lundi 6 juillet 2020

Ille -03- Magie

Je me garai sur le parking de l'hôpital, et j'étais songeur en me dirigeant vers la chambre où mon corps était étendu. Dans le service, Madame Rose était toujours là, elle m'accueillit avec le même sourire que le matin, mais je ne me fis pas piéger par son regard et ses formes et je répondis poliment à son sourire.

— Son état n'a pas changé depuis que vous êtes partie, il ne s'est absolument rien passé de nouveau.

Je fixais mon corps allongé et je ne sus que répondre. Je me doutais que rien ne s'était produit, j'étais sûr que s'il s'était passé quelque chose, je l'aurais ressenti.

Je me suis assis sur le fauteuil à côté du lit en prenant ma main entre mes doigts.

— Je vous laisse seule avec lui. Mais n'hésitez pas à venir me voir, je finis mon service dans une demi-heure, si vous voulez parler je serais disponible.

— Oui merci !

Je restais plongé dans mes pensées à tenir ma main. Pour la première fois depuis le réveil, je pris le temps de "me" regarder. Je découvrais mon visage et ma poitrine qui se soulevait au rythme de ma respiration avec les yeux de Mireille. Je sentis que l'esprit de Mireille était toujours présent, le corps que j'habitais réagissait à mon corps, des pensées me vinrent. J'étais sûre que je rougissais.

Je réalisai alors que le temps avait passé. Je sortis de la chambre et, mû d'une impulsion subite, je déposai un baiser sur les lèvres de ce qui était mon visage ou de ce qui le fut. Devrais-je m'habituer à ne plus être moi ?

En regagnant ma voiture, je croisais Madame Rose qui s'approcha de moi.

— Je crois savoir ce qui vous arrive, je suis sûre que je peux vous aider.

— Comment cela ? Que voulez-vous dire ?

Vous vous êtes réveillée ce matin différente de celle que vous étiez hier, vous êtes perdue, vous ne savez plus ou vous en êtes ? C'est cela.

— Oui ! Exactement !

— Venez en discuter autour d'un café.

Elle me précéda à la terrasse de ce bar qui fait l'angle de la rue en face de l'hôpital. Et nous avons commencé à discuter. Intrigué, je la laissai parler et ce qu'elle me raconta me troubla.

— Vous n'êtes pas la première à qui cela arrive. Nous croyons vivre dans un monde où la science explique tout et où ce qui n'est pas expliqué le sera un jour. Mais ce n'est pas si simple ! Il y a beaucoup de choses qui sortent encore du domaine de la science. Et ce qui vous est arrivé en fait partie. Ce matin en vous réveillant, vous n'étiez plus vous-même, n'est-ce pas ?

— Oui, quand je me suis réveillée, je me suis demandée ce qui m'arrivait. Je ne comprenais rien.

— Je pense pouvoir vous aider à faire remonter vos souvenirs. Cela vous permettra de mieux vivre ce qui vous arrive.

— Comment cela ?

— Vous avez ma carte ?

— Oui ! Je l'ai toujours au fond de mon sac.

— J'ai une certaine expérience de la magie vaudou et je suis certaine qu'un désenvoûtement pourra vous faire retrouver celle que vous étiez hier soir.

Je rigolais, je ne pouvais pas m'en empêcher.

— Rigolez ! Je vous comprends. Mais gardez ma carte et n'hésitez pas à m'appeler n'importe quand dès que vous en ressentirez le besoin et je sens que cela ne va pas tarder.

— Je vous le promets, lui dis-je.

Même, si je pensai qu'elle divaguait et que je ne voyais pas comment sa magie pourrait m'aider.

Nous avons fini notre café et je repris la voiture et instinctivement, je pris la route de l'appartement de Mireille. J'étais devant la porte de cet appartement que je connaissais sans connaître, car même si nous étions ensemble, nous n'avions pas encore pris la décision de vivre ensemble et le plus souvent c'était elle qui venait chez moi, car j'avais la chance d'avoir hérité de mes grands-parents cette maison avec un petit jardin bien agréable aux beaux jours avec sa terrasse ombragée par une glycine. Mireille ne s'était pas encore décidée à mettre son appartement en location pour venir vivre avec moi.

