mardi 22 décembre 2020

Le Manoir aux Fleurs -11- Chamboulements

 

 

Après son départ, effrayé et paniqué de l'appartement de son amante, Satiricon erra de longues heures dans la nuit. Il ne comprenait pas ce qui lui était arrivé. Il allait s'occuper de donner du plaisir à l'amie de Marie, la mystérieuse jeune locataire et protégée du comte.

Il sentait qu'elle était bien et il savait qu'elle allait bientôt être à sa merci, il voulut donc pousser son avantage. Ce fut à cet instant qu'il ressentit une brûlure intense sur sa langue et ses lèvres comme s'il avait embrassé une bouteille d'acide. Il ne comprenait pas. Devrait-il en parler au comte ? Il hésitait car celui-ci lui avait bien fait comprendre de rester éloigné de la jeune femme et qu'il se la réservait.

Ses errances le ramenèrent non loin de la maison de l'adolescente qu'il séduisait sous sa forme féline.

Il avait encore envie de posséder une femme. Son échec avec Marie et Viviane l’avait laissé frustré et insatisfait. Il prit la forme que la petite adorait et comme tout bon chat qui se respectait et se devait de le faire, il alla gratter à la fenêtre fermée.

Comme il s'y attendait, elle se leva de son lit et lui ouvrit. Aussitôt il bondit sur le lit et se roula en boule sur l'oreiller. Il sentait les effluves de la jeune fille qui devenait une femme. Sans aucun remord, il commença à jouer avec son esprit encore malléable. Il lui fit faire ce qu'elle avait déjà fait seule mais quand elle ferma les yeux sous l'emprise du plaisir, il mélangea dans son esprit le rêve et la réalité et il lui sembla que le chat devenait un homme si séduisant qu'elle accepta de lui livrer sans retenue, sa fleur la plus précieuse.

Transportée de bonheur, elle criait et gémissait de plaisir. Il s'était retiré et la regardait continuer de se caresser sous les draps. Il entendit du bruit dans la maison. Les parents alertés par les cris de leur fille venaient voir ce qui se passait. Reprenant sa forme féline, il se roula en boule au pied du lit.

— Encore ce satané chat pensa la mère. Ça va ma chérie ?

L'adolescente qui émergeait de son plaisir sourit les yeux brillants.

Elle ne pouvait pas répondre à sa mère car elle ne pouvait pas parler à ce moment-là. Ce qu’elle ressentait était ineffable. Cette émotion nouvelle de plénitude mêlée à la conscience de la fin irrévocable de son enfance. Elle avait vraiment aimé cette première fois qu’elle croyait avoir imaginée, rêvée.

Sa mère, le sourire aux lèvres, comprit ou crut comprendre ce que venait de faire sa fille.

— Tu viens de découvrir le plaisir que seules nous les femmes nous pouvons trouver entre nos cuisses, n'est-ce pas ma chérie ?

— Oh oui maman, c'était si bon…

— Je sais ma puce, mais la prochaine fois, essaie de faire moins de bruit. Tu as réveillé toute la maison.

Rouge de gêne, elle promit à sa mère de faire attention la prochaine fois.

Sa mère l'embrassa sur le front et retourna se coucher et rassurer son mari, tout en gardant le secret sur la découverte de l’éveil au plaisir et à la sexualité de sa fille.

De son côté, le gros chat ronronnait au bout du lit. En le regardant, elle sourit, elle savait que ce chat errant était le compagnon de sa fille depuis des années. Elle trouvait étrange qu’il ait survécu autant d’années mais après tout peut être qu’il avait une famille ailleurs et qu’il ne faisait que squatter le lit de sa fille. Elle se pencha pour le caresser et ressentit un trouble étrange dans son ventre. Elle embrassa sa fille et rejoignit son mari qui l’attendait.

Il comprit en voyant le sourire de sa femme que leurs suppositions en entendant les cris étaient vraies.

— Alors qui avait raison, notre fille s’amuse toute seule ?

— Oui tu avais raison, je le reconnais, ce n’est plus un bébé…

Elle s’allongea à côté de lui et le regarda avec envie. Elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Elle avait envie de lui faire l’amour.

Peu avant le lever du soleil, Satiricon s’étira et quitta la chambre de l’adolescente. Il rejoignit le comte qui était déjà dans sa serre à prendre soin de sa collection d’orchidées. Il venait de faire l'acquisition d’un plant de Drakaea glyptodon en provenance d’Australie. Il était penché dessus quand il entendit les pas félins s’approcher.

— Alors mon ami ! Quelles nouvelles de la ville ? Je sais que tu as passé la nuit en chasse. Ne me mens pas. On t’a vu errer dans les rues en quête de proie.

— Je crois mon Maître qu’il y a quelque chose de nouveau et d’étrange, je ne saurais pas le dire mais il se passe des choses que je ne comprends pas…

— Explique-toi !

Le comte fronça les sourcils, lui aussi avait repéré ces changements subtils dans l’atmosphère. Il pensait en connaître l’origine mais il n’en était pas certain.

— J’ai l’impression que le comportement de certaines femmes est étrange...

Ce n’est pas une impression. Je l’ai remarqué aussi et pour te rassurer sache que j’en suis l’instigateur. Tu vois ces bouquets de pandora qui attendent d’être déposés au monastère, ce sont eux la cause de ce changement chez les femmes que tu croises. J’ai demandé aux sœurs d’en brûler dans leur chapelle, les fumées se dispersent et diffusent le pouvoir de la pandora dans la ville. Bientôt tout sera prêt pour la Venue.

Satiricon sourit à cette évocation. Quand le Grand Maître sera là, lui et ses frères démons ne seront plus les larbins de cet homme. Ils pourront vivre leur vie comme bon leur semble et asservir les hommes et surtout les femmes à leur bon plaisir. Il fut soulagé de la réaction du professeur. Il avait craint que celui-ci ne posât trop de questions, mais certain de son pouvoir, il préférait croire que les anomalies dont parlait Satiricon étaient dû à ses agissements. Il ne lui parla donc pas de ce qu’il avait vécu avec Viviane. Il devait éloigner son humaine préférée car il ne voulait pas la perdre.

Retrouvant son ton autoritaire, Van Dyck s’adressa à son âme damnée.

— Satiricon, je veux que tu te rendes à cette adresse. Tu y trouveras une femme noire. Tu vas user de ton charme pour la convaincre de nous rejoindre au manoir.

— Oui Maître !

Il prit le morceau de papier qu’il lui tendait et sortit de la serre.

— Prends la voiture !

Le démon se dirigea vers le garage où il réveilla son collègue et ensemble ils allèrent à l’adresse indiquée. Ils se garèrent sur le parking de la résidence en se demandant comment ils reconnaîtraient la femme que le baron leur avait demandé de lui conduire.

À cette heure matinale, les résidents sortaient pour se rendre à leur travail. Plusieurs fois le complice de Satiricon lui indiqua une femme noire mais il savait que ce n’était pas la bonne. Soudain son instinct le poussa à sortir de la berline et de s'approcher d’une jeune femme élégante en boubou coloré.

— Excusez-moi ! Vous êtes bien Roseline Delval ?

— Oui ! Pourquoi ?

— Mon patron, une personne qui vous veut du bien, souhaiterait vous rencontrer.

— Mais je ne vous connais pas. Qui êtes-vous ?

La femme ne comprenait pas ce que lui voulait cet homme au teint pâle et aux cheveux blonds, sûrement un scandinave pensa-t-elle. Elle se préparait à passer son chemin pour se rendre au temple où comme tous les matins avant de partir à son travail, elle assistait à l’office.

— Oui bien sûr, je vais vous suivre…et comme malgré elle, elle accepta de monter dans la voiture en compagnie de cet homme.

Au lycée, c'était la folie. Les rumeurs les plus extravagantes courraient au sujet de la directrice. Les élèves racontaient entre eux que Mme de Longueville était une pute qui se faisait sauter dans son bureau. Les professeurs avaient du mal à calmer les lycéens qui voulaient en savoir plus et surtout avoir des détails croustillants. Quant aux parents, ils voulaient des explications.

Dans son bureau, elle ne savait que faire. Elle avait dit à Léonard de prendre sa journée. Elle ne voulait pas l’impliquer dans ce qui était en train d’arriver. Elle avait compris que le comte était derrière tout cela et qu’il se préparait quelque chose d’important. Elle savait qu’elle n’aurait pas la force de résister à la puissance accrue du professeur. Mais pour le moment, elle devait calmer l’hystérie qui se propageait dans son établissement. Elle se résolut à sortir de son bureau pour se rendre dans la salle des professeurs et informer ses collègues de la situation.

Un silence étouffant remplissait la salle quand elle y fit son entrée. Seul le son de ses talons claquant sur le sol résonnait. Tous la regardaient se diriger vers la petite estrade d’où elle avait l’habitude de faire ses petits discours.

— Chers collègues et amis, je ne vais pas vous mentir. Il s’agit bien de moi sur la vidéo qui circule actuellement sur les réseaux sociaux. Par respect pour l’homme qui est en train de me faire l'amour, je tairais son nom et je vous demande de ne pas chercher à savoir de qui il s’agit…

— Sachez qu’il n’est pour rien dans ce qui s’est passé et qu’il est une victime de mes vieux démons que je pensais avoir vaincus...

— Hier soir, sous l’emprise d’une substance hallucinogène, j’ai de nouveau cédé à la tentation…

— J’ai demandé à être placé en disponibilité de mon poste afin de me soigner…

— Je vais ranger mes affaires dans mon bureau et ce sera la secrétaire générale de l'établissement qui gèrera les affaires courantes en attendant la nomination d’un nouveau directeur.

Un brouhaha s’éleva parmi les enseignants et le personnel du lycée. Cette attitude ne ressemblait pas au comportement habituel d’Eléonore de Longueville. C’était une battante qui avait su hisser son établissement parmi les meilleurs du pays par sa force de caractère. Ils se regardèrent tous abasourdis même s’ils comprenaient que la situation était très embarrassante pour leur directrice qu’ils respectaient, son abandon sans combattre les laissaient perplexes. Ils remarquèrent à peine qu’elle avait quitté la pièce et que seul Gérald s’était levé pour la suivre.

— Élisabeth ! Attendez ! Ne partez pas comme cela…

Surprise par les appels du professeur de musique, elle se retourna et attendit qu’il arrive à sa hauteur.

— Je sais ce qui se passe et je peux vous aider lui dit-il en lui montrant sa chevalière. Nous avons le même ennemi et ensemble nous pouvons le vaincre.

La directrice sourit de la naïveté du jeune homme.

— Cela fait plus de trente ans que je cherche un moyen de le mettre hors d’état de nuire mais avec ce dernier tour, il m'a achevée… Et il va détruire cette ville. Ne sentez-vous ces effluves de luxure et de stupre ?

— Si bien sûr ! C'est pourquoi nous devons mettre fin rapidement à ses agissements. Très vite il sera trop tard.

— Non ! Je suis lasse de ce combat. Je n’ai plus la force de me battre. Je m’en vais…

Elle s’éloigna, le laissant là seul immobile au pieds de l’escalier qui montait au bureau directorial où elle s’enferma avant de s’effondrer en larmes.

Tout ce qu'elle avait patiemment bâti durant sa vie, sa carrière, sa vie, tout cela venait d’être détruit à cause d’un instant de faiblesse. Elle savait pourtant que les séquelles d’une exposition aux poussières émises par ces papillons étaient irréversibles. Elle avait cru pouvoir y échapper en se plongeant avec l’aide de Sylvie et Arthur dans les mystères de la Dame.

