Après quelques
minutes de marche, nous sommes installées à la terrasse de ce restaurant avec
une vue sur le soleil couchant et sur le fleuve majestueux qui traversait la
ville. Claire nous invita à choisir ce qui nous plaisait.
— C'est moi
qui régale ce soir !
Je remarquais
le regard du serveur qui s'occupait de nous. Il ne cessait de tenter d'attirer
l'attention de Claire sur lui, mais il me sembla plutôt qu'il avait tapé dans
l'œil de Ludivine qui, après sa margarita et un ou deux verres de blanc pour
accompagner son poisson, semblait avoir retrouvé sa joie de vivre et oublié un
peu l'angoisse et le stress de ces dernières heures.
— Tu as vu son
petit cul ? me disait-elle en riant. Je t'avoue que si je n'étais pas mariée,
je me laisserais bien tenter.
Je me retins
de lui répondre. Si tu savais ce que ton mari faisait la nuit dernière !
Soudain, un
déclic se fit dans mon cerveau.
— Dites les
filles, qu'est-ce que la femme renversée à crier juste avant de se faire
renverser ?
— Ludivine !
Nous l'avons toutes entendue ! Pourquoi ?
— Oh ! Pour
rien, mais cela pourrait peut-être avoir un lien avec l'état de Ludovic.
— Comment cela ?
— Ludivine
n'est pas un prénom si répandu. Elle voulait peut-être te dire quelque chose.
— Nous ne le
saurons que lorsqu'elle sortira de l'hôpital. Et à mon avis, vu le choc, ce
n'est pas demain la veille, dit Claire. Pensons à des choses plus joyeuses !
— Il y a un
petit club à côté cela vous dit d'y finir la soirée ?
— Pourquoi pas !
Je ne peux rien faire pour Ludovic et je n'ai pas envie de me morfondre dans la
chambre.
— Je vous suis
aussi.
Claire régla
le restaurant au garçon qui la mangeait du regard et je devais l’avouer,
Ludivine avait raison, il était appétissant. À cette pensée, je sursautai. Je
ne suis pas homo… Serais-je en train de penser comme Mireille le ferait ? Après
tout, en tant que Clément, je ne me gênais pas pour avoir des avis sur les
jolies femmes que je croisais, pourquoi Mireille n'en aurait-elle pas aussi vis-à-vis
des hommes ? C'est alors que je sentis la main de Claire venir prendre la
mienne ce qui déclencha un frisson dans mon ventre. Est-ce Clément ou Mireille
qui réagit ? À ce que je sache, elle n'avait jamais eu d'attirance pour les
femmes.
Nous sommes
restées quelques heures dans cette boîte et après quelques verres
supplémentaires, je pouvais voir que Ludivine se laissait facilement entraîner
sur la piste par les hommes qui avaient eu vite fait de repérer ces trois
femmes non accompagnées. Ils comprenaient rapidement qu'ils ne tireraient rien
de Claire et moi, surtout après nous avoir vu danser ensemble. Aussi
tentaient-ils leur chance avec celle qui restait.
Nous dûmes
aider notre compagne à regagner l'hôtel et l'aidâmes à se mettre au lit.
— Elle va
avoir un mal de crâne carabiné demain matin avec tout ce qu'elle a bu ce soir.
— Elle en a
profité, on ne peut pas lui en vouloir, avec ce que Ludovic lui a fait subir.
Je suis sûre qu'elle sait qu'il la trompe.
Claire me
regarda surprise :
— Que dis-tu ?
— Oh rien !
Clément faisait des sous-entendus sur lui au retour de leur voyage dans
l'Oural. Et regarde ! Clément est tombé dans cet état après une nuit
passée à faire l'amour à son retour de Russie.
— Oui et alors
je ne vois pas le rapport ?
— Elle nous a
dit que depuis son retour, il ne l'avait pas touchée ! D'ailleurs tu as vu
ce soir ? Si tu n'avais pas dit "on rentre", je ne suis pas
certaine qu'elle aurait fini la nuit seule. Elle l'aurait peut-être regretté
ensuite vu son état. Je mettrai ma main au feu que Ludovic n'a pas passé la
nuit dernière comme un moine…
— Oui
peut-être… Dit-elle en ouvrant la porte de notre chambre.
Je la vis
alors se déshabiller devant moi, et heureusement, elle enfila rapidement la
nuisette qu'elle s'était achetée quelques heures plus tôt.
— Qu'attends-tu
?
— Euh rien,
excuse-moi j'étais perdue dans mes pensées…
Je me mis à
mon tour en tenue de nuit et allais la rejoindre dans la salle de bain pour me
brosser les dents.
Je
m'allongeais à ses côtés et très vite elle commença à me câliner en me
murmurant des mots doux. Je me tournais vers elle et naturellement je lui
rendis ses caresses. Au matin, nous nous sommes réveillées enlacées l'une avec
l'autre au terme d'une nuit comme je n'en avais jamais connue. Jamais je
n'aurais imaginé ressentir un tel plaisir avec une autre personne du même sexe.
Inconsciemment je sentais que l'esprit de Mireille au loin n'avait pas été
choqué par ce que nous avions fait.
Nous étions
encore à moitié endormies que Ludivine vint tambouriner à notre porte. Je lui
ouvris, juste enveloppée dans le drap et elle se précipita dans la chambre ne
faisant aucun cas de la nudité de Claire qui se couvrit rapidement.
— Claire !
Mireille ! L'hôpital vient de m'appeler. Ludovic s'est réveillé !
— Je la fixais
incrédule.
— Comment ?
— C'est
merveilleux ! Lança Claire qui la serrait dans ses bras. Comment est-il ?
— Un peu sonné
apparemment, mais d'après le médecin que j'ai eu au téléphone, il ne devrait
pas avoir de séquelles.
Je les
laissais discuter entre elles, troublée par cette annonce. Que s'était-il passé
? Pour quoi lui et pas moi ? Il fallait que je trouve un moyen de donner cette
information à Madame Rose, mais je devais en savoir plus.
— Nous allons
prendre notre petit-déjeuner et nous te rejoignons à l'hôpital ! OK !
— Oui pas de
soucis, de toute façon le médecin m'a dit qu'il lui faisait passer quelques
tests ce matin et que je pouvais prendre mon temps avant d'arriver.
Nous sommes
descendues ensemble pour manger, mais je restais perturbée par l'annonce de
Ludivine.
— Ça ne va pas
? me demanda Claire en me prenant la main.
C'est alors
que Ludivine réalisa.
— Oh ma pauvre !
C'est vrai que Clément est toujours dans le coma ! Excuse-moi !
— Ce n'est
rien, je suis contente pour toi, pour vous deux ! Il va bien se réveiller un
jour.
Je regardai
Claire les yeux brillants, ne t'inquiète pas, tu peux compter sur moi !
— Je sais !
En même temps,
je laissais échapper un "je t'aime !" qui fit sourire Ludivine.
— Bon ! Je
vous laisse, je vais finir de me préparer et je file voir Ludovic.
Claire profita
de la matinée et de notre présence dans cette ville pour rendre visite à
quelques clients. Je l'accompagnai avec plaisir, même si la démarche clientèle
n'était ni ma tasse de thé ni celle de Mireille. Nous sommes donc arrivées en
début d'après-midi dans la chambre où Ludovic et Ludivine étaient en grande
conversation. Je le trouvais nerveux et étrange, mais Ludivine semblait
radieuse et encore plus amoureuse avant. Comme si quelque chose avait changé
entre eux.
— Bonjour
Claire ! Bonjour Mireille !
— Comment
vas-tu ?
— Mieux, j'ai
l'impression de sortir d'un cauchemar…
Je la regardai.
— Comment ça ?
demandai-je.
— Ça va vous
paraître fou, mais j'ai eu l'impression de vivre les dernières vingt-quatre
heures par procuration dans le corps d'une femme…
Aussitôt mes
doutes se levèrent et je compris qu'il nous était arrivé la même chose. Je ne
l'écoutais plus quand il raconta ce qu'il avait vécu. Les autres pensaient
qu'il raconte un rêve, mais je connaissais la vérité. J'entendis des bribes.
— J'étais une
prostituée… battue… violée… accident et d'un coup plus rien !
Je cherchais à
comprendre, mais submergée par les sensations, les émotions, je perdis
conscience. Lorsque je rouvris les yeux, le visage d'une infirmière était
penché au-dessus de moi, Claire me tenait la main.
— Vous allez
bien ?
— Oui ! Ça va
! Juste les émotions !
Je me relevai
doucement et pris le verre que l'on me tendait.
— Pourriez-vous
me dire comment va la jeune femme qui a été renversée hier soir devant notre
hôtel ? demandai-je à l'infimière.
— Je ne sais
pas, mais je peux me renseigner, où était votre hôtel ?
Je lui donnai
l'information et elle me dit qu'elle reviendrait dès qu'elle aurait la réponse.
Une fois sortie de la pièce où j'avais été installé après mon malaise, Claire
me demanda surprise. Pourquoi cette question ?
— Tu te
souviens de notre discussion d’hier soir ?
— Oui ! Quand
tu me disais que Ludovic trompait sa femme, mais je ne vois pas le rapport.
— Une
intuition…
— Ah ! Ben si
c'est une intuition !...
Et elle me
plaqua un baiser sur les lèvres. Tu m'as fait peur ma chérie ! Et en plus avec
le bébé.
— T'inquiète,
ça va mieux !
Quand
l'infirmière revint pour nous annoncer le décès de la blessée, je compris alors
pourquoi Ludovic s'était réveillé.
Son corps
d'emprunt était mort et de ce fait son esprit avait regagné son corps
d'origine.
Je devais
absolument informer Madame Rose de ces rebondissements et j'étais effrayé.
Allais-je devoir sacrifier Mireille pour retrouver mon corps ?