mardi 29 septembre 2020

Fantômes -04- Fouilles

             Après plusieurs heures de route avec le van transportant du matériel léger pour commencer les fouilles autour de la source, Paul s'engageait dans le chemin qui menait au domaine. Laurence assise à ses coté était plongée sur l'écran de son téléphone.

— Nous devrions être gâtés par le temps, pour les prochaines semaines, l'anticyclone s'est bien installé.

— Heu ! Quoi ?... Ah oui ! J'ai vu ça. Tant mieux ! Lui répondit-il sans quitter des yeux la route étroite.

Il était plongé dans ses pensées par rapport à l'attitude d'Elisabeth ces dernières semaines. Plongée dans ses carnets, l'esprit obnubilé par sa famille irlando-écossaise, c'est tout juste si elle prenait le temps de lui faire un câlin. Il négocia le dernier virage et lentement il s'approcha de l'entrée de la propriété. Il était parcouru d'un frisson étrange, ébloui par un reflet du soleil sur un vasistas du grenier. Cela l'étonna car vu la position du soleil, il lui semblait impossible que le reflet puisse atteindre le chemin.

— Elle est superbe cette maison ! lança Thibault, du fond du van. On la dirait sorti d'un roman de Gabriel Garcia Marquez.

— Oui et l'intérieur est encore plus surprenant. Mais il y a une règle importante ! Surtout ne touchez à rien. Il ne faudrait pas réveiller les fantômes ! dit Paul en riant. Natacha semblait très attachée à ce que tout reste en place. Elle a l'air de croire sincèrement à ces histoires de spectres et de malédiction.

— Nous sommes au cœur d'une région marquée par les superstitions de tout ordre. De nombreuses légendes se réfèrent à des bois sacrés, des sources envoutées et des lacs magiques, précisa Laurence alors que Paul achevait sa manœuvre pour ranger le van près de la grange afin de décharger facilement le matériel.

— Lors de notre dernier passage avec Elisabeth, nous avons fait du rangement dans la grange. Nous devrions pouvoir facilement y stocker le matériel à l'abri.

— Qui veux-tu qui soit intéressé par notre matériel ? Et vu l'isolement du site, on ne risque pas de déranger grand monde. Je suis même quasiment certain que l'on ne va pas pouvoir se connecter au réseau... Les téléphones captent au moins ? grogna Thibault

— Tu pourras te désintoxiquer de tes jeux en réseau. Je suis sûre que ta copine appréciera cela à ton retour ! répondit Laurence de manière glaciale

Elle fusilla du regard le jeune homme qui passait le plus clair de son temps libre greffé à son ordinateur.

— Vous allez vous calmer tous les deux, intervint alors Paul car il connaissait les rapports parfois houleux entre ses deux collaborateurs. Je vous rappelle que nous allons devoir vivre ici pendant quelques semaines, donc faites un effort pour ne pas vous entre-tuer.

Les jeunes gens sortirent du véhicule et commencèrent à le vider. Ils faisaient attention à ne pas bousculer le matériel fragile qui leur permettrait de sonder le sol autour de la source. Pendant que les garçons s'affairaient, Laurence se proposa pour aller chercher de quoi manger le soir.

— J'ai repéré un camion pizza et un petit traiteur asiatique lors de la traversée du dernier bourg que nous avons traversé. Par quoi êtes-vous tentés ce soir ? dit Laurence

Après une brève discussion, ils se mirent d'accord pour un repas à base de sushis et autres sashimis qu'elle partit chercher.

— Allez ! Finissons de ranger ces caisses dans la grange. Elles y seront à l'abri pour la nuit. Et demain nous pourrons commencer nos allers-retours avec le matériel vers la source. Il faudra commencer par faire des images aériennes avec le drone, peut-être, remarquerons-nous des choses invisibles depuis le sol.

Une fois le matériel à l'abri, Paul proposa alors à Thibault de monter à la source pour lui montrer la pierre.

— Nous avons bien une heure avant son retour, la source est à peine à dix minutes de marche. Cela nous fera du bien de nous dégourdir les jambes après ce trajet en voiture.

Paul attrapa son bâton de marche et suivi du jeune homme. Il se dirigea vers le ruisseau et le sentier qui grimpait à travers le bois vers la falaise.

Comme à chaque montée, Paul se sentit observé mais il pensait que cela était dû à la lumière du soir au travers du feuillage touffu des arbres qui recouvraient le chemin.

— Ces bois sont étranges ! remarqua Thibault. Plus on monte et plus on a l'impression de s'enfoncer au cœur d'une forêt primitive.

— Oui j'ai remarqué ce fait, mais le chemin qui monte semble avoir toujours été là. Il n'y a pas un brin d'herbe et pourtant il n'est pas empierré et il est assez peu fréquenté puisqu'il part de la propriété et qu'il n'y aucun accès ouvert au public.

— Bah ! Un mystère de plus autour de ces sources "magiques".

— Pourquoi la qualifies tu de magique ?

— J'ai étudié les glyphes sur la pierre. Et j'ai découvert que l'on en trouve de similaires un peu partout dans le monde à côté de sources qui ont des propriétés magiques. Pour certaines, on parle de source miraculeuse comme à Lourdes ou comme les sources de la Seine. Pour d'autres, ce sont des sources portails vers un autre monde comme le lac de Viviane en forêt de Brocéliande. Et pour d'autre enfin il se pourrait que ce soit des sources qui permettent d'entrer en contact avec les dieux. Je te montrerai cela sur l'ordi, en rentrant.

Tout en continuant de discuter, ils arrivèrent à la source, Paul lui montra la pierre. Il se pencha dessus et acheva de bien nettoyer les marques gravées. Puis, il erra aux alentours se laissant guider par son instinct, en dégageant le sol par endroit avec le bâton. En grattant de la mousse, il tomba sur des pavés.

— Thibault ! Viens voir ça !

Le jeune homme accourut et resta ébahi par la découverte de son mentor.

— Cela ressemble au pavage d'une voie romaine. Et elle semble se diriger vers cette partie du bois. Tu sais ce qu'il y a là-bas dans ce fourré de ronces ?

— D'après Elisabeth cela doit mener à une grotte dans falaise mais cela fait à peine deux mois que je connais cette maison. Nous n'y sommes pas encore allés. Sa mère et sa grande-tante lui interdisaient d'y aller.

Thibault écouta la réponse de son chef pensif. Il était de plus en plus persuadé que sa théorie des portails était juste et que ces fouilles pourraient lui en donner la preuve.

— On risque de ne pas pouvoir cacher cette découverte longtemps. Car si ce que je suppose est vrai, nous serons obligés de demander de l'aide.

A ce moment- là, derrière eux, une voix les interpella.

— Alors les jeunes ! On explore ?

Ils sursautèrent et en se retournant ils découvrirent un homme grisonnant.

— Qui êtes-vous ? demanda Paul.

— Votre voisin ! répondit-il. J'aime me promener dans ces bois. Leur calme me permet de retrouver ma jeunesse.

— Je ne vous ai jamais vu.

— Je suis très discret mais j'ai remarqué que vous aviez redécouvert la pierre. Vous devriez vous méfier. Si la légende est vraie, cette pierre serait la porte de la "Source aux Esprits".

— De quelle légende parlez-vous ? Elisabeth, ne m'a jamais parlé de légendes sur cet endroit.

— N'en avez-vous pas été témoins, il y a quelques semaines ?

Paul se souvint alors de cette montée et de cette danse effrénée autour de la source ainsi que de leur réveil mystérieux dans la chambre au matin.

— Nous étions fatigués par le voyage et nous avions mangé de ces baies. Nous avons rêvé.

— Etes-vous sûr d'avoir rêvé ? Souvenez-vous de vos rêves, ne semblaient-ils pas si réalistes ? Et votre fiancée, vous a-t-elle dit ce qu'elle avait vécu dans ce rêve ?

Paul dut reconnaître qu'ils n'avaient jamais reparlé du rêve depuis ce matin-là. Il se promit d'en toucher deux mots à Elisabeth lorsqu'elle reviendrait de son périple irlandais. Pendant ce temps, Thibault continuait son exploration du sous-bois très dense et poussa une exclamation en découvrant ce qui semblait être les vestiges d'une colonnade.

— Paul ! Viens voir ! Regarde ces pierres ! Ce ne peut pas être naturels, elles semblent avoir été taillées. Et, en plus ce ne sont pas des pierres de la région. Je ne suis pas géologue mais par ici la roche est plutôt ocre. Or, celles-ci sont bien blanches.

— Oui en effet, dégage un peu le lierre qui les cache.

— Qu'avons-nous découvert ?

— Je ne le sais pas mais cela pourrait être plus important que je ne le pensais. Qu'en pensez-vous ? dit Paul en se tournant vers le vieil homme.

— Où êtes-vous ?... Paul regardait dans toutes les directions mais l'homme avait disparu.

— Où est-il passé ?

— Je ne sais pas. J'étais penché pour arracher le lierre et je ne l'ai pas vu partir.

En haussant les épaules, Paul dit à son étudiant.

— Tant pis ! Et il serait peut-être temps de rentrer, Laurence ne va pas tarder.

Ils ramassèrent leurs affaires puis reprirent tranquillement la descente vers la maison tout en discutant sur leurs découvertes. Ils étaient très surpris car aucun sanctuaire ou monument antique n'était répertorié dans la région. Il y avait bien quelques légendes qui parlaient de "Porte des Enfers" ou du "Portail des Fées" comme dans beaucoup d'endroits mais en général cela se rapportait à des structures mégalithiques préhistoriques et non pas à des bâtiments d'origine romaine comme semblaient l'être ces blocs de marbre usés.

Sans faire attention aux mouvements de la végétation qui les entouraient, ils franchirent le ruisseau qui les séparait de la maison. Laurence les attendait avec la commande de sushi et elle avait même préparé la table sur la terrasse.

— C'est incroyable ce que nous avons vu là-haut ! lança Thibault enthousiaste. C'est bien plus qu'une simple pierre gravée.

— Vous me raconterez tout cela en mangeant, répondit-elle en fixant Paul avec un grand sourire.

Tout excité, Thibault s'installa à table et commença à installer son ordinateur pour y introduire la carte mémoire de l'appareil photo. Il pourrait montrer leurs découvertes à sa collègue qui pour le moment dévorait son chef du regard.

Paul tentait de calmer l'excitation de son étudiant en modérant ses propos. Pour le moment, ils n'avaient rien de vraiment tangible à part la forme et la nature des pierres et ce qui semblait être le pavage du parvis d'un petit temple.

— Mais c'est passionnant tout cela ! J'ai hâte de monter voir demain matin.

Ils finirent tranquillement leur repas et tandis que Thibault s'éloignait pour aller fumer une cigarette dans le jardin Laurence se rapprochait de Paul qui achevait de ranger dans la cuisine. Alors qu'il avait le dos tourner pour préparer un café, elle se glissa près de lui et négligemment laissa sa main frôler sa cuisse, il sursauta sans rien dire et continua son rangement. Elle n'insista pas et s'éloigna.

— On le prend dehors, il fait encore bon et vu le ciel étoilé, nous verrons peut-être des étoiles filantes, ce sera l'occasion de faire un vœu.

— Oui, bien sûr !

Pensif, Paul respirait le fumet de son café. Elisabeth devait être installée à son hôtel. Il l'appellerait demain pour savoir comment son voyage et son installation s'étaient passés. Il faudrait aussi qu'il lui fasse part de leur découverte de ce soir.

— En voilà une ! Là ! s'exclama Laurence en pointant le ciel du doigt. Vous l'avez vu ?

— Euh ! Non ! Répondirent les deux hommes à l'unisson.

Elle plissa les yeux et leur lança :

— J'ai fait mon vœu.

Ils sourirent sans un mot. Puis, Paul se leva.

— Je vais me coucher, mais vous pouvez rester.

— Non je te suis aussi ! Demain nous allons avoir du travail, je tiens à être en forme ! dit Laurence, le regard ennamouré.

Une fois seul, Thibault veilla un peu plus longtemps, toujours plongé dans son ordinateur. Il ne réalisait même pas que les feuilles des arbres autours de lui frémissaient alors qu'il n'y avait pas un souffle d'air. Il finit par se décider à rentrer quand il commença à sentir la fraîcheur de la nuit.

Il se dirigea vers sa chambre en montant silencieusement l'escalier de bois. Son regard fut alors attiré par une lueur blafarde bleuâtre, à l'autre bout du couloir près de la porte de Laurence.

— Elle doit être sur son portable à jouer ou à regarder ses messages, pensa-t-il.

De son côté, Paul, toujours pensif, repensait à leur découverte de la journée et à la discussion étrange avec leur voisin. Les écrits de la vieille tante ne lui semblaient plus aussi absurdes qu'avant, quand Elisabeth avait commencé à les lui résumer. Le folklore et la légende étaient souvent issus d'une réalité tangible mais il avait du mal à admettre leur réalité. Il passait et repassait sur son écran les photos qu'il avait prises lors de sa première visite. Il les comparait avec celles prises par Thibault. Il y avait d'infimes différences mais il n'arrivait ni à trouver ni à comprendre le pourquoi de ces différences.

Soudain il entendit frapper doucement à sa porte.

— Oui !

— C'est moi ! dit Laurence. Est-ce que je peux entrer ? Je voudrais te parler de quelque chose.

— Bien-sûr ! Entre ! Répondit-il en enfilant rapidement un tee-shirt. Il se leva au moment où Laurence ouvrait la porte.

— Que se passe-t-il dans cette maison ?

Paul la regarda, intrigué.

— Comment cela ? Que veux-tu dire ?

— Lorsque j'ai éteint la lumière, d'un coup la chambre s'est retrouvé éclairée par une lumière bleuâtre sortie de nulle part. Les rideaux se sont mis à bouger alors qu'il n'y avait pas de courant d'air.

— J'ai bien vu de la lumière bleue sous ta porte mais je pensais que tu étais sur ton ordinateur.

— Non ! Rien de tout cela. Je voulais dormir.

Paul remarqua alors que Laurence était debout devant lui en tenue très légère. Il rougit mais ne dit rien.

— Allons voir ! dit-il pour ne pas avoir l'air trop indiscret de la fixer ainsi.

Il fallait dire que Laurence avait des atouts non négligeables qui faisaient se retourner nombre d'hommes et même de femmes sur son passage.

Il la précédait dans le couloir sombre. La maison était silencieuse et on n'entendait que le craquement du parquet sous leurs pas.  Paul entra le premier dans la chambre et constata que l'un des gris-gris de tante Janis n'était plus à sa place. Il se retourna vers Laurence.

— C'est toi qui a déplacé ce grigri ? lui demanda-t-il ennuyé en montrant l'objet qui se trouvait sur la commode, au lieu d'être accroché près de la porte.

— Non ! Je l'ai trouvé par terre en entrant et je l'ai reposé sur la commode. Je ne savais pas où il était accroché avant. Il y a tellement de crochets vides dans cette pièce.

— Oui ! C'est vrai ! Moi-même, j'ignore sur quel clou il était fixé.

Il le fixa de nouveau sur le mur, en espérant que ce soit le bon endroit.

— Elisabeth et Natacha ont été très claires sur ce point. Il ne faut surtout pas toucher à tous ces colifichets ésotériques positionnés par la tante Janis.

— Pourquoi, il y a des fantômes dans cette maison ?

Paul rigola.

— Non ! Je crois pas ! Mais la tante Janis avait des lubies parfois étranges, selon Elisabeth. Et l’une des principales était de ne jamais déplacer ces objets chargés de mysticisme...

— Alors qu'ils discutaient au milieu de la chambre, Laurence sursauta.

— Tu as senti ?

— Quoi donc ?

— Ce courant d'air. J'ai senti quelque chose sur les cuisses.

— Ton imagination te joue des tours. Je t'assure qu'il n'y a rien.

Paul regarda partout et rassura Laurence avant de la laisser seule dans la chambre.

Allongé, fixant le plafond, il se demandait ce qui avait bien pu affoler sa collègue à ce point, elle n'était pourtant pas du genre impressionnable. Il savait aussi qu'elle n'était pas non plus une adepte d'ésotérisme et qu'elle ne croirait pas aux fantômes dès la première manifestation inexpliquée.

Il finit par s'endormir les pensées tournées vers sa bien-aimée, cela faisait à peine une semaine qu'elle était partie et elle lui manquait déjà. Ses derniers messages étaient assez encourageants, elle avançait bien sur son projet et elle avait des pistes de clients potentiels. Par contre il y avait un message qui le troublait davantage quand elle lui avait parlé qu'elle avait redécouvert par hasard une partie de sa famille éloignée. Elle allait donc rester en Irlande plus longtemps que prévu afin de les mieux les connaître.

Quand le matin arriva, ils se retrouvèrent tous les trois dans la cuisine pour prendre le petit déjeuner et parler du programme de la journée.

— Nous allons devoir commencer par bien baliser le site et débroussailler autour de la source et de la pierre comme nous avons commencé hier soir. J'ignore jusqu'où le pavage peut aller mais nous ne pourrons pas dépasser les limites de la propriété d'Elisabeth.

— Cela m'intrigue, répondit Thibault. Nulle part nous n'avons trouvé de référence à un quelconque sanctuaire ou autre lieu mystique dans tous les documents que nous avons pu étudier avant de venir. D'autant plus que ces pavés ne sont pas faits avec des pierres de la région mais qu'ils proviennent de régions granitiques. Pourquoi ?

— Si nous arrivons à savoir où mène ce chemin peut-être auront nous un début de réponse. Nous savons déjà qu'il arrive à la pierre qui se trouve près de la source. Suivons-le le plus loin possible dans les bois. De toute manière, vu la falaise qui se dresse au fond de la combe, il ne doit pas être très long.

— C'est vrai et c'est ce qui est intriguant. Pourquoi faire un tel chemin sur seulement quelques dizaines de mètres ?

— Bon ! Plus vite on sera là-haut, plus vite nous aurons la réponse. On prend les casse-croûte pour midi et de quoi se désaltérer et on y va.

Ils achevèrent de se préparer et chacun avec son sac à dos, ils commencèrent la montée sur le sentier.

Thibault partit devant, laissant Paul et Laurence seuls.

— La fougue de la jeunesse ! s'amusa Laurence.

— Oui, tu as raison ! Mais je crois aussi qu'il est impatient de voir si les glyphes de la pierre vont s'adapter à sa théorie. Et, si l'algorithme sur lequel il a travaillé toute la nuit va répondre à ses attentes.

— Oui ! Il nous bassine depuis hier soir avec sa théorie des portes permettant de passer d'un point à l'autre du globe en voyageant dans un monde parallèle. Son passage en Féerie comme il dit si bien. Pourtant, il ne se drogue pas.

— Non je ne crois pas, mais il a toujours été un rêveur.

En disant cela, Laurence se rapprocha de Paul et lui prit la main. Surpris, il la regarda mais au lieu de retirer sa main, il lui rendit son sourire. L'étroitesse du sentier les empêcha de continuer main dans la main et quand elle le lâcha, il remarqua une ombre passer derrière elle en même temps qu'un courant d'air fit frémir la végétation alentour. Troublé par l'attitude de Laurence, il ne comprenait pas pourquoi elle agissait de cette manière. Ce n'était pas dans ses habitudes. Il avait même été persuadé que les hommes ne l'intéressaient pas.

Thibault s'était déjà mis au travail et il avait achevé de débroussailler autour de la pierre, il était à genou en train de photographier l'ensemble des motifs.

— Pendant que je finis de rentrer ces images dans l'ordi, vous devriez peut-être longer le chemin et voir où il mène, ensuite nous pourrons peut-être dégager ce qui semble être des vestiges de colonnes.

— Oui tu as raison, suivre les pavés ne nous prendra pas beaucoup de temps nous sommes à environ une trentaine de mètres de la falaise. J'y vais avec Laurence et nous verrons bien ce que nous trouverons.

Laurence sourit et accepta avec enthousiasme de suivre Paul. Délestés de leur sac, ils progressaient sous les arbres. Plus ils avançaient et plus la trace des pavés était recouverte par la végétation. Pour être sûrs de suivre le chemin, ils devaient régulièrement s'arrêter pour gratter le sol afin de vérifier leur chemin. Heureusement pour eux, à l'image des voies romaines, le tracé était rectiligne et comme ils s'y attendaient, il se dirigeait droit vers la falaise. Alors qu'ils n'étaient plus qu'à quelques mètres, Laurence remarqua que les arbres étaient vraiment anciens.

— Enfin ! Vous êtes là ?

Laurence et Paul se retournèrent surpris.

— Ah ! C'est vous !

— Qui est-ce ? demanda Laurence.

— Le voisin que nous avons rencontré hier soir lorsque nous sommes venus avec Thibault.

— Oui ! Jeune homme. Cela fait bien longtemps que personne n'était venu jusqu'ici.

— Qui a construit ce chemin ? demanda Laurence.

— Si je vous le dis, vous ne me croirez pas.

— Dites-nous ! Après ce que nous avons découvert sur la pierre, nous sommes prêts à tout entendre…

Prenant un air mystérieux, le vieil homme répondit :

— Le plus grand magicien qui n'ait jamais existé !

Paul et Laurence se regardèrent intrigués et éclatèrent de rire.

— Merlin ? Mais c'est un personnage littéraire.

Toute légende a une part de réalité. Regardez ! L'Iliade et l'Odyssée, la ville de Troie a réellement existé. Il y a une part de vérité dans les chevaliers de la Table Ronde.

— D'accord ! Mais cela ne nous explique par le pourquoi de ce sentier aussi court. Pourquoi avoir pavé ce sentier avec des pierres aussi bien taillées pour une si courte distance entre deux points où personnes ne vient jamais ?

— Souvenez-vous de ce qui vous est arrivé lors de votre première visite ! Rien n'est figé dans notre monde. Et vous ! dit-il en regardant Laurence. Pensez à cette nuit !

Paul vit alors Laurence rougir et baisser les yeux.

— Ce que vous allez découvrir en fouillant la source et le long de ce chemin risque de bousculer vos certitudes.

— Que voulez-vous dire ?

— Simplement que vous allez devoir remettre en cause beaucoup de vos certitudes. Si vous le voulez, ce soir je peux passer et vous raconter ce que je sais sur ce lieu mais pour le reste il faudra que vous trouviez vous-même.

 

Après ces mots sibyllins, le vieil homme laissa Paul et Laurence à leurs réflexions et disparut dans les bois. Les deux jeunes gens arrivèrent enfin au bout du chemine et découvrirent qu'il s'engageait dans une sorte de grotte. N'ayant pas d'éclairage, ils ne pénétrèrent pas profondément sous la falaise. Mais de là où ils se tenaient,  ils purent apercevoir des gravures à l'entrée de la grotte qui ressemblaient aux formes sculptées sur la pierre de la source. Ils découvrirent aussi des motifs que l'on peut trouver sur les pierres taillées existantes dans les pays celtes.

— Rejoignons Thibault mais je pense que comme je le pressentais hier, nous ne pourrons pas tout étudier à fond tout seul. Il va me falloir en informer Elisabeth et lui demander son avis car nous sommes sur sa propriété.

— Il faudra revenir ici quand même ?

— Oui bien sûr ! Au moins pour photographier l'entrée.

Ils redescendirent sans un mot vers la source, et à nouveau Laurence prit la main de Paul. Elle resta près de lui jusqu'au moment où ils virent Thibault penché sur le socle d'une colonne qu'il avait dégagée.

— Alors, tu as trouvé autre chose ?

— Oh non, rien de spécial ! l'algorithme m'a simplement sorti une série de mot que je ne comprends pas. Une liste de noms.

— C'est déjà cela.

— Oui, mais cette liste correspond à des prénoms français transcrit en caractères runiques. Regardez si on les lit de haut en bas : Pierre, Elisabeth, Héloïse, Emiliette, Léopold et le dernier est illisible.

Paul resta songeur à l'énoncé de ces noms.

— Qu'as-tu ? demanda Laurence.

— Ces noms ne me sont pas inconnus. Ils ressemblent aux prénoms d'ancêtres d'Elisabeth, je lui demanderai des précisions quand je l'aurais au téléphone ce soir.

A la mention d'Elisabeth, le regard de Laurence devint sombre et elle se renfrogna.

— Si nous nous mettions au travail, dit-elle sèchement.

— Oui tu as raison ! Thibault a déjà bien travaillé en nettoyant cette pierre, je pense que nous devrions repérer les restes des colonnes. Cela nous donnera une idée de la structure qui entourait la source.

Ils s'attelèrent aussitôt à la tâche, et comme, elle le faisait depuis le matin, Laurence s'arrangeait pour rester auprès de Paul. Thibault d'un côté et Laurence et Paul de l'autre, ils repérèrent les colonnes et balisèrent les positions où ils pensaient en trouver par rapport à la position des restes visibles.

De retour à la maison, ils rentrèrent les données dans l'ordinateur et rapidement Thibault réalisa un modèle à partir des clichés et des mesures prises sur le site.

— Cela nous fait un bâtiment rectangulaire d'environ cinq mètres sur huit. Je dirai, vu sa position, qu'il devrait faire face à la source.

— Pour en être certain, il nous faudrait creuser et voir si nous découvrons des murs ou des ouvertures.

— C'est évident, mais même alors nous ne pourrons être certain de son aspect et de sa fonction. Sanctuaire, abri ? Autre chose ?...

— Ne pourrions-nous pas le savoir sans avoir à creuser avec ces radars de sol permettent de découvrir s'il y a des structures enterrées ?

— Si bien sûr ! Mais, nous n'en avons pas avec nous. Il faudrait demander à l'Institut si nous pouvons en emprunter un.

Paul réfléchit un instant.

— Thibault ! Tu iras le chercher demain. Je vais envoyer un mail ce soir pour les informer.

— Oui ! Pas de soucis ! Mais qu'allez-vous faire pendant ces deux jours ?

Ne t'inquiète pas ! répondit Laurence. Nous avons du travail pour dégager la végétation afin que le sondeur ne soit pas trop perturbé.

Quand ils eurent tous regagnés leurs chambres, Paul appela Elisabeth pour lui donner des nouvelles sur l'avancement des fouilles. Elle accueillit avec joie ces informations et en particulier la découverte de la grotte qu'elle ne connaissait pas. Elle lui parlait en retour de ses rencontres et du plaisir qu'elle prenait à renouer le contact avec cette branche éloignée de sa famille.

— Je te ferais un mail te donnant l'autorisation de faire des fouilles plus approfondie, je pense que mon séjour ici va se prolonger. J'ai fait de nouvelles découvertes qui sont passionnantes au sujet de ma famille et de nos origines. Le manoir de mes cousins éloignés est une véritable caverne d'Ali Baba.

— Merci mon cœur ! Bisous et bonne nuit !

Paul s'endormit tranquillement sans se douter que dans la chambre voisine, Laurence jubilait de se savoir seule avec lui pour les prochains jours.

 

Au petit matin, il fut réveillé par une odeur de café qui montait de la cuisine. Il descendit. Laurence avait préparé le petit-déjeuner sur la terrasse. Elle l'accueillit avec un peignoir de satin qui cachait à peine ses formes. Il était gêné mais en même temps, il avait encore l'esprit embrumé par les rêves étranges qu'il avait fait au cours de la nuit. Dans ceux-ci, ils exploraient la grotte avec Laurence et découvraient un monde surprenant de créatures irréelles mais surtout, il se voyait tromper Elizabeth avec elle. Il se disait que ce n'était qu'un rêve mais en voyant Laurence souriante s'approcher de lui pour l'embrasser, il prit peur.

— Que fais-tu ?

— Moi ? Mais rien, je venais juste te dire bonjour…

Il voulut reculer mais il ne pouvait plus bouger. Lorsque les lèvres de Laurence se posèrent sur les siennes, il répondit à son baiser comme poussé par une force étrangère. Leur baiser dura longtemps et quand il se mua en une douce étreinte, il ferma les yeux

Quand il sortit de ce qui lui semblait un rêve éveillé, il réalisa que sa collègue était à moitié nue et le regardait radieuse et détendue. Il secoua la tête en comprenant ce qu'ils venaient de faire, il se prit la tête entre les mains et commença à pleure. Il se demandait comment il avait pu tromper Elisabeth.

— Tu en avais envie tout comme moi, lui dit Laurence en venant le réconforter.

— Oui ! Mais nous n'aurions pas dû.

— Ce qui est fait et fait et personne n'en saura rien.

— Oh si ! Nous, nous le savons… Entendirent-ils dire une voix caverneuse dans un coin de la pièce.

Ils se retournèrent mais ils ne virent qu'un simple halo dans l'ombre des rideaux.

— J'ai cru apercevoir un visage près de la fenêtre.

— Oui ! Moi aussi, mais nous sommes seuls.

— J'espère ! Cet endroit est vraiment plein de mystères… termina Laurence.

Ils reprirent leur petit déjeuner où ils l'avaient laissé afin de retourner explorer les alentours de la source et la grotte qu'ils avaient découverte la veille. Le travail n'avançait pas vite, Paul était perturbé par la présence de Laurence, il ne pouvait pas la quitter des yeux, il ne comprenait pas comment il avait pu céder si facilement aux avances de cette jeune femme. Il essayait de se concentrer sur ce qu'il faisait mais il laissait échapper ses outils.

— Je n'arrive pas à me concentrer. Que dirais-tu de retourner à la grotte pour voir ce que nous pourrions y trouver ?

— Oui avec plaisir, dit Laurence en se relevant alors qu'elle était en train de dégager un fragment de céramique bleue.

Main dans la main, ils prirent le sentier vers la falaise comme lors de leur dernier passage, ils sentirent des frémissements sur leur peau et virent les feuilles remuer alors qu'il ne semblait pas y avoir de vent. Paul constata qu'il pouvait bien voir les vestiges quasiment invisibles de la route pavé, en faisant attention, on remarquait la légère différence de végétation entre la zone où les pavés étaient recouverts et le reste de la forêt. Lorsqu'ils furent devant l'entrée de la grotte, Paul sortit les lampes torches qu'il avait pris soin de prendre le matin et ils avancèrent prudemment dans la semi-obscurité.

— On dirait que les parois brillent ! remarqua Laurence.

— Cela m'avait frappé hier, mais je ne pensais pas que cela allait si loin.

Ils s'étaient profondément enfoncés dans la falaise. Le passage souterrain avait fait quelques coudes mais il était facile de suivre le couloir principal si on faisait attention aux motifs gravés sur les parois. Ils finirent par arriver au fond d'une immense chambre souterraine.

— Je crois que nous ne pouvons pas aller plus loin ! dit Laurence en se rapprochant de Paul.

Il balaya les parois avec la torche mais nulle part, il ne voyait d'ouverture. Il distinguait bien quelques gravures sur les parois mais absolument rien qui laisserait présager la présence d'un passage dérobé.

— On n'est pas à Hollywood, il n'y a pas de passage secret, soupira Laurence.

— Oui je suis bien d'accord ! Mais alors pourquoi cette route pavée ? Elle n'a aucune raison d'être.

— Sauf ! Si cette pièce servait de salle de réserve pour le temple de la source. Il fallait bien transporter les marchandises en toute sécurité.

— Pour une distance aussi courte ! Faire une voie pavée aussi large !

— On ignore tout de ce qu'était ce sanctuaire et de son importance. Nous allons devoir attendre le retour de Thibault avec le sondeur pour nous faire une idée.

— Je le sais bien mais… Oh regarde ce bas-relief !

Ils se rapprochèrent des motifs sculptés sur la paroi. Paul sortit son appareil photo afin de pouvoir les analyser tranquillement depuis la maison avec son ordinateur. Plus ils découvraient de choses et plus le site leur semblait mystérieux. Ils étaient passés d’un petit sanctuaire antique dédié à une divinité locale à quelque chose de bien plus majestueux. La route pavée, la colonnade autour de sanctuaire, le porche d'entrée de la grotte et peut être d’autres découvertes à venir leur faisait prendre conscience qu’ils devraient faire appel à des renforts supplémentaires.

En prenant les photos, Paul et Laurence se rendirent compte que les gravures décrivaient de petites saynètes, certaines de la mythologie antique en mêlant légendes celtes et gréco-romaine et d’autres des scènes de la vie quotidienne à diverses époques. Celle qui paraissait avoir été gravée le plus récemment montraient un homme en train d’importuner une jeune femme.

— Vous admirez le mur des fantômes ! dit une voix derrière eux.

Le vieux voisin les avait rejoints sans qu’ils l’eussent entendu. Devant leur mine stupéfaite, il leur raconta alors que les gens de la région qui connaissaient ce site disaient que ce mur représentait les raisons pour lesquelles les morts devenaient des fantômes. Ces gravures exposaient aux yeux de tous et surtout du gardien des enfers les causes qui les empêchaient de trouver le repos dans la mort.

Il leur montra la scène qui illustrait le meurtre d’une jeune femme par un groupe de soudards.

— Vous voyez cette demoiselle ! Elle a été violée et assassinée par des soldats en bagaudes. Depuis son fantôme erre dans la région pour protéger les jeunes filles des hommes trop entreprenants…

— Une protectrice…

— Plus que cela, une vengeresse… vous voyez cette dernière gravure. Cet homme était un pervers qui s’en prenait aux très jeune filles. Un jour il a disparu au cours d’une de ses promenades matinales…

— Et alors ? demanda Laurence.

— Elle l’a attiré jusqu'à la source que vous étudiez et il s’est noyé. Son corps n’est jamais remonté et sa famille qui connaissait ses travers n’a rien fait pour le retrouver, trop contente d’en être débarrassée. Depuis, il erre aussi, il ne pourra rejoindre les limbes que lorsqu'il aura réparé ses méfaits…

Les deux jeunes écoutèrent le vieil homme qui leur expliquait chaque gravure. Pour plusieurs d’entre elles Paul fit le rapprochement avec des membres de la famille d’Elisabeth. Encore des questions à lui poser, mais connaissait-elle l’existence de cette grotte et de ses mystères.

Laurence s’était rapprochée de lui et venait de poser sa tête sur son épaule.

Quand il eut fini de parler, le vieil homme se recula et les laissa seuls. Ils ne le virent même pas disparaître tellement ils étaient pris par les histoires résumées sur la paroi.

Ce fut quand la main de Laurence s’attarda dans le dos de Paul que celui-ci sortit de sa torpeur. Il regarda la jeune femme qui l’accompagnait et une nouvelle fois, mû par une force invisible, il l’embrassa. Une lueur vive les enveloppa et ils perdirent la notion du temps.

Lorsque Thibault rentra avec le matériel qu’il était allé récupérer, il chercha ses deux chefs dans la maison. Aucun des messages annonçant son retour n’avaient reçu de réponse. Inquiet, il grimpa à la source.

Il fut surpris de découvrir du matériel installé et qui s’était arrêté faute de batterie. Ni Paul ni Laurence n’étaient visibles. Il regarda autour de lui, il ne trouvait aucun indice de leur présence. Il avait beau les appeler, il ne recevait aucune réponse. Quand il vit le chemin pavé, il se dirigea vers la grotte. Il lui sembla que les ronces et les autres herbes folles avaient été dégagées même s’il ne pouvait pas en être certain.

Il franchit le seuil du souterrain, intrigué par la sphère lumineuse qu’il voyait au fond. Il s’approcha lentement et il distingua deux personnes enlacés. Quand il fut près du couple, il tendit doucement le bras et du bout des doigts, il frôla la bulle bleue.

Aussitôt, la lueur disparut et il reconnut Paul et Laurence qui sursautèrent en le voyant.

— Thibault ? Que fais-tu là ? Fit Laurence

— Ce serait plutôt à moi de vous demander ce que vous faites là ! Cela fait deux jours que je vous ai dit que j’arrivais avec le radar et vous n’avez pas répondu…

— Comment ça deux jours ? Nous ne sommes là que depuis quelques minutes… dit Paul un peu honteux d’avoir été surpris dans cette position avec sa collaboratrice par leur étudiant.

— Je suis parti il y a cinq jours et je vous ai dit mercredi soir que je serai là dans l’après-midi… nous sommes vendredi.

— C’est impossible… nous sommes juste mercredi matin. Le vieux voisin venait de nous expliquer la signification des scènes sur ces gravures…

— Quelles scènes ? Je ne vois que des symboles abstrait typique du néolithique…

— Je ne comprends plus rien… pourtant Laurence tu les as vu comme moi ?

— Oui ! Tu as même fait des photos. Regarde !

Paul alluma l’appareil et montra les clichés à Thibault et la date indiqué sur l’appareil.

— L’appareil à du avoir un souci, il indique mercredi…

— Ben oui ! Normal… Nous sommes mercredi…

— Non ! Nous sommes vendredi… Retournons à la maison et mettons cela au clair. D’ailleurs vous verrez les appareils autour de la source sont tous arrêtés par manque de batteries.

Quelques minutes plus tard, ils sont tous sur la terrasse de la maison. Paul a chargé les images qu’il avait prises afin de les examiner attentivement. Quand ils commencèrent à les afficher sur l’écran, ils ne prirent pas conscience du mouvement d’air qui se produisit derrière eux.

Ils étaient tous fébriles. Aucun d'entre eux n’avait parlé pendant le retour. Ils avaient rangé le matériel laissé à la source afin d’analyser les enregistrements.

La situation dans laquelle Thibault les avait surpris rendait Paul et Laurence gênés. Si on ajoutait à cela, le décalage temporel entre eux et le jeune homme, ils étaient encore plus perdus.

Paul s’était rendu compte qu’Elisabeth lui avait laissé des messages auxquels il n’avait pas répondu. Que pouvait il lui dire après ce qu’il venait de faire avec son assistante ?

Seul Thibault conservait l’esprit lucide et cherchait à comprendre ce qu’ils étaient en train de vivre.

— Vous vous souvenez qu’avant de partir, je vous disais que le fond de la grotte avec son porche sculpté dans la paroi me faisait penser à un portail…

— Oui ! mais rafraîchis-nous la mémoire !

— Eh bien ! Voilà…

Thibault leur expliqua qu’il avait profité de son retour à leur bureau pour lancer des recherches avec les photos qu’il avait en sa possession. Avec l’algorithme qu’il avait conçu, il avait lancé des comparaisons.

Il avait ainsi trouvé des motifs très proches de ceux trouvés dans la grotte et autour de la source, répartis un peu partout dans le monde. Ensuite, Il avait ajouté divers éléments des mythologies qui parlaient de routes, de passages.

Donc, il avait pu identifier trois sites en France dont un en plein centre de Paris.

Il = dit à Paul qu’Elisabeth était proche d’un de points de passage en Irlande et que, bien sûr, beaucoup de grands sites archéologiques ou religieux pourraient aussi être des portails.

— Si comme tu le dis ce sont des points de passage, où mènent ils ? demanda Laurence.

— Je l’ignore. Les éléments que j’ai trouvés ne sont pas clairs et proviennent tous de légendes. Dans certains cas, c'est vers la mort, les enfers ou le paradis, dans d’autres cas, le monde des fées ou des dieux…

Paul était pensif. Comment se faisait-il qu’aucun archéologue ou historien n’ait fait mention de ces ressemblances ? Pourquoi seuls des textes mythologiques ou des contes pour enfants faisaient référence à ces lieux.

Ils regardaient avec attention les motifs et les gravures représentant les personnages. Ces scènes étaient clairement des instantanées de la vie quotidienne à différentes époques. Au moment où ils détaillaient celles qui montraient l’incendie d’une ferme par des villageois en colère, il y eut une coupure de courant.

Sous leurs yeux incrédules, une puis deux formes se matérialisèrent. En quelques secondes, ce qui n’était que des formes vaporeuses devinrent des êtres de chairs. Ils étaient vêtus à la mode du dix-huitième siècle, un homme et une femme, d’apparence assez jeune. Même si leur visage montrait qu’ils avaient certainement vécus de pénibles épreuves.

— Qui êtes-vous ? osa questionner Thibault, peut-être le moins impressionné des trois.

— Emiliette et Léopold… répondit le fantôme qui venait d’apparaître sous leurs yeux. Nous habitions cette maison, il y a bien longtemps. Et, nous vivions tranquilles notre éternité depuis notre mort.

Paul n’arrivait pas croire ce qu’il voyait, il se souvenait qu’avec Elisabeth, il avait découvert dans les carnets de tante Janis l’historique de la propriété depuis la fin de la Renaissance. Ces deux personnes étaient de lointains ancêtres de sa fiancée.

Sidérés par cette apparition, ils restaient silencieux. On pouvait voir qu'ils tentaient de comprendre ce qu’ils étaient en train de vivre mais que l’effroi les frappait en raison de l’étrangeté de la situation. Laurence tremblait, Paul ne pouvait prononcer un mot. Thibault était le moins effrayé des trois. A la vue des fantômes, instantanément les récits de son ami Gérald lui revinrent en tête. La possibilité d'un monde de l'entre deux lui avait été révélée déjà, même s'il en était resté dubitatif en raison de sa tournure d’esprit. Il réfléchissait, ce que Gérald racontait lorsqu’ils se retrouvaient avec des copains pour jouer ne seraient donc pas uniquement des histoires. S’il acceptait de croire aux fantômes, il devait donc accepter que les portails, les fées, les dieux, les démons et autres créatures fantastiques existaient.

Laurence fut la plus prompte à réagir. Depuis que Paul lui avait remis le fragment de roche provenant de la stèle de la source, son esprit était plus sensible aux manifestations en provenance du sur-monde. Elle comprenait maintenant que ce qui leur avait semblé être des courants d'air était le passage des spectres auprès d'eux.

— Où est Pierre, je veux lui parler…

Aussitôt les deux apparitions frémirent et s'agitèrent. Elles semblaient vouloir leur dire quelque chose, elles étaient affolées et leur trouble devint si intense qu'elles ne purent conserver leur matérialité et disparurent.

Paul et Thibault la regardèrent intrigués.

— Qui est ce Pierre ? demanda Thibault.

— Tu te souviens de ces noms gravés sur la pierre que nous avons relevés le premier jour…

— Oui, bien sûr !

— C'était un arrière grand-oncle d’Elisabeth, répondit Paul. Un homme peu recommandable, il a disparu mystérieusement, au grand soulagement de la famille m'a-t-elle dit.

— Oui, renchérit Laurence. Paul, tu me pardonneras, mais j'ai découvert ce carnet sous une latte disjointe du parquet de ma chambre et je l'ai lu…

— C'est un carnet de Janis !

— Oui ! Et c'est un carnet qu'elle a tenu secret… Et je comprends pourquoi… Cette maison cache un lourd secret et les fantômes qui la hantent en sont peut-être la clé.

— Que veux-tu dire ?

—Tu le sais Thibault… Ton hypothèse des portails, ce n'est pas qu'une hypothèse… C'est une réalité…

Paul la regardait incrédule, Laurence la cartésienne, comment pouvait-elle sortir de telles énormités. Elle vit la stupeur sur le visage de son collègue.

— Lis ce carnet… et tu comprendras.

Thibault était tout aussi désemparé mais aussitôt, il se plongea dans ces notes et intégra cette nouvelle donnée à ses algorithmes de travail. Il avait oublié la présence du couple et pris son ordinateur. Puis, il alla s’enfermer dans sa chambre.

Paul sortit sur la terrasse le carnet à la main, songeur. Laurence le suivait et elle se colla contre lui.

— Je ne comprends plus rien !

— Je crois que nous pouvons stopper les fouilles que nous avons commencé. Nous devrions même détruire ce que nous avons découvert…

Elle lui dit cela en lui caressant la poitrine et en cherchant ses lèvres. Sous l'influence de l'esprit de la source, altéré par la perversité de l’oncle Pierre, Laurence était en train de soumettre Paul à son emprise. Une part de son être savait qu'il devait la repousser mais il en était incapable. Il voyait sa collègue comme une amante dont il n'aurait jamais imaginé qu’il en existât une aussi flamboyante. Il ressentait dans son corps la puissance d'un amour brut. Il plongeait dans cette amour, oubliant le reste. A nouveau, ils passèrent la nuit ensemble.

Si le fantôme de Pierre aspirait à la rédemption pour enfin connaître la paix et cesser son errance, le travail du fragment poursuivait son emprise maléfique. La perversion pénétrait de plus en plus profondément le corps de Laurence en libérant un besoin insatiable de prédation. Son trouble augmentait, il lui insufflait sa volonté de domination sur les personnes de l'autre sexe. Elle devait séduire pour dominer. Pendant qu'elle était avec Paul, elle réfléchissait à la manière de séduire Thibault pour le prendre dans ses filets.

Elle n'était plus la jeune archéologue réservée et timide. Elle ne pouvait plus contrôler son désir pour les hommes. Elle était mue par le besoin impératif de satisfaire sa soif de plaisir. Elle devenait une vampire qui se nourrissait de l'adoration que les hommes devaient lui porter.

Paul ne l’écoutait pas et s’il sentait la main de sa collègue lui caresser le torse sous son t-shirt, il ne s’en préoccupait pas. Il feuilletait ce carnet. Il était différent des autres qu’ils avaient trouvés avec Elisabeth. Celui-ci était une liste de notes écrite au fur et à mesure sans ordre logique, sans aucune mise en forme. Comme si elle avait été trop pressée de retranscrire ses pensées et ses idées pour les rédiger plus tard, pour ne pas les oublier. Il releva la tête et ses yeux croisèrent ceux de Laurence. Il voulut lui parler mais il ne résista pas quand elle approcha son visage pour poser ses lèvres sur les siennes. Et, il en oublia ce qu’il voulait lui dire.

Pendant ce temps, Thibault réussit à contacter son ami Gérald et il lui raconta les dernières péripéties qu’ils venaient de vivre. Plus il lui en racontait et plus le regard de son ami se figeait.

— Tu me dis que vous avez vu des fantômes !

— Comment qualifier des personnes qui se matérialisent sous tes yeux et qui disparaissent presque aussitôt ?

— Effectivement… mais ce n’est pas cela ce qui m’inquiète le plus, c’est surtout le comportement de tes chefs. Tu me disais bien que Paul est fiancé ?

— Oui ! Enfin c’est qu’il nous a dit et quand on le voyait avec Elisabeth cela semblait évident, mais en arrivant ce matin… Après les avoir surpris, je ne suis plus sûr de rien… Et ce soir encore, Laurence et Paul étaient vraiment très proches…

— Je crains qu’un esprit maléfique ait pris Laurence sous son emprise… Les images que tu viens de m’envoyer sont bien celles d’un portail trans-dimensionnel. Mais contrairement aux autres portail qui mène au monde des fées ou au sur-monde, celui-ci est l’entrée d’un monde bien plus mystérieux et peuplé de créatures bien plus dangereuses.

— Tu me parles de portails entre les mondes alors que jusqu’à présent quand je te parlais de mes théories tu te contentais de sourire…

— Tu ne faisais qu’émettre des théories à partir des résultats que ton ordinateur te sortait quand tu rentrais des données. Cela ne te mettait pas en danger… Mais là, tu es en danger…

— En danger ? Comment cela ?

— Le sanctuaire que vous fouillez est un ancien sanctuaire dédié à Aphrodite, et si tu te souviens de ta mythologie, qui était l’époux d’Aphrodite ?

— Oui Héphaïstos, le dieu des enfers…

— Et, là vous avez une source, une caverne avec un portail et une route qui relie l’un à l’autre… Le symbole de l’amour passion qui entraîne la mort…

— Mais comment Laurence a-t-elle pu changer comme cela ? Et Paul ?

— Que sais-tu des fantômes qui hantent cette maison ? Je suis sûr qu’ils sont là pour une raison bien précise…

— Je ne sais pas, ceux que nous avons vu nous ont dit qu’ils vivaient une existence tranquille jusqu’à notre arrivée et Paul nous a parlé d’un membre de la famille de sa fiancée qui aurait eu un passé assez louche avant de disparaître mystérieusement…

— Rien de plus ?

— A part que la tante bizarre était maniaque du rangement et qu’elle ne voulait que personne ne touche à ses breloques ésotériques…

— Et vous y avez touché ?

— J’ai fait tomber un attrape-rêve d’un mur mais je l’ai remis en place… et je crois que Paul se promène avec un vieux bâton de marche de cet oncle étrange…

— Il va falloir que je vienne rapidement… et encore, je ne sais pas si mon savoir sera suffisant, vous avez mis le doigt sur l’un des secrets les mieux gardé de notre monde… Moi-même je ne connaissais pas de passage vers ce monde même si je me doutais de leurs existence…

— Que risquons-nous ? demanda Thibault, soudain inquiet.

— Je ne peux pas te le dire exactement… Je vais me renseigner. Mais ! S'il y a des protections ou des sorts dans ta chambre, surtout n'y touche pas.

Pas franchement rassuré par ces mots, il eut du mal à s'endormir.

Au matin, il fit celui qui ne remarquait pas le manège de ses chefs et surtout la gêne affichée par Paul. Il tenta de détendre l'atmosphère en expliquant ce qu'il avait trouvé avec l'aide de Gérald pendant la soirée. Il demanda à Paul s'il pouvait lire le carnet.

— Oui bien sûr ! Lui dit-il en lui tendant négligemment le carnet tandis que Laurence s'activait dans la cuisine.

Comme Paul quand il le feuilleta, il fut surpris par son contenu, des dates, des lieux, des événements et des notes. Il le referma pensif. Il devrait rajouter cela à sa base de données. Il y avait dans carnet plus d'informations que toutes celles qu'il avait pu glaner çà et là depuis que Gérald avait éveillé sa curiosité pour ces portails.

— Il serait temps de monter à la source pour voir ce que le radar de sol va nous révéler.

Paul avait dit cela d'un air décidé qui contrastait avec son aspect déprimé quelques minutes auparavant. Laurence fronça les sourcils. Elle était toujours en tenue de nuit et ne semblait pas décidée à s'habiller. Elle tenta de convaincre les garçons de l'inutilité de leurs fouilles. Mais si son amant avait pu se laisser convaincre la veille au soir, il était revenu sur sa décision et l'enthousiasme de son étudiant lui permettait de lutter contre le pouvoir grandissant de sa collègue. Ils se retrouvèrent tous les deux dans la grange pour déballer et monter le matériel au sanctuaire.

A la fin de la matinée, tout était prêt et ils décidèrent de le mettre en place pour commencer les sondages dans l'après-midi.

Laurence de son côté n'était pas restée inactive, elle s'était penchée sur le déchiffrement des inscriptions dont elle percevait maintenant le sens. Ses capacités de compréhension de ces mystères avaient été accrues par son contact avec le fragment de roche, une part de l’antique esprit de la source l'habitait

Sa perception de la présence des spectres autours d'elle s'était renforcée. Plusieurs fois, elle les interpella en vain mais quand l'un d'entre eux la frôla de trop près et de manière trop intime, en fin d'après-midi, elle se leva et leur ordonna de se montrer.

L'esprit de la source parlant par sa voix, elle vit quatre ombres se matérialiser devant elle. Elle reconnut les fantômes de Léopold et Emiliette, mais les deux autres restaient flous. Elle sut tout de suite que l'oncle Pierre n'était pas là. Léopold en gardien de la maison ne s'en éloignait jamais, Emiliette restait avec son protecteur quant aux deux autres, il s'agissait de très vieux fantômes qui commençaient à s'estomper. Leurs âmes erreraient bientôt pour l'éternité dans les limbes.

— Où est Pierre ? demanda-t-elle une nouvelle fois. Lequel d'entre vous a osé me toucher ?

Elle les fixa l’un après l'autre. Léopold se préparait à répondre quand l'un des vieux spectres trembla et disparut, donnant le signal aux autres qu'ils étaient libres de partir.

Laurence ne maîtrisait pas encore le pouvoir naissant en elle qui lui permettrait de contrôler les spectres. Irritée par cette interruption, elle sortit pour rejoindre les garçons qui travaillaient sur le site.

Profitant de l'absence de la jeune femme, Thibault tentait de faire comprendre à Paul le danger qui les menaçait. Il avait beau lui expliquer ce que son ami lui avait dit la veille, Paul refusait de l'écouter. Il ne pouvait pas croire que sa collègue fut malveillante.

— Regarde ! lui disait le jeune homme. Regarde comme tu es avec elle… Je ne suis pas aveugle. Vous avez couché ensemble.

Paul ne pouvait que baisser la tête, il lui était impossible de nier. Il se savait fautif mais il ne savait comment exprimer à son étudiant qu'il lui était impossible de résister aux charmes de Laurence.

— Gérald, mon ami, voudrait venir pour examiner ce que nous avons découvert. Il m’a dit qu'il pourrait peut-être nous donner des explications…

— Il est historien ou archéologue ?

— Non…

— Alors que peut-il nous apporter ? Répliqua Paul d'un ton bourru qui ne lui ressemblait pas.

— Il est musicien et il est spécialiste des musiques ethniques et celtiques en particulier… Il a redécouvert de nombreuses musiques rituelles en interprétant des symboles gravés sur divers sites archéologiques… Et il est aussi un spécialiste de l'ésotérisme lié à cette culture…

— Je n'en ai jamais entendu parler…

— Normal, tu ne t'intéresses qu'au jazz, dit Thibault en riant.

Il espérait faire retomber la tension de son chef.

— J'ai assisté un jour à un de ses concerts où il projetait des photos de menhir gravé et il jouait de la flûte de pan en suivant les lignes gravées.

— Il n'a jamais publié cela ?

— Non ! car comme, tu viens le dire, il n'est pas historien… Juste musicien… Il préfère faire passer ses idées par l'art et la musique plutôt que dans nos obscures revues de spécialistes…

— Il n'a pas tort…

— Mais ! Pour en revenir à Gérald, je suis certain que sa vision moins technique que la nôtre pourra nous aider.

Paul ne dit rien. Il se contentait de regarder l’écran qui leur montrait une image du sous-sol en fonction de ce que le radar avait détecté dans la clairière entourant la source. Comme ils l'avaient supposé, ils étaient en présence d'une structure rectangulaire de taille modeste, une colonnade entourait un bâtiment avec une pièce unique et peut être une sorte d'estrade à une extrémité.  Au bord de la clairière il avait mis en évidence ce qui pouvait être l'angle d’un autre bâtiment.

Sans défricher, ils ne pouvaient pas en savoir plus. En passant l'appareil sur le sentier qu'il avait emprunté, ils se rendirent compte que la terre avait recouvert le pavage et que la chaussée atteignait surement la maison voir même au-delà. Ces découvertes les laissaient perplexes.

En l'absence de fragments de poteries ou de pièces de monnaies, il leur était impossible de dater les sites qui n'étaient mentionnés dans aucun texte qu'ils connaissaient.

Laurence les retrouva dans cet état, les yeux rivés sur l'écran.

— Que regardez-vous ?

— Les sondages indiquent qu'il y a bien plus qu'un simple temple…

Elle s'approcha et effleure Paul qui frissonne à son contact. Il la regardait à nouveau avec son air énamouré. La proximité de la source augmentait la puissance de l'esprit malin qui habitait la jeune femme. Cependant son professionnalisme prenait le dessus sur son envie de séduire les garçons, elle prit le temps de regarder l'écran.

Elle voyait le sanctuaire et les divers bâtiments se matérialiser autour d'elle. Ses sens aiguisés, elle savait comment l’ensemble du site s’organisait au moment de sa splendeur, il y avait de nombreux siècles.

Elle regardait autour d’elle : les arbres disparaissaient pour faire place au logement des prêtresses d’Aphrodite, la voie pavée qui se dirigeait vers la falaise était empruntée par des pèlerins qui faisaient leur dernier voyage vers le royaume d’Hadès. Elle était submergée d’images du temple en pleine activités. Elle voyait les servantes de la déesse de l’amour accompagnées de ses adorateurs. Ils entraient dans les petites chapelles qui entouraient le temple pour lui rendre hommage avant de rentrer chez eux ou de prendre le chemin de la falaise.

Absorbée par ses visions, elle n'avait plus conscience du monde qui l'entourait. Elle se sentait happée par une force invisible qui lui demandait d’entrer dans le temple. Elle avançait lentement, imprégnée par la magie du lieu et franchit le voile qui empêchait de voir l'intérieur du sanctuaire. Elle vit alors la statue de la déesse en majesté qui resplendissait grâce aux rayons du soleil de midi sur son visage qui pénétraient par le toit ouvert. Elle eut l'impression que la déesse la regardait. Elle ne pouvait pas soutenir ce regard et tomba à genoux.

— Laurence que t'arrive-t-il ? demanda Paul en la voyant tomber à genou entre deux pieds de colonnes après qu'elle se fut éloignée de quelques pas.

Elle sursauta et le regarda le visage hagard.

— J'ai eu une vision…

— Une vision ! Comment cela ?

— Je voyais ce lieu tel qu'il était autrefois quand il était un sanctuaire dédié à la déesse de l'amour… et j'ai vu la déesse…

— Tu as rêvé.

— Peut-être mais regarde… elle montra l'écran. Là ! Cette tâche, c'est une estrade sur laquelle se trouvait une statue de la déesse. Ce mur à la limite de la clairière est celui d'un bâtiment ou les servantes de la déesse accueillaient les pèlerins. Ce site de ce que j'en ai vu s'étend sur tout cet espace plat entre la falaise et le ruisseau qui coule près de la maison… cette route pavée n'est pas une voie romaine comme nous l'avions pensé mais elle est bien plus ancienne…

Thibault la regardait et approuvait ses paroles. Ce qu'elle leur décrivait correspondait à ce que Gérald lui avait raconté la veille au soir. Il devait venir. Il était sûrement le seul à pouvoir les éclairer sur leur découverte.

— J'ai aussi découvert des choses en analysant les inscriptions, je vous montrerai cela ce soir, reprit Laurence.

— Je crois que nous avons fini pour aujourd'hui. Si ce que tu nous dis est vrai, nous devrons sonder sous les arbres…

Ils rangèrent les instruments sous la tente prévue à cet effet et rentrèrent à la maison. Ils se mirent aussitôt chacun devant un ordinateur pour analyser les données collectées en ce jour. Laurence se plaça proche de Paul et lui caressait la cuisse avec sa main. Thibault voyait leur manège. Il était troublé et mais il ne savait pas commet comprendre, malgré les explications de son ami. Il ne pouvait pas s’empêcher de penser à la douleur que ressentirait Elisabeth en découvrant ce qui se passait entre son fiancé et sa collaboratrice. Il était loin de se douter que de son côté, Elisabeth aussi était sous l’influence désastreuse d’un fantôme qui croyait la protéger des hommes mais la jetait dans les bras des femmes.

Ce soir-là, ils établirent une stratégie pour tenter d’explorer le plus possible de terrain dans le bois autour de la source sans avoir besoin de défricher ou de couper les arbres. Ils ne creuseraient que si le sondeur leur donnait des raisons de penser qu’ils pouvaient trouver des artefacts intéressants. Ainsi, ils ne dégraderaient pas trop le site. Paul donna son accord pour que Gérald vint les voir. Peut-être un œil différent pourrait-il les aider à découvrir des choses auxquelles ils ne pensaient pas.

Gérald leur annonça qu’il pourrait passer lors du prochain week-end et il leur demandait d’amasser le maximum de données sur les bâtiments du sanctuaire mais aussi sur la grotte. Il pensait qu’ils trouveraient de nombreuses réponses autour du porche orné.

Les jours suivant et en attendant l'arrivée de Gérald, ils passèrent le radar de sol sur l'ensemble de la corniche du sanctuaire. Comme Laurence l'avait vu dans sa vision, il couvrait l'ensemble de l’espace plat entre la falaise et la combe à l'exception d'une bande de cent mètres où ils trouvèrent de nombreuses petites dalles enterrées.

Le soir après la mise en commun des nouvelles du jour, Paul et Laurence se retrouvaient et Paul ne s'étonnait plus de pas recevoir de nouvelles d'Elisabeth depuis qu'elle lui avait annoncé qu'elle prolongeait son séjour Irlandais.

Le lien qui les unissait se délitait au fil des jours.

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