dimanche 5 juillet 2020

Ille -02- Au bureau

À peine avais-je franchi la porte que Florence à l'accueil me regarda bizarrement.

— Ouh là ! Ça n'a pas l'air d'être la grande forme, toi !

— Claire est-elle dans son bureau ? Dis-je sans prendre la peine de lui répondre.

— Oui ! Me répondit-elle.

Je me dirigeai vers le bureau de ma chef afin de lui annoncer la nouvelle du coma de Clément. Jamais ces couloirs ne m'avaient semblé aussi longs avec la traversée de l'open-space interminable et tous ces regards sur moi. Je frappais à la porte et réprimant un ouf de soulagement, j'entendis le "Entrez !" salvateur.

Devant Claire, je ne sus que lui dire.

— Que se passe-t-il ma chérie ? me lança-t-elle.

— Clément est à l'hôpital depuis ce matin, je me suis alors effondrée en larmes.

Elle se leva et vint me prendre dans ses bras. Je sentis la chaleur de son corps, son parfum, sa poitrine s'écraser contre la mienne. Je réprimai un frisson, de nouveau ce trouble, comme avec l'infirmière.

— Raconte-moi, que lui est-il arrivé ?

Je lui racontais alors que je l'avais trouvé inanimé dans le lit ce matin et que j'arrivais directement de l'hôpital, mais je lui cachais ce que j’étais en réalité. Qui pourrait croire cela ?

Je sentis ses mains me caresser le dos, me presser contre elle et je résistais à l'envie de poser ma tête sur son épaule qui semblait si accueillante. Car malgré son empathie, elle restait une gestionnaire d'entreprise. Elle me demanda.

— Tu sais que Clément devait finaliser un dossier ce matin ? Penses-tu être capable de le boucler et de me le donner avant midi ? Nous irons déjeuner ensemble et j'en profiterai pour te changer un peu les idées avant que tu ne retournes à l'hôpital.

— Oui ça ne devrait pas poser de problème, cela fait plus de six mois que nous sommes sur ce dossier et il ne reste que quelques corrections mineures à apporter, je vais m'y mettre de suite.

Elle me posa un baiser sur le front et me dit :

— Vas-y vite, cela va te changer les idées !

Je sortis du bureau et gagnai mon bureau. Par chance, comme nous étions sur le même projet, nous avions le même mot de passe pour accéder à notre session de travail ce qui me permit de me connecter sur le dossier à finir et de me plonger dans le rapport. Comme je le savais, les corrections à apporter étaient minimes, mais demandaient une certaine concentration que j'avais du mal à trouver. Je décidais de m'octroyer une pause-café pour vider un peu mon cerveau de toute cette tension.

Je me rendis à la salle de repos où se trouvait la machine et à peine y étais-je arrivée que Ludovic me rejoignit.

J'attendais que le café coulât dans le gobelet en plastique, quand je sentis une main me palper les fesses et j'entendis la voix égrillarde de mon collègue.

— De plus en plus coquine toi ! Un legging super moulant et même pas de culotte ! En plus tu as les nichons à l'air. Tu as l'air d'avoir envie que je te fasse découvrir ce que c'est qu'un vrai mec !

Mon sang ne fit qu'un tour et à peine le verre rempli, je m'en saisis et le lui jetais à la figure. Il se recula en hurlant, ce qui évidemment attira du monde.

À ma stupéfaction, avant même que je ne puisse dire quoique soit, il prit à partie les collègues qui arrivaient et leur cria en s'essuyant le visage.

— Elle est complètement folle, j'arrive pour lui dire bonjour et elle me balance son café à la figure.

— Mais...

Je tentais de me justifier, mais Jean-Marc se mit à prendre la défense de Ludovic en m'accusant lui aussi de ne pas être bien.

Je restais sans voix, mais heureusement pour moi, Claire qui avait entendu l'altercation, débarqua et nous renvoya chacun dans nos bureaux en nous disant qu'elle nous convoquerait plus tard.

 

Je me retrouvais alors seule devant l'automate complètement abasourdie. Après quelques minutes pour me calmer et me faire couler un autre café, je regagnai mon bureau et me replongeai dans le dossier à boucler.

Je cliquais d'un geste rageur sur l'icône "envoyer" puis éteignis ma machine et allais frapper à la porte de Claire et sans lui laisser le temps de me répondre, je me plantais devant son bureau.

— Ludovic est un odieux personnage… il a bien mérité ce que je lui ai fait…

— Calme-toi, tu n'es pas en forme aujourd'hui, je sais ce que tu vis avec Clément. Prends ton après-midi et va à l'hôpital prendre de ses nouvelles. Je te donne ton vendredi et reviens lundi plus détendue. Je vais aussi voir Ludovic, car j'ai bien compris qu'il n'est pas clair dans cette histoire.

— Il m'a peloté les fesses ! Tu ne peux pas laisser passer cela.

— Ne t'inquiète pas ! dit-elle en se levant et en me prenant par les épaules. Je vais faire ce qu'il faut… Je connais le bonhomme.

Je m'effondrais en larme. Elle me retint dans ses bras.

— Vas-y ! Va te reposer.

Je m’efforçais tant bien que mal de retourner vers mon bureau ;"me reposer" me disais-je en mon for intérieur, "c’est bien beau tout ça, mais j’ai encore du pain sur la planche pour le travail de Mireille qu’il va falloir manager et ce corps qui n’est pas le mien, à gérer. Tout cela est loin d’être évident". Je décidai néanmoins de me rendre d’abord aux toilettes pour me refaire une "beauté", et je fouillai désespérément dans le sac à la recherche de la trousse à maquillage que Mireille avait toujours sur elle. Fébrilement, je trouvais de quoi mettre de l’eye-liner, du mascara et du rouge aux pommettes pour me donner l’air moins blafard. Personne ne venant dans les toilettes, je m'appliquais lentement, mais je m'aperçus que le corps à une mémoire des gestes incroyable ce qui me permit de me maquiller sans trop de difficultés.

— Le résultat est ma foi, fort acceptable ! me disais-je, en regardant le résultat dans le miroir.

Je retournai alors au bureau de Mireille en me demandant par quoi j'allais commencer puisque le projet commun avait été bouclé. Je trouvai rapidement de quoi alimenter le reste de la matinée en attendant impatiemment la pause-déjeuner avec Claire.

— Mais bon sang ! Quelle conversation adopter avec elle ? Elles se connaissent si bien !

Je me sentais un peu perdu, je décidais de fouiller dans les emails de Mireille pour en savoir un peu plus sur les sujets abordés lors de leurs échanges. J'avais l'impression de violer leur intimité, mais je ne pouvais pas faire autrement, c'était une question de survie.

Après une petite demi-heure de recherches pour le moins indispensables et importantes, je me dis que j'étais suffisamment prêt pour notre déjeuner. Ce fut à ce moment que Claire déboula dans mon bureau. J’attrapais mon trench à la hâte et nous partîmes toutes les deux vers notre café préféré. Comme à son habitude, elle attrapa Mireille par la taille, et c'est donc bras dessus, bras dessous que nous sommes sortis de l'immeuble. Je me laissais guider vers la brasserie où je savais qu'elles avaient leurs habitudes et Claire demanda à la serveuse si leur place habituelle était libre. Elle nous installa à une table dans un coin calme et isolé de la pièce.

— Que se passe-t-il ma chérie ? Et ne me dis pas que c'est à cause de l'état de Clément, car il y a autre chose. J'ai l'impression que tu es devenue une étrangère.

— Je me sens bizarre depuis ce matin, j'ai l'impression de vivre en dehors de mon corps. Je ne sais pas comment te définir mon ressenti, mais j'ai des trous de mémoire qui me perturbent.

— Ça va s'arranger, tu devrais te reposer un peu et en plus Clément aura besoin de ta présence. Je suis sûre qu'il va s'en sortir.