Elle leur avait promis de protéger sa ville natale des méfaits de comte mais elle venait d'échouer lamentablement.

Elle se mit à écrire le discours qu’elle avait tenu devant ses collègues et l’envoya aux représentants des parents d’élèves et à ses supérieurs.

Après quelques minutes à se lamenter sur son sort sa résolution fut prise. Elle allait quitter cette ville. Elle rejoindrait le fils d’un vieil ami en Afrique pour l’aider à tenir le dispensaire et le centre éducatif que sa famille avait créés à l’époque coloniale. Là-bas, elle serait loin du comte et du pollen de la Pandora qui ne pouvait pas pousser sous ce climat équatorial.

Après le discours de Madame de Longueville, les enseignants réussirent à reprendre en main les élèves. Ils purent assurer leurs cours même si certains enfin plutôt certaines lycéennes ne semblaient pas dans leur état normal et qu’elles aguichaient les garçons autours d'elles.

Léonard errait hagard dans les rues près du port. Dans le car qui l'emmenait au lycée, il avait reçu ce message laconique de sa chef “Pour votre bien, ne venez pas au lycée aujourd'hui, ne posez pas de questions. Obéissez”. Ce message le surprit car il connaissait bien la directrice. Cela faisait maintenant plus de dix ans qu’ils travaillaient ensemble. Il connaissait tous les secrets du lycée et elle ne lui aurait jamais demandé cela sans une raison sérieuse.

Il ne savait où aller car il se doutait de la raison de ce message. Il ne pouvait pas avouer cela à sa femme. Il finit par décider d’aller voir le pasteur et de lui expliquer sa situation. Peut-être que cet homme de Dieu trouverait une réponse à ses questions. Il approchait du temple quand il vit son épouse monter dans une étrange voiture noire. Il se mit à courir pour la rattraper, mais la voiture disparut au coin de la rue.

Ce fut à un homme abattu et dans le plus grand désespoir que la femme du pasteur ouvrit la porte. Elle eut beau tenter de le réconforter, avec du café et ses pâtisseries renommées dans le quartier, rien n’y fit.

Elle ne savait que faire pour soulager cet homme qui venait de perdre en quelques heures son travail et son épouse. Il se tenait la tête dans les mains, les coudes sur la table. Il sanglotait.

Elle vint derrière lui et lui posa les mains sur les épaules. Elle avait reçu de sa mère le don de soulager la mélancolie. Elle sentit un picotement étrange quand elle le toucha et une chaleur lui envahit le ventre. Effrayée, elle recula et hurla.

— Sortez d’ici, démon… Quittez cette maison, engeance du diable…

Elle avait attrapé un balai et menaçait de frapper le pauvre Léonard qui prit ses jambes à son cou et s’enfuit de cette demeure à toutes jambes.

Il ne comprenait plus rien.

Quand le pasteur rentra chez lui, de retour d’une visite chez une vieille femme à l’article de la mort, il vit Léonard courir hors de chez lui. Il constata l’état d’hystérie de son épouse et la serra dans ses bras pour tenter de la calmer.

— C'était le diable ! hurlait-elle en montrant la porte à son mari. C'était le diable !

Mais non, simplement Léonard, un fidèle voisin…

Alors qu’il la serrait contre lui, ses yeux croisèrent ceux de sa femme et il ne put résister à l’envie de lui prendre un fougueux baiser comme il n’en avait pas partagé depuis longtemps.

Les effets de la fleur de pandora avaient été transférés de Léonard au pasteur par l’intermédiaire de sa femme. Le baiser se transforma rapidement en un duel amoureux comme ils n'en avaient jamais connus tant ils respectaient les règles de leur religion qui considérait le plaisir physique comme une faiblesse.

Après avoir récupéré de leur plaisir, ils se rendirent compte horrifiés de ce qu’ils avaient fait. Après avoir pris une douche purificatrice l’un après l’autre et enfilé des vêtements de deuil, ils se rendirent au temple pour prier et faire pénitence.

Au manoir, le comte accueillit Roseline avec égard. Il lui expliqua qu’il avait demandé à ses employés d’aller la chercher pour la protéger des méfaits induits par Madame de Longueville. Il lui dressa un portrait assez peu flatteur de la directrice du lycée. En l’écoutant, elle n’en croyait pas ses oreilles et elle pensait qu’il lui mentait. Elle la connaissait un peu et la Madame de Longueville ne pouvait être la personne dépravée qu’il lui décrivait. Quand il lui montra la vidéo, elle crut que son cœur allait s’arrêter. Elle venait de reconnaître son mari.

— Vous voyez ?

— Ce n’est pas possible, ce n’est pas mon Léonard… Elle l’a envoûté.

— Croyez-vous au vaudou, Roseline ?

— Je ne devrais pas car ma religion me l’interdit mais mon enfance aux Antilles m’a appris à ne pas toujours rejeter le surnaturel et les croyances ancestrales.

Alors dites-vous que Madame de Longueville a envoûté votre mari.  Pardonnez-lui ! Il n’est pas responsable de ses actes.

— Mais il faut le retrouver, s’il a conscience de ce qu’il a fait, il doit être dans tous ses états.

— Ne vous inquiétez ma chère amie, j’ai envoyé mes hommes à sa recherche, mais ils ne l’ont pas trouvé au lycée. Il a disparu en ville, mais ne vous inquiétez pas on va le retrouver. Savez-vous où il pourrait se rendre ?

Roseline réfléchit un peu et lui dit que lorsqu’il avait envie de se retrouver seul, son mari avait l’habitude de se rendre sur le port et de marcher sur les quais pour voyager par procuration en regardant les cargos en escales, ou il se rendait alors chez le pasteur, s’il pensait avoir quelques choses à se faire pardonner.

Van Dyck demanda à Myriam de rester avec Roseline le temps que son mari revienne et de tout faire pour qu’elle fût à l’aise. Il lui fit un clin d’œil complice, la jeune servante comprit parfaitement le sens de ce geste.

Au lycée, la fin de la journée fut plus calme et lorsque la cloche sonna la fin des cours, Marie, Viviane et Gérald discutaient ensemble sur le parking. Ils essayaient de comprendre comment la directrice qui était pourtant initiée aux mystère de la Dame avait pu céder si facilement à la tentation.

— C’est le pollen de la pandora ! dit Viviane.

— Non, sa concentration dans l’air n’est pas encore assez importante même si certaines femmes plus sensibles que d’autres commencent à réagir. J’ai constaté quelques élèves qui avaient du mal à se contrôler aujourd'hui. Et je crains que cela n’empire mais nous en avons pour quelques mois avant que la situation devienne incontrôlable.

— Que pouvons-nous faire ?

— Alors pour Eléonore c’est quoi ? demanda Viviane.

Je ne sais pas ce que nous pouvons faire pour le moment. Je n’ai pas encore tous les éléments en ma possession mais je vais trouver… Et pour Eléonore, cela ressemble à une intoxication aux phéromones de noctulescents. Mais c’est surprenant car en théorie, il n’en existe plus dans notre monde.

Viviane regardait son amant sans comprendre de quoi il parlait et surtout comment il pouvait connaître tout cela. Elle n’avait jamais parlé de ses conversations avec Eléonore mais elle réalisait que ce qu’elle avait au départ pris pour des légendes se révélait de plus en plus concret.

Soudain, Satiricon surgit de nulle part devant eux et Marie lui sauta au cou. Gérald voulut dire à son amie de ne pas s’approcher de lui mais il était trop tard, les bouches des deux amants fusionnaient. Tout en embrassant Marie, Satiricon affronta Gérald du regard. Il reconnaissait maintenant cet homme.  Ce n’était pas possible, il ne pouvait pas être vivant, il l’avait battu et laissé pour mort il y avait près d’un siècle au près du tumulus de Vix !

Les deux hommes s’affrontèrent donc du regard en un combat bref mais violent. Mais cette fois-ci, Gérald ne fut pas pris au dépourvu par le démon et il envoya un uppercut psychique suivi d’un coup au ventre tout aussi psychique au démon qui recula en se tordant de douleur. Il entraîna avec lui Marie qui ne comprenait rien et ils sautèrent dans le bus qui passait devant le lycée.

Viviane restait silencieuse. Elle regardait son ami qui reprenait son souffle.

— Je l’ai battu pour cette fois-ci mais je crains que notre amie soit perdue à tout jamais.

— Il faut l’aider !

— Impossible, j’ai vu comment elle le regarde, elle est follement amoureuse de ce démon.

— Ce démon ? Viviane se rappelait de la soirée de la veille et de son sexe dans ses fesses et de sa langue entre ses cuisses.

— Je comprends tout s'exclama-t-elle.

— Que comprends-tu ?

Gérald la vit rougir et lui dit :

— Attends, tu me raconteras cela devant un repas. Je t’emmène au restaurant dans la forêt et tu me diras tout.

Elle lui sauta au coup ravie de cette invitation et ils prirent la route du restaurant.

— Dis-moi ! C’est quoi, ces noctulescents dont tu parlais avant l'arrivée de l’amant de Marie ?

Il lui expliqua ce qu’étaient ces scarabées bleus, qui pouvait passer pour des papillons. Ces insectes sécrètent des molécules particulières qui ont la faculté d’exacerber la libido des êtres humains et plus particulièrement des femmes. Le problème c’est qu’une personne exposée à ces phéromones voit son système nerveux modifié définitivement et devient rapidement une personne à la sexualité exacerbée voire incontrôlable. Cela ressemble beaucoup à Eléonore mais à sa connaissance, elle n’avait pas pu être exposée à ces insectes.

— Je crois que si, Gérald.

— Non ce n’est pas possible, il n’y a aucune de ces bestioles dans la région.

— Si, il y en a dans le parc du manoir. Eléonore m’a raconté que quand elle était adolescente, avec une de ces amies, elles avaient voulu affronter ce que les gens d’ici appellent la malédiction du manoir et qu’elles étaient tombées sur un nid de papillons bleus et qu’elles avaient ensuite passé une nuit de débauche ensemble.

— Alors ne cherchons pas plus loin… C’est cela. Son séjour chez Sylvie et Arthur lui a permis de contrôler sa libido mais la présence du pollen de pandora a rompu cet équilibre. Je comprends pourquoi elle fuit. Elle sait qu’elle n’a aucune chance de résister…

Ils finirent le trajet silencieusement et purent s’installer à la terrasse du restaurant comme la fois précédente. Gérald attendit que le serveur leur eut apporté les plats pour revenir à ce que Viviane voulait lui dire.

— C’est un peu compliqué… elle rougissait.

— N’aie pas peur, tu peux tout me dire… Nous ne sommes pas mariés même si nous sommes très proches.

De plus en plus rouge, elle lui raconta sa soirée avec Marie, les nombreux cocktails et la rencontre avec l’amant de Marie. Elle aurait voulu passer sous silence le moment ou Satiricon l’avait sodomisée avec son sexe, mais Gérald connaissait les particularités de ce démon et lui demanda si elle se souvenait comme elles étaient installées. Elle réalisa alors l’impossibilité logique de la position, elle et Marie étaient allongées sur le dos l’une à côté de l’autre et son amant la baisait avec ardeur mais elle se savait aussi prise par derrière. Elle était de plus en plus mal à l’aise mais ce fut le récit de la fuite incompréhensible du démon qui calma son excitation.

— Je pense que c’est normal qu’il ait hurlé et qu’il soit parti comme s’il avait le diable aux trousses. C’est parce que nous avons fait l’amour ensemble…

— Comment cela ? Explique-moi !

— C’est parce que ni toi, ni moi ne sommes des humains ordinaires…

— Je ne comprends pas que veux-tu dire ?

Si pour Viviane il fut difficile de confier à son amant le récit de sa soirée de débauche avec son amie et un démon, pour Gérald, ce fut encore plus dur de se lancer à expliquer qui il était et ce qu’elle représentait pour lui.

Plus il avançait dans son récit et plus Viviane était outrée et choquée.

— Voilà ! Tu sais tout.

La jeune femme tordit sa serviette dans ses mains à s’en faire blanchir les articulations. Elle se retenait d’exploser, mais l’éducation qu’elle avait reçu de ses parents adoptifs primait sur sa colère.

— Tu te sers de moi, de ma mère et ainsi de suite, juste pour ton propre bien être. Je croyais que tu m’aimais, mais en fait je ne suis qu’un objet qui te permettra de continuer à vivre… Raccompagne-moi de suite au manoir, je ne veux plus te voir…

Il se doutait que Viviane n'apprécierait pas de découvrir la vérité sur leur couple. Ce n'était pas facile d’accepter que l’homme qui l’aimait était à la fois son amant, son père, son grand père et ainsi de suite depuis plus de deux cent ans. Elle n’avait pas compris que ce n’était pas facile de savoir que la femme qu’il aimait mourrait le jour où elle mettrait au monde sa fille et qu’il était aussi très douloureux de ne pas pouvoir élever son enfant.

Il régla l'addition et raccompagne Viviane à la porte du manoir. Elle descendit sans un mot et entra dans propriété sans se retourner. Il attendit qu’elle eut disparu dans la nuit pour démarrer et rentrer chez lui.

Une nouvelle fois, il perdait celle qu’il aimait. Il ignorait s’il la reverrait. Même si physiquement elle ressemblait beaucoup à sa mère, elle n’avait pas du toute le même caractère, sûrement l’influence de sa famille adoptive.

Écartant la tristesse qui l’envahissait, il se mit sur son ordinateur et contacta un de ses jeunes amis, un informaticien qui lui avait fait un algorithme de traitement de données. Il lui donna les informations qu’il avait apprises aujourd'hui afin qu’il affina son programme.

Il chercha ensuite sur le net s’il trouvait des traces de noctulescents dans la région. Ces insectes étaient quasiment incontrôlables et si le comte en cachait un nid dans sa propriété, cela avait dû laisser des traces. À moins que le professeur Van Dyck n’eut effacé ces témoignages.

Gérald devrait en informer les Veilleurs si cette information se vérifiait. On ne pouvait pas laisser un tel nid aussi prêt d’une ville de cette taille, ce serait une catastrophe.

Mais avant tout il devait découvrir ce que son vieil ennemi manigançait.

Il ne quitta son écran que lorsqu'il eut finit sa cafetière et quand ses yeux se fermèrent tout seuls. Il n’avait pas de cours le lendemain et il pouvait se reposer.

Viviane essayait de mettre en ordre ses idées après les révélations fracassantes de son amant et père. Elle se sentait trahie, souillée. Elle décida qu’aux prochaines vacances, elle irait chez ses parents et tenterait de connaître son passé et d’en savoir plus sur sa mère biologique. Elle se déshabilla et alla prendre une douche dans la salle d’eau palière. Pour la première fois, elle aperçut une raie de lumière sous l’une des autres portes de son étage. Elle se retint d’aller frapper, les règles édictées par le comte étaient claires, aucune interaction avec les autres habitants du manoir sauf s’il le lui demandait expressément. Elle prit rapidement une douche et regagna sa chambre enveloppée dans sa serviette. Elle entendit des voix par l’escalier. Il semblait y avoir du monde avec le professeur. Elle haussa les épaules et s'allongea sur son lit.

Elle réfléchissait aux événements de ces dernières heures. Alors que tout semblait aller merveilleusement bien, tout ou presque venait de s’écrouler. Il ne lui restait plus que son travail.

Son amoureux l’avait trahie et son amie était partie dans son monde avec un amant mystérieux. Sa directrice fuyait et son logeur l’effrayait. De plus, il y avait ces mystérieux insectes qui l’avaient frôlée lors de sa première visite au manoir. Avait-elle été aussi changée par cette drogue ?

Gérald l’avait rassurée pendant leur discussion dans la voiture puis lorsqu'il lui avait avoué sa nature de Régénératrice mais elle était inquiète.

De toute manière, elle ne vivrait pas assez longtemps pour le savoir. Elle mourrait en mettant au monde la fille de Gérald. Elle se demandait si elle était enceinte et se pourrait-il que lors de leurs rapports du week-end elle eût été fécondée ?

Elle ignorait que par amour pour elle Gérald avait renoncé à son immortalité et avait réussi à faire que la nouvelle vie qui se développait en son sein était un garçon. Mais cela elle ne le découvrirait que dans quelques mois.

Les sbires de Van Dyck avaient retrouvé Léonard assis sur le port, un paquet de canettes de bière vides à ses pieds.

Ils n’eurent aucun mal à le convaincre de les suivre ni de le ramener au manoir. C'étaient les échos de la conversation entre les deux hommes que Viviane avait entendus dans le couloir.

Le comte expliquait à Léonard qu’il était là pour l’aider et qu’il lui offrait un travail et un logement. Tout heureux de cet opportunité, Léonard accepta d’autant plus facilement que le professeur lui avait annoncé que sa femme était au manoir et qu’elle se reposait dans une chambre sous les toits.

— J’ai besoin d’une personne pour m’aider à entretenir cette modeste demeure et je sais que vous êtes le meilleur de la région. Votre réputation au lycée vous précède. Croyez-moi ! De nombreux châtelains de la région sont désespérés de vos refus successifs et de vos réponses défavorables à leurs propositions.

— Je sais monsieur le comte ! Je ne vais pas feindre l’étonnement ou la fausse modestie mais j’avais promis à Madame de Longueville de rester au service du lycée. Elle m’avait aidé il y a quelques années quand j’avais fait quelques bêtises.

— Je ne vous juge pas. Sachez-le, ici vous aurez la même liberté qu’au lycée pour l’entretien des bâtiments et du jardin. Ainsi je pourrais me consacrer à ma passion, les plantes rares et les jolies fleurs… Je ne vous demanderai qu’une chose c'est d’accepter de participer avec votre épouse aux soirées que je donne de temps en temps.

— Et ma femme ? Que va-t-elle faire ?

J’ai l’intention de restaurer le lustre d’antan de cette maison. Et donc une gouvernante me semble indispensable…

Léonard le regardait, troublé et ému. Il avait tout perdu le matin et le soir même, il retrouvait bien plus qu’il ne l’espérait.

— Ah, j’oubliais ! Ces fleurs bleues que vous aviez trouvées dans les sous-sols du lycée, sachez que je n’y suis pour rien. Des chenapans sont venus me voler quelques plants d’une fleur un peu particulière en pensant s’amuser avec. Ils se sont amusé mais pas comme ils le croyaient. Je pense que leurs copines les maudissent maintenant…

— Je ne vous ai jamais soupçonné, Monsieur. J’avais bien pensé que c'était l’œuvre de vauriens. J’en surprenais régulièrement dans les recoins de lycée en train de s’adonner à des jeux pas toujours très sages…

Le comte sourit et invita son nouvel employé à rejoindre sa femme endormie à l’étage. Il lui avait dit qu’ils pourraient occuper la maison qui se trouvait à l’entrée de la propriété. Elle avait peut-être besoin d’un petit rafraîchissement mais elle était habitable. Il prendrait en charge tous les frais nécessaires à sa rénovation.

S’il avait perdu Eléonore, il avait gagné ce couple et il avait perçu le retour de Viviane dans sa chambre. Il savait aussi que Marie était définitivement sous l’emprise de son démon. Tout s’annonçait merveilleusement bien.

Il retourna s’installer dans son fauteuil face à la cheminée et ferma les yeux, même s’il ne dormait plus vraiment.

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