ou de réactions chimiques de composés minéraux et son cerveau fonctionnait avec des impulsions électriques.

 

Quand il avait découvert que cette planète abritait une vie évoluée, il avait envoyé un message sur toutes les longueurs d'onde possibles. Le phénomène était tellement incroyable qu'il voulait que tous ses congénères fussent informés.

Aussitôt que son message fut reçu, des centaines de millions de personnes suivirent les rapports qu'il envoyait régulièrement. Des scientifiques se demandaient si la vie intelligente y était apparue et s'ils pourraient déterminer le niveau de connaissance de ses habitants. Les philosophes et théologiens conjecturaient sur leur croyance. 

Quand il apparut que le plus évolué des animaux de cette planète était un petit dinosaure, de deux mètres de haut, qui vivait et chassait en meute, l'intérêt retomba. 

Seuls quelques exobiologistes et exogéologues et de rares curieux s'intéressaient encore aux émissions de Jerek1242. 

Il n'en avait cure, il avait atteint son but. Voyager à travers les étoiles et découvrir un monde vierge. Même si la connexion globale de tous les cerveaux permettait de vivre ce que vivaient les autres, poser ses propres capteurs sur un Nouveau Monde, découvrir en premier les images, les odeurs, les sons, les vibrations et tout ce qui se produisait sur une planète grouillante de vie lui procuraient un plaisir indicible. 

Il était en train de finaliser un paquet de données qu'un spécialiste de la météorologie lui avait demandé quand il reçut sur son canal personnel une communication inattendue.

— Bonjour papa ! Je t'annonce que je vais venir te rejoindre bientôt. Maman m'a enfin donné l'autorisation de voyager seul.

Jerek2412 analysa le message pour en découvrir la source. Il n'y avait pas de doute, ce Morek0056 était bien son enfant. Un enfant qu'il avait eu un soir de beuverie électronique, quelques jours avant son départ, avec une jeune étudiante. Ensemble, ils avaient assemblé des mémoires vierges et y avaient mélangée une partie des leurs personnalités pour créer ce fils. Même si, à l'ère des corps électronique, avoir un sexe n'avait plus de sens, il avait décidé de lui donner une personnalité masculine. Ils l'avaient nommé Morek0056 et l'avaient déclaré auprès de l'Ordinateur Général qui recensait toute la population cybernienne. Vorna1075 avait gardé cette nouvelle mémoire et lui avait conçu un corps. Elle lui avait permis d'accéder progressivement au savoir cybernienne et il venait d'obtenir son émancipation.

En fouillant dans ses mémoires Jerek2412 s'aperçut que son amante d'un soir était l'une des fidèles de ses émissions et qu'elle lui envoya régulièrement de longs messages auxquels il ne répondait pas.

— Morek, je serai ravi de te rencontrer et de partager avec toi l'ensemble des découvertes que j'ai faites sur cette planète… Au cours de ton voyage, méfie-toi en approchant de l'étoile Y1452X5872Z5698, elle est très instable et ses sursauts énergétiques violent, utilise l'étoile suivante sur ta trajectoire pour profiter de son assistance gravitationnelle… indique-moi aussi dans combien de temps tu arriveras. 

Jerek2412 savait que son fils n'aurait ce message que dans plus d'un millier d'années, mais il serait encore cette étoile ou il avait grillé plusieurs de ses composants. 

Il n'aurait pas de réponse avant le doublé de ce temps et son fils ne serait pas auprès de lui avant cinquante mille ans dans le meilleur des cas.

Il envoya un message à Vorna1075 en s'excusant de ne jamais lui avoir répondu. Il lui demandait de lui pardonner et il lui proposa de venir le rejoindre. Il dit s'avouer que même s'il aimait cette solitude, l'absence de contacts proches afin de pouvoir avoir une discussion soutenue lui manquait. Il décrivit dans sa longue lettre tous les attraits de ce système stellaire et il finit en concluant que son âme d'artiste serait comblée. 

 

Il reçut d'abord la réponse de Morek0054 qui lui indiquait tous les paramètres de son vol avec les caractéristiques de son corps vaisseau spatial. Son fils utilisait un énorme astéroïde riche en iridium et avec énormément d'hélium 3 à sa surface. Il était équipé d’un puissant moteur utilisant la fusion nucléaire ce qui lui avait permis d’atteindre une vitesse très élevée, il voyageait presque au quart de la vitesse de la lumière. Cela impressionna Jerek4212 qui rechercha dans ses bases de données les dernières nouveautés concernant cette technologie. Quand il avait entamé son voyage, les modes de propulsions les plus rapides ne dépassaient pas quelques centaines de kilomètres par seconde. Il découvrit les progrès technologiques accomplis au cours des derniers millénaires et il put constater que ces congénères pouvaient maintenant voyager en toute sécurité à des vitesses incroyablement rapides, mais pas autant que celle à laquelle son fils traversait l’espace.

Il lui était encore trop tôt pour définir avec exactitude quand Morek0054 arriverait près de lui, mais il put admirer la précision de la trajectoire après sa dernière assistance gravitationnelle. S’il ne jouait pas avec son propulseur, il pourrait se satelliser autour du soleil sur la même orbite que celle de la planète qu’il observait.

La réponse de Vorna1075 lui parvint bien des siècles plus tard. Elle lui répondit qu’elle ne l’avait pas oublié et qu’elle conservait avec nostalgie le souvenir de leur brève étreinte, mais qu’actuellement, elle se trouvait en compagnie d’un artiste avec lequel, elle pouvait pleinement donner la mesure de son talent. Elle l’invitait à découvrir ses œuvres qui étaient admirées dans toute la sphère cybernienne. Elle lui promit que lorsqu’elle aurait fini d’explorer tout ce que son association avec son partenaire, elle viendrait lui rendre visite. Il installa une alerte pour être informé de tout ce que ferait Vorna1075 et il resta de nombreuses années à admirer les chefs-d’œuvre de son ancienne amante.

 

Alors que Morek0054 approchait, les échanges se faisaient de plus en plus rapidement. Il ne se passait plus que quelques dizaines entre l’envoi du message et la réception de la réponse. Morek0075 était enthousiasmé par les informations concernant le groupe de sauriens que son père observait. Depuis quelques millénaires, les individus qui avaient moins peur du feu avaient donné naissance à des petits qui réussirent à domestiquer les flammes. Avec de bons capteurs, les petits feux de camp qui brillaient telles de petites étoiles dans la savane au milieu de la nuit étaient visibles depuis la station orbitale de Jerek4212.

Pour accueillir son fils, il avait décidé de reprendre une forme humanoïde. Les deux androïdes pourraient ainsi se serrer dans leur bras quand ils se retrouveraient. Il avait vraiment hâte de l’avoir en face de lui et de pouvoir communiquer sans aucun délai. Plus leurs échanges s’accéléraient et plus il découvrait que Morek0054 lui ressemblait quand il était jeune et que sortant de l’adolescence, il rêvait de changer la société. Son fils lui envoyait régulièrement des suggestions pour que les sauriens élèvent leur niveau de développement. Il lui proposait d’intervenir pour leur montrer de nouvelles techniques.

Jerek4212 avait toujours refusé d’intervenir, il se contentait d’être un observateur. Plus Morek0054 approchait et plus il insistait pour que son père intervînt.

— Nous ne pouvons pas ! Il faut laisser les choses suivre leur cours, chaque espèce doit découvrir et développer par elle-même ses propres technologies.

— Oui ! Mais regarde le temps que cela prend… Depuis qu’elles ont appris à maîtriser le feu, il ne s’est rien passé... 

— Ce n’est pas vrai… Ils ont découvert comment durcir la pointe de leurs armes avec le feu, comme le feu pouvait leur permettre de casser plus facilement la roche…

— J’ai bien vu, oui ! Mais ils n’avancent pas… Tu devrais intervenir directement… Nous serions comme des dieux pour eux…

— Il est hors de question, et je te rappelle que cette planète, c’est moi qui l’ai découverte… Je décide donc…

— Nous en reparlerons face à face, lui répondit Morek0054, et nous verrons alors qui aura raison…

Jerek4212 fut un peu surpris de la virulence de son fils. Il ne comprenait pas que son fils ne comprit pas ses motivations. Il espérait que leur rencontre physique eut un effet bénéfique sur Morek0054, mais il ignorait sous quelle apparence celui-ci allait se présenter. Il lui envoya tous les paramètres pour qu’il arrimât son vaisseau au sien. En raison de la très grande vitesse, il savait que celui ne pourrait se rapprocher de lui qu’après plusieurs orbites autour de la planète à moins qu’il n’utilisât une grande partie de la puissance de ses moteurs. Faire ralentir un objet de plusieurs milliards de tonnes lancé à une telle vitesse demandait un énorme consommation d’énergie.

