Après plusieurs heures de route avec le van transportant du matériel léger pour commencer les fouilles autour de la source, Paul s'engageait dans le chemin qui menait au domaine. Laurence assise à ses coté était plongée sur l'écran de son téléphone.
— Nous devrions être gâtés par le
temps, pour les prochaines semaines, l'anticyclone s'est bien installé.
— Heu ! Quoi ?... Ah oui ! J'ai vu ça.
Tant mieux ! Lui répondit-il sans quitter des yeux la route étroite.
Il était plongé dans ses pensées par
rapport à l'attitude d'Elisabeth ces dernières semaines. Plongée dans ses
carnets, l'esprit obnubilé par sa famille irlando-écossaise, c'est tout juste
si elle prenait le temps de lui faire un câlin. Il négocia le dernier virage et
lentement il s'approcha de l'entrée de la propriété. Il était parcouru d'un
frisson étrange, ébloui par un reflet du soleil sur un vasistas du grenier.
Cela l'étonna car vu la position du soleil, il lui semblait impossible que le
reflet puisse atteindre le chemin.
— Elle est superbe cette maison !
lança Thibault, du fond du van. On la dirait sorti d'un roman de Gabriel Garcia
Marquez.
— Oui et l'intérieur est encore plus
surprenant. Mais il y a une règle importante ! Surtout ne touchez à rien. Il ne
faudrait pas réveiller les fantômes ! dit Paul en riant. Natacha semblait très
attachée à ce que tout reste en place. Elle a l'air de croire sincèrement à ces
histoires de spectres et de malédiction.
— Nous sommes au cœur d'une région
marquée par les superstitions de tout ordre. De nombreuses légendes se réfèrent
à des bois sacrés, des sources envoutées et des lacs magiques, précisa Laurence
alors que Paul achevait sa manœuvre pour ranger le van près de la grange afin
de décharger facilement le matériel.
— Lors de notre dernier passage avec
Elisabeth, nous avons fait du rangement dans la grange. Nous devrions pouvoir
facilement y stocker le matériel à l'abri.
— Qui veux-tu qui soit intéressé par
notre matériel ? Et vu l'isolement du site, on ne risque pas de déranger grand
monde. Je suis même quasiment certain que l'on ne va pas pouvoir se connecter
au réseau... Les téléphones captent au moins ? grogna Thibault
— Tu pourras te désintoxiquer de tes
jeux en réseau. Je suis sûre que ta copine appréciera cela à ton retour ! répondit
Laurence de manière glaciale
Elle fusilla du regard le jeune homme
qui passait le plus clair de son temps libre greffé à son ordinateur.
— Vous allez vous calmer tous les
deux, intervint alors Paul car il connaissait les rapports parfois houleux
entre ses deux collaborateurs. Je vous rappelle que nous allons devoir vivre
ici pendant quelques semaines, donc faites un effort pour ne pas vous entre-tuer.
Les jeunes gens sortirent du véhicule
et commencèrent à le vider. Ils faisaient attention à ne pas bousculer le matériel
fragile qui leur permettrait de sonder le sol autour de la source. Pendant que
les garçons s'affairaient, Laurence se proposa pour aller chercher de quoi
manger le soir.
— J'ai repéré un camion pizza et un
petit traiteur asiatique lors de la traversée du dernier bourg que nous avons
traversé. Par quoi êtes-vous tentés ce soir ? dit Laurence
Après une brève discussion, ils se
mirent d'accord pour un repas à base de sushis et autres sashimis qu'elle
partit chercher.
— Allez ! Finissons de ranger ces caisses
dans la grange. Elles y seront à l'abri pour la nuit. Et demain nous pourrons
commencer nos allers-retours avec le matériel vers la source. Il faudra
commencer par faire des images aériennes avec le drone, peut-être, remarquerons-nous
des choses invisibles depuis le sol.
Une fois le matériel à l'abri, Paul
proposa alors à Thibault de monter à la source pour lui montrer la pierre.
— Nous avons bien une heure avant son
retour, la source est à peine à dix minutes de marche. Cela nous fera du bien
de nous dégourdir les jambes après ce trajet en voiture.
Paul attrapa son bâton de marche et
suivi du jeune homme. Il se dirigea vers le ruisseau et le sentier qui grimpait
à travers le bois vers la falaise.
Comme à chaque montée, Paul se sentit
observé mais il pensait que cela était dû à la lumière du soir au travers du
feuillage touffu des arbres qui recouvraient le chemin.
— Ces bois sont étranges ! remarqua
Thibault. Plus on monte et plus on a l'impression de s'enfoncer au cœur d'une
forêt primitive.
— Oui j'ai remarqué ce fait, mais le
chemin qui monte semble avoir toujours été là. Il n'y a pas un brin d'herbe et
pourtant il n'est pas empierré et il est assez peu fréquenté puisqu'il part de
la propriété et qu'il n'y aucun accès ouvert au public.
— Bah ! Un mystère de plus autour de
ces sources "magiques".
— Pourquoi la qualifies tu de magique
?
— J'ai étudié les glyphes sur la
pierre. Et j'ai découvert que l'on en trouve de similaires un peu partout dans
le monde à côté de sources qui ont des propriétés magiques. Pour certaines, on
parle de source miraculeuse comme à Lourdes ou comme les sources de la Seine.
Pour d'autres, ce sont des sources portails vers un autre monde comme le lac de
Viviane en forêt de Brocéliande. Et pour d'autre enfin il se pourrait que ce
soit des sources qui permettent d'entrer en contact avec les dieux. Je te
montrerai cela sur l'ordi, en rentrant.
Tout en continuant de discuter, ils
arrivèrent à la source, Paul lui montra la pierre. Il se pencha dessus et
acheva de bien nettoyer les marques gravées. Puis, il erra aux alentours se laissant
guider par son instinct, en dégageant le sol par endroit avec le bâton. En
grattant de la mousse, il tomba sur des pavés.
— Thibault ! Viens voir ça !
Le jeune homme accourut et resta ébahi
par la découverte de son mentor.
— Cela ressemble au pavage d'une voie
romaine. Et elle semble se diriger vers cette partie du bois. Tu sais ce qu'il
y a là-bas dans ce fourré de ronces ?
— D'après Elisabeth cela doit mener à
une grotte dans falaise mais cela fait à peine deux mois que je connais cette
maison. Nous n'y sommes pas encore allés. Sa mère et sa grande-tante lui
interdisaient d'y aller.
Thibault écouta la réponse de son chef
pensif. Il était de plus en plus persuadé que sa théorie des portails était juste
et que ces fouilles pourraient lui en donner la preuve.
— On risque de ne pas pouvoir cacher
cette découverte longtemps. Car si ce que je suppose est vrai, nous serons
obligés de demander de l'aide.
A ce moment- là, derrière eux, une voix
les interpella.
— Alors les jeunes ! On explore ?
Ils sursautèrent et en se retournant
ils découvrirent un homme grisonnant.
— Qui êtes-vous ? demanda Paul.
— Votre voisin ! répondit-il. J'aime
me promener dans ces bois. Leur calme me permet de retrouver ma jeunesse.
— Je ne vous ai jamais vu.
— Je suis très discret mais j'ai
remarqué que vous aviez redécouvert la pierre. Vous devriez vous méfier. Si la
légende est vraie, cette pierre serait la porte de la "Source aux
Esprits".
— De quelle légende parlez-vous ?
Elisabeth, ne m'a jamais parlé de légendes sur cet endroit.
— N'en avez-vous pas été témoins, il y
a quelques semaines ?
Paul se souvint alors de cette montée
et de cette danse effrénée autour de la source ainsi que de leur réveil
mystérieux dans la chambre au matin.
— Nous étions fatigués par le voyage
et nous avions mangé de ces baies. Nous avons rêvé.
— Etes-vous sûr d'avoir rêvé ?
Souvenez-vous de vos rêves, ne semblaient-ils pas si réalistes ? Et votre fiancée, vous a-t-elle dit ce
qu'elle avait vécu dans ce rêve ?
Paul dut reconnaître qu'ils n'avaient
jamais reparlé du rêve depuis ce matin-là. Il se promit d'en toucher deux mots
à Elisabeth lorsqu'elle reviendrait de son périple irlandais. Pendant ce temps,
Thibault continuait son exploration du sous-bois très dense et poussa une
exclamation en découvrant ce qui semblait être les vestiges d'une colonnade.
— Paul ! Viens voir ! Regarde ces
pierres ! Ce ne peut pas être naturels, elles semblent avoir été taillées. Et,
en plus ce ne sont pas des pierres de la région. Je ne suis pas géologue mais
par ici la roche est plutôt ocre. Or, celles-ci sont bien blanches.
— Oui en effet, dégage un peu le
lierre qui les cache.
— Qu'avons-nous découvert ?
— Je ne le sais pas mais cela pourrait
être plus important que je ne le pensais. Qu'en pensez-vous ? dit Paul en se
tournant vers le vieil homme.
— Où êtes-vous ?... Paul regardait
dans toutes les directions mais l'homme avait disparu.
— Où est-il passé ?
— Je ne sais pas. J'étais penché pour
arracher le lierre et je ne l'ai pas vu partir.
En haussant les épaules, Paul dit à
son étudiant.
— Tant pis ! Et il serait peut-être
temps de rentrer, Laurence ne va pas tarder.
Ils ramassèrent leurs affaires puis
reprirent tranquillement la descente vers la maison tout en discutant sur leurs
découvertes. Ils étaient très surpris car aucun sanctuaire ou monument antique
n'était répertorié dans la région. Il y avait bien quelques légendes qui
parlaient de "Porte des Enfers" ou du "Portail des Fées"
comme dans beaucoup d'endroits mais en général cela se rapportait à des
structures mégalithiques préhistoriques et non pas à des bâtiments d'origine
romaine comme semblaient l'être ces blocs de marbre usés.
Sans faire attention aux mouvements de
la végétation qui les entouraient, ils franchirent le ruisseau qui les séparait
de la maison. Laurence les attendait avec la commande de sushi et elle avait
même préparé la table sur la terrasse.
— C'est incroyable ce que nous avons
vu là-haut ! lança Thibault enthousiaste. C'est bien plus qu'une simple pierre
gravée.
— Vous me raconterez tout cela en
mangeant, répondit-elle en fixant Paul avec un grand sourire.
Tout excité, Thibault s'installa à
table et commença à installer son ordinateur pour y introduire la carte mémoire
de l'appareil photo. Il pourrait montrer leurs découvertes à sa collègue qui
pour le moment dévorait son chef du regard.
Paul tentait de calmer l'excitation de
son étudiant en modérant ses propos. Pour le moment, ils n'avaient rien de
vraiment tangible à part la forme et la nature des pierres et ce qui semblait
être le pavage du parvis d'un petit temple.
— Mais c'est passionnant tout cela !
J'ai hâte de monter voir demain matin.
Ils finirent tranquillement leur repas
et tandis que Thibault s'éloignait pour aller fumer une cigarette dans le
jardin Laurence se rapprochait de Paul qui achevait de ranger dans la cuisine.
Alors qu'il avait le dos tourner pour préparer un café, elle se glissa près de
lui et négligemment laissa sa main frôler sa cuisse, il sursauta sans rien dire
et continua son rangement. Elle n'insista pas et s'éloigna.
— On le prend dehors, il fait encore
bon et vu le ciel étoilé, nous verrons peut-être des étoiles filantes, ce sera
l'occasion de faire un vœu.
— Oui, bien sûr !
Pensif, Paul respirait le fumet de son
café. Elisabeth devait être installée à son hôtel. Il l'appellerait demain pour
savoir comment son voyage et son installation s'étaient passés. Il faudrait
aussi qu'il lui fasse part de leur découverte de ce soir.
— En voilà une ! Là ! s'exclama
Laurence en pointant le ciel du doigt. Vous l'avez vu ?
— Euh ! Non ! Répondirent les deux
hommes à l'unisson.
Elle plissa les yeux et leur lança :
— J'ai fait mon vœu.
Ils sourirent sans un mot. Puis, Paul
se leva.
— Je vais me coucher, mais vous pouvez
rester.
— Non je te suis aussi ! Demain nous
allons avoir du travail, je tiens à être en forme ! dit Laurence, le regard
ennamouré.
Une fois seul, Thibault veilla un peu
plus longtemps, toujours plongé dans son ordinateur. Il ne réalisait même pas
que les feuilles des arbres autours de lui frémissaient alors qu'il n'y avait
pas un souffle d'air. Il finit par se décider à rentrer quand il commença à sentir
la fraîcheur de la nuit.
Il se dirigea vers sa chambre en
montant silencieusement l'escalier de bois. Son regard fut alors attiré par une
lueur blafarde bleuâtre, à l'autre bout du couloir près de la porte de
Laurence.
— Elle doit être sur son portable à
jouer ou à regarder ses messages, pensa-t-il.
De son côté, Paul, toujours pensif,
repensait à leur découverte de la journée et à la discussion étrange avec leur
voisin. Les écrits de la vieille tante ne lui semblaient plus aussi absurdes
qu'avant, quand Elisabeth avait commencé à les lui résumer. Le folklore et la
légende étaient souvent issus d'une réalité tangible mais il avait du mal à
admettre leur réalité. Il passait et repassait sur son écran les photos qu'il
avait prises lors de sa première visite. Il les comparait avec celles prises
par Thibault. Il y avait d'infimes différences mais il n'arrivait ni à trouver
ni à comprendre le pourquoi de ces différences.
Soudain il entendit frapper doucement
à sa porte.
— Oui !
— C'est moi ! dit Laurence. Est-ce que
je peux entrer ? Je voudrais te parler de quelque chose.
— Bien-sûr ! Entre ! Répondit-il en
enfilant rapidement un tee-shirt. Il se leva au moment où Laurence ouvrait la
porte.
— Que se passe-t-il dans cette maison
?
Paul la regarda, intrigué.
— Comment cela ? Que veux-tu dire ?
— Lorsque j'ai éteint la lumière, d'un
coup la chambre s'est retrouvé éclairée par une lumière bleuâtre sortie de
nulle part. Les rideaux se sont mis à bouger alors qu'il n'y avait pas de
courant d'air.
— J'ai bien vu de la lumière bleue
sous ta porte mais je pensais que tu étais sur ton ordinateur.
— Non ! Rien de tout cela. Je voulais
dormir.
Paul remarqua alors que Laurence était
debout devant lui en tenue très légère. Il rougit mais ne dit rien.
— Allons voir ! dit-il pour ne pas
avoir l'air trop indiscret de la fixer ainsi.
Il fallait dire que Laurence avait des
atouts non négligeables qui faisaient se retourner nombre d'hommes et même de
femmes sur son passage.
Il la précédait dans le couloir
sombre. La maison était silencieuse et on n'entendait que le craquement du
parquet sous leurs pas. Paul entra le premier dans la chambre et constata
que l'un des gris-gris de tante Janis n'était plus à sa place. Il se retourna
vers Laurence.
— C'est toi qui a déplacé ce grigri ?
lui demanda-t-il ennuyé en montrant l'objet qui se trouvait sur la commode, au
lieu d'être accroché près de la porte.
— Non ! Je l'ai trouvé par terre en
entrant et je l'ai reposé sur la commode. Je ne savais pas où il était accroché
avant. Il y a tellement de crochets vides dans cette pièce.
— Oui ! C'est vrai ! Moi-même,
j'ignore sur quel clou il était fixé.
Il le fixa de nouveau sur le mur, en
espérant que ce soit le bon endroit.
— Elisabeth et Natacha ont été très
claires sur ce point. Il ne faut surtout pas toucher à tous ces colifichets
ésotériques positionnés par la tante Janis.
— Pourquoi, il y a des fantômes dans
cette maison ?
Paul rigola.
— Non ! Je crois pas ! Mais la tante
Janis avait des lubies parfois étranges, selon Elisabeth. Et l’une des
principales était de ne jamais déplacer ces objets chargés de mysticisme...
— Alors qu'ils discutaient au milieu
de la chambre, Laurence sursauta.
— Tu as senti ?
— Quoi donc ?
— Ce courant d'air. J'ai senti quelque
chose sur les cuisses.
— Ton imagination te joue des tours.
Je t'assure qu'il n'y a rien.
Paul regarda partout et rassura
Laurence avant de la laisser seule dans la chambre.
Allongé, fixant le plafond, il se
demandait ce qui avait bien pu affoler sa collègue à ce point, elle n'était pourtant
pas du genre impressionnable. Il savait aussi qu'elle n'était pas non plus une
adepte d'ésotérisme et qu'elle ne croirait pas aux fantômes dès la première
manifestation inexpliquée.
Il finit par s'endormir les pensées
tournées vers sa bien-aimée, cela faisait à peine une semaine qu'elle était
partie et elle lui manquait déjà. Ses derniers messages étaient assez
encourageants, elle avançait bien sur son projet et elle avait des pistes de
clients potentiels. Par contre il y avait un message qui le troublait davantage
quand elle lui avait parlé qu'elle avait redécouvert par hasard une partie de
sa famille éloignée. Elle allait donc rester en Irlande plus longtemps que
prévu afin de les mieux les connaître.
Quand le matin arriva, ils se
retrouvèrent tous les trois dans la cuisine pour prendre le petit déjeuner et
parler du programme de la journée.
— Nous allons devoir commencer par
bien baliser le site et débroussailler autour de la source et de la pierre
comme nous avons commencé hier soir. J'ignore jusqu'où le pavage peut aller
mais nous ne pourrons pas dépasser les limites de la propriété d'Elisabeth.
— Cela m'intrigue, répondit Thibault.
Nulle part nous n'avons trouvé de référence à un quelconque sanctuaire ou autre
lieu mystique dans tous les documents que nous avons pu étudier avant de venir.
D'autant plus que ces pavés ne sont pas faits avec des pierres de la région
mais qu'ils proviennent de régions granitiques. Pourquoi ?
— Si nous arrivons à savoir où mène ce
chemin peut-être auront nous un début de réponse. Nous savons déjà qu'il arrive
à la pierre qui se trouve près de la source. Suivons-le le plus loin possible
dans les bois. De toute manière, vu la falaise qui se dresse au fond de la
combe, il ne doit pas être très long.
— C'est vrai et c'est ce qui est
intriguant. Pourquoi faire un tel chemin sur seulement quelques dizaines de
mètres ?
— Bon ! Plus vite on sera là-haut,
plus vite nous aurons la réponse. On prend les casse-croûte pour midi et de
quoi se désaltérer et on y va.
Ils achevèrent de se préparer et
chacun avec son sac à dos, ils commencèrent la montée sur le sentier.
Thibault partit devant, laissant Paul
et Laurence seuls.
— La fougue de la jeunesse ! s'amusa
Laurence.
— Oui, tu as raison ! Mais je crois
aussi qu'il est impatient de voir si les glyphes de la pierre vont s'adapter à
sa théorie. Et, si l'algorithme sur lequel il a travaillé toute la nuit va
répondre à ses attentes.
— Oui ! Il nous bassine depuis hier
soir avec sa théorie des portes permettant de passer d'un point à l'autre du
globe en voyageant dans un monde parallèle. Son passage en Féerie comme il dit
si bien. Pourtant, il ne se drogue pas.
— Non je ne crois pas, mais il a
toujours été un rêveur.
En disant cela, Laurence se rapprocha
de Paul et lui prit la main. Surpris, il la regarda mais au lieu de retirer sa
main, il lui rendit son sourire. L'étroitesse du sentier les empêcha de
continuer main dans la main et quand elle le lâcha, il remarqua une ombre
passer derrière elle en même temps qu'un courant d'air fit frémir la végétation
alentour. Troublé par l'attitude de Laurence, il ne comprenait pas pourquoi
elle agissait de cette manière. Ce n'était pas dans ses habitudes. Il avait
même été persuadé que les hommes ne l'intéressaient pas.
Thibault s'était déjà mis au travail
et il avait achevé de débroussailler autour de la pierre, il était à genou en
train de photographier l'ensemble des motifs.
— Pendant que je finis de rentrer ces
images dans l'ordi, vous devriez peut-être longer le chemin et voir où il mène,
ensuite nous pourrons peut-être dégager ce qui semble être des vestiges de
colonnes.
— Oui tu as raison, suivre les pavés
ne nous prendra pas beaucoup de temps nous sommes à environ une trentaine de
mètres de la falaise. J'y vais avec Laurence et nous verrons bien ce que nous
trouverons.
Laurence sourit et accepta avec
enthousiasme de suivre Paul. Délestés de leur sac, ils progressaient sous les
arbres. Plus ils avançaient et plus la trace des pavés était recouverte par la
végétation. Pour être sûrs de suivre le chemin, ils devaient régulièrement
s'arrêter pour gratter le sol afin de vérifier leur chemin. Heureusement pour
eux, à l'image des voies romaines, le tracé était rectiligne et comme ils s'y
attendaient, il se dirigeait droit vers la falaise. Alors qu'ils n'étaient plus
qu'à quelques mètres, Laurence remarqua que les arbres étaient vraiment
anciens.
— Enfin ! Vous êtes là ?
Laurence et Paul se retournèrent
surpris.
— Ah ! C'est vous !
— Qui est-ce ? demanda Laurence.
— Le voisin que nous avons rencontré
hier soir lorsque nous sommes venus avec Thibault.
— Oui ! Jeune homme. Cela fait bien
longtemps que personne n'était venu jusqu'ici.
— Qui a construit ce chemin ? demanda
Laurence.
— Si je vous le dis, vous ne me
croirez pas.
— Dites-nous ! Après ce que nous avons
découvert sur la pierre, nous sommes prêts à tout entendre…
Prenant un air mystérieux, le vieil
homme répondit :
— Le plus grand magicien qui n'ait
jamais existé !
Paul et Laurence se regardèrent
intrigués et éclatèrent de rire.
— Merlin ? Mais c'est un personnage
littéraire.
Toute légende a une part de réalité.
Regardez ! L'Iliade et l'Odyssée, la ville de Troie a réellement existé. Il y a
une part de vérité dans les chevaliers de la Table Ronde.
— D'accord ! Mais cela ne nous
explique par le pourquoi de ce sentier aussi court. Pourquoi avoir pavé ce
sentier avec des pierres aussi bien taillées pour une si courte distance entre
deux points où personnes ne vient jamais ?
— Souvenez-vous de ce qui vous est
arrivé lors de votre première visite ! Rien n'est figé dans notre monde. Et
vous ! dit-il en regardant Laurence. Pensez à cette nuit !
Paul vit alors Laurence rougir et
baisser les yeux.
— Ce que vous allez découvrir en
fouillant la source et le long de ce chemin risque de bousculer vos certitudes.
— Que voulez-vous dire ?
— Simplement que vous allez devoir
remettre en cause beaucoup de vos certitudes. Si vous le voulez, ce soir je
peux passer et vous raconter ce que je sais sur ce lieu mais pour le reste il
faudra que vous trouviez vous-même.
Après ces mots sibyllins, le vieil
homme laissa Paul et Laurence à leurs réflexions et disparut dans les bois. Les
deux jeunes gens arrivèrent enfin au bout du chemine et découvrirent qu'il
s'engageait dans une sorte de grotte. N'ayant pas d'éclairage, ils ne
pénétrèrent pas profondément sous la falaise. Mais de là où ils se tenaient, ils purent apercevoir des gravures à l'entrée
de la grotte qui ressemblaient aux formes sculptées sur la pierre de la source.
Ils découvrirent aussi des motifs que l'on peut trouver sur les pierres
taillées existantes dans les pays celtes.
— Rejoignons Thibault mais je pense
que comme je le pressentais hier, nous ne pourrons pas tout étudier à fond tout
seul. Il va me falloir en informer Elisabeth et lui demander son avis car nous
sommes sur sa propriété.
— Il faudra revenir ici quand même ?
— Oui bien sûr ! Au moins pour
photographier l'entrée.
Ils redescendirent sans un mot vers la
source, et à nouveau Laurence prit la main de Paul. Elle resta près de lui
jusqu'au moment où ils virent Thibault penché sur le socle d'une colonne qu'il
avait dégagée.
— Alors, tu as trouvé autre chose ?
— Oh non, rien de spécial ! l'algorithme
m'a simplement sorti une série de mot que je ne comprends pas. Une liste de
noms.
— C'est déjà cela.
— Oui, mais cette liste correspond à
des prénoms français transcrit en caractères runiques. Regardez si on les lit
de haut en bas : Pierre, Elisabeth, Héloïse, Emiliette, Léopold et le dernier
est illisible.
Paul resta songeur à l'énoncé de ces
noms.
— Qu'as-tu ? demanda Laurence.
— Ces noms ne me sont pas inconnus.
Ils ressemblent aux prénoms d'ancêtres d'Elisabeth, je lui demanderai des
précisions quand je l'aurais au téléphone ce soir.
A la mention d'Elisabeth, le regard de
Laurence devint sombre et elle se renfrogna.
— Si nous nous mettions au travail,
dit-elle sèchement.
— Oui tu as raison ! Thibault a déjà
bien travaillé en nettoyant cette pierre, je pense que nous devrions repérer
les restes des colonnes. Cela nous donnera une idée de la structure qui
entourait la source.
Ils s'attelèrent aussitôt à la tâche,
et comme, elle le faisait depuis le matin, Laurence s'arrangeait pour rester
auprès de Paul. Thibault d'un côté et Laurence et Paul de l'autre, ils
repérèrent les colonnes et balisèrent les positions où ils pensaient en trouver
par rapport à la position des restes visibles.
De retour à la maison, ils rentrèrent
les données dans l'ordinateur et rapidement Thibault réalisa un modèle à partir
des clichés et des mesures prises sur le site.
— Cela nous fait un bâtiment
rectangulaire d'environ cinq mètres sur huit. Je dirai, vu sa position, qu'il devrait
faire face à la source.
— Pour en être certain, il nous
faudrait creuser et voir si nous découvrons des murs ou des ouvertures.
— C'est évident, mais même alors nous
ne pourrons être certain de son aspect et de sa fonction. Sanctuaire, abri ?
Autre chose ?...
— Ne pourrions-nous pas le savoir sans
avoir à creuser avec ces radars de sol permettent de découvrir s'il y a des
structures enterrées ?
— Si bien sûr ! Mais, nous n'en avons
pas avec nous. Il faudrait demander à l'Institut si nous pouvons en emprunter
un.
Paul réfléchit un instant.
— Thibault ! Tu iras le chercher
demain. Je vais envoyer un mail ce soir pour les informer.
— Oui ! Pas de soucis ! Mais
qu'allez-vous faire pendant ces deux jours ?
Ne t'inquiète pas ! répondit Laurence.
Nous avons du travail pour dégager la végétation afin que le sondeur ne soit
pas trop perturbé.
Quand ils eurent tous regagnés leurs
chambres, Paul appela Elisabeth pour lui donner des nouvelles sur l'avancement
des fouilles. Elle accueillit avec joie ces informations et en particulier la
découverte de la grotte qu'elle ne connaissait pas. Elle lui parlait en retour
de ses rencontres et du plaisir qu'elle prenait à renouer le contact avec cette
branche éloignée de sa famille.
— Je te ferais un mail te donnant
l'autorisation de faire des fouilles plus approfondie, je pense que mon séjour
ici va se prolonger. J'ai fait de nouvelles découvertes qui sont passionnantes
au sujet de ma famille et de nos origines. Le manoir de mes cousins éloignés est
une véritable caverne d'Ali Baba.
— Merci mon cœur ! Bisous et bonne
nuit !
Paul s'endormit tranquillement sans se
douter que dans la chambre voisine, Laurence jubilait de se savoir seule avec
lui pour les prochains jours.
Au petit matin, il fut réveillé par
une odeur de café qui montait de la cuisine. Il descendit. Laurence avait
préparé le petit-déjeuner sur la terrasse. Elle l'accueillit avec un peignoir
de satin qui cachait à peine ses formes. Il était gêné mais en même temps, il
avait encore l'esprit embrumé par les rêves étranges qu'il avait fait au cours
de la nuit. Dans ceux-ci, ils exploraient la grotte avec Laurence et
découvraient un monde surprenant de créatures irréelles mais surtout, il se
voyait tromper Elizabeth avec elle. Il se disait que ce n'était qu'un rêve mais
en voyant Laurence souriante s'approcher de lui pour l'embrasser, il prit peur.
— Que fais-tu ?
— Moi ? Mais rien, je venais juste te
dire bonjour…
Il voulut reculer mais il ne pouvait
plus bouger. Lorsque les lèvres de Laurence se posèrent sur les siennes, il
répondit à son baiser comme poussé par une force étrangère. Leur baiser dura
longtemps et quand il se mua en une douce étreinte, il ferma les yeux
Quand il sortit de ce qui lui semblait
un rêve éveillé, il réalisa que sa collègue était à moitié nue et le regardait
radieuse et détendue. Il secoua la tête en comprenant ce qu'ils venaient de
faire, il se prit la tête entre les mains et commença à pleure. Il se demandait
comment il avait pu tromper Elisabeth.
— Tu en avais envie tout comme moi,
lui dit Laurence en venant le réconforter.
— Oui ! Mais nous n'aurions pas dû.
— Ce qui est fait et fait et personne
n'en saura rien.
— Oh si ! Nous, nous le savons…
Entendirent-ils dire une voix caverneuse dans un coin de la pièce.
Ils se retournèrent mais ils ne virent
qu'un simple halo dans l'ombre des rideaux.
— J'ai cru apercevoir un visage près
de la fenêtre.
— Oui ! Moi aussi, mais nous sommes
seuls.
— J'espère ! Cet endroit est vraiment
plein de mystères… termina