C'était avec une pointe d'angoisse que je tournai la clé dans la serrure et ouvris la porte. Je frissonnais, le nez assailli par des odeurs que je reconnaissais, Mireille avait l'habitude de faire brûler des bâtonnets d'encens dans son salon pour éloigner les mauvais esprits disait-elle en riant. Je n’étais plus sûr qu'elle rigolait tant que cela en le disant. Je posai mon sac, enfin son sac sur le canapé et allumai la télé comme je le faisais lorsque je rentrai chez moi. Je déambulais dans l'appartement, et cherchais ce que j'allais bien pouvoir me faire pour le dîner.

J'ouvris les placards pour découvrir ce qu'ils recelaient. Je finis par mettre une casserole d'eau sur le feu pour me préparer un plat de pâtes avec du jambon dont j'avais découvert un reste dans le réfrigérateur. Pendant que l'eau chauffait, je me dirigeais vers la porte qu'elle n'ouvrait jamais quand j'étais chez elle et qui piquait ma curiosité. Mais par respect pour Mireille, je ne lui avais jamais demandé ce qu'il y avait derrière.

Je l'ouvris et la poussai doucement comme si j'avais peur d'être surpris alors que j'étais seul et je restais étonné par ce que je vis. Dans cette petite pièce sombre dont les rideaux étaient tirés, j'aperçus contre le mur qui faisait face à la fenêtre une petite table recouverte d'une nappe blanche avec des bougies et une statuette en ivoire. Je m'approchais. Je n'arrivai pas à identifier la divinité représentée. Mais ce qui m'interpella, c'était la petite coupelle avec des restes à moitié calcinés indéfinissables.

L'eau qui débordait dans la cuisine me rappela que mon repas ne devrait pas tarder à être prêt. Je refermai la porte de cette pièce étrange et en même temps que je passai à table, je pris mon téléphone et composai le numéro de Madame Rose.

Elle devait s'attendre à mon appel, car à peine la première sonnerie avait-elle retenti que j'entendis sa voix.

— Mireille ! Que se passe-t-il ?

— Écoutez ! J'ai fait une découverte étrange, pourriez-vous passer ?

Je lui décrivis rapidement ma découverte en essayant d'être le plus calme possible.

— Surtout, ne touchez à rien. J'arrive. Attendez-moi !

Mon repas à peine fini, elle sonna à la porte. Je la fis entrer.

— Suivez-moi et dites-moi ce que c'est ?

Je lui ouvris la porte de la pièce avec l'autel, elle me précéda et je la vis se raidir en découvrant la statuette. Elle ne me disait rien, mais elle sortit de son sac à main un petit sac en plastique et y vida le contenu de la coupelle.

— Si c'est ce que je pense, me dit-elle d'un air aussi pâle que sa peau noire le permettait, votre amie a fait appel à des puissances dont elle ne maîtrisait pas la nature et la puissance.

Que voulez-vous dire ?

— Vous savez, il existe des choses que tout le monde ne peut pas voir. Et je crois que votre amie a entrouvert une porte qu'elle aurait dû laisser fermer.

— Vous voulez parler de sorcellerie ?

— Oui, si vous voulez appeler cela comme cela. J'ai besoin de savoir ce qu'elle a fait brûler pour comprendre le charme qu'elle a voulu lancer. Quel qu'il soit, de toute manière, nous ne pourrons l'annuler au plus tôt qu'au prochain équinoxe.

Elle dut voir mon visage pâlir et mon abattement à ses mots car elle me dit de ne pas m'en faire.

— Vous savez, même si votre amie a lancé un puissant sortilège, je pense être plus puissante qu'elle pour pouvoir réussir à le contrôler et l'annuler. La puissance d'un sort est proportionnelle à la puissance de la personne qui le lance. Et la magie n'est pas comme ce que vous pouvez voir dans les films. Je dois juste bien savoir ce qu'elle a fait et ensuite je pourrais l’effacer, comme on efface les mots sur la page d’un cahier.

Je la remerciai pour ses paroles rassurantes et lui proposai de finir la soirée avec moi et je finissais alors de lui raconter toute mon histoire afin qu'elle puisse bien saisir la situation.

— C'est la première fois que je découvre que ce sort marche entre un homme et une femme. Soit Mireille est plus puissante que je ne le pensais, soit elle a invoqué un esprit puissant. Mais ne vous inquiétez pas, je vous libérerai.

Avant de partir, elle me donna un sachet avec des herbes en disant "Faites- vous une infusion avec ces herbes, cela vous détendra et vous permettra de dormir."

Comme elle me l'avait dit, je me préparais cette tisane que je buvais tranquillement devant la télévision. Rapidement la tisane fit son effet et je ressentis une forte envie de dormir. Je me levai et passai aux toilettes avant. Depuis ce matin, je maîtrisais ce passage avec mon corps de femme. Et je m'allongeais nue sous la couette comme Mireille avait l'habitude de le faire lorsque nous dormions ensemble.

Lorsque le réveil sonna, je me réveillais détendue. La tisane de Rose avait rempli son office, je n'avais pas eu de mauvais rêves. Par principe je regardai mon entrejambe, mais comme je m'en doutais, j'étais toujours dans ce corps étranger. L'effet de surprise ne joua pas ce matin et je me préparai pour profiter de ces trois jours de repos tranquillement. Je pris mon temps pour déjeuner et pour passer à la salle de bain afin de parfaire du mieux possible le peu de maquillage dont Mirelle se parait le matin. Je m'estimais satisfaite du résultat. Je restai tranquille tout la matinée et l'après-midi au chevet de mon corps, je me rendis au bureau pour rejoindre Claire qui m'avait invité pour passer la soirée avec elle.

Dans la voiture pour me rendre au bureau, je repensais aux mots prononcés par Rose au sujet de ma "guérison". J'allais donc devoir rester quelques semaines dans cet état avant de pouvoir réintégrer mon corps, mais tout devrait bien aller. Je devais avouer que j'étais dubitatif sur la méthode qu'elle allait employer, mais après ce qui m'arrivait, je ne devrais m'étonner de rien. Je me garai à ma place habituelle sur le parking déjà bien vide à cette heure tardive.

— Bonjour tout le monde, dis-je à la cantonade. Les quelques collègues encore présents me saluèrent du regard ou d'un bonjour rapide. Je vis que Ludovic me regardait avec son regard de prédateur depuis son bureau. Je n'avais jamais remarqué ce regard quand j'étais dans mon corps. Je me disais que nous devrions toutes lui donner une petite leçon de savoir-vivre.

— Bonjour Mireille ! Viens dans mon bureau s'il te plaît ?

— Oui Claire, j'arrive.

Claire debout dans l'embrasure de la porte m'invita à entrer. Elle ferma la porte derrière moi et elle m'embrassa.

— Tu pourras venir travailler sur ce poste, cela t'évitera les questions et les réflexions des autres. Tu as peut-être besoin de rester un peu au calme après les évènements d’hier.

— Merci, c'est gentil ! Oui je pense que cela me fera du bien.

— Comment va-t-il ?

C'est stable, les médecins ne comprennent pas ce qui lui est arrivé. Pour eux, il n'est ni mort ni vivant et ce n'est même pas comme un coma classique. Un mystère.

— Ça va s'arranger, non ?

— Je l'espère.

Je n'osais pas lui raconter mes discussions avec Madame Rose, elle allait me prendre pour une folle.

— En tout cas, il y en a un qui n'a pas l'air d'apprécier que tu m'aies proposé de venir dans ton bureau. Regarde la tête de Ludovic !

— Ah lui ! Je ne sais pas quoi en faire. Il fait du bon boulot, je ne peux pas le virer, mais c'est vrai que son comportement est limite.

— Pourtant il est marié et sa femme est adorable, je la connais un peu.

— Oui, mais je pense qu'il cherche à se venger de quelque chose ou de quelqu'un… Il n'était pas comme cela quand je l'ai embauché. Il a changé depuis quelques semaines et son voyage avec Clément dans le sud de l'Oural.

— Oui, Clément en est revenu enthousiaste, ils avaient visité les ruines d'une cité antique… Mais je ne vois pas le rapport.

Je me dis que je devrais peut-être en parler avec Madame Rose, elle semblait avoir des connaissances sur les mystères anciens.

— Tu sais en Russie, il y a des jolies filles… Il s'est peut-être laissé tenter. Je me souviens juste de cette soirée arrosée ou en sortant avec des clients, Ludovic avait apostrophé vulgairement une jeune femme accompagnée de sa grand-mère qui nous avait regardés méchamment et avait crié quelque chose en russe.

— Au point de devenir le mufle qu'il est ? Si c'était cela, il serait plutôt à traîner dans les quartiers chauds.

— Oui tu as peut-être raison… Mais ne le laissons pas envahir nos pensées, ce soir, je t'invite pour te changer les idées.

Elle me proposa de prendre un café en attendant qu'elle ait fini le dossier sur lequel elle travaillait.

Une nouvelle fois la proximité de Claire et son parfum me troublaient. Je l'avais toujours trouvée superbe et je devais avouer que je n'aurais pas refusé une aventure avec elle si l'occasion s'était présentée. Tandis que je buvais mon café, Claire vint derrière moi et commença à me masser les épaules.

— Détends-toi ma chérie !

Je ne disais rien et je la laissais faire, je réalisais alors que ce corps que je ne connaissais pas encore bien, se mettait à réagir à ce massage. Je me mordis les lèvres pour ne pas laisser échapper un gémissement de contentement. Que m'arrivait-il ?

Je ressentais comme des papillons dans mon ventre. Quelque chose se passait entre mes cuisses. J'aurais bien dit que je bandais, mais c'était impossible avec ce corps. Je me sentais tendue et soudain, je laissais échapper un petit cri quand je sentis quelque chose de mouillé dans ma culotte. Je me ressaisis et je remerciais Claire avant de me lever et de me diriger vers les toilettes. Je remarquais une lueur dans son regard.

Sous le coup de l'émotion et de l'habitude, je poussais la porte des toilettes hommes et je fus bousculé par un de mes collègues.

— Mireille ! Que fais-tu ? Tu te trompes de porte !... Je bafouillais une explication rapide avant d'entrer dans la bonne pièce.

Je m'enfermais dans une toilette où je m'assis sur la cuvette pour comprendre et réaliser ce qui venait de m'arriver. Je repris mes esprits et je m'aspergeais d'eau afin de me calmer avant de retourner au bureau.

Claire me souriait quand elle me vit revenir, mais ne me dit rien. Son sourire recommençait à me troubler.

— Excuse-moi ! Dis-je à Claire.

J'avais besoin de prendre l'air. Je sortis du bureau pour aller sur le parking. Elle me rejoignit quelques minutes plus tard et me serra dans ses bras. Cette proximité me fut fatale. Se méprenant sur mon état émotionnel, elle me dit : Je vais tout faire pour te faire aller mieux.

Elle me déposa alors une bise au coin des lèvres qui me fit tomber en larmes. Je n'arrivais plus à contenir mes émotions. Elle me soutint jusqu'à la voiture.

— Je connais un petit bar très sympa où nous serons tranquilles pour discuter et te remettre de tes émotions.

Elle se gara dans une petite rue du centre-ville et me fit entrer dans un lieu où elle semblait avoir ses habitudes. Je compris très vite pourquoi je ne connaissais pas ce bar, c'était le point de rendez-vous de la communauté homosexuelle de la ville. Claire embrassa quelques femmes qui lui sourirent et me présenta comme sa collaboratrice qui vivait un moment difficile de son existence. Nous nous sommes installées à une table isolée et nous avons commandé un cocktail chacune avec de quoi grignoter.

Je découvris Claire sous un jour nouveau. Elle me prit la main et je lui souris. Quand elle se pencha vers moi pour m'embrasser, j'hésitai et reculai le visage. Elle leva simplement son verre pour que nous trinquions.

— À cette soirée et que tout s'arrange pour toi !

Quelques verres plus tard, nous avons décidé de rentrer. Elle ne se sentait pas en état de conduire et elle héla un taxi qui nous ramena à l'appartement de Mireille. Au pied de l'immeuble, je ne refusais pas le baiser qu'elle me donna et elle me souhaita une bonne nuit avant de remonter dans la voiture.


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