jeudi 1 avril 2021

Eruptions -05- La Guerrière

  

À des centaines de kilomètres de là, dans un vieux manoir isolé sur les hauteurs d'une cité balnéaire, un vieil homme attendait dans son fauteuil devant sa cheminée allumée, mais qui ne le réchauffait plus depuis longtemps. Il tourna la tête vers la porte quand il entendit les pas de la gouvernante sur le parquet.

— Maître ! Asterias est là !

— Dites-lui d'entrer Myriam, et veuillez nous laisser, je vous prie.

La jeune femme invita la chose qui se présentait devant elle à pénétrer dans le salon. Depuis quelques années qu'elle était au service de cet homme sans âge, elle ne s'étonnait plus de rien, ni de la nature des invités, ni de ce qui se passait dans ce manoir.

— Maître ! J'ai le coffret !

L'homme esquissa un sourire en voyant s'approcher un être humanoïde recouvert d'une fourrure d'un brun orangé avec une queue comme celle des chats.

— As-tu la pierre avec ?

— Il y a eu un problème Maître… Un jeune couple a découvert le coffre avant moi. J'ai pu le récupérer ainsi que ce qu'il contenait, mais je pense qu'ils se doutent de quelques choses.

— Pourquoi ne m'as-tu pas prévenu plus tôt ? Sais-tu ce qu'ils ont découvert ? Hurla-t-il à destination de son serviteur.

— Excusez- moi Maître, j'ai pensé que récupérer le coffret primait sur toute autre considération.

— Tu as eu raison ! Apporte-moi cet objet.

Effrayé, Asterias déposa humblement le coffre de bois sur la table basse qui se trouvait entre le Maître et la cheminée. Il recula ensuite en attendant d'être congédié. En se levant avec une souplesse inattendue de la part d'un homme de son âge, il se pencha et ouvrit le coffre, objet de son désir. Soudain il rugit et pointa son doigt en direction de l'homme-chat.

— Ce n'est pas la pierre ! Imbécile ! Retourne d'où tu viens et ne remets plus jamais les pieds ici !

En hurlant, la pauvre créature enveloppée de flammèches bleuâtres se débattit et disparut de la pièce.

En déroulant le parchemin avec précaution, il commença à lire. Aussitôt ses yeux s'illuminèrent.

— Enfin, je te tiens ! Pensa-t-il.

Il murmura alors une invocation et une femme à la peau pâle et aux longs cheveux bruns apparut nue devant lui.

— Que désirez-vous Maître ?

— Keireen, je désire que tu te rendes le plus rapidement possible dans ces grottes. Méfie-toi, tu seras sûrement précédée par des humains. Peu importe ce qui leur arrivera. Je veux que tu leur reprennes la pierre philosophale et ensuite laisse-la te guider jusqu'aux sources de la sagesse.

— Oui Maître ! Mais comment puis-je aller là-bas rapidement ? C'est à des lieues de votre domaine.

— Cela fait bien longtemps que tu n'es pas revenue dans ce monde, Keireen. Les humains ont fait d'énormes progrès dans leurs déplacements et ils peuvent aller n'importe où en moins d'une journée.

La femme le regarda, étonnée.

— Approche je vais te montrer.

Elle s'approcha et baissa la tête. Il posa ses mains sur la chevelure de et elle frissonna.

— Oui Maître ! J'ai compris. Je sais comment rejoindre ce lieu.

— Va te vêtir convenablement et pars le plus vite possible ! Prends ce pendentif qui me permettra de conserver un lien avec toi.

Elle passa le pendentif retenu par une lanière de cuir autour de son cou et sortit de la pièce. Myriam la conduisit dans une chambre du manoir où elle put choisir une tenue adaptée à sa mission. Avant de partir, elle revint saluer le Maître et franchit à pied les grilles du manoir pour se diriger vers la gare.

Au contact des personnes qu'elle croisait, elle apprit et comprit rapidement comment le monde avait évolué et toutes les modifications qu'il avait subies depuis sa dernière visite. Les hommes n'étaient presque plus reliés à la nature et seules quelques rares personnes frémissaient en croisant son regard. C'étaient celles qui sans le savoir la reconnaissaient pour ce qu'elle était : "la Guerrière Vengeresse".

Dans le train qui la menait vers Paris, qui s'appelait encore Lutèce lors de sa dernière venue, elle lisait divers revues et journaux qu'elle avait achetés avant le départ. Elle se put se rendre compte de l'ensemble des changements. Les hommes étaient bien plus puissants qu'ils n'étaient autrefois et même si leur esprit était toujours aussi limité, leur savoir et leur science commençaient à leur permettre de découvrir les secrets de l'univers. Elle sourit en se rendant compte par ses lectures que la plupart des hommes refusaient de croire en l'existence du monde magique, et même ceux qui y croyaient avaient oublié la réalité des entités surréelles. Ces religions monothéistes qui s'étaient imposées en étaient peut-être la cause ou alors leur trop grande confiance en leur science.

Elle passa une nuit dans cette ville immense et, de nouveau, elle comprit la rupture totale entre les hommes et la nature. Elle fit un détour par les arènes et effleura du bout des doigts les pierres où elle s'était assise lors de leurs inaugurations quelques millénaires auparavant.

Comme le lui avait dit le Maître, il lui fallut à peine plus d'une journée pour arriver aux grottes. Elle dut utiliser son pouvoir de persuasion pour louer un véhicule afin de finir son voyage. Elle se souvenait de ces lieux où elle s'était battue aux côtés des guerriers gaulois et où ils avaient vaincu ensemble les légions romaines. Retrouvant son instinct de guerrière et de chasseresse, elle abandonna sa voiture à quelques kilomètres de son but. En pénétrant dans les sous-bois, elle fut de nouveau liée avec le monde et mit tous ses sens au service de sa quête. Elle ne tarda pas à entendre et trouver la trace des deux jeunes amants. Le passage ouvert à la machette par Luc lui facilitait les choses. Elle s'arrêta devant l'entrée de la caverne et se mit à trembler.

— Le Maître ne m'a pas tout révélé, pensa-t-elle en colère et effrayée. Ces lieux sont sacrés et protégés par une magie puissante. Je ne pourrais jamais récupérer la pierre et franchir le portail.

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