— Tu devrais modifier ta trajectoire pour utiliser le soleil comme frein, lui conseilla Jerek4212.

— Ne t’inquiète pas, je gère, répondit Morek0054 avec toute la morgue et l’assurance d’un jeune adulte.

Il voulait démontrer à son père qu’il était devenu un as de l’astronautique.

 

En dépit de l’assurance du jeune homme, Jerek4212 était inquiet, s’il ne ralentissait pas de manière importante, sa trajectoire le menait directement à entrer en contact violent avec la planète. Rapidement, Jerek4212 fut stupéfait de la maîtrise de son fils, il changea légèrement de direction ce qui allait l’envoyer vers une des géantes gazeuses du système qui le renverrait ensuite vers l’autre et dans un dernier coup de billard, il finirait par une orbite autour du soleil qui le reverrait vers son père. Dans un peu plus de deux jours, le père et le fils seraient enfin réunis.

Ils semblaient avoir oublié leurs différents et ils se partageaient maintenant sur un canal privé et sécurisé des confidences sur leurs vies.

Morek0054 décrivait son enfance et son adolescence. Jerek4212 le félicitait ou parfois le réprimandait gentiment.

— Je vais passer derrière le soleil… Nos communications vont être coupées pendant quelques minutes. Attends-moi…

— Je ne bouge pas à tout de suite…

Jerek4212 observa son fils disparaître derrière l’étoile qui illuminait le ciel. Au bout de minutes qui lui parurent interminables, il vit le vaisseau de son fils réapparaître. Il fut surpris de ne pas avoir de contact radio. Il braqua ses yeux vers lui et il constata avec stupeur que la surface de l’astéroïde avait complètement fondu. Il ne captait plus aucun signal en provenance de l’objet dans lequel son fils vivait.

Affolé, il braqua tous ses capteurs sur l’astéroïde qui fonçait à travers le vide spatial. Il analysa les paramètres de l’orbite de son fils pendant son approche du soleil. Il ne comprenait pas, car ceux-ci indiquaient qu’il l’avait survolé à près d’un million de kilomètres. Il n’avait noté aucune activité particulière de l’étoile. Celle-ci avait toujours été assez prévisible quant à ses éruptions qui étaient toujours précédées d’une activité magnétique particulière.

Ce ne fut que lorsque l’étoile eut tourné qu’il vit la trace d’une éruption majeure et soudaine. En comparant cette trace avec ses données archivées, il comprit que l’éruption avait envoyé dans l’espace un plasma de plusieurs milliers de degrés à plus de cinquante millions de kilomètres de son étoile. Un peu plus tard, il se  réalisa, horrifié que la nouvelle trajectoire le faisait foncer directement sur la planète, l’impact aurait lieu dans moins de trois jours.

 

Aussitôt, il modifia les programmes de ses unités de production afin de pouvoir intervenir pour aider Morek0054. Il analysa aussi vite qu’il le pouvait et il pestait contre cette limite liée à la vitesse de la lumière qui l’empêchait d’avoir des réponses immédiates de ses correspondants. Pour la première fois de sa vie, il travaillait seul et dans l’urgence.

Il se rendit très vite compte qu’il ne pourrait pas faire grand-chose, l’astéroïde était tellement énorme qu’il n’aurait pas le temps de fabriquer et d’installer un moteur capable de le dévier. Il tenta de tirer avec des lasers, mais ceux-ci n’eurent pas plus d’effet que l’impact d’un moustique sur le pare-brise d’une voiture.

Désespéré, il ne put que suivre ce qui devenait le tombeau de son enfant entrer à grande vitesse dans l’atmosphère de la planète et percuter le sol dans une explosion gigantesque.

En une fraction de seconde, la presque totalité des espèces vivantes sur ce monde disparut ou allait disparaître en raison des modifications des conditions de vie.

 

Il poussa un cri de chagrin qui se répandit dans toutes les directions de l’espace.

Aussitôt les cyberniens décidèrent que ce système serait à jamais un lieu protégé, qu’aucun d’eux ne le violerait pour respecter la disparition totale d’un des leurs. C’était la première fois depuis plusieurs millions d’années qu’un cybernien mourrait définitivement.