Les jours suivants, le lycée avait retrouvé sa sérénité même si les enseignants surprenaient plus souvent qu’à l’habitude des couples enlacés et les menaces d’exclusion temporaire n’y changeaient rien.
Viviane ignorait Gérald qui refusait avec tact les tentatives d’approche de certaines de ses jeunes collègues. Marie arrivait le matin avec des valises sous les yeux qui ne laissaient aucun doute sur ses activités nocturnes avec son amant.
Au manoir, Léonard et Roseline s'était vite acclimatés à leur nouvelle vie. Léonard découvrait avec plaisir les secrets des bâtiments et se pâmait d'extase devant les appareils et les aménagements d'un autre temps qu'il avait à entretenir. Il pouvait donner toute la mesure de son génie manuel. Et de son côté, Roseline apprenait la gestion d'une grande maison et plongeait avec délices dans les archives mises à sa disposition par le comte pour faire retrouver aux salles et salons leur lustre d'antan. Elle menait à la baguette les ouvriers chargés de la décoration ainsi qu'Elsa et Myriam, les deux jeunes servantes du comte. Le soir, épuisés et ravis, ils se retrouvaient dans la petite maison du parc et commençaient à parler d'avoir un bébé à la fin de leurs joutes amoureuses. Conquise par l'atmosphère libérale du manoir, Roseline en avait oublié les préceptes rigoristes de la religion du pasteur et s'ouvrait au plaisir que lui offrait son mari.
Tous les jours, Viviane passait du temps à s’informer sur les Régénératrices, mais sans succès. Elle hésitait à aller demander au comte plus de renseignement. Elle craignait que lui aussi voulût abuser d’elle et de son pouvoir.
Elle s’acquittait de son rôle de coursier en fleurs auprès des sœurs pandorines. Un matin alors qu’elle frappait à la petite porte du monastère, la sœur portière la convia à entrer.
— Notre mère supérieure souhaiterait rencontrer la messagère.
Ravie d’être autoriser à entrer dans le bâtiment le plus mystérieux de la ville, elle suivit la religieuse dans le dédale de couloirs de ce bâtiment gothique.
Seuls les talons de Viviane claquaient sur le sol. La religieuse marchait sans bruit, elle semblait flotter ou glisser sur le sol. Quand elles furent devant une lourde porte en bois massif, elle frappa et attendit l’autorisation d’entrer.
— Ma mère ! Je vous présente la messagère.
Puis sans dire un mot de plus et sans attendre la réponse de la femme qui lisait un vieil ouvrage à son bureau, elle s’inclina et se retira toujours aussi silencieuse. Elle referma la porte laissant Viviane seule avec cette femme d’un âge indéfinissable vêtue d’une longue robe écrue, près du corps mais avec de fines bretelles dévoilant ses épaules.
Viviane ne savait pas comment se comporter face à cette femme.
— N’ayez pas peur ma fille, je vous remercie pour ce que vous faites pour nous.
— Je ne fais qu'obéir aux demandes de Monsieur le comte pour le remercier de m’héberger, ma mère.
— Ne m’appelez pas "Ma Mère", tu n’as pas prononcé tes vœux du moins pas encore… Approche jeune femme, que je te vois mieux.
En s’approchant, Viviane se rendit compte que la religieuse était aveugle, mais comment pouvait-elle lire ce grimoire ? Quand elle fut à côté de la femme, celle-ci tendit les mains vers son visage. Elle la laissa lui caresser les joues, le nez, les yeux, les cheveux puis les lèvres.
— Tu as un joli visage et des lèvres qui doivent plaire à tes amoureux.
Viviane était troublée, il lui semblait sentir des picotements quand les doigts de la sœur lui touchaient la peau.
— Laisse-moi te découvrir davantage, cela fait longtemps que je n’ai pas découvert une femme aussi jeune que toi.
Viviane ne comprenait pas. La sœur qui l’avait menée ici devait à peine avoir la trentaine.
— Je comprends ton trouble ma petite, mais tout ne semble pas être ce qu’il y paraît. Sais-tu depuis combien de temps je suis, ici, dans ce couvent ?
— Non Madame…
— J’ai rencontré ton aïeule bien avant qu’elle ne sache ce qu’elle était et avant qu’elle engendre ta lignée.
— Vous savez qui je suis ? Enfin surtout ce que je suis ?
— Oh oui ! Mes doigts ne me trompent jamais… mais déshabille-toi petite…
La femme attendait. Viviane retira son blouson puis ouvrit son chemisier qu’elle posa sur une chaise. En retirant ses chaussures elle craignit d’avoir froid sur le sol en pierre mais fut surprise par sa tiédeur.
— Oui ! Ce monastère fut construit avec le savoir des Romains et quand les bourgeois de la cité se gelaient dans leurs grandes maisons, nous étions au chaud.
Viviane n’était pas rassurée, cette femme semblait lire ses pensées. Elle attendait maintenant en sous-vêtements.
— Tu n’es pas encore nue… je le sais…
Gênée, elle finit de se dévêtir et frissonna nue et exposée à l’étrange regard de cette femme.
Celle-ci retira sa robe et vint se mettre devant Viviane.
— Laisse-toi faire ! N’aie pas peur.
Elle posa ses mains sur les hanches de la jeune femme et approcha son visage comme pour chercher un baiser.
Viviane traversée de frissons ne se déroba pas et accepta l’étreinte de la supérieure. Décidément pour des religieuses elles étaient bien surprenantes. Elle sut alors que la femme qui l’enlaçait pouvait lire dans ses pensées car elle lui dit.
— Nous ne sommes pas des religieuses chrétiennes, nous n’avons pas fait vœux de chasteté. Les hommes sont autorisés dans cette enceinte sacrée mais pas l’amour. Le dieu ou plutôt la déesse que nous honorons a été oubliée par les hommes. Nous sommes les dernières sur cette Terre à la vénérer et bientôt, elle nous rejoindra en compagnie de son époux, le Grand Maître et toi tu vas jouer un rôle important dans cette Venue.
Viviane ne comprenait pas comment elle aurait pu jouer un rôle.
L’attitude de la supérieure de ce couvent la troublait. Elle semblait en savoir beaucoup sur elle et sur ce qu’elle était et elle comptait bien profiter de l’occasion pour en découvrir plus.
Viviane sortit radieuse du monastère, elle en avait presque oublié Gérald et sa perversion. Elle ne vit pas l’ombre discrète qui l’observait mais ce fut la première fois qu’après avoir déposé les fleurs, elle ne ressentait pas le besoin de se soulager dans ce parc, cachée dans le bosquet où elle avait pris l’habitude de le faire.
Quand elle arriva au lycée, détendue, elle fut surprise de ne pas trouver Marie dans la salle des professeurs. Ce fut une des collègues de Marie, professeur d’histoire, qui lui annonça que son amie ne viendrait pas. Elle avait envoyé un message disant qu’elle était hospitalisée. Elle essaya de la joindre mais comme elle s’y attendait, elle tomba sur le répondeur. Elle se promit de faire un tour dans l’appartement de Marie après ses cours. Elle en saurait sûrement un peu plus.
— Viviane écoute moi, c'est important…
Gérald tentait de lui parler, elle l’ignorance avec superbe mais il insista.
— Laisse-moi ! Je ne veux plus avoir affaire à toi.
— Je t’ai vue ce matin… sortir du monastère… Je sais ce que tu fais, je te demande d’arrêter, je t'en supplie…
Viviane haussa les épaules et s’éloigna sans regarder son ancien amant.
À la fin de la journée, elle se rendit chez Marie. Elle entra et appela son amie. L’appartement était vide. Elle en profita pour fouiller le bureau de Marie, à la recherche du journal intime de son amie. Elle y trouverait peut-être quelque chose. L'appartement était dans un désordre incroyable, cela ne ressemblait pas à son amie. Il y avait de la vaisselle sale dans l’évier, des restes de repas traînaient sur la table du salon et un peu partout elle trouvait des vêtements oubliés sur le sol. Le bureau ne semblait pas avoir servi depuis des jours, elle ouvrit les tiroirs mais ne trouva rien d’intéressant. Elle passa dans la chambre et fut horrifiée par ce qu’elle y vit. C'était pire qu’une caricature de chambre d’homme célibataire endurci. Elle ne savait par où commencer. Il n’y avait rien dans l’armoire. Elle regarda dans les tiroirs de la commode et, sous les sous-vêtements de Marie, elle trouva ce qu’elle cherchait : un petit carnet à la couverture de cuir rouge. Elle le feuilleta rapidement avant de le glisser dans son sac et de rejoindre sa petite chambre au manoir. Elle n’en savait pas plus sur la disparition de son amie mais le peu qu’elle avait découvert dans carnet lui laissait à penser qu’elle aurait des informations sur l’étrange relation entre Marie et son démon.
En arrivant au manoir, elle vit une enveloppe devant sa porte. Elle reconnaissait la marque de son hôte. Elle se pencha pour ramasser l’enveloppe tandis que deux yeux félins épiaient ses gestes et se régalaient de cette croupe penchée moulée par le pantalon de toile.
Depuis que leur maître était obnubilé par sa cérémonie, les démons de sentaient plus libres et prenaient des libertés avec les règles. Quand elle ouvrit l’enveloppe et découvrit le message du professeur, elle partit dans une colère monstre.
— Encore un homme qui veut profiter de moi… pensa-t-elle en jetant l’enveloppe à l’autre bout de la pièce.
“Chère Viviane,
Je vous prie de bien vouloir être présente à la soirée que je donnerai samedi soir.
Pour cette occasion, vous porterez cette robe en organza rouge qui se trouvait dans le dressing à votre arrivée. Je sais que vous l’avez déjà portée et comme vous avez pu le constater, elle se porte sans le moindre dessous.
Vous trouverez les chaussures assorties à cette robe dès que vous m’aurez donné votre pointure.
N’oubliez pas les termes de votre contrat de location.
Comte Wilhelm Van Dyck”
Elle se souvenait de l’essai et de la rêverie qu’elle avait eu en passante ce robe. Elle en aurait rougi même si depuis elle n’avait vécu d’autres aventures bien plus folles.
Elle ne pouvait se soustraire à cette invitation car elle avait accepté le fait de répondre aux demandes du professeur.
Elle se dit que cela aurait pu être pire. Il ne lui demandait que de porter une robe et pas de participer activement à la soirée. Elle avait déjà entendu des gémissements et des cris en provenance des étages inférieurs lors de soirées qu’elle supposait similaires à celle à laquelle elle venait d’être conviée.
Toute à sa colère elle ne fit pas attention à la forme orangée qui venait de se glisser dans sa chambre.
Elle décida de se calmer et de se détendre après cette journée riche en émotions en allant prendre une douche. Elle regarderait le journal de Marie en mangeant.
Elle se déshabilla et sortit sur le palier, enveloppée dans sa serviette. La pièce où elle avait vu de la lumière l’autre soir était de nouveau vide. Sûrement un invité éphémère pensa-t-elle. Sous le jet de la douche, elle se délassa et évacua les tensions de la journée. Elle repensait à la supérieure de couvent et à l'envoûtante caresse qu’elle lui avait prodiguée, à cet affrontement bref mais intense avec Gérald et enfin à l'inquiétude qu’elle ressentait pour son amie. Ses pensées se portaient aussi sur cette convocation du comte à cette soirée. Elle avait lieu lors de ce week-end prolongé pendant lequel une lointaine cousine du côté de sa mère adoptive l’avait invitée à venir découvrir la maison dont elle avait hérité. Viviane se souvenait de leurs jeux d’enfants et cela lui semblait dater d’une autre vie. Elle lui répondrait par la négative en lui promettant de se rendre disponible une prochaine fois.
Elle se retint de l’envie qui la prenait de se caresser et sortit de la salle d’eau pour rejoindre sa chambre pour dîner.
Tout en mangeant, elle parcourait Le journal de Marie. Elle découvrit que son amie avait croisé le chemin de Satiricon peu de temps après son arrivée dans la ville. Elle parcourait les vieilles ruelles chargées d’histoire et il l’avait abordée alors qu’elle regardait les étranges gargouilles qui entouraient la chapelle du couvent des pandorines. Il repéra son intérêt pour ces vieilles pierres et lui en expliqua l’origine et leurs symboliques mystiques.
Elle ne le savait pas à l'époque, mais il avait usé de son charme pour la séduire Et ils finirent la nuit ensemble, enlacés après une joute amoureuse sans vainqueur. Cette soirée avait réconcilié Marie avec les hommes.
Plus elle avançait dans sa lecture et plus elle réalisait que son amie avait été envoûtée par ce démon, mais elle semblait s’être abandonnée à lui volontairement. À aucun moment, elle ne mentionnait de doute sur sa volonté de lui appartenir, même quand il lui révéla sa vraie nature. Au contraire cela renforça l’amour qu’elle lui portait et le sentiment de perte quand il disparaissait pendant de longs mois. Elle sourit quand elle lut le portrait que Marie avait dressé d’elle. Il était si juste mais elle fut subitement très jalouse quand elle découvrit celui de Gérald.
À cet instant, elle comprit qu’elle avait vraiment des sentiments pour cet homme qui lui avait menti.
Fatiguée, elle allait s'allonger sur son lit pour continuer sa lecture quand elle vit le gros chat roulé en boule sur son oreiller. Elle se préparait à le chasser quand elle se dit que c'était peut-être seulement un animal qui était venu se mettre à l’abri de la bruine qui tombait sur la ville.
— Comment es-tu rentré ? Bah ! Ce n'est pas grave, tu me vas me tenir compagnie ce soir.
Elle s’installa sur son lit et repris sa lecture. Marie avait consigné ses impressions, ses états d'âmes mais aussi ses réflexions sur la nature de son amant et du comte.
Elle ignorait ce qu’il projetait mais elle se doutait que cela risquait d’avoir un impact important sur la vie de nombreuses personnes et de la ville.
Malgré l’intérêt qu’elle portait au journal, Viviane ne put s’empêcher de fermer les yeux et de s’envoler dans un rêve qui lui semblait si réel.
Le chat roulé en boule à ses pieds se déplia et elle vit une jeune femme à la chevelure rousse lui sourire. Elle était allongée au-dessus d’elle et se penchait pour l’embrasser. Viviane offrit ses lèvres en fermant les yeux.
Les baisers de cette femme étaient doux. Elle se laissait aller. Elle l’aidait même à retirer son t-shirt pour lui permettre de poser ses lèvres sur la peau nue de son corps. Sa poitrine attendait avec impatience d’être caressée, câlinée. Les deux femmes ronronnaient de bien-être. Viviane lui caressait les cheveux, et elle guidait cette bouche qui savait explorer chaque recoin de sa peau pour en extraire le désir.
Quand la langue explora son nombril, elle tendit son bassin en avant pour l’inviter à venir découvrir le reste de son corps.
Elle ne se fit pas prier et Viviane sentit le souffle chaud de la respiration de son amante. Elle écarta les cuisses pour s’offrir à cette caresse qui s’annonçait si voluptueuse.
Quand la femme-chat approcha encore plus son visage, elle se releva d’un bond et hurla en disparaissant dans un nuage de poussière orangée.
Viviane sortit de sa torpeur stupéfaite. Ce n’était pas un rêve, un démon, enfin pour cette fois ci une démone, séide du comte était entrée dans sa chambre et avait tenté de la subjuguer. Elle ne comprenait pas pourquoi comme lors de cette soirée de débauche avec Marie et Satiricon, le démon s’était enfui en hurlant alors qu’elle voulait lui offrir de plaisir.
Elle se demanda si elle devait en parler au professeur. Une petite voix en elle la poussait à n’en rien faire et de demander plutôt à Gérald.
L’esprit torturé par ces questions, elle eut du mal à trouver le sommeil.
Dans son bureau, le comte finalisait avec Léonard les détails pratiques de la soirée à venir. Il avait accepté d’y participer avec son épouse. Marie et Satiricon seraient aussi présents même si la jeune femme n’était plus qu’un corps décharné contenant un esprit captif de ses pulsions. Ses deux servantes seraient là, ainsi que la grande prêtresse du monastère. Pour l’équilibre entre les hommes et les femmes, son ami le baron de Montparcy serait présent avec son majordome et même si ceux-ci n'étaient pas instruits dans les mystères de la Dame, leur présence seule suffirait à la tenue de cette cérémonie.
La jeune Viviane serait le point focal de cette soirée qui devrait se dérouler dans la chapelle du monastère. À l'issue de cette cérémonie, l’esprit du Grand Maître serait attiré par la Régénératrice avec laquelle il s’accouplerait.
Il en résulterait la conception d’un enfant qui pourrait accueillir l’esprit démoniaque lorsque le comte serait en possession de l’objet que Keireen était partie chercher.
Si tout se passait bien, lors de l’équinoxe de printemps, l'équilibre instauré par la Dame serait rompu, et il deviendrait le nouveau Maître au sanctuaire du temps.
Ce fut avec un sourire jubilatoire aux lèvres qu’il demanda à Elsa de le rejoindre dans sa chambre et de s'acquitter de son devoir envers lui. Il n’avait pas encore épuisé son potentiel énergétique, mais il savait qu’à l’issue de la cérémonie, il devrait les remplacer, Myriam et elle. Keireen serait déçue mais c'était comme cela.
Les jours qui précédèrent cette soirée, Viviane fut sollicitée quotidiennement pour déposer des brassées de pandora au monastère. La sœur portière l’invitait à rejoindre la supérieure dans ses appartements et invariablement, cela finissait par une joute amoureuse dont Viviane sortait épuisée.
Gérald se rendait compte de la dégradation de l’état de sa collègue, mais elle refusait de l’écouter.
Il avait remarqué une augmentation de l’activité des démons et il se doutait que son vieil ennemi préparait quelque chose d’important. S’il pouvait retrouver la confiance de Viviane, il en saurait plus, mais elle l'ignorait et évitait de le croiser dans les couloirs du lycée et le soir, Elle rentrait directement dans sa petite chambre. Il ne voulait pas la bousculer mais il se rendait compte qu’elle semblait déjà de plus en plus fatiguée et que s’il n’intervenait pas, la grossesse dont elle n’avait pas encore conscience se terminerait mal. Ce soir-là, il décida de la suivre afin de découvrir ce que tramait le comte et de lui donner des informations plus complètes sur ce qu’elle était.
Avec sa voiture, il suivit discrètement le bus et sans vraiment de surprise, il arriva au manoir.
Quand la nuit fut tombée, il profita de la brèche dans le mur d’enceinte pour s’introduire dans la propriété.
Il traversa sans encombres le petit bois qui séparait la clôture de l’espace ouvert recouvert de pelouse qui entourait le manoir proprement dit. Il avait repéré que la maison du gardien jusqu’alors fermée était maintenant habitée. Le comte devait avoir des invités. Il ne soupçonnait pas que Léonard et son épouse puissent avoir emménagé dans ce lieu si loin de leur philosophie de vie. Il observa le manoir quelques minutes et lança une invocation pour passer inaperçu. Il espérait que si proche du centre du pouvoir de son adversaire cela serait suffisant. Il progressa lentement mais prudemment, prêt à faire demi-tour en cas d’alerte. Il arriva par la petite porte de service qui donnait sur l’office et l’escalier qui montait à la chambre de Viviane.
Par chance, elle n’était pas fermée. Il entra en silence et vit dans l’office Roseline en train de donner des directives à deux jeunes femmes au teint blafard et dont la chevelure commençait à blanchir. Ce détail confirma ce qu’il avait longtemps supposé. Le comte vampirisait ses compagnes. Plus il vieillissait plus il avait besoin de se régénérer. Il ne savait quel processus entre celui qui lui permettait de ne pas vieillir et celui utiliser par le comte était le moins inhumain pour leurs victimes. Les trois femmes étaient en train de broder des motifs sur des tenues de cérémonies.
— Ainsi c’est donc cela ! Le comte veut procéder à une cérémonie rituelle ! Mais laquelle ?
Il grava dans sa mémoire les motifs en cours de broderie et il chercherait dans ses archives. Cela lui donnerait peut-être des indices.
Il passa rapidement devant la porte, aucune des couturières ne leva les yeux et il grimpa l’escalier de service. La chambre de Viviane se trouvait sous le toit. Il espérait (qu’une) qu’aucune des créatures démoniaques ne rodait dans les parages. Arrivé sur le palier, il s’approcha de la porte de la chambre et allait frapper quand Viviane sortit enveloppée dans sa serviette pour se rendre dans la salle d’eau.
— Toi ? Que fais-tu ici ?
— Je me fais du souci pour toi. Tu refuses de me parler au lycée alors j’ai décidé de venir te parler ici.
— Je suis grande, tu n’as pas à t’inquiéter pour moi. Et après ce que tu m’as fait, je te le répète, je ne veux plus te voir.
— Viviane écoute ! Je sais qu’apprendre ce que tu es et ce que je t’ai fait tout au long des derniers siècles n’est pas facile à accepter mais j’aimerais que tu lises ce document. Promets-moi de le lire et ensuite tu feras ce que tu voudras. Prends-le et je m’en vais.
Viviane n’aurait eu qu’à appeler pour signaler la présence de Gérald dans le manoir et aussitôt les démons se seraient jetés sur lui. Cependant, elle n’en fit rien et prit l’ouvrage que lui tendait son amant. Il la remercia et s’éclipsa aussi furtivement qu’il était arrivé. Il laissa malgré tout un petit mouchard dans le couloir afin d’être informé des allées et venues autour de sa belle. Il ignorait cependant si celui-ci fonctionnerait, la magie du comte était vraiment puissante. Il rentra chez lui en espérant que Viviane lirait le vieux manuscrit. Il y avait joint un pendentif que lui avait donné la bohémienne autrefois et il savait que ce pendentif protégeait des démons. Il ne savait pas que le bébé qu’elle portait les faisait fuir dans d’atroces souffrances.
Courroucée par la visite de son ancien amant, Viviane prit le livre et le posa dans un coin de son bureau. Elle ne savait si elle le lirait. Ce soir-là comme tous les soirs depuis la visite inopportune du démon-félin, elle vérifia qu’elle était seule dans sa chambre. La soirée était prévue pour le lendemain soir. Elle eut du mal à s’endormir. Elle se demandait vraiment ce que le comte avait prévu, il lui avait dit qu’ils seraient cinq couples plus elle. Elle devinait que parmi les couples, il y aurait le comte, Léonard et sa femme, Satiricon et Marie qui n’étaient toujours pas réapparue, mais elle se demandait qui seraient les autres protagonistes.
Elle en eut la réponse quand le lendemain dans l’après-midi une voiture se gara dans la cour du manoir alors qu’elle corrigeait des copies dans sa chambre. Curieuse, elle regarda qui en sortait, et vit apparaître un homme qui semblait un peu plus jeune que son logeur et son chauffeur, un homme noir d’une carrure impressionnante. Il lui sembla qu’il la regardait quand il tourna les yeux dans sa direction mais elle n’en fut pas sûre.
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