Je lui souris en pensant "si elle savait". Je ne pouvais m'empêcher de fixer le décolleté de Claire, il était vrai que cette femme avait tout ce qu'il fallait pour attirer les regards masculins.

La serveuse nous apporta les plats et Claire chercha à dédramatiser la situation en me parlant des petits potins du bureau. Heureusement que j'avais eu le temps de lire la plupart des messages de Mireille avant le repas aux dépens de mon efficacité professionnelle, mais la fin justifiait les moyens. Le repas fini, Claire me proposa d'aller faire les boutiques pour me changer les idées.

— Allez viens, il me reste un peu de temps avant de retourner bosser. J'ai repéré une nouvelle boutique de lingerie avec des choses qui ont l'air sympa. J'ai envie de voir cela de plus près.

Claire se leva et je la suivis aussi, un peu gêné, car comment allais-je réagir dans cette boutique ? Nous nous approchions de la vitrine. Je dus reconnaître que ce qui était en vitrine était superbe. Claire entra et aussitôt une jeune vendeuse s'approcha de nous souriante, que désirez-vous ? Claire montra alors un body de dentelle.

— Je suis certaine que mon amour va adorer cet ensemble rose fuchsia, dit-elle en clignant de l'œil.

La vendeuse lui demanda sa taille et lui proposa un modèle à essayer. J'attendis dans la boutique en regardant les divers modèles et je me disais que je pourrais en essayer un aussi.

J'entendis alors Claire m'appeler.

— Mireille ! Viens me dire ce que tu en penses !

Un peu troublé, je m'approchais de la cabine d'essayage et je découvris Claire dans cet ensemble boxer soutien-gorge qui mettait superbement ses formes en valeur. Je dus rougir, car elle me demanda si j'avais chaud.

— Oh non ! Pas du tout, mais je cherche quelque chose qui pourrait faire plaisir à Clément quand il se réveillera !

— Le connaissant un peu, je pense qu'un de ces ensembles de nuit devrait lui plaire, me dit-elle.

Elle me montrait des pyjamas de satin bleus avec un top à petite bretelle et un petit short dans le bas. Elle n'avait pas tort, c'est vrai que j'aimais assez quand Mireille portait cela le matin. Mon cerveau masculin réagissait, mais la réaction de mon corps féminin me surprenait. Je n'avais pas encore pris l'habitude de ce changement.

— Et toi que penses-tu de ce que je porte ?

J'étais encore plus troublée de découvrir la patronne en si petite tenue. Elle avait un corps magnifique avec des formes quasi parfaites, il fallait dire aussi qu'elle passait du temps dans les salles de gym.

— C'est très joli, ça me donnerait presque envie de te manger.

Je regardais Claire, un peu anxieux de sa réaction. Je pensais que si j'avais été dans mon corps, elle n'aurait pas hésité une seconde à m'envoyer balader, voire même à me gifler.

— Mais ma chérie, c'est quand tu veux ! Je la regardais complètement déstabilisé, je ne savais que lui dire. Elle me regarda et éclata de rire.

— Ne me dis pas que tu ne savais pas que j'aimais les femmes !

Je bafouillais, je fouillais dans les souvenirs de Mireille pour tenter de savoir si elle le savait, mais je ne trouvais rien.

— C'est pas grave ! Je vois bien que tu n'es pas dans ton état normal. Tu sais quoi ! Je te donne ton après-midi. Va à l'hôpital voir ton homme, repose-toi et lundi les choses se seront clarifiées.

Si elle savait. J'espérais bien que les choses se seraient éclaircies. Elle tira le rideau pour se rhabiller et alla régler ses achats. En sortant de la boutique, elle me confirma mon après-midi libre et me proposa de passer chez elle le lendemain soir après le travail. Je me dirigeai vers ma voiture afin de prendre la direction de l'hôpital où mon corps devait toujours être dans ce coma étrange.

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