Je recommençai
à voir de la lumière, j'ouvris les yeux et je distinguai le visage de Madame
Rose. Elle était penchée au-dessus de moi. Je clignai des yeux du fait de la
luminosité ambiante. Je tournai le regard à droite et à gauche. J'étais dans la
chambre de Mireille. Elle devait avoir vu que j'avais compris que le
désenvoûtement n'avait pas marché. Je me préparais à parler quand elle me posa
un doigt sur les lèvres.
— Chut ! Ne dites
rien, vous devez avoir mal à la tête.
Effectivement,
je sentais une douleur au niveau des tempes, la tête prise dans un étau.
— Le sort de
désenvoûtement n'a pas marché, pourtant tout avait bien commencé, je vous ai
suivi dans votre progression vers votre corps et puis d'un coup, j'ai été
éjectée de votre esprit…
— Comment cela
? Je me sentais nauséeuse, je tentais de me lever, mais je n'avais pas
d'équilibre et me rallongeais aussitôt.
— Dans ce
sortilège, je devais être sûre que votre esprit allait rejoindre son corps,
c'est pour cela que je voulais le faire à l'équinoxe, ma magie est la plus
forte en période de solstice et d'équinoxe.
— Je comprends
bien, mais pourquoi m'accompagner ?
— Il le
fallait pour ne pas vous laissez seul, vous auriez pu être abusé par des
spectres qui ont besoin de votre énergie vitale pour ranimer leurs corps. Vous
auriez alors pu vous réveiller dans un cadavre.
— Un zombie ?
— Oui ! En
quelque sorte. Mais il faut savoir qu'à part avec une puissante magie, aucun
esprit ne peut se fixer dans un corps mort. Au bout de quelques minutes à
quelques heures, vous auriez été éjecté du cadavre et vous auriez fini par
errer dans le non-monde.
— Le non-monde
?
— C'est le
lieu où se retrouvent les âmes en attendant que le corps meure. Elles ne
peuvent pas rejoindre l'au-delà, et ne peuvent pas revenir dans leur corps.
— C'est là où
se trouve celle de Mireille ?
— Oh non ! La
sienne est toujours accrochée à son corps, mais elle n'en a plus le contrôle.
Le charme qu'elle a utilisé, avait pour but de créer un lien entre vous. Mais
vous avez été envoûté par une autre sorcière et cela a donné ce que vous vivez.
J'avais un peu
de mal à accepter ce qu'elle me racontait, mais je devais bien admettre que je
le vivais.
— Si Mireille
n'était pas avec vous, comment auriez-vous pu avoir accès à ses souvenirs ?
Je devais
reconnaître que ses arguments n'étaient pas dépourvus de bon sens.
— Mais, si
j'ai accès à ses souvenirs, a-t-elle accès aux miens aussi ?
— Sûrement,
mais je ne peux pas en être certaine…
Je la vis me
donner un comprimé et un verre d'eau.
— Prenez ceci,
vous avez besoin de vous reposer. J'ai prévenu Claire que vous ne pouviez pas
venir travailler aujourd'hui.
Sans me poser
plus de questions, avec le mal de tête qui augmentait, je pris le cachet. Je la
vis achever de ranger ses affaires et remettre un peu d'ordre dans la maison.
Elle me dit qu'elle laissait un mot pour Claire pour lui expliquer ce qui
m'arrivait afin qu'elle ne s'inquiétât pas de me voir dormir quand elle allait
arriver. Je tentais de lui demander pourquoi, mais ce qu'elle m'avait donné
prit le dessus sur ma volonté et je m'endormis d'un sommeil sans rêves.
Je me
réveillai à nouveau, et je constatai que la nuit tombait, j'entendis du bruit
dans la cuisine. Ce devait être Claire. Je me levai, le médicament et le repos
avaient fait leur effet, ma migraine avait disparu.
— Ah ! Tu es
réveillée ma chérie. Madame Rose m'a tout expliqué, pourquoi ne m'en as-tu pas
parlé avant ?
J'étais un peu
paniqué. Qu'a bien pu lui expliquer Madame Rose ?
— Tu aurais dû
me dire que la grossesse et l'angoisse par rapport à l'état de Clément
t'avaient fatiguée à ce point. Je ne t'aurais pas demandé tout ce que je t'ai
demandé. Prends quelques jours de congé et repose-toi !
— Merci Claire
!
Ces mots me
soulagèrent car j'étais effrayé à l'idée que Madame Rose lui ait dévoilé la
réalité pour Mireille et moi.
— Je vois que
tu vas mieux. Je te laisse te reposer et je repasse te voir demain. Je
t'emmènerai à l'hôpital et ensuite, nous irons dans un petit resto thaï qu'une
amie m'a fait découvrir. Tu m'en diras des nouvelles.
— Oui ! Si tu
veux ! lui dis-je en sentant mes paupières se fermer.
Je ne savais
pas si c'était dû à la grossesse, au comprimé ou au la séance de sorcellerie,
mais je m'endormis en la sentant me poser un doux baiser sur les lèvres avant
de partir.
Quand je me
réveillai, reposée et détendue, je constatai que le temps était à l'image de
mon moral, grisâtre. Je traînai hagarde de la chambre, à la cuisine puis au
salon, une tasse de café à la main. Les nausées matinales s'estompaient et dans
un geste machinal je caressais mon ventre qui commençait à légèrement
s'arrondir. Cela faisait maintenant un peu plus de trois mois que cette
aventure étrange avait commencé. Puisque Claire m'avait donné des vacances, j'allais
en profiter pour aller acheter des tenues plus adéquates avec mon état, les
pantalons et jupes de Mireille commençaient à serrer. Puis j'irais sûrement
marcher un peu le long du canal, comme nous le faisions ensemble avec Clément.
Depuis, les évènements, je n'avais pas fait beaucoup de sport, j'espérais que
cela me ferait du bien.
Je me
préparais tranquillement et je remarquai que Claire m'avait laissé un message
sur ma boîte vocale. "Coucou ma
chérie ! Comment vas-tu ce matin ? Si tu es en forme, viens déjeuner avec nous
!" Je l'ai rappelée pour confirmer et je partis les rejoindre. Je
n'avais pas réalisé le temps que j'avais pris à me préparer. Il était déjà
presque midi.
Je la vis
sortir avec Ludivine et elles m'accueillirent avec un grand sourire puis elle
me serra fort dans ses bras.
— Encore merci
d’avoir été présente quand Ludovic n'était pas bien.
— Oh c'était
normal, entre femmes il faut bien se soutenir dans les moments difficiles.
— Oui ! Bien
sûr ! Je t'admire. Comment fais-tu pour tenir avec Clément ?
— Eh bien ! Tu
vois ! J'ai craqué…
Elle regarda
Claire qui lui expliqua rapidement que je devais faire un burn-out avec tout ce
qui venait de m'arriver. Elle ne sut que dire, mais je la rassurai.
— Nous avons
vécu toutes les deux des moments difficiles. Mais allons manger, je n'ai pas
pris grand-chose ce matin et j'en connais un qui réclame ! dis-je en montrant
mon ventre.
Mes deux
compagnes éclatèrent de rire.
— Allons
donner à manger à ce petit bonhomme ! Lance Claire
— Ou petite
bonne femme ! Je n'en sais rien encore !
Nous entrâmes
dans ce restaurant où nous avions nos habitudes et Ludivine nous raconta ses
retrouvailles avec son mari depuis son aventure. Elle nous avoua qu'elle avait
un temps songé à le quitter après qu'il lui eut avoué qu'il la trompait et
qu'il avait eu des aventures épisodiques avec des call-girls lors de ses
déplacements professionnels. Il lui avait promis qu'il ne recommencerait plus
et qu'il ferait tout pour s'amender.
— Tu le crois
? Je l'avais vu faire et je l'avais parfois accompagné avant de rencontrer
Mireille. Je restais très dubitatif sur la réalité de son repentir.
— Oui je le
crois, il a été très choqué par ce qu'il a vécu. Il me dit ne se souvenir de
rien, mais je pense qu'il me cache quelque chose.
Je hochai la
tête, imaginant très bien ce qu'il avait pu vivre.
— Oui je
comprends, tu as raison. Fais-lui confiance !
La suite du
repas se déroula sans que nous n'évoquions ma situation et leur attention se
reporta sur le bébé à venir. Lorsque je leur dis que je souhaitais passer mon
après-midi à faire les magasins pour me trouver des vêtements, Ludivine me
proposa de m'accompagner ce que j'acceptais avec plaisir. Son expérience de la
grossesse pourrait m'être utile.
Claire nous
souhaita un bon après-midi et me dit :
— A ce soir,
on se retrouve à l'hôpital !
Ludivine
m'entraîna dans une galerie marchande qu'elle connaissait bien pour la
fréquenter régulièrement avec ses enfants et où elle me dit que nous
trouverions mon bonheur pour un budget raisonnable. Lorsque nous sommes entrées
dans la première boutique, j'avais l'impression que c'était elle qui venait
s'habiller. Elle m'entraînait de rayon en rayon en me montrant là des robes, là
des pantalons ou encore des leggings ou tuniques. Je ne savais plus où donner
de la tête et sous sa supervision, j'enchaînais les essayages. J'enfilais les
vêtements, je sortais de la cabine, je lui montrais ce que cela donnait. Elle
me regardait souriante ou en faisant la moue. Je la voyais disparaître dans le
magasin pendant que je retirais ce que je venais d'enfiler et elle arrivait en
me tendant autre chose. Je n'étais même pas perturbée par le fait de me montrer
en sous-vêtements. Au bout d'un nombre incalculable de tenues essayées,
j'arrivais ou devrais-je dire Ludivine se fixa sur deux robes et trois ensembles.
Au moment de passer à la caisse, j'entendis le cri de douleur de ma carte
bancaire.
— S'il est comme mon
mari, Clément va adorer ce que tu viens de prendre.
— Oui sûrement
!
Je ne pouvais
pas lui dire qu'effectivement c’étaient des tenues que j'aimais, mais aurais-je
l'occasion d'en profiter en tant que Clément ? Le fiasco de Madame Rose m'avait
laissé un goût amer.
Avant de nous
séparer, nous avons pris un petit goûter dans un salon de thé et elle me
proposa de venir passer la soirée du samedi avec Ludovic et elle. Ils fêtaient
la fin des travaux d'aménagement de leur maison.
— Cela te
changera les idées !
Je réservai ma
réponse et je rentrai poser mes achats avant de me rendre au chevet de mon corps.
Dans le
couloir, je croisai Madame Rose qui me demanda si j'allais mieux. Je ne
m'attardai pas, car elle était en plein travail au chevet d'un malade. Lorsque
j'entrai dans la chambre, je ne pus que constater la constance de mon état. Mon
corps respirait seul sans assistance, mais il devait être nourri par une sonde
et des perfusions et bien évidemment une infirmière devait s'occuper de sa
toilette. Je m'assis à côté du lit et je pris ma main. Le contact de la peau me
troubla. Je réalisai que je me voyais par l'intermédiaire de Mireille et je
commençais à comprendre ce qu'elle me trouvait et pourquoi elle s'était
attachée à moi. Dans ces moments d'émotions, nos deux pensées étaient sur le
point de fusionner, mais il manquait toujours quelque chose pour que nous y
parvenions.
J'étais
pensif, soudain une idée me traversa l'esprit. Et si ce n'était pas le corps de
Mireille qui devait être sacrifié, mais le mien ?
Je me levais
rapidement du fauteuil et je quittais précipitamment l'hôpital pour rentrer à
l'appartement. Je ne vis pas le regard surpris de Madame Rose, vraiment
surprise de me voir partir sans venir la saluer comme à mon habitude.
Aussitôt
arrivé, je ne pris pas le temps de me faire à manger et je pris de quoi
grignoter en me connectant sur internet. Je dirigeais mes recherches sur les
sorts et envoûtements. Je fis rapidement le tri. Au milieu de tous les sites et
forums saturés de messages postés par des adolescents en quête de frissons et
d'ésotérisme de salon, je découvris dans l'historique du navigateur, une page
bien cachée, discrète, avec comme symbole une fleur bleuâtre.
Cette page
semblait être tenue par une sorte d'organisation très ancienne et permettait
d'accéder à des informations sur un nombre incroyable de sortilèges. Je
découvris ainsi le sort que Mireille avait lancé. Elle semblait avoir l'habitude
de venir sur ce site, car elle disposait d'un compte. Je me concentrais sur son
esprit et je découvris son code d'accès.
Je pus ainsi
accéder aux messages qu'elle avait échangés avec un certain comte Wilhelm Van
Dyck.
Cet homme lui
expliquait en détail comment préparer le sort et ce qu'elle devait faire pour
le réussir. Il la mettait cependant en gare en lui expliquant que si les
sentiments de l'un des deux n'étaient pas sincères cela risquait d'échouer.
Elle lui avait répondu qu'elle était certaine de mes sentiments pour elle et
qu'elle n'avait aucun doute sur sa réussite. Après de nombreux échanges où il
s'assurait de la volonté de Mireille et de sa capacité à lancer le sort, il se
résolut à lui donner l'ingrédient ultime, une fleur de pandora.
Alors que je
me demandais ce qu'était cette fleur, je vis que ce correspondant avait
récemment repris contact avec elle et lui demandait si elle avait bien reçu la
fleur et lancé son sort.
J'hésitais un
peu puis je lui mis un message, allais-je enfin pouvoir sortir de cette
situation ?
Dans le
message, je lui expliquai la situation ce coup-ci en n'omettant aucun détail,
ni la rencontre avec la sorcière, ni l'échec de désenvoûtement de Madame Rose
et encore moins la grossesse et ma relation avec Claire.
J'ignorais
s'il me répondrait, mais je me disais que je n'avais rien perdu à lui écrire.
Après avoir
pris une tisane, je m'endormis en réalisant que Mireille semblait connaître
bien plus de choses dans le domaine de la magie que Madame Rose ne l'avait
imaginé.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire