vendredi 18 septembre 2020

Fantômes -01- Une porte s'ouvre

 

Les deux amants sortirent de l'autoroute pour s'engager sur les routes secondaires en direction du village où se trouvait la maison léguée à Elisabeth par une grand-tante qui n'avait jamais eu d'enfants. Cette bâtisse était la propriété de la famille d'Elisabeth depuis des siècles et bien des générations.

— Le GPS indique encore une bonne heure de route, lança Paul à sa compagne. Veux-tu que nous nous arrêtions pour déjeuner dans le prochain village car ensuite je ne sais pas ce que nous trouverons. Nous allons traverser un coin quasi inhabité.

— Oui je sais ! répondit la jeune femme en riant, ma famille a toujours eu un faible pour les lieux insolites et a toujours détesté le monde. De vrais misanthropes...

— Le notaire nous avait dit que la maison était dans un coin perdu mais là c'est pire que tout...

— Tu ne vas pas te plaindre, sans cet héritage, nous n'aurions jamais pu nous offrir une telle demeure. Arrête de râler !...

— Attendons de voir l'état de la maison. Elle est inhabitée depuis une quinzaine d’années, ça va être le royaume des araignées.

— Tu es encore en train de râler ! Tiens ! Regarde cette place, il y a un resto avec une terrasse sous les platanes ! Arrêtons-nous là pour manger.

Grommelant dans sa barbe, Paul gara la voiture à l'ombre des platanes séculaires et les deux jeunes gens sortirent du véhicule climatisé pour se retrouver dans la chaleur à peine atténuée par un léger souffle d'air. Main dans la main, ils se dirigeaient vers le restaurant qu'ils avaient repéré et s'installèrent à la terrasse.

Un serveur d'un âge avancé vint leur proposer la carte et les conseilla sur les spécialités régionales préparées par la maison.

— Pourquoi pas ! dit Paul. Puisque nous serons peut-être amenés à revenir souvent autant découvrir les spécialités locales.

Ils choisirent donc leur menu en fonction de leurs goûts et des conseils du serveur qui engagea en même temps la discussion sur les raisons de leur visite dans cette région assez éloignée des zones touristiques. Elisabeth lui expliqua alors qu'elle venait d'hériter, de son arrière-grand-tante, d'une maison située dans un hameau perdu au fond d'un vallon étroit.

Le serveur la regarda avec étonnement.

— Vous êtes l'héritière de la bâtisse de Janis ? Je la connaissais bien, dit-il avec un air nostalgique. Mais on continue à raconter qu'elle est hantée ! Certains disent que le soir, on entend des gémissements et des cris qui proviennent de la maison. Mais personne n'a encore osé s'y aventurer de plus près. Dans la région, cette maison fait peur.

Elisabeth s'esclaffa de rire devant la mine déconfite du serveur.

— Vous ne devriez pas rire mademoiselle, ici, nous croyons aux fantômes...

— Nous irons le constater par nous-mêmes, déclara Paul, sûr de lui et convaincu que les gens devaient être effrayés par des bruits ou des lumières inexpliquées dans une vieille demeure.

— Soyez prudents ! leur souffla-t-il.

Les deux amoureux finirent de manger tranquillement en s'amusant de cette superstition.

La vieille tante n'est pas morte dans cette maison, ce ne peut pas être son fantôme qui y rode. En tout cas j'espère que nous n'y arriverons pas trop tard, j'aimerai dépoussiérer et aérer un peu la chambre pour que nous puissions malgré tout dormir entre quatre murs et ne pas avoir à planter la tente dans le jardin.

Une fois leur café bu, ils remercièrent le serveur pour son accueil et reprirent la route vers la maison.

Paul posa alors à sa compagne une question qui lui trottait dans la tête depuis qu'il avait vu le notaire.

— Comment se fait-il que cette maison se soit toujours transmis de mère en fille ? On ne voit aucun homme en hériter.

