En cette matinée froide et humide, Luc et Jane faisaient la queue en attendant l'ouverture du guichet des catacombes. Jane était boudeuse, elle aurait préféré rester sous la couette en compagnie de son amoureux, mais celui-ci lui avait fait miroiter une visite avec une guide "extraordinaire" qui savait comment captiver l'attention des visiteurs. De plus, avait-il ajouté que n’étant pas parisienne, c'était pour elle, l'occasion de visiter un nouvel endroit de cette ville magique qu'elle commençait seulement à découvrir. Malgré l'heure matinale de ce dimanche, la place Denfert-Rochereau commençait à s'animer et la file d'attente s'allongeait derrière eux. Certaines personnes trépignaient d'impatience en raison du léger retard de l'ouverture du guichet. Il est vrai qu'ils auraient été mieux à l'intérieur, au chaud et au sec. Ce léger crachin devenait désagréable. Devant eux, un petit garçon s'amusait à faire des grimaces à Jane qui lui répondait avec le même entrain, une manière de de passer le temps. Luc feuilletait le prospectus publicitaire et la copie d'un plan qu'un de ses amis, fan des catacombes, lui avait donné.
— Que regardes-tu avec autant d'attention ?
— Thibault m'a donné un plan clandestin et si on arrive à rester en arrière du groupe puis à s'éclipser discrètement, il paraît qu'il y a une salle mystérieuse à voir à quelques minutes de marche du parcours officiel.
— Tu es fou ! Si on se perd ou si on se fait prendre ?
— Avec cette carte et la boussole pas de risques de se perdre ! As-tu oublié que j'ai été scout ! Lui dit-il avec un clin d'œil. Et si on se fait prendre, on dira que l'on s'est perdu !
— Bon d'accord ! Répondit Jane avec un sourire maladroit, mais en se disant que cela pimenterait peut-être cette matinée.
— D'après le plan, il y a une sortie discrète pas loin de l'appartement, donc nous n'aurons même pas besoin de courir pour rattraper le groupe.
— Décidément, tu avais calculé ton coup toi ! rétorqua-t-elle un peu en colère. Tu aurais pu m'en parler avant !
— Si je te l'avais dit, tu aurais refusé, tu es tellement frileuse quand il s'agit de faire des écarts avec les règles.
— Et si je te plantais là ?
— Je sais que tu ne le feras pas, j'ai vu ton œil briller quand j'ai prononcé le mot "mystérieuse".
Elle lui souriait, vexée de se savoir si transparente. La file commença lentement à avancer et les premiers visiteurs se regroupèrent autour de la guide qui les accompagnerait lors de leur descente dans les entrailles de la ville.
— Souvenez-vous de ne pas vous éloigner du groupe et de rester sur le chemin balisé, certains aventureux trop curieux se sont perdus et ont parfois erré dans les souterrains pendant plusieurs jours avant d'être retrouvés par la Police ou les égoutiers…
Un "Oui !" général ponctua cette phrase de la guide qui précéda le groupe dans le tunnel qui s'ouvrait devant eux.
Au moment où l'un des employés referma la porte sur le dernier, un homme vêtu d'un imperméable et d'une casquette en feutre noir se glissa dans le groupe, essoufflé.
Tandis que la visite progressait et qu'ils découvraient les secrets et les légendes des souterrains parisiens, Luc chuchota à son amie de se tenir prête à ralentir, car ils allaient arriver à l'embranchement indiqué sur la carte. Ce fut justement le moment que le gamin avec lequel elle avait joué dans la file d'attente choisit pour s'attarder avec eux au grand désespoir de Luc
— Romuald ! Viens ici ! Appela sa mère en fronçant les sourcils.
Luc soupira soulager. Il fit semblant de se tordre la cheville pour ralentir. Rapidement, la distance entre eux et les autres visiteurs augmenta. Il murmura à Jane :
— C'est ici !
Ils ignoraient qu'à partir de cet instant leur petite vie tranquille allait prendre une toute autre tournure.
Ils progressaient lentement à tâtons dans l'obscurité des couloirs humides. Luc attendait d'avoir franchi plusieurs angles avant d'allumer la petite lampe qu'il avait pris soin d'emporter.
— Si le plan de Thibault est juste, normalement après le troisième embranchement à gauche, nous devrions tomber sur une grille qui n'est pas fermée. Elle nous permettra de descendre d'une dizaine de mètres grâce à une échelle métallique et nous serons dans une ancienne galerie de mine de calcaire. Nous devrions trouver sur une paroi une rose des vents qui nous indiquera le chemin.
— Si la carte est juste ! Et si elle ne l'est pas ? Ou si on ne trouve pas la rose ?
— Il m'a dit de continuer tout droit vers le sud et nous atteindrons une bouche d'aération du métro qui nous permettra de sortir pas loin d'Alésia.
Ils trouvèrent enfin la grille et Luc posa prudemment le pied sur les barreaux qui permettaient de descendre l'étroit boyau. Arrivé en bas, il appela doucement sa compagne. Jane, d'un pied moins bien assuré, descendait à son tour, un peu anxieuse, en se demandant à chaque fois si rien n'allait céder sous son poids. Elle serra fortement son ami en le rejoignant.
— C'est par là ! Regarde la rose ! lui dit-il en la précédant.
Il avait l'œil rivé sur sa boussole dans ce dédale souterrain. Tout à leur câlin, ils ne remarquèrent pas le faisceau lumineux qui venait de parcourir le puit par lequel ils étaient passés. Après plusieurs intersections, changements de direction et d'autres escaliers qui les faisaient s'enfoncer de plus en plus profondément dans le sous-sol parisien, Luc s'arrêta et commença à compter ses pas, au pied d'une volée de marches.
— Ce doit être cette porte ! S’exclama-t-il.
Avec prudence, ils poussèrent le vieux battant de bois qui grinça dans l'obscurité.
— Whaouh !!! s'écria Jane en découvrant une magnifique fresque sur le mur opposé.
Ils la contemplèrent en s'attardant lentement sur certains détails.
— On dirait une fresque médiévale qui raconte une histoire un peu comme la tapisserie de Bayeux.
Jane sortit son téléphone et filma longuement la peinture en suivant le lent balayage de Luc avec la torche.
— C'est magnifique ! Merci de m'avoir fait sortir du lit ! Je suis certaine que cela raconte une histoire.
Elle se retourna et embrassa son amoureux. Ils restèrent, quelques minutes, ainsi enlacés.
— Nous allons devoir y aller, car la guide a dû se rendre compte de notre disparition ! Si on ne veut pas se faire choper, il faut que l'on sorte rapidement. D'après la carte, on est à moins de cent mètres d'une sortie dans un parking souterrain près de Montparnasse.
— OK ! Je te suis. J'ai totalement confiance en toi ! Tu le sais, tu es le meilleur pour les jeux de piste et les courses d'orientation ! lui dit-elle avec un dernier baiser.
Au moment de franchir la porte, Jane remarqua dans la paroi de la salle une sorte de vieux coffre de bois entouré de sangles de cuir.
— Qu'est-ce ?
— Je ne sais pas ! Thibault m'avait juste parlé de la fresque, pas d'objets.
Luc s'approcha du mur. Il constata que le revêtement s'était effondré peu de temps auparavant.
— Ce coffre a dû être caché ici dans cette niche il y a longtemps et l'humidité de la salle a eu raison de la solidité de l'enduit qui le masquait.
— Prenons-le et nous verrons ce qu'il contient à la maison.
— Tu es sûre ? On devrait plutôt le confier à des professionnels qui sauraient comment l'ouvrir sans détériorer ce qu'il y a l'intérieur…
— On l'ouvre et en fonction de ce qu'on trouve on avisera…
— Bon OK ! Mais il faut filer.
Jane prit le coffret sous le bras et suivit Luc dans le dédale de couloirs pour remonter à la surface. Après quelques mètres, ils entendirent une exclamation derrière eux.
— Sales petits voleurs… Je vous retrouverais…
Pris de panique, ils sentaient leur fréquence cardiaque s'affoler, ils se mirent alors à courir et débouchèrent enfin sur la porte métallique du parking dont le cadenas avait été forcé de longue date.
Ils reprirent leur souffle avant de sortir du parking et se perdirent dans la foule des voyageurs. Afin d'être discrète, Jane alla acheter des revues dans une des nombreuses boutiques de la gare et demanda un sac où elle put y glisser le coffre.
Quelques stations de métro plus tard, ils s'affalèrent dans leur canapé, encore choqués par la voix menaçante qui paraissait être sortie d'outre-tombe.
— Crois-tu que ces mots nous étaient adressés ?
— A qui d'autres ? Nous étions seuls dans ces souterrains !
— Mais pourquoi "voleurs" ?
— Peut-être à cause du coffre que tu as pris ?
— Personne ne savait qu'il était là d'après ce que tu m'as dit…
— Oui c'est bizarre !
— Ça m'a fait un peu peur…
— Oui ! À moi aussi ! Mais cela m'a donné envie d'en savoir plus sur le contenu de ce coffret. Mais je suis épuisé, nous avons notre compte d'émotion pour aujourd'hui. J'appellerai Thibault demain, il bosse dans un labo qui étudie les artéfacts antiques, il saura sûrement nous expliquer.
— Oui ! Tu as raison.
— En attendant, range-le dans le placard de l'entrée...
Jane déposa le coffret au fond du placard, derrière des sacs puis ils passèrent la fin de leur journée à visionner des séries américaines en grignotant sur le canapé. Leur escapade souterraine avait duré bien plus longtemps qu'ils ne l'avaient prévue et ils s'endormirent enlacés sur le divan, l'écran toujours allumé.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire