Je me garai
sur le parking de l'hôpital, et j'étais songeur en me dirigeant vers la chambre
où mon corps était étendu. Dans le service, Madame Rose était toujours là, elle
m'accueillit avec le même sourire que le matin, mais je ne me fis pas piéger
par son regard et ses formes et je répondis poliment à son sourire.
— Son état n'a
pas changé depuis que vous êtes partie, il ne s'est absolument rien passé de
nouveau.
Je fixais mon
corps allongé et je ne sus que répondre. Je me doutais que rien ne s'était
produit, j'étais sûr que s'il s'était passé quelque chose, je l'aurais
ressenti.
Je me suis
assis sur le fauteuil à côté du lit en prenant ma main entre mes doigts.
— Je vous
laisse seule avec lui. Mais n'hésitez pas à venir me voir, je finis mon service
dans une demi-heure, si vous voulez parler je serais disponible.
— Oui merci !
Je restais
plongé dans mes pensées à tenir ma main. Pour la première fois depuis le
réveil, je pris le temps de "me" regarder. Je découvrais mon visage
et ma poitrine qui se soulevait au rythme de ma respiration avec les yeux de
Mireille. Je sentis que l'esprit de Mireille était toujours présent, le corps
que j'habitais réagissait à mon corps, des pensées me vinrent. J'étais sûre que
je rougissais.
Je réalisai
alors que le temps avait passé. Je sortis de la chambre et, mû d'une impulsion
subite, je déposai un baiser sur les lèvres de ce qui était mon visage ou de ce
qui le fut. Devrais-je m'habituer à ne plus être moi ?
En regagnant
ma voiture, je croisais Madame Rose qui s'approcha de moi.
— Je crois
savoir ce qui vous arrive, je suis sûre que je peux vous aider.
— Comment cela
? Que voulez-vous dire ?
Vous vous êtes
réveillée ce matin différente de celle que vous étiez hier, vous êtes perdue,
vous ne savez plus ou vous en êtes ? C'est cela.
— Oui ! Exactement
!
— Venez en
discuter autour d'un café.
Elle me
précéda à la terrasse de ce bar qui fait l'angle de la rue en face de
l'hôpital. Et nous avons commencé à discuter. Intrigué, je la laissai parler et
ce qu'elle me raconta me troubla.
— Vous n'êtes
pas la première à qui cela arrive. Nous croyons vivre dans un monde où la
science explique tout et où ce qui n'est pas expliqué le sera un jour. Mais ce
n'est pas si simple ! Il y a beaucoup de choses qui sortent encore du domaine
de la science. Et ce qui vous est arrivé en fait partie. Ce matin en vous
réveillant, vous n'étiez plus vous-même, n'est-ce pas ?
— Oui, quand
je me suis réveillée, je me suis demandée ce qui m'arrivait. Je ne comprenais
rien.
— Je pense
pouvoir vous aider à faire remonter vos souvenirs. Cela vous permettra de mieux
vivre ce qui vous arrive.
— Comment cela ?
— Vous avez ma
carte ?
— Oui ! Je
l'ai toujours au fond de mon sac.
— J'ai une
certaine expérience de la magie vaudou et je suis certaine qu'un désenvoûtement
pourra vous faire retrouver celle que vous étiez hier soir.
Je rigolais,
je ne pouvais pas m'en empêcher.
— Rigolez !
Je vous comprends. Mais gardez ma carte et n'hésitez pas à m'appeler n'importe
quand dès que vous en ressentirez le besoin et je sens que cela ne va pas
tarder.
— Je vous le
promets, lui dis-je.
Même, si je
pensai qu'elle divaguait et que je ne voyais pas comment sa magie pourrait
m'aider.
Nous avons
fini notre café et je repris la voiture et instinctivement, je pris la route de
l'appartement de Mireille. J'étais devant la porte de cet appartement que je
connaissais sans connaître, car même si nous étions ensemble, nous n'avions pas
encore pris la décision de vivre ensemble et le plus souvent c'était elle qui
venait chez moi, car j'avais la chance d'avoir hérité de mes grands-parents
cette maison avec un petit jardin bien agréable aux beaux jours avec sa
terrasse ombragée par une glycine. Mireille ne s'était pas encore décidée à
mettre son appartement en location pour venir vivre avec moi.
C'était avec
une pointe d'angoisse que je tournai la clé dans la serrure et ouvris la porte.
Je frissonnais, le nez assailli par des odeurs que je reconnaissais, Mireille
avait l'habitude de faire brûler des bâtonnets d'encens dans son salon pour
éloigner les mauvais esprits disait-elle en riant. Je n’étais plus sûr qu'elle
rigolait tant que cela en le disant. Je posai mon sac, enfin son sac sur le
canapé et allumai la télé comme je le faisais lorsque je rentrai chez moi. Je
déambulais dans l'appartement, et cherchais ce que j'allais bien pouvoir me
faire pour le dîner.
J'ouvris les
placards pour découvrir ce qu'ils recelaient. Je finis par mettre une casserole
d'eau sur le feu pour me préparer un plat de pâtes avec du jambon dont j'avais
découvert un reste dans le réfrigérateur. Pendant que l'eau chauffait, je me
dirigeais vers la porte qu'elle n'ouvrait jamais quand j'étais chez elle et qui
piquait ma curiosité. Mais par respect pour Mireille, je ne lui avais jamais
demandé ce qu'il y avait derrière.
Je l'ouvris et
la poussai doucement comme si j'avais peur d'être surpris alors que j'étais
seul et je restais étonné par ce que je vis. Dans cette petite pièce sombre
dont les rideaux étaient tirés, j'aperçus contre le mur qui faisait face à la
fenêtre une petite table recouverte d'une nappe blanche avec des bougies et une
statuette en ivoire. Je m'approchais. Je n'arrivai pas à identifier la divinité
représentée. Mais ce qui m'interpella, c'était la petite coupelle avec des
restes à moitié calcinés indéfinissables.
L'eau qui
débordait dans la cuisine me rappela que mon repas ne devrait pas tarder à être
prêt. Je refermai la porte de cette pièce étrange et en même temps que je
passai à table, je pris mon téléphone et composai le numéro de Madame Rose.
Elle devait
s'attendre à mon appel, car à peine la première sonnerie avait-elle retenti que
j'entendis sa voix.
— Mireille !
Que se passe-t-il ?
— Écoutez !
J'ai fait une découverte étrange, pourriez-vous passer ?
Je lui
décrivis rapidement ma découverte en essayant d'être le plus calme possible.
— Surtout, ne
touchez à rien. J'arrive. Attendez-moi !
Mon repas à
peine fini, elle sonna à la porte. Je la fis entrer.
— Suivez-moi
et dites-moi ce que c'est ?
Je lui ouvris
la porte de la pièce avec l'autel, elle me précéda et je la vis se raidir en
découvrant la statuette. Elle ne me disait rien, mais elle sortit de son sac à
main un petit sac en plastique et y vida le contenu de la coupelle.
— Si c'est ce
que je pense, me dit-elle d'un air aussi pâle que sa peau noire le permettait,
votre amie a fait appel à des puissances dont elle ne maîtrisait pas la nature
et la puissance.
— Que
voulez-vous dire ?
— Vous savez,
il existe des choses que tout le monde ne peut pas voir. Et je crois que votre
amie a entrouvert une porte qu'elle aurait dû laisser fermer.
— Vous voulez
parler de sorcellerie ?
— Oui, si vous
voulez appeler cela comme cela. J'ai besoin de savoir ce qu'elle a fait brûler
pour comprendre le charme qu'elle a voulu lancer. Quel qu'il soit, de toute
manière, nous ne pourrons l'annuler au plus tôt qu'au prochain équinoxe.
Elle dut voir
mon visage pâlir et mon abattement à ses mots car elle me dit de ne pas m'en
faire.
— Vous savez,
même si votre amie a lancé un puissant sortilège, je pense être plus puissante
qu'elle pour pouvoir réussir à le contrôler et l'annuler. La puissance d'un
sort est proportionnelle à la puissance de la personne qui le lance. Et la
magie n'est pas comme ce que vous pouvez voir dans les films. Je dois juste
bien savoir ce qu'elle a fait et ensuite je pourrais l’effacer, comme on efface
les mots sur la page d’un cahier.
Je la
remerciai pour ses paroles rassurantes et lui proposai de finir la soirée avec
moi et je finissais alors de lui raconter toute mon histoire afin qu'elle
puisse bien saisir la situation.
— C'est la
première fois que je découvre que ce sort marche entre un homme et une femme.
Soit Mireille est plus puissante que je ne le pensais, soit elle a invoqué un
esprit puissant. Mais ne vous inquiétez pas, je vous libérerai.
Avant de
partir, elle me donna un sachet avec des herbes en disant "Faites- vous
une infusion avec ces herbes, cela vous détendra et vous permettra de
dormir."
Comme elle me
l'avait dit, je me préparais cette tisane que je buvais tranquillement devant
la télévision. Rapidement la tisane fit son effet et je ressentis une forte
envie de dormir. Je me levai et passai aux toilettes avant. Depuis ce matin, je
maîtrisais ce passage avec mon corps de femme. Et je m'allongeais nue sous la
couette comme Mireille avait l'habitude de le faire lorsque nous dormions
ensemble.
Lorsque le réveil
sonna, je me réveillais détendue. La tisane de Rose avait rempli son office, je
n'avais pas eu de mauvais rêves. Par principe je regardai mon entrejambe, mais
comme je m'en doutais, j'étais toujours dans ce corps étranger. L'effet de
surprise ne joua pas ce matin et je me préparai pour profiter de ces trois
jours de repos tranquillement. Je pris mon temps pour déjeuner et pour passer à
la salle de bain afin de parfaire du mieux possible le peu de maquillage dont
Mirelle se parait le matin. Je m'estimais satisfaite du résultat. Je restai
tranquille tout la matinée et l'après-midi au chevet de mon corps, je me rendis
au bureau pour rejoindre Claire qui m'avait invité pour passer la soirée avec
elle.
Dans la
voiture pour me rendre au bureau, je repensais aux mots prononcés par Rose au
sujet de ma "guérison". J'allais donc devoir rester quelques semaines
dans cet état avant de pouvoir réintégrer mon corps, mais tout devrait bien
aller. Je devais avouer que j'étais dubitatif sur la méthode qu'elle allait employer,
mais après ce qui m'arrivait, je ne devrais m'étonner de rien. Je me garai à ma
place habituelle sur le parking déjà bien vide à cette heure tardive.
— Bonjour tout
le monde, dis-je à la cantonade. Les quelques collègues encore présents me
saluèrent du regard ou d'un bonjour rapide. Je vis que Ludovic me regardait
avec son regard de prédateur depuis son bureau. Je n'avais jamais remarqué ce
regard quand j'étais dans mon corps. Je me disais que nous devrions toutes lui
donner une petite leçon de savoir-vivre.
— Bonjour
Mireille ! Viens dans mon bureau s'il te plaît ?
— Oui Claire,
j'arrive.
Claire debout
dans l'embrasure de la porte m'invita à entrer. Elle ferma la porte derrière
moi et elle m'embrassa.
— Tu pourras
venir travailler sur ce poste, cela t'évitera les questions et les réflexions
des autres. Tu as peut-être besoin de rester un peu au calme après les
évènements d’hier.
— Merci, c'est
gentil ! Oui je pense que cela me fera du bien.
— Comment
va-t-il ?
C'est stable,
les médecins ne comprennent pas ce qui lui est arrivé. Pour eux, il n'est ni
mort ni vivant et ce n'est même pas comme un coma classique. Un mystère.
— Ça va
s'arranger, non ?
— Je l'espère.
Je n'osais pas
lui raconter mes discussions avec Madame Rose, elle allait me prendre pour une
folle.
— En tout cas,
il y en a un qui n'a pas l'air d'apprécier que tu m'aies proposé de venir dans
ton bureau. Regarde la tête de Ludovic !
— Ah lui ! Je
ne sais pas quoi en faire. Il fait du bon boulot, je ne peux pas le virer, mais
c'est vrai que son comportement est limite.
— Pourtant il
est marié et sa femme est adorable, je la connais un peu.
— Oui, mais je
pense qu'il cherche à se venger de quelque chose ou de quelqu'un… Il n'était
pas comme cela quand je l'ai embauché. Il a changé depuis quelques semaines et
son voyage avec Clément dans le sud de l'Oural.
— Oui, Clément
en est revenu enthousiaste, ils avaient visité les ruines d'une cité antique…
Mais je ne vois pas le rapport.
Je me dis que
je devrais peut-être en parler avec Madame Rose, elle semblait avoir des
connaissances sur les mystères anciens.
— Tu sais en
Russie, il y a des jolies filles… Il s'est peut-être laissé tenter. Je me
souviens juste de cette soirée arrosée ou en sortant avec des clients, Ludovic
avait apostrophé vulgairement une jeune femme accompagnée de sa grand-mère qui
nous avait regardés méchamment et avait crié quelque chose en russe.
— Au point de
devenir le mufle qu'il est ? Si c'était cela, il serait plutôt à traîner dans
les quartiers chauds.
— Oui tu as
peut-être raison… Mais ne le laissons pas envahir nos pensées, ce soir, je
t'invite pour te changer les idées.
Elle me
proposa de prendre un café en attendant qu'elle ait fini le dossier sur lequel
elle travaillait.
Une nouvelle
fois la proximité de Claire et son parfum me troublaient. Je l'avais toujours
trouvée superbe et je devais avouer que je n'aurais pas refusé une aventure
avec elle si l'occasion s'était présentée. Tandis que je buvais mon café,
Claire vint derrière moi et commença à me masser les épaules.
— Détends-toi
ma chérie !
Je ne disais rien
et je la laissais faire, je réalisais alors que ce corps que je ne connaissais
pas encore bien, se mettait à réagir à ce massage. Je me mordis les lèvres pour
ne pas laisser échapper un gémissement de contentement. Que m'arrivait-il ?
Je ressentais
comme des papillons dans mon ventre. Quelque chose se passait entre mes
cuisses. J'aurais bien dit que je bandais, mais c'était impossible avec ce
corps. Je me sentais tendue et soudain, je laissais échapper un petit cri quand
je sentis quelque chose de mouillé dans ma culotte. Je me ressaisis et je
remerciais Claire avant de me lever et de me diriger vers les toilettes. Je
remarquais une lueur dans son regard.
Sous le coup
de l'émotion et de l'habitude, je poussais la porte des toilettes hommes et je
fus bousculé par un de mes collègues.
— Mireille !
Que fais-tu ? Tu te trompes de porte !... Je bafouillais une explication rapide
avant d'entrer dans la bonne pièce.
Je m'enfermais
dans une toilette où je m'assis sur la cuvette pour comprendre et réaliser ce
qui venait de m'arriver. Je repris mes esprits et je m'aspergeais d'eau afin de
me calmer avant de retourner au bureau.
Claire me
souriait quand elle me vit revenir, mais ne me dit rien. Son sourire
recommençait à me troubler.
— Excuse-moi !
Dis-je à Claire.
J'avais besoin
de prendre l'air. Je sortis du bureau pour aller sur le parking. Elle me
rejoignit quelques minutes plus tard et me serra dans ses bras. Cette proximité
me fut fatale. Se méprenant sur mon état émotionnel, elle me dit : Je vais tout
faire pour te faire aller mieux.
Elle me déposa
alors une bise au coin des lèvres qui me fit tomber en larmes. Je n'arrivais
plus à contenir mes émotions. Elle me soutint jusqu'à la voiture.
— Je connais
un petit bar très sympa où nous serons tranquilles pour discuter et te remettre
de tes émotions.
Elle se gara
dans une petite rue du centre-ville et me fit entrer dans un lieu où elle
semblait avoir ses habitudes. Je compris très vite pourquoi je ne connaissais
pas ce bar, c'était le point de rendez-vous de la communauté homosexuelle de la
ville. Claire embrassa quelques femmes qui lui sourirent et me présenta comme
sa collaboratrice qui vivait un moment difficile de son existence. Nous nous
sommes installées à une table isolée et nous avons commandé un cocktail chacune
avec de quoi grignoter.
Je découvris
Claire sous un jour nouveau. Elle me prit la main et je lui souris. Quand elle
se pencha vers moi pour m'embrasser, j'hésitai et reculai le visage. Elle leva
simplement son verre pour que nous trinquions.
— À cette soirée
et que tout s'arrange pour toi !
Quelques
verres plus tard, nous avons décidé de rentrer. Elle ne se sentait pas en état
de conduire et elle héla un taxi qui nous ramena à l'appartement de Mireille.
Au pied de l'immeuble, je ne refusais pas le baiser qu'elle me donna et elle me
souhaita une bonne nuit avant de remonter dans la voiture.
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