— C'est une particularité de la famille : mes ancêtres n'ont pratiquement eu que des filles et quand il y a eu des garçons, ils sont tous mort avant d'hériter de la propriété, comme mon arrière grand-oncle Pierre et ils n'ont même jamais eu d'enfants…

— C'est bizarre…

— Ce qui est encore plus bizarre, c'est qu’il n'y a quasiment eu que des filles uniques. Les sœurs sont très rares et quand il y en a, ce sont des jumelles, comme Janis et ma grand-mère… et là encore, seule une des jumelles à une fille…

— Ta famille est vraiment bizarre…

— Oui ! Je sais, dit-elle en rigolant. Tiens, c'est là sur la droite vers le plateau…

Paul bifurqua sur une route étroite et sinueuse. Après une longue montée, ils débouchèrent sur un plateau désertique recouvert d'une végétation éparse ou paissaient quelques troupeaux de moutons. Au bout de longues minutes silencieuses, alors que Paul était concentré sur sa conduite et Elisabeth plongée dans ses pensées sur la manière de réaménager la maison pour en faire un endroit douillet et confortable, ils aperçurent enfin la bastide, blottie dans un vallon resserré non loin d'un ruisseau. Une énorme demeure de pierres sèches sur deux niveaux avec un toit de tuiles à la romaine. Il leur fallut encore descendre par un chemin empierré à peine plus large que leur voiture de location.

— Dans mon souvenir, elle ne semblait pas si énorme et isolée, dit-elle. Mais je me souviens très bien de ce ruisseau qui serpente pas loin de la maison. Mais la végétation ne me semblait pas si touffue.

— Cela fait plus de dix ans qu'elle n'est plus habitée régulièrement. Ma mère et le voisin n’ont plus le temps de s’en occuper alors la végétation a repris ses droits dans le jardin.

Ils franchirent lentement la grille rouillée qui avait fermé la propriété pendant des années, les roues de la voiture crissèrent sur les graviers de l'allée bordée d'arbres et ils s'arrêtèrent devant l'escalier qui conduisait à la porte d'entrée.

En sortant de la voiture, ils prirent quelques minutes pour regarder cette demeure qui les dominait de sa masse. Elle semblait les attendre. Plus un souffle d'air ! Même les oiseaux et les insectes semblaient avoir cessé de chanter. Le silence se fit oppressant. Elisabeth lança alors :

— Je vais ouvrir, j'ai hâte de redécouvrir cette maison... elle doit avoir besoin d'être aérée.

Elle grimpa les escaliers et fit tourner la grosse clé dans la serrure qui s'ouvrit sans aucune difficulté. La porte grinça sur ses gonds.

— Il faudra une goutte d'huile ! dit Paul en souriant. Où se trouve le tableau électrique que je rétablisse le courant ?

— Je crois qu'il est dans la cuisine...

Lentement, ils entrèrent dans la maison obscure et silencieuse. Les rayons du soleil illuminèrent alors la pièce.

— Tu m'avais dit que ta tante était un peu excentrique et illuminée mais je vois que tu n'avais pas exagéré.

Il examinait la pièce et découvrait des tentures aux motifs psychédéliques, dans un angle un Bouddha de jade avec des bruleurs d'encens et à sa surprise dans les autres angles des statuettes représentant Ganesh, Shiva et une Vierge à l'enfant.

— Je trouvais les attrape-rêves sous la tonnelle, décoratifs mais là, elle y va fort ! Il ne manque que la poupée vaudou et le tableau sera complet.

— Oh ! Janis avait créé sa propre religion à partir de ses différents voyages. Au bout d'un moment, on n'y fait plus attention, ils font partis du décor. On verra ce qu'on fait de tout cela quand nous aurons pris notre décision de la garder ou pas. Mais pour le moment, aérons-la et prenons possession de ce qui sera peut-être notre chez nous.

— Oui ! Tu as raison, nous verrons plus tard, dit-il en l'embrassant.

Paul se dirigea ensuite vers la cuisine tandis qu'Elisabeth ouvrait les fenêtres pour faire enfin entrer le soleil dans les pièces.

— J'ai trouvé le compteur, je remets l'électricité ! lança Paul, alors qu'elle commençait à monter l'escalier de pierre pour se rendre à l'étage. Elle fut surprise de ne pas découvrir plus de poussière et de ne pas sentir cette odeur habituelle de renfermé dans les maisons qui sont restées longtemps inhabitées.

Elle entra alors dans ce qui avait été la chambre de sa lointaine tante et encore avant, la chambre de ses aïeux. Au moment où elle franchissait le seuil, elle ressentit un frôlement et un souffle d'air lui caressa ses bras et ses jambes nus. Elle se sentit enveloppée par une présence fantomatique mais elle mit cela sur le compte de l'ancienneté de la maison et de ses possibles courants d'air.

Arrivée à la fenêtre, repoussant les lourds volets de bois pour les ouvrir, elle fut obligée de se pencher outre mesure. Et là, le doute n'était plus permis, elle sentit de nouveau une caresse appuyée sur ses fesses. Elle se redressa en sursautant, fit volte-face en pensant découvrir Paul qui serait monté subrepticement pour lui faire ce genre de blagues. Il en était assez coutumier surtout lorsqu'ils étaient seuls.

— Paul ? Où es-tu ? s'exclama-t-elle surprise de ne pas le voir.

Elle regarda partout dans la pièce et ne vit personne, Elle semblait juste apercevoir à la limite de son champ de vision un rideau qui remuait doucement. Elle s'approcha de la tenture de velours, mais elle ne découvrit qu'une porte donnant sur la chambre voisine. Elle alla aérer cette chambre, mais cette fois-ci, rien ne se passa quand elle se pencha. Elle se dit qu'elle se faisait des idées même si elle ne pouvait pas s'empêcher de repenser à ce que leur avait dit le serveur dans le restaurant. Cette histoire de fantômes, il devait bien y avoir une raison qui expliquait les bruits et les lueurs aperçues par les promeneurs. Tout en y pensant, elle finit d'ouvrir les pièces de l'étage avant de rejoindre au rez-de-chaussée, Paul qui venait lui aussi de tout ouvrir sur le jardin.

— Ah, Elisabeth ! dit-il en la voyant arriver dans le salon. Je me demandais où tu étais et si tu avais aussi ressenti ces courants d'air ?

— Oui ! Je pense que c'est parce que la maison est restée fermée longtemps et que le fait d'ouvrir a permis à l'air de se renouveler.

Elle n'osait pas lui raconter sa sensation de caresses sur les fesses craignant qu'il ne se moquât d'elle.

— Finalement la maison semble en bon état. On ne va même pas être obligé de monter la tente, et dans la chambre qui nous est apparemment dévolue, les lits et matelas semblent d'équerre pour accueillir nos ... ébats... Finit-elle d'un air malicieux.

— Oui, et à ce niveau, c'est la même chose, un bon coup de balai pour ôter la poussière, une remise au goût du jour au niveau de la décoration et la maison semblera ne jamais avoir été fermée, répondit-il, faisant mine de ne pas avoir noté la remarque de sa compagne mais avec malgré tout l'œil brillant.

— Nous serons toujours plus à l'aise que dans la tente.

Ils se posèrent enfin à l'ombre d'une tonnelle avec une boisson fraîche.

— Profitons-en un peu car si on veut pouvoir dormir dans une chambre correcte, on a du boulot !

— Tu as entendu ce bruit ? dit soudain Elisabeth en se tournant vers la maison.

— Mais non ! Ton imagination te joue encore des tours… il n'y a que nous ici.

Il se leva malgré tout et se dirigea vers l'endroit où Elisabeth venait de lui dire avoir entendu quelque chose bouger.

En entrant dans la cuisine, il découvrit un couvercle de casserole sur le sol.

— J'ai trouvé ce qui t'a fait sursauter, un couvercle est tombé !

— Ce n'est pas possible, ce que j'ai entendu n'était pas un couvercle.

Elisabeth rejoignit son compagnon. Elle regarda et observa.

— Tant pis ! Ce n'est pas grave. Allons-nous occuper de la chambre.

Elle lui attrapa la main et l'entraina derrière elle dans les escaliers.

Il découvrit alors l'étage et les différentes chambres.

— C'est beaucoup plus grand que je ne le pensais et la déco ne fait pas si excentrique que cela. Nous pourrons transformer une des chambres en bureau et avec une connexion internet tu pourras travailler depuis la maison. Je te rejoindrais les week-ends, ce qui ne changera pas grand-chose à ce que nous vivons actuellement vu que je suis souvent par monts et par vaux. Au lieu de rentrer en ville, je rentrerais à la campagne, dit-il en posant les mains sur ses épaules, lové tendrement contre son dos.

Elle se retourna pour lui déposer un tendre baiser sur les lèvres en lui disant :

— Attends, sinon nous allons être obligés de planter la tente.

Il se recula en riant et brancha l'aspirateur pour nettoyer la chambre en déplaçant les meubles au fur et à mesure, surpris de ne découvrir que très peu de poussières et de moutons.

— Es-tu sûre que cette maison est inhabitée depuis deux ans ? On dirait que le ménage a été fait la semaine dernière.

— Oui, j'en suis certaine, mais j'ai la même remarque pour le linge de maison. Je viens d'ouvrir l'armoire et le linge sent le frais comme s'il avait été plié et rangé hier. C'est à n'y rien comprendre.

— Tant mieux, nous aurons des draps propres et frais pour le lit au lieu de nos sacs de couchage, dit-il en clignant de l'œil.

— Toi, tu as une idée derrière la tête ! lui répondit-elle en lui jetant une paire de drap à la figure.

Il se recula et se retrouva les quatre fers en l'air sur le lit.

— Allez ! Aide-moi à refaire le lit, on verra ensuite, lui lança-t-elle en riant. Il se releva et quelques minutes plus tard, le lit était prêt à les accueillir.

— Maintenant que nous savons où et comment nous allons passer la nuit, si nous allions découvrir les environ de cette maison. Tu as vu que le chemin se prolonge vers le bois et le sommet de la colline.

— Je les connais, j'y viens depuis toute petite, dit-elle. Je suis aussi sûre que tu vas aimer découvrir le ruisseau qui dévale depuis le fond de la combe. Et pour mon travail, ces bois et vallons encaissés regorgent de légendes, je pourrais m'en inspirer. Un petit tour aux toilettes et j'arrive.

Il attrapa un bâton de randonnée déposé contre le mur près de la porte et regarda, intrigué, les gravures sur le morceau de bois qui semblait très ancien. Cet objet ne semblait attendre que lui et il sortit avec, les yeux vers la falaise visible au-delà des bois.

Après l'espace herbeux dégagé, se trouvait le ruisseau dans lequel Elisabeth lui avait dit aimer s'ébattre quand elle passait ses vacances d'été avec sa grand-tante. Elle lui avait même avoué s'être baignée nue afin de mieux ressentir la puissance de la nature. Vu l'isolement de l'endroit cela ne l'étonnait pas. Qui aurait bien pu surprendre d'éventuelles baigneuses ? Et d'après la description que lui avait faite Elisabeth de la grand-tante, cela collait bien avec le personnage qui avait gardé l'esprit libertaire de la grande période hippie.

Il profita de l'attente pour observer plus attentivement le vallon qu'il n'avait pu qu'apercevoir en arrivant. Les parois semblaient assez raides et il se disait que par endroit il devait bien y avoir des sites possibles pour faire de l'escalade.

— Je demanderai à Elisabeth quand elle me rejoindra, marmonna-t-il.

Il entendit alors comme un sifflement près de son oreille gauche et sursauta.

Inexplicablement, il fut attiré par le torrent qui courrait au-delà du pré à la limite de la forêt. Il s'en approcha alors qu'Elisabeth pressait le pas pour le rejoindre.

— Que t'arrive-t-il ? demanda Paul en voyant arriver Elisabeth un peu énervée.

— Je ne comprends pas ! lui répondit-elle. Alors que j'étais assise aux toilettes j'ai d'abord senti un courant d'air sur les épaules. Or, le vasistas était fermé et ensuite sans que je ne fasse rien, la chasse d'eau s'est mise en route. Je me suis retrouvée trempée.

Paul ne put se retenir de rire.

— Ça t'a rafraîchi au moins ! Puis reprenant son sérieux, il lui dit : je regarderai cela quand on rentrera.

— Tu as vu que le soleil va bientôt passer derrière les sommets, nous allons vite nous retrouver dans l'ombre. Je suppose que cela doit permettre de passer des nuits relativement fraîches malgré la chaleur de la journée.

— Oui, il n'était pas rare que nous devions mettre une petite laine le soir sur la terrasse.

Ils continuèrent de parler et se retrouvèrent au bord du ruisseau.

— Nous aurions dû prendre les maillots. Je ne pensais pas que l'eau pouvait être si profonde malgré ce que tu m'avais raconté de tes baignades d'enfance

— Oh ! Tu sais, le maillot n'est pas une obligation ici ! Il ne vient jamais personne. Je te montrerai ça demain ! Un clin d'œil à l'appui. Remontons un peu plus haut et nous trouverons un petit sentier qui nous mènera à la source. Et un peu plus loin, il y a l'entrée d'une grotte. Mais ma mère, Janis et le vieux voisin m’ont toujours interdit de m'en approcher.

— Bah ! Tu auras tout le temps pour aller la voir maintenant, lui dit-il en l'embrassant.

— Hé ! Attends ! reprit-elle en interrompant le baiser, je n'ai pas parlé de la légende de cette source… On raconte qu'une fée réside dans la source. Mais selon les récits, elle est bénéfique ou maléfique. Pour ma part, j’ai toujours trouvé que cette clairière est baignée d'une ambiance mystérieuse.

— Tu sais avant l'époque chrétienne, beaucoup de sources avaient des divinités protectrices, je pense que ta légende vient de là. Et que raconte-t-elle d'autre ?

— On l'appelle la source des amants. Il paraît qu'autrefois, il y avait une pierre magique et que les amants qui venaient s'embrasser en touchant la pierre avec les pieds dans l'eau de la source étaient unis pour la vie. Mais je n'ai jamais vu de pierre là-bas. La source jaillit depuis une souche couverte de lierre.

— La pierre a pu exister et être enlevée ou déplacée. Les prêtres ont souvent détruit des sanctuaires païens quand ils ne pouvaient pas les christianiser ou quand les légendes et traditions antiques restaient trop vivaces. C'est peut-être le cas ici.

— Une légende parle de la visite de la fée Mélusine qui serait venue se baigner dans la source et dans le trou d'eau à côté de la maison. Et qu'elle apparaîtrait encore certaines nuits de pleine lune.

— Nous pouvons traverser ici ! ajouta-t-elle. Il suffit de passer de pierre en pierre et le sentier est juste là ! Regarde. Il est encore bien tracé. Je pense que les chasseurs l'empruntent toujours à l'occasion pour chasser les sangliers qui pullulent dans ces bois.

Avec quelques sauts sveltes, elle rebondit sur les rochers qui tentaient de barrer le passage de l'eau et se retrouva de l'autre côté, sous les arbres. Paul la rejoignit en quelques sauts un peu moins assurés, il avait toujours été un peu maladroit, mais pour une fois elle ne put pas se moquer de lui gentiment car il avait réussi à traverser sans se mouiller.

— La source est à une dizaine de minutes de marche. Maman et tante Janis n'aimaient pas que j'y aille seule, elles avaient peur qu'il m'arrive quelque chose.

Elle lui prit la main et ils commencèrent à suivre le sentier étroit qui serpentait entre les arbres, la pente commençant à devenir raide.

— Je ne regrette pas d'avoir pris ce bâton de marche.

Elisabeth regarda alors intriguée le bâton que Paul tenait dans sa main.

— Où l'as-tu trouvé ? C'est le bâton de marche de l'oncle Pierre. Il l’utilisait quand il allait aux champignons. Il a disparu un jour, au grand soulagement de la famille m'a-t-on dit, on n'a retrouvé de lui que ce bâton planté dans l'eau de la source.

— Il était à côté de la porte, je ne savais pas qu'il était si vieux sinon je l'aurais laissé en place. Mais j'avoue que les inscriptions gravées m'intriguent. Elles ressemblent à des symboles pré-celtiques.

— Oh, ce n'est rien, de toute manière, l’oncle Pierre ne t'en voudra pas et depuis le temps, il doit être mort et enterré.

Souriant Paul enlaça alors Elisabeth et l'embrassa tendrement sur les lèvres. Au même moment, les feuilles des arbres semblèrent parcourues par un frémissement, les oiseaux se turent et certains s'envolèrent. Les deux amants pris par leur baiser ne se rendirent pas compte du changement d'atmosphère dans les bois qui les entouraient. Même la lumière avait changé, comme si les rayons du soleil devaient traverser une vitre dépolie pour leur parvenir.

Ils se désunirent au bout de quelques minutes et continuaient leur progression.  Elisabeth précédait Paul de quelques pas, elle connaissait le chemin et le prévenait des pièges qui jalonnaient le chemin. Soudain elle sursauta, car une branche morte qui retenait un rameau épineux venait de rompre et détendue, cette tige élastique vint lui cingler l'arrière des cuisses avant que Paul n'eut pu la prévenir. Elle se frotta les cuisses et les fesses striées d'un trait rouge.

— Ça va ? Interrogea Paul.

— Oui ça va aller, ça surprend sur le coup mais ce n'est rien continuons, nous ne sommes plus très loin.

Après un dernier effort, ils parvinrent à la clairière située sur un replat du coteau. La source se trouvait à l'autre bout et jaillissait comme Elisabeth le lui avait dit d'une sorte de tas de lierre en faisant un petit bassin peu profond de quelques pas de diamètre. Il s'en approchait tandis que les rayons du soleil éclairaient la souche. Un reflet qui semblait jaillir de sous le lierre l'intrigua. Il se pencha et gratta le lierre.

— Elisabeth ! Viens voir, ce que tu prenais pour une souche n'en est pas une. C'est une pierre ! Aide-moi à la dégager, elle semble porter des inscriptions.

Elisabeth s'approcha les pieds dans l'eau et aida son compagnon à retirer la végétation qui recouvrait le bloc de roche. Après de longues minutes d'efforts et les mains sales, ils observèrent avec attention et il remarqua alors les signes inscrits dans la roche. Il regarda le bâton de l'arrière grand-oncle et lança surpris et excité.

— Ce sont les mêmes symboles. Je vais les prendre en photos et de retour au bureau je chercherai à quoi ils correspondent. Je demanderai à Laurence de m'aider et Thibault pourra peut-être les décrypter. Excité, il mitrailla la pierre avec son téléphone.

— Je reviendrai avec un bon appareil plus tard.

Autour d'eux, un courant d'air passa sur l'eau et fit onduler la surface du bassin. Elisabeth sursauta lorsque le souffle enveloppa ses jambes et ses cuisses et lui remonta sous sa robe légère, elle sentit même l'air remonter contre sa peau jusqu'à sa poitrine.

— C'est magique, lança Paul. Cela semble confirmer ce que je pressentais.

Il attrapa sa compagne et il lui montra les gravures. Il lui dit de les caresser du bout des doigts.

— Tu vois, je ne rêve pas, elles sont bien réelles.

— Oui ! je les sens bien.

Ils se souriaient et leurs mains frôlaient toujours la pierre, les pieds dans l'eau, ils échangèrent un long baiser.

Soudain, un éclair les enveloppa, le dernier rayon du soleil avant qu'il ne passât derrière la colline frappa le miroir d'eau et les éblouit. Ils virent six formes diaphanes se matérialiser près d'eux et se mettre à tourner autour d'eux dans une farandole rapide et hypnotique.

Entraînés pars les spectres, Elisabeth et Paul tournaient de plus en plus rapidement autour de la pierre et du bassin. Toute notion de temps et d'espace semblait avoir disparue et ils perdirent conscience.


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