Après son
départ, effrayé et paniqué de l'appartement de son amante, Satiricon erra de
longues heures dans la nuit. Il ne comprenait pas ce qui lui était arrivé. Il
allait s'occuper de donner du plaisir à l'amie de Marie, la mystérieuse jeune
locataire et protégée du comte.
Il sentait
qu'elle était bien et il savait qu'elle allait bientôt être à sa merci, il
voulut donc pousser son avantage. Ce fut à cet instant qu'il ressentit une
brûlure intense sur sa langue et ses lèvres comme s'il avait embrassé une bouteille
d'acide. Il ne comprenait pas. Devrait-il en parler au comte ? Il hésitait car
celui-ci lui avait bien fait comprendre de rester éloigné de la jeune femme et
qu'il se la réservait.
Ses errances
le ramenèrent non loin de la maison de l'adolescente qu'il séduisait sous sa
forme féline.
Il avait
encore envie de posséder une femme. Son échec avec Marie et Viviane l’avait
laissé frustré et insatisfait. Il prit la forme que la petite adorait et comme
tout bon chat qui se respectait et se devait de le faire, il alla gratter à la
fenêtre fermée.
Comme il s'y
attendait, elle se leva de son lit et lui ouvrit. Aussitôt il bondit sur le lit
et se roula en boule sur l'oreiller. Il sentait les effluves de la jeune fille
qui devenait une femme. Sans aucun remord, il commença à jouer avec son esprit
encore malléable. Il lui fit faire ce qu'elle avait déjà fait seule mais quand
elle ferma les yeux sous l'emprise du plaisir, il mélangea dans son esprit le
rêve et la réalité et il lui sembla que le chat devenait un homme si séduisant
qu'elle accepta de lui livrer sans retenue, sa fleur la plus précieuse.
Transportée de
bonheur, elle criait et gémissait de plaisir. Il s'était retiré et la regardait
continuer de se caresser sous les draps. Il entendit du bruit dans la maison.
Les parents alertés par les cris de leur fille venaient voir ce qui se passait.
Reprenant sa forme féline, il se roula en boule au pied du lit.
— Encore ce
satané chat pensa la mère. Ça va ma chérie ?
L'adolescente
qui émergeait de son plaisir sourit les yeux brillants.
Elle ne
pouvait pas répondre à sa mère car elle ne pouvait pas parler à ce moment-là.
Ce qu’elle ressentait était ineffable. Cette émotion nouvelle de plénitude
mêlée à la conscience de la fin irrévocable de son enfance. Elle avait vraiment
aimé cette première fois qu’elle croyait avoir imaginée, rêvée.
Sa mère, le
sourire aux lèvres, comprit ou crut comprendre ce que venait de faire sa fille.
— Tu viens de
découvrir le plaisir que seules nous les femmes nous pouvons trouver entre nos
cuisses, n'est-ce pas ma chérie ?
— Oh oui
maman, c'était si bon…
— Je sais ma
puce, mais la prochaine fois, essaie de faire moins de bruit. Tu as réveillé
toute la maison.
Rouge de gêne,
elle promit à sa mère de faire attention la prochaine fois.
Sa mère l'embrassa
sur le front et retourna se coucher et rassurer son mari, tout en gardant le
secret sur la découverte de l’éveil au plaisir et à la sexualité de sa fille.
De son côté,
le gros chat ronronnait au bout du lit. En le regardant, elle sourit, elle savait
que ce chat errant était le compagnon de sa fille depuis des années. Elle
trouvait étrange qu’il ait survécu autant d’années mais après tout peut être
qu’il avait une famille ailleurs et qu’il ne faisait que squatter le lit de sa
fille. Elle se pencha pour le caresser et ressentit un trouble étrange dans son
ventre. Elle embrassa sa fille et rejoignit son mari qui l’attendait.
Il comprit en
voyant le sourire de sa femme que leurs suppositions en entendant les cris
étaient vraies.
— Alors qui
avait raison, notre fille s’amuse toute seule ?
— Oui tu avais
raison, je le reconnais, ce n’est plus un bébé…
Elle
s’allongea à côté de lui et le regarda avec envie. Elle ne comprenait pas ce
qui lui arrivait. Elle avait envie de lui faire l’amour.
Peu avant le
lever du soleil, Satiricon s’étira et quitta la chambre de l’adolescente. Il
rejoignit le comte qui était déjà dans sa serre à prendre soin de sa collection
d’orchidées. Il venait de faire l'acquisition d’un plant de Drakaea glyptodon
en provenance d’Australie. Il était penché dessus quand il entendit les pas
félins s’approcher.
— Alors mon
ami ! Quelles nouvelles de la ville ? Je sais que tu as passé la nuit en
chasse. Ne me mens pas. On t’a vu errer dans les rues en quête de proie.
— Je crois mon
Maître qu’il y a quelque chose de nouveau et d’étrange, je ne saurais pas le
dire mais il se passe des choses que je ne comprends pas…
— Explique-toi
!
Le comte
fronça les sourcils, lui aussi avait repéré ces changements subtils dans
l’atmosphère. Il pensait en connaître l’origine mais il n’en était pas certain.
— J’ai
l’impression que le comportement de certaines femmes est étrange...
Ce n’est pas
une impression. Je l’ai remarqué aussi et pour te rassurer sache que j’en suis
l’instigateur. Tu vois ces bouquets de pandora qui attendent d’être déposés au
monastère, ce sont eux la cause de ce changement chez les femmes que tu
croises. J’ai demandé aux sœurs d’en brûler dans leur chapelle, les fumées se
dispersent et diffusent le pouvoir de la pandora dans la ville. Bientôt tout
sera prêt pour la Venue.
Satiricon
sourit à cette évocation. Quand le Grand Maître sera là, lui et ses frères
démons ne seront plus les larbins de cet homme. Ils pourront vivre leur vie
comme bon leur semble et asservir les hommes et surtout les femmes à leur bon
plaisir. Il fut soulagé de la réaction du professeur. Il avait craint que
celui-ci ne posât trop de questions, mais certain de son pouvoir, il préférait
croire que les anomalies dont parlait Satiricon étaient dû à ses agissements.
Il ne lui parla donc pas de ce qu’il avait vécu avec Viviane. Il devait
éloigner son humaine préférée car il ne voulait pas la perdre.
Retrouvant son
ton autoritaire, Van Dyck s’adressa à son âme damnée.
— Satiricon,
je veux que tu te rendes à cette adresse. Tu y trouveras une femme noire. Tu
vas user de ton charme pour la convaincre de nous rejoindre au manoir.
— Oui Maître !
Il prit le
morceau de papier qu’il lui tendait et sortit de la serre.
— Prends la
voiture !
Le démon se
dirigea vers le garage où il réveilla son collègue et ensemble ils allèrent à
l’adresse indiquée. Ils se garèrent sur le parking de la résidence en se
demandant comment ils reconnaîtraient la femme que le baron leur avait demandé
de lui conduire.
À cette heure
matinale, les résidents sortaient pour se rendre à leur travail. Plusieurs fois
le complice de Satiricon lui indiqua une femme noire mais il savait que ce
n’était pas la bonne. Soudain son instinct le poussa à sortir de la berline et
de s'approcher d’une jeune femme élégante en boubou coloré.
— Excusez-moi
! Vous êtes bien Roseline Delval ?
— Oui !
Pourquoi ?
— Mon patron,
une personne qui vous veut du bien, souhaiterait vous rencontrer.
— Mais je ne
vous connais pas. Qui êtes-vous ?
La femme ne
comprenait pas ce que lui voulait cet homme au teint pâle et aux cheveux
blonds, sûrement un scandinave pensa-t-elle. Elle se préparait à passer son
chemin pour se rendre au temple où comme tous les matins avant de partir à son
travail, elle assistait à l’office.
— Oui bien
sûr, je vais vous suivre…et comme malgré elle, elle accepta de monter dans la
voiture en compagnie de cet homme.
Au lycée,
c'était la folie. Les rumeurs les plus extravagantes courraient au sujet de la
directrice. Les élèves racontaient entre eux que Mme de Longueville était une
pute qui se faisait sauter dans son bureau. Les professeurs avaient du mal à
calmer les lycéens qui voulaient en savoir plus et surtout avoir des détails
croustillants. Quant aux parents, ils voulaient des explications.
Dans son
bureau, elle ne savait que faire. Elle avait dit à Léonard de prendre sa
journée. Elle ne voulait pas l’impliquer dans ce qui était en train d’arriver.
Elle avait compris que le comte était derrière tout cela et qu’il se préparait
quelque chose d’important. Elle savait qu’elle n’aurait pas la force de
résister à la puissance accrue du professeur. Mais pour le moment, elle devait
calmer l’hystérie qui se propageait dans son établissement. Elle se résolut à
sortir de son bureau pour se rendre dans la salle des professeurs et informer
ses collègues de la situation.
Un silence
étouffant remplissait la salle quand elle y fit son entrée. Seul le son de ses
talons claquant sur le sol résonnait. Tous la regardaient se diriger vers la
petite estrade d’où elle avait l’habitude de faire ses petits discours.
— Chers
collègues et amis, je ne vais pas vous mentir. Il s’agit bien de moi sur la
vidéo qui circule actuellement sur les réseaux sociaux. Par respect pour
l’homme qui est en train de me faire l'amour, je tairais son nom et je vous demande
de ne pas chercher à savoir de qui il s’agit…
— Sachez qu’il
n’est pour rien dans ce qui s’est passé et qu’il est une victime de mes vieux
démons que je pensais avoir vaincus...
— Hier soir,
sous l’emprise d’une substance hallucinogène, j’ai de nouveau cédé à la
tentation…
— J’ai demandé
à être placé en disponibilité de mon poste afin de me soigner…
— Je vais
ranger mes affaires dans mon bureau et ce sera la secrétaire générale de
l'établissement qui gèrera les affaires courantes en attendant la nomination
d’un nouveau directeur.
Un brouhaha
s’éleva parmi les enseignants et le personnel du lycée. Cette attitude ne
ressemblait pas au comportement habituel d’Eléonore de Longueville. C’était une
battante qui avait su hisser son établissement parmi les meilleurs du pays par
sa force de caractère. Ils se regardèrent tous abasourdis même s’ils
comprenaient que la situation était très embarrassante pour leur directrice
qu’ils respectaient, son abandon sans combattre les laissaient perplexes. Ils
remarquèrent à peine qu’elle avait quitté la pièce et que seul Gérald s’était
levé pour la suivre.
— Élisabeth !
Attendez ! Ne partez pas comme cela…
Surprise par
les appels du professeur de musique, elle se retourna et attendit qu’il arrive
à sa hauteur.
— Je sais ce qui
se passe et je peux vous aider lui dit-il en lui montrant sa chevalière. Nous
avons le même ennemi et ensemble nous pouvons le vaincre.
La directrice
sourit de la naïveté du jeune homme.
— Cela fait
plus de trente ans que je cherche un moyen de le mettre hors d’état de nuire
mais avec ce dernier tour, il m'a achevée… Et il va détruire cette ville. Ne
sentez-vous ces effluves de luxure et de stupre ?
— Si bien sûr
! C'est pourquoi nous devons mettre fin rapidement à ses agissements. Très vite
il sera trop tard.
— Non ! Je
suis lasse de ce combat. Je n’ai plus la force de me battre. Je m’en vais…
Elle
s’éloigna, le laissant là seul immobile au pieds de l’escalier qui montait au
bureau directorial où elle s’enferma avant de s’effondrer en larmes.
Tout ce qu'elle
avait patiemment bâti durant sa vie, sa carrière, sa vie, tout cela venait
d’être détruit à cause d’un instant de faiblesse. Elle savait pourtant que les
séquelles d’une exposition aux poussières émises par ces papillons étaient
irréversibles. Elle avait cru pouvoir y échapper en se plongeant avec l’aide de
Sylvie et Arthur dans les mystères de la Dame.
Elle leur
avait promis de protéger sa ville natale des méfaits de comte mais elle venait
d'échouer lamentablement.
Elle se mit à
écrire le discours qu’elle avait tenu devant ses collègues et l’envoya aux
représentants des parents d’élèves et à ses supérieurs.
Après quelques
minutes à se lamenter sur son sort sa résolution fut prise. Elle allait quitter
cette ville. Elle rejoindrait le fils d’un vieil ami en Afrique pour l’aider à
tenir le dispensaire et le centre éducatif que sa famille avait créés à
l’époque coloniale. Là-bas, elle serait loin du comte et du pollen de la
Pandora qui ne pouvait pas pousser sous ce climat équatorial.
Après le
discours de Madame de Longueville, les enseignants réussirent à reprendre en
main les élèves. Ils purent assurer leurs cours même si certains enfin plutôt
certaines lycéennes ne semblaient pas dans leur état normal et qu’elles aguichaient
les garçons autours d'elles.
Léonard errait
hagard dans les rues près du port. Dans le car qui l'emmenait au lycée, il
avait reçu ce message laconique de sa chef “Pour votre bien, ne venez pas au
lycée aujourd'hui, ne posez pas de questions. Obéissez”. Ce message le surprit
car il connaissait bien la directrice. Cela faisait maintenant plus de dix ans
qu’ils travaillaient ensemble. Il connaissait tous les secrets du lycée et elle
ne lui aurait jamais demandé cela sans une raison sérieuse.
Il ne savait
où aller car il se doutait de la raison de ce message. Il ne pouvait pas avouer
cela à sa femme. Il finit par décider d’aller voir le pasteur et de lui
expliquer sa situation. Peut-être que cet homme de Dieu trouverait une réponse
à ses questions. Il approchait du temple quand il vit son épouse monter dans
une étrange voiture noire. Il se mit à courir pour la rattraper, mais la
voiture disparut au coin de la rue.
Ce fut à un
homme abattu et dans le plus grand désespoir que la femme du pasteur ouvrit la
porte. Elle eut beau tenter de le réconforter, avec du café et ses pâtisseries
renommées dans le quartier, rien n’y fit.
Elle ne savait
que faire pour soulager cet homme qui venait de perdre en quelques heures son
travail et son épouse. Il se tenait la tête dans les mains, les coudes sur la
table. Il sanglotait.
Elle vint
derrière lui et lui posa les mains sur les épaules. Elle avait reçu de sa mère
le don de soulager la mélancolie. Elle sentit un picotement étrange quand elle
le toucha et une chaleur lui envahit le ventre. Effrayée, elle recula et hurla.
— Sortez
d’ici, démon… Quittez cette maison, engeance du diable…
Elle avait
attrapé un balai et menaçait de frapper le pauvre Léonard qui prit ses jambes à
son cou et s’enfuit de cette demeure à toutes jambes.
Il ne
comprenait plus rien.
Quand le
pasteur rentra chez lui, de retour d’une visite chez une vieille femme à
l’article de la mort, il vit Léonard courir hors de chez lui. Il constata
l’état d’hystérie de son épouse et la serra dans ses bras pour tenter de la
calmer.
— C'était le
diable ! hurlait-elle en montrant la porte à son mari. C'était le diable !
— Mais non,
simplement Léonard, un fidèle voisin…
Alors qu’il la
serrait contre lui, ses yeux croisèrent ceux de sa femme et il ne put résister
à l’envie de lui prendre un fougueux baiser comme il n’en avait pas partagé
depuis longtemps.
Les effets de
la fleur de pandora avaient été transférés de Léonard au pasteur par
l’intermédiaire de sa femme. Le baiser se transforma rapidement en un duel
amoureux comme ils n'en avaient jamais connus tant ils respectaient les règles
de leur religion qui considérait le plaisir physique comme une faiblesse.
Après avoir
récupéré de leur plaisir, ils se rendirent compte horrifiés de ce qu’ils
avaient fait. Après avoir pris une douche purificatrice l’un après l’autre et
enfilé des vêtements de deuil, ils se rendirent au temple pour prier et faire
pénitence.
Au manoir, le
comte accueillit Roseline avec égard. Il lui expliqua qu’il avait demandé à ses
employés d’aller la chercher pour la protéger des méfaits induits par Madame de
Longueville. Il lui dressa un portrait assez peu flatteur de la directrice du
lycée. En l’écoutant, elle n’en croyait pas ses oreilles et elle pensait qu’il
lui mentait. Elle la connaissait un peu et la Madame de Longueville ne pouvait
être la personne dépravée qu’il lui décrivait. Quand il lui montra la vidéo,
elle crut que son cœur allait s’arrêter. Elle venait de reconnaître son mari.
— Vous voyez ?
— Ce n’est pas
possible, ce n’est pas mon Léonard… Elle l’a envoûté.
— Croyez-vous
au vaudou, Roseline ?
— Je ne
devrais pas car ma religion me l’interdit mais mon enfance aux Antilles m’a
appris à ne pas toujours rejeter le surnaturel et les croyances ancestrales.
Alors
dites-vous que Madame de Longueville a envoûté votre mari. Pardonnez-lui
! Il n’est pas responsable de ses actes.
— Mais il faut
le retrouver, s’il a conscience de ce qu’il a fait, il doit être dans tous ses
états.
— Ne vous
inquiétez ma chère amie, j’ai envoyé mes hommes à sa recherche, mais ils ne
l’ont pas trouvé au lycée. Il a disparu en ville, mais ne vous inquiétez pas on
va le retrouver. Savez-vous où il pourrait se rendre ?
Roseline
réfléchit un peu et lui dit que lorsqu’il avait envie de se retrouver seul, son
mari avait l’habitude de se rendre sur le port et de marcher sur les quais pour
voyager par procuration en regardant les cargos en escales, ou il se rendait
alors chez le pasteur, s’il pensait avoir quelques choses à se faire pardonner.
Van Dyck
demanda à Myriam de rester avec Roseline le temps que son mari revienne et de
tout faire pour qu’elle fût à l’aise. Il lui fit un clin d’œil complice, la
jeune servante comprit parfaitement le sens de ce geste.
Au lycée, la
fin de la journée fut plus calme et lorsque la cloche sonna la fin des cours,
Marie, Viviane et Gérald discutaient ensemble sur le parking. Ils essayaient de
comprendre comment la directrice qui était pourtant initiée aux mystère de la
Dame avait pu céder si facilement à la tentation.
— C’est le
pollen de la pandora ! dit Viviane.
— Non, sa
concentration dans l’air n’est pas encore assez importante même si certaines
femmes plus sensibles que d’autres commencent à réagir. J’ai constaté quelques
élèves qui avaient du mal à se contrôler aujourd'hui. Et je crains que cela
n’empire mais nous en avons pour quelques mois avant que la situation devienne
incontrôlable.
— Que
pouvons-nous faire ?
— Alors pour
Eléonore c’est quoi ? demanda Viviane.
Je ne sais pas
ce que nous pouvons faire pour le moment. Je n’ai pas encore tous les éléments
en ma possession mais je vais trouver… Et pour Eléonore, cela ressemble à une
intoxication aux phéromones de noctulescents. Mais c’est surprenant car en
théorie, il n’en existe plus dans notre monde.
Viviane
regardait son amant sans comprendre de quoi il parlait et surtout comment il
pouvait connaître tout cela. Elle n’avait jamais parlé de ses conversations
avec Eléonore mais elle réalisait que ce qu’elle avait au départ pris pour des
légendes se révélait de plus en plus concret.
Soudain,
Satiricon surgit de nulle part devant eux et Marie lui sauta au cou. Gérald
voulut dire à son amie de ne pas s’approcher de lui mais il était trop tard,
les bouches des deux amants fusionnaient. Tout en embrassant Marie, Satiricon
affronta Gérald du regard. Il reconnaissait maintenant cet homme. Ce
n’était pas possible, il ne pouvait pas être vivant, il l’avait battu et laissé
pour mort il y avait près d’un siècle au près du tumulus de Vix !
Les deux
hommes s’affrontèrent donc du regard en un combat bref mais violent. Mais cette
fois-ci, Gérald ne fut pas pris au dépourvu par le démon et il envoya un
uppercut psychique suivi d’un coup au ventre tout aussi psychique au démon qui
recula en se tordant de douleur. Il entraîna avec lui Marie qui ne comprenait
rien et ils sautèrent dans le bus qui passait devant le lycée.
Viviane
restait silencieuse. Elle regardait son ami qui reprenait son souffle.
— Je l’ai
battu pour cette fois-ci mais je crains que notre amie soit perdue à tout
jamais.
— Il faut
l’aider !
— Impossible,
j’ai vu comment elle le regarde, elle est follement amoureuse de ce démon.
— Ce démon ?
Viviane se rappelait de la soirée de la veille et de son sexe dans ses fesses
et de sa langue entre ses cuisses.
— Je comprends
tout s'exclama-t-elle.
— Que
comprends-tu ?
Gérald la vit
rougir et lui dit :
— Attends, tu
me raconteras cela devant un repas. Je t’emmène au restaurant dans la forêt et
tu me diras tout.
Elle lui sauta
au coup ravie de cette invitation et ils prirent la route du restaurant.
— Dis-moi !
C’est quoi, ces noctulescents dont tu parlais avant l'arrivée de l’amant de
Marie ?
Il lui
expliqua ce qu’étaient ces scarabées bleus, qui pouvait passer pour des
papillons. Ces insectes sécrètent des molécules particulières qui ont la
faculté d’exacerber la libido des êtres humains et plus particulièrement des
femmes. Le problème c’est qu’une personne exposée à ces phéromones voit son
système nerveux modifié définitivement et devient rapidement une personne à la
sexualité exacerbée voire incontrôlable. Cela ressemble beaucoup à Eléonore
mais à sa connaissance, elle n’avait pas pu être exposée à ces insectes.
— Je crois que
si, Gérald.
— Non ce n’est
pas possible, il n’y a aucune de ces bestioles dans la région.
— Si, il y en
a dans le parc du manoir. Eléonore m’a raconté que quand elle était
adolescente, avec une de ces amies, elles avaient voulu affronter ce que les
gens d’ici appellent la malédiction du manoir et qu’elles étaient tombées sur
un nid de papillons bleus et qu’elles avaient ensuite passé une nuit de
débauche ensemble.
— Alors ne
cherchons pas plus loin… C’est cela. Son séjour chez Sylvie et Arthur lui a
permis de contrôler sa libido mais la présence du pollen de pandora a rompu cet
équilibre. Je comprends pourquoi elle fuit. Elle sait qu’elle n’a aucune chance
de résister…
Ils finirent
le trajet silencieusement et purent s’installer à la terrasse du restaurant
comme la fois précédente. Gérald attendit que le serveur leur eut apporté les
plats pour revenir à ce que Viviane voulait lui dire.
— C’est un peu
compliqué… elle rougissait.
— N’aie pas
peur, tu peux tout me dire… Nous ne sommes pas mariés même si nous sommes très
proches.
De plus en
plus rouge, elle lui raconta sa soirée avec Marie, les nombreux cocktails et la
rencontre avec l’amant de Marie. Elle aurait voulu passer sous silence le
moment ou Satiricon l’avait sodomisée avec son sexe, mais Gérald connaissait
les particularités de ce démon et lui demanda si elle se souvenait comme elles
étaient installées. Elle réalisa alors l’impossibilité logique de la position,
elle et Marie étaient allongées sur le dos l’une à côté de l’autre et son amant
la baisait avec ardeur mais elle se savait aussi prise par derrière. Elle était
de plus en plus mal à l’aise mais ce fut le récit de la fuite incompréhensible
du démon qui calma son excitation.
— Je pense que
c’est normal qu’il ait hurlé et qu’il soit parti comme s’il avait le diable aux
trousses. C’est parce que nous avons fait l’amour ensemble…
— Comment cela
? Explique-moi !
— C’est parce
que ni toi, ni moi ne sommes des humains ordinaires…
— Je ne
comprends pas que veux-tu dire ?
Si pour
Viviane il fut difficile de confier à son amant le récit de sa soirée de
débauche avec son amie et un démon, pour Gérald, ce fut encore plus dur de se
lancer à expliquer qui il était et ce qu’elle représentait pour lui.
Plus il
avançait dans son récit et plus Viviane était outrée et choquée.
— Voilà ! Tu
sais tout.
La jeune femme
tordit sa serviette dans ses mains à s’en faire blanchir les articulations.
Elle se retenait d’exploser, mais l’éducation qu’elle avait reçu de ses parents
adoptifs primait sur sa colère.
— Tu te sers
de moi, de ma mère et ainsi de suite, juste pour ton propre bien être. Je
croyais que tu m’aimais, mais en fait je ne suis qu’un objet qui te permettra
de continuer à vivre… Raccompagne-moi de suite au manoir, je ne veux plus te
voir…
Il se doutait
que Viviane n'apprécierait pas de découvrir la vérité sur leur couple. Ce
n'était pas facile d’accepter que l’homme qui l’aimait était à la fois son
amant, son père, son grand père et ainsi de suite depuis plus de deux cent ans.
Elle n’avait pas compris que ce n’était pas facile de savoir que la femme qu’il
aimait mourrait le jour où elle mettrait au monde sa fille et qu’il était aussi
très douloureux de ne pas pouvoir élever son enfant.
Il régla
l'addition et raccompagne Viviane à la porte du manoir. Elle descendit sans un
mot et entra dans propriété sans se retourner. Il attendit qu’elle eut disparu
dans la nuit pour démarrer et rentrer chez lui.
Une nouvelle
fois, il perdait celle qu’il aimait. Il ignorait s’il la reverrait. Même si
physiquement elle ressemblait beaucoup à sa mère, elle n’avait pas du toute le
même caractère, sûrement l’influence de sa famille adoptive.
Écartant la
tristesse qui l’envahissait, il se mit sur son ordinateur et contacta un de ses
jeunes amis, un informaticien qui lui avait fait un algorithme de traitement de
données. Il lui donna les informations qu’il avait apprises aujourd'hui afin
qu’il affina son programme.
Il chercha
ensuite sur le net s’il trouvait des traces de noctulescents dans la région.
Ces insectes étaient quasiment incontrôlables et si le comte en cachait un nid
dans sa propriété, cela avait dû laisser des traces. À moins que le professeur
Van Dyck n’eut effacé ces témoignages.
Gérald devrait
en informer les Veilleurs si cette information se vérifiait. On ne pouvait pas
laisser un tel nid aussi prêt d’une ville de cette taille, ce serait une
catastrophe.
Mais avant
tout il devait découvrir ce que son vieil ennemi manigançait.
Il ne quitta
son écran que lorsqu'il eut finit sa cafetière et quand ses yeux se fermèrent
tout seuls. Il n’avait pas de cours le lendemain et il pouvait se reposer.
Viviane
essayait de mettre en ordre ses idées après les révélations fracassantes de son
amant et père. Elle se sentait trahie, souillée. Elle décida qu’aux prochaines
vacances, elle irait chez ses parents et tenterait de connaître son passé et
d’en savoir plus sur sa mère biologique. Elle se déshabilla et alla prendre une
douche dans la salle d’eau palière. Pour la première fois, elle aperçut une
raie de lumière sous l’une des autres portes de son étage. Elle se retint
d’aller frapper, les règles édictées par le comte étaient claires, aucune
interaction avec les autres habitants du manoir sauf s’il le lui demandait
expressément. Elle prit rapidement une douche et regagna sa chambre enveloppée
dans sa serviette. Elle entendit des voix par l’escalier. Il semblait y avoir
du monde avec le professeur. Elle haussa les épaules et s'allongea sur son lit.
Elle
réfléchissait aux événements de ces dernières heures. Alors que tout semblait
aller merveilleusement bien, tout ou presque venait de s’écrouler. Il ne lui
restait plus que son travail.
Son amoureux
l’avait trahie et son amie était partie dans son monde avec un amant
mystérieux. Sa directrice fuyait et son logeur l’effrayait. De plus, il y avait
ces mystérieux insectes qui l’avaient frôlée lors de sa première visite au
manoir. Avait-elle été aussi changée par cette drogue ?
Gérald l’avait
rassurée pendant leur discussion dans la voiture puis lorsqu'il lui avait avoué
sa nature de Régénératrice mais elle était inquiète.
De toute
manière, elle ne vivrait pas assez longtemps pour le savoir. Elle mourrait en
mettant au monde la fille de Gérald. Elle se demandait si elle était enceinte
et se pourrait-il que lors de leurs rapports du week-end elle eût été fécondée
?
Elle ignorait
que par amour pour elle Gérald avait renoncé à son immortalité et avait réussi
à faire que la nouvelle vie qui se développait en son sein était un garçon.
Mais cela elle ne le découvrirait que dans quelques mois.
Les sbires de
Van Dyck avaient retrouvé Léonard assis sur le port, un paquet de canettes de
bière vides à ses pieds.
Ils n’eurent
aucun mal à le convaincre de les suivre ni de le ramener au manoir. C'étaient
les échos de la conversation entre les deux hommes que Viviane avait entendus
dans le couloir.
Le comte
expliquait à Léonard qu’il était là pour l’aider et qu’il lui offrait un
travail et un logement. Tout heureux de cet opportunité, Léonard accepta
d’autant plus facilement que le professeur lui avait annoncé que sa femme était
au manoir et qu’elle se reposait dans une chambre sous les toits.
— J’ai besoin
d’une personne pour m’aider à entretenir cette modeste demeure et je sais que
vous êtes le meilleur de la région. Votre réputation au lycée vous précède.
Croyez-moi ! De nombreux châtelains de la région sont désespérés de vos refus
successifs et de vos réponses défavorables à leurs propositions.
— Je sais
monsieur le comte ! Je ne vais pas feindre l’étonnement ou la fausse modestie
mais j’avais promis à Madame de Longueville de rester au service du lycée. Elle
m’avait aidé il y a quelques années quand j’avais fait quelques bêtises.
— Je ne vous
juge pas. Sachez-le, ici vous aurez la même liberté qu’au lycée pour
l’entretien des bâtiments et du jardin. Ainsi je pourrais me consacrer à ma
passion, les plantes rares et les jolies fleurs… Je ne vous demanderai qu’une
chose c'est d’accepter de participer avec votre épouse aux soirées que je donne
de temps en temps.
— Et ma femme
? Que va-t-elle faire ?
J’ai
l’intention de restaurer le lustre d’antan de cette maison. Et donc une
gouvernante me semble indispensable…
Léonard le
regardait, troublé et ému. Il avait tout perdu le matin et le soir même, il
retrouvait bien plus qu’il ne l’espérait.
— Ah,
j’oubliais ! Ces fleurs bleues que vous aviez trouvées dans les sous-sols du
lycée, sachez que je n’y suis pour rien. Des chenapans sont venus me voler quelques
plants d’une fleur un peu particulière en pensant s’amuser avec. Ils se sont
amusé mais pas comme ils le croyaient. Je pense que leurs copines les
maudissent maintenant…
— Je ne vous
ai jamais soupçonné, Monsieur. J’avais bien pensé que c'était l’œuvre de
vauriens. J’en surprenais régulièrement dans les recoins de lycée en train de
s’adonner à des jeux pas toujours très sages…
Le comte
sourit et invita son nouvel employé à rejoindre sa femme endormie à l’étage. Il
lui avait dit qu’ils pourraient occuper la maison qui se trouvait à l’entrée de
la propriété. Elle avait peut-être besoin d’un petit rafraîchissement mais elle
était habitable. Il prendrait en charge tous les frais nécessaires à sa
rénovation.
S’il avait
perdu Eléonore, il avait gagné ce couple et il avait perçu le retour de Viviane
dans sa chambre. Il savait aussi que Marie était définitivement sous l’emprise
de son démon. Tout s’annonçait merveilleusement bien.
Il retourna
s’installer dans son fauteuil face à la cheminée et ferma les yeux, même s’il
ne dormait plus vraiment.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire