Assis dans son fauteuil, le professeur Van Dyck fixait les flammes qui
ondulaient dans la cheminée. Il était songeur, cela faisait plusieurs jours que
Keireen sa guerrière était partie à la poursuite des voleurs du coffret et de
la pierre philosophale. Il se disait qu'il touchait enfin au but après tant
d'années de recherches et de luttes. Le dernier
message de son envoyée avait été encourageant, elle lui disait qu'elle avait
retrouvé la trace des jeunes gens dans une ferme auvergnate. Elle les guettait
depuis plusieurs jours et avait su déjouer la surveillance du vieux fermier.
Le comte savait qu'elle était loin de son île natale et que le monde avait
beaucoup changé depuis sa dernière venue, mais il ne doutait pas de ses
capacités d'adaptation et ses dons de de pisteuse.
Il était certain qu'elle allait réussir à mettre la main sur la pierre et ses
secrets.
Il tenait enfin sa vengeance contre les Veilleurs. Cela faisait des siècles
qu'il envoyait ses meilleurs serviteurs autour du globe sur leur piste. Mais à chaque fois qu'il pensait les avoir à sa merci, ils réussissaient à lui
échapper. Lorsqu'il aurait la main sur les pouvoirs de la pierre philosophale,
il pourrait lui aussi se déplacer de nouveau entre les portails et modeler son
avenir comme il l'avait vu lors de sa rencontre avec la Dame du Lac.
Il entendit la jeune femme qui lui louait une chambre sous les toits sortir
pour se rendre à son travail, depuis le départ de Viviane, il avait trouvé une
nouvelle locataire. Depuis quelques jours, un jeune homme l'attendait tous les
matins pour la prendre en voiture. Cela le contrariait aussi. Il avait imposé
dans le contrat de location des contraintes très précises comme de ne recevoir
personne dans sa chambre, mais il ne pouvait intervenir dans sa vie hors de la
propriété, il avait encore besoin d'elle pour atteindre son but ultime. Alors
qu'il la regardait monter dans ce cabriolet et s'éloigner à l'arrière du
manoir, il sentit une vibration et un grondement.
— Maître ! Maître !
— Que se passe-t-il Satiricon ? Pourquoi arrives-tu aussi rapidement dans
mon salon sans y avoir été invité ?
La créature féline orangée se recroquevilla sur elle-même avant de
répondre.
— Le pic de Taranis s'est réveillé une nouvelle fois ! Maître !
Avec une rapidité surprenante, le vieil homme bondit sur la terrasse du
château et vit s'élever au-dessus de la brume automnale les signes de ce début
d'éruption. Une colonne de poussière s'élevait vers le ciel et heureusement que
les vents la poussaient vers l'est sinon la ville serait rapidement recouverte
de cendres grises. Son regard se porta ensuite sur différents édifices de la
ville et le phare qui se dressait au milieu de la baie. Son œil averti remarqua
immédiatement les vibrations qui affectaient ces bâtiments. Il se mit à hurler.
— Noooon !!!!!! Et il s'effondra à genou sur les pierres de la terrasse. Le
visage décomposé, il regarda son serviteur. File vite ! Va retrouver Keireen !
— Mais Maître ! Je ne peux pas partir comme cela, on
doit finir ce que nous avons commencé ici n’est-ce pas ?
— On le finira plus tard… cria le comte. Fais ce que je te demande ! Sinon
gare à toi !
— Oui Maître.
En reculant avec crainte, Satiricon rentra dans le manoir et disparut pour
tenter de rejoindre la guerrière.
Prostré sur le sol, Van Dyck pleurait, parcouru de spasmes.
— Ô Grand Maître ! Pourquoi m'as-tu abandonné ? J'étais sur le point de
réussir à vaincre ton ennemi…
Comme à chaque fois, il ne recevait aucune réponse. Mais cela
n'affaiblissait pas sa détermination, il en était convaincu, le Grand Maître
lui répondrait un jour et serait fier de lui.
Il retourna s'asseoir dans son fauteuil et fit une chose qu'il n'avait pas
faite depuis des années. Il alluma son téléviseur et découvrit que ce n'était
pas un, mais plusieurs volcans qui étaient entrés en éruption, le pic de
Taranis, l'Etna, le Stromboli et surtout le plus inquiétant pour lui, le Pavin.
Il comprit alors qu'il était arrivé malheur à la guerrière et que ce n'était
pas les deux jeunes qui avaient volé le coffret qui en étaient responsables.
Cela le rassurait de moins en moins. Qui avait la puissance suffisante pour
faire entrer en éruption plusieurs volcans distants de plusieurs milliers de
kilomètres les uns des autres ? Quels mystères voulait-on cacher ? Ces
questions lui trottaient dans la tête, mais cela ne le détournerait pas de son objectif final.
Si, au lieu de s'énerver, il avait pris le temps de se renseigner, il
n'aurait pas envoyé Satiricon au loin. Il savait maintenant, qu'il ne lui
rapporterait pas de bonnes nouvelles et que la pierre était sûrement perdue à
jamais. Il devrait attendre son retour pour pouvoir recommencer à surveiller
Viviane et Gérald.
Grâce à sa nouvelle messagère, il avait pu reprendre ses livraisons de
fleurs au couvent et ainsi reprendre les moniales sous son contrôle après son
cuisant échec de l'automne. Avec son serviteur parti, il devrait s'occuper seul
de la renaissance de l'ordre pandorin afin de pouvoir faire revivre le
sanctuaire qui permettrait le retour du Grand Maître. Pour cela, il allait
devoir être plus vigilant avec sa locataire qu'il ne le fut avec Viviane. Il ne
fallait pas qu'elle lui échappât comme la pierre philosophale venait de lui
échapper.
Il avait réglé le problème d'Élisabeth de Longueville qui avait voulu
protéger la jeune enseignante. Quelques fuites bien organisées sur les réseaux
sociaux et les médias locaux avaient eu raison de la réputation de la
responsable du meilleur lycée de la ville.
En dépit de son aversion pour les technologies du monde moderne, il avait
appris à s'en servir et à les utiliser pour ses sombres desseins.
Minuit sonnait au clocher des pandorines quand il entendit revenir la jeune
femme ainsi que son brave Satiricon.
— Alors ? lui demanda-t-il sans se faire d'illusion.
— Maître, je crains de n'avoir que des mauvaises nouvelles à vous annoncer.
— Je m'en doute un peu, mais raconte sans crainte.
— J'ai pu retrouver la trace de Keireen sans difficulté, elle ne se cachait
pas. Elle a très vite compris que ce monde ne serait pas dangereux pour elle et
c'est ce qui je pense l'a perdu.
— Que veux-tu dire ?
— Keireen est morte… sous le choc, les yeux du comte s'embuèrent de larmes.
L'ultime guerrière du clan venait de partir au Valhalla.
— Elle est morte en combattant. Pour une fois, elle a sous-estimé la
puissance et la valeur de ses adversaires. J'ai retrouvé son corps au côté de
celui de Sophia, ajouta Satiricon.
À ce nom, le comte releva la tête.
— Sophia ?
— Oui Maître !
— Ce qui veut dire que la pierre mène toujours à Athéna ?
— Oui, je le pense…
Le compte parti d'un grand rire, son acolyte le regarda sans comprendre. Quand
il vit le regard perdu du félidé, il lui expliqua.
— Tout le monde pensait que la pierre philosophale menait à l'immortalité,
en fait d'immortalité, c'est celle de la sagesse. La pierre philosophiale
aurait-on du dire…
Le serviteur interrompit son maître avec un toussotement.
— Je pense que tout n'est pas perdu Maître !
— Comment cela ? Explique-moi !
Ravi de retrouver l'attention du professeur Van Dyck, Satiricon reprit :
— Lorsque je suis arrivé là-bas, le volcan grondait toujours, mais les
souterrains inondés s'étaient vidés et avec mes pouvoirs, j'ai pu franchir les
obstacles dressés par les autorités. J'ai retrouvé le lieu où Keireen et Sophia
se sont affrontées. Il portait encore les traces de leur combat, mais j'ai pu
découvrir les restes d'une sculpture en forme de chouette…
— Athéna ! Toujours elle !
— Oui Athéna ! C'est un point de passage vers le Sur-monde. Et si j'ai
retrouvé les corps des guerrières, je n'ai pas retrouvé celui des deux humains.
Ils n'ont pas été emportés par les flots.
— C'est normal que tu ne les aies pas retrouvés, Keireen et Sophia étaient
de la même nature que toi, les humains ne le sont pas !
— Vous êtes troublé ? Maître ! Osa-t-il dire, en espérant que le comte ne
prendrait pas ombrage de sa réflexion. Avez-vous oublié que ma nature est aussi
de séduire les femmes humaines ? Je suis capable de les pister à plusieurs
kilomètres de distance."
Van Dyck sourit à cette évocation, ne sachant que trop ce que faisait
parfois subir son serviteur aux femmes qui avait le malheur ou la chance, selon
ce qu'elles attendaient, de tomber entre ses griffes.
— Tu veux me dire que tu n'as pas trouvé la jeune femme ?
— Exactement Maître ! Lorsqu'Asterias est revenu avec le coffre, c'est moi
qui suis
allé le ranger dans votre cabinet de curiosité. J'ai donc
pu sentir et mémoriser l'odeur de cette femme qui l'avait tenu entre les mains.
Le Maître sourit, mais il ne le félicita pas, il ne voulait pas que
celui-ci se laissât à prendre trop d'initiatives.
— Je n'ai pas retrouvé leur corps, mais j'ai surtout senti la présence
d'une puissance incroyable, divine devrais-je dire, non loin du portail
détruit.
— La déesse les aurait pris avec elle ?
— Sûrement Maître ! Mais ils ne sont pas de nature divine, ils ne pourront
pas rester là-bas longtemps. Il nous suffit d'attendre qu'ils ressortent.
— Tu sais comme moi que le temps, dans le Sur-monde, ne s'écoule pas comme
ici.
— Oui Maître ! Bien sûr ! Si vous m'y autorisez, je peux rester autour du
Pavin jusqu'à leur réapparition. J'ai repéré quelques jeunes femmes très
attirantes, finit-il avec un sourire carnassier aux lèvres.
— Soit ! Vas-y ! Mais fais attention à ce que tu fais.
— Ne vous inquiétez pas Maître, je serais très discret.
— Il y en a une à qui tu vas manquer ! lança le comte.
— Nos retrouvailles n'en seront que plus agréables.
— Allez ! File !
Sans se faire prier, Satiricon disparut rapidement en laissant derrière lui
flotter un nuage de poussière bleue.
Finalement, tout n'est peut-être pas perdu… pensa le professeur. Je connais
Athéna, si elle a protégé ce couple de Keireen, elle va continuer à veiller sur
eux. Ce qui veut dire qu'elle va leur laisser un objet qui me permettra de
remonter aux sources de la pierre philosophale.
Il quitta son fauteuil et se rendit dans sa chambre. Avant de monter les
escaliers, il retourna la clepsydre qui marquait le passage du temps dans le
manoir.
***
Pris par d'autres occupations, il en avait oublié la disparition du jeune
couple et lorsque Satiricon lui annonça quelques mois plus tard, leur
réapparition, il fut surpris.
— Maître ! Les humains sont ressortis de la montagne ! Regardez la télé !
Le comte alluma de mauvaise grâce son téléviseur et sur les chaînes
d'information, il vit apparaître brièvement le couple accompagné par les
pompiers dans un hôpital. Le journaliste répétait à qui voulait
l'écouter que les jeunes gens auraient simplement dit qu'il ne se souvenaient
de rien que pour eux, cela faisait juste quelques heures qu'ils étaient entrés
dans un souterrain. Les gendarmes allaient enquêter pour essayer de comprendre
comment ils pouvaient en aussi bonne forme après avoir passé tout l'hiver sur
les flancs du volcan en éruption.
Athéna les a guidés dans le Sur-monde ! pensa-t-il.
— Satiricon ! Où es-tu ?
— Derrière vous Maître ! répondit l'homme-chat en tremblant.
— Je veux que tu les surveilles sans arrêt et rapporte-moi tous leurs faits
et gestes. Je suis certain qu'Athéna leur a donné une clé du sur-monde.
— Bien Maître ! Mais…
— Quoi, mais ?
Vous m'aviez promis que je pourrais revoir Samantha en rentrant.
Van Dyck vit l'air dépité de son sbire.
— Vas-y je t'accorde cette nuit, mais demain, tu retournes les surveiller.
— Oui Maître ! répondit-il en sautillant et en disparaissant sans un bruit
par la fenêtre de la terrasse d'où il était arrivé.
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