lundi 27 février 2023

Eruptions -09- Le Comte

 

Assis dans son fauteuil, le professeur Van Dyck fixait les flammes qui ondulaient dans la cheminée. Il était songeur, cela faisait plusieurs jours que Keireen sa guerrière était partie à la poursuite des voleurs du coffret et de la pierre philosophale. Il se disait qu'il touchait enfin au but après tant d'années de recherches et de luttes. Le dernier message de son envoyée avait été encourageant, elle lui disait qu'elle avait retrouvé la trace des jeunes gens dans une ferme auvergnate. Elle les guettait depuis plusieurs jours et avait su déjouer la surveillance du vieux fermier.

Le comte savait qu'elle était loin de son île natale et que le monde avait beaucoup changé depuis sa dernière venue, mais il ne doutait pas de ses capacités d'adaptation et ses dons de de pisteuse. Il était certain qu'elle allait réussir à mettre la main sur la pierre et ses secrets.

Il tenait enfin sa vengeance contre les Veilleurs. Cela faisait des siècles qu'il envoyait ses meilleurs serviteurs autour du globe sur leur piste. Mais à chaque fois qu'il pensait les avoir à sa merci, ils réussissaient à lui échapper. Lorsqu'il aurait la main sur les pouvoirs de la pierre philosophale, il pourrait lui aussi se déplacer de nouveau entre les portails et modeler son avenir comme il l'avait vu lors de sa rencontre avec la Dame du Lac.

Il entendit la jeune femme qui lui louait une chambre sous les toits sortir pour se rendre à son travail, depuis le départ de Viviane, il avait trouvé une nouvelle locataire. Depuis quelques jours, un jeune homme l'attendait tous les matins pour la prendre en voiture. Cela le contrariait aussi. Il avait imposé dans le contrat de location des contraintes très précises comme de ne recevoir personne dans sa chambre, mais il ne pouvait intervenir dans sa vie hors de la propriété, il avait encore besoin d'elle pour atteindre son but ultime. Alors qu'il la regardait monter dans ce cabriolet et s'éloigner à l'arrière du manoir, il sentit une vibration et un grondement.

— Maître ! Maître !

— Que se passe-t-il Satiricon ? Pourquoi arrives-tu aussi rapidement dans mon salon sans y avoir été invité ?

La créature féline orangée se recroquevilla sur elle-même avant de répondre.

— Le pic de Taranis s'est réveillé une nouvelle fois ! Maître !

Avec une rapidité surprenante, le vieil homme bondit sur la terrasse du château et vit s'élever au-dessus de la brume automnale les signes de ce début d'éruption. Une colonne de poussière s'élevait vers le ciel et heureusement que les vents la poussaient vers l'est sinon la ville serait rapidement recouverte de cendres grises. Son regard se porta ensuite sur différents édifices de la ville et le phare qui se dressait au milieu de la baie. Son œil averti remarqua immédiatement les vibrations qui affectaient ces bâtiments. Il se mit à hurler.

— Noooon !!!!!! Et il s'effondra à genou sur les pierres de la terrasse. Le visage décomposé, il regarda son serviteur. File vite ! Va retrouver Keireen !

— Mais Maître ! Je ne peux pas partir comme cela, on doit finir ce que nous avons commencé ici n’est-ce pas ?

— On le finira plus tard… cria le comte. Fais ce que je te demande ! Sinon gare à toi !

— Oui Maître.

En reculant avec crainte, Satiricon rentra dans le manoir et disparut pour tenter de rejoindre la guerrière.

Prostré sur le sol, Van Dyck pleurait, parcouru de spasmes.

— Ô Grand Maître ! Pourquoi m'as-tu abandonné ? J'étais sur le point de réussir à vaincre ton ennemi…

Comme à chaque fois, il ne recevait aucune réponse. Mais cela n'affaiblissait pas sa détermination, il en était convaincu, le Grand Maître lui répondrait un jour et serait fier de lui.

Il retourna s'asseoir dans son fauteuil et fit une chose qu'il n'avait pas faite depuis des années. Il alluma son téléviseur et découvrit que ce n'était pas un, mais plusieurs volcans qui étaient entrés en éruption, le pic de Taranis, l'Etna, le Stromboli et surtout le plus inquiétant pour lui, le Pavin. Il comprit alors qu'il était arrivé malheur à la guerrière et que ce n'était pas les deux jeunes qui avaient volé le coffret qui en étaient responsables. Cela le rassurait de moins en moins. Qui avait la puissance suffisante pour faire entrer en éruption plusieurs volcans distants de plusieurs milliers de kilomètres les uns des autres ? Quels mystères voulait-on cacher ? Ces questions lui trottaient dans la tête, mais cela ne le détournerait pas de son objectif final.

Si, au lieu de s'énerver, il avait pris le temps de se renseigner, il n'aurait pas envoyé Satiricon au loin. Il savait maintenant, qu'il ne lui rapporterait pas de bonnes nouvelles et que la pierre était sûrement perdue à jamais. Il devrait attendre son retour pour pouvoir recommencer à surveiller Viviane et Gérald.

Grâce à sa nouvelle messagère, il avait pu reprendre ses livraisons de fleurs au couvent et ainsi reprendre les moniales sous son contrôle après son cuisant échec de l'automne. Avec son serviteur parti, il devrait s'occuper seul de la renaissance de l'ordre pandorin afin de pouvoir faire revivre le sanctuaire qui permettrait le retour du Grand Maître. Pour cela, il allait devoir être plus vigilant avec sa locataire qu'il ne le fut avec Viviane. Il ne fallait pas qu'elle lui échappât comme la pierre philosophale venait de lui échapper.

Il avait réglé le problème d'Élisabeth de Longueville qui avait voulu protéger la jeune enseignante. Quelques fuites bien organisées sur les réseaux sociaux et les médias locaux avaient eu raison de la réputation de la responsable du meilleur lycée de la ville.

En dépit de son aversion pour les technologies du monde moderne, il avait appris à s'en servir et à les utiliser pour ses sombres desseins.

Minuit sonnait au clocher des pandorines quand il entendit revenir la jeune femme ainsi que son brave Satiricon.

— Alors ? lui demanda-t-il sans se faire d'illusion.

— Maître, je crains de n'avoir que des mauvaises nouvelles à vous annoncer.

— Je m'en doute un peu, mais raconte sans crainte.

— J'ai pu retrouver la trace de Keireen sans difficulté, elle ne se cachait pas. Elle a très vite compris que ce monde ne serait pas dangereux pour elle et c'est ce qui je pense l'a perdu.

— Que veux-tu dire ?

— Keireen est morte… sous le choc, les yeux du comte s'embuèrent de larmes.

L'ultime guerrière du clan venait de partir au Valhalla.

— Elle est morte en combattant. Pour une fois, elle a sous-estimé la puissance et la valeur de ses adversaires. J'ai retrouvé son corps au côté de celui de Sophia, ajouta Satiricon.

À ce nom, le comte releva la tête.

— Sophia ?

— Oui Maître !

— Ce qui veut dire que la pierre mène toujours à Athéna ?

— Oui, je le pense…

Le compte parti d'un grand rire, son acolyte le regarda sans comprendre. Quand il vit le regard perdu du félidé, il lui expliqua.

— Tout le monde pensait que la pierre philosophale menait à l'immortalité, en fait d'immortalité, c'est celle de la sagesse. La pierre philosophiale aurait-on du dire…

Le serviteur interrompit son maître avec un toussotement.

— Je pense que tout n'est pas perdu Maître !

— Comment cela ? Explique-moi !

Ravi de retrouver l'attention du professeur Van Dyck, Satiricon reprit :

— Lorsque je suis arrivé là-bas, le volcan grondait toujours, mais les souterrains inondés s'étaient vidés et avec mes pouvoirs, j'ai pu franchir les obstacles dressés par les autorités. J'ai retrouvé le lieu où Keireen et Sophia se sont affrontées. Il portait encore les traces de leur combat, mais j'ai pu découvrir les restes d'une sculpture en forme de chouette…

— Athéna ! Toujours elle !

— Oui Athéna ! C'est un point de passage vers le Sur-monde. Et si j'ai retrouvé les corps des guerrières, je n'ai pas retrouvé celui des deux humains. Ils n'ont pas été emportés par les flots.

— C'est normal que tu ne les aies pas retrouvés, Keireen et Sophia étaient de la même nature que toi, les humains ne le sont pas !

— Vous êtes troublé ? Maître ! Osa-t-il dire, en espérant que le comte ne prendrait pas ombrage de sa réflexion. Avez-vous oublié que ma nature est aussi de séduire les femmes humaines ? Je suis capable de les pister à plusieurs kilomètres de distance."

Van Dyck sourit à cette évocation, ne sachant que trop ce que faisait parfois subir son serviteur aux femmes qui avait le malheur ou la chance, selon ce qu'elles attendaient, de tomber entre ses griffes.

— Tu veux me dire que tu n'as pas trouvé la jeune femme ?

— Exactement Maître ! Lorsqu'Asterias est revenu avec le coffre, c'est moi qui suis allé le ranger dans votre cabinet de curiosité. J'ai donc pu sentir et mémoriser l'odeur de cette femme qui l'avait tenu entre les mains.

Le Maître sourit, mais il ne le félicita pas, il ne voulait pas que celui-ci se laissât à prendre trop d'initiatives.

— Je n'ai pas retrouvé leur corps, mais j'ai surtout senti la présence d'une puissance incroyable, divine devrais-je dire, non loin du portail détruit.

— La déesse les aurait pris avec elle ?

— Sûrement Maître ! Mais ils ne sont pas de nature divine, ils ne pourront pas rester là-bas longtemps. Il nous suffit d'attendre qu'ils ressortent.

— Tu sais comme moi que le temps, dans le Sur-monde, ne s'écoule pas comme ici.

— Oui Maître ! Bien sûr ! Si vous m'y autorisez, je peux rester autour du Pavin jusqu'à leur réapparition. J'ai repéré quelques jeunes femmes très attirantes, finit-il avec un sourire carnassier aux lèvres.

— Soit ! Vas-y ! Mais fais attention à ce que tu fais.

— Ne vous inquiétez pas Maître, je serais très discret.

— Il y en a une à qui tu vas manquer ! lança le comte.

— Nos retrouvailles n'en seront que plus agréables.

— Allez ! File !

Sans se faire prier, Satiricon disparut rapidement en laissant derrière lui flotter un nuage de poussière bleue.

Finalement, tout n'est peut-être pas perdu… pensa le professeur. Je connais Athéna, si elle a protégé ce couple de Keireen, elle va continuer à veiller sur eux. Ce qui veut dire qu'elle va leur laisser un objet qui me permettra de remonter aux sources de la pierre philosophale.

Il quitta son fauteuil et se rendit dans sa chambre. Avant de monter les escaliers, il retourna la clepsydre qui marquait le passage du temps dans le manoir.

***

Pris par d'autres occupations, il en avait oublié la disparition du jeune couple et lorsque Satiricon lui annonça quelques mois plus tard, leur réapparition, il fut surpris.

— Maître ! Les humains sont ressortis de la montagne ! Regardez la télé !

Le comte alluma de mauvaise grâce son téléviseur et sur les chaînes d'information, il vit apparaître brièvement le couple accompagné par les pompiers dans un hôpital. Le journaliste répétait à qui voulait l'écouter que les jeunes gens auraient simplement dit qu'il ne se souvenaient de rien que pour eux, cela faisait juste quelques heures qu'ils étaient entrés dans un souterrain. Les gendarmes allaient enquêter pour essayer de comprendre comment ils pouvaient en aussi bonne forme après avoir passé tout l'hiver sur les flancs du volcan en éruption.

Athéna les a guidés dans le Sur-monde ! pensa-t-il.

— Satiricon ! Où es-tu ?

— Derrière vous Maître ! répondit l'homme-chat en tremblant.

— Je veux que tu les surveilles sans arrêt et rapporte-moi tous leurs faits et gestes. Je suis certain qu'Athéna leur a donné une clé du sur-monde.

— Bien Maître ! Mais…

— Quoi, mais ?

Vous m'aviez promis que je pourrais revoir Samantha en rentrant.

Van Dyck vit l'air dépité de son sbire.

— Vas-y je t'accorde cette nuit, mais demain, tu retournes les surveiller.

— Oui Maître ! répondit-il en sautillant et en disparaissant sans un bruit par la fenêtre de la terrasse d'où il était arrivé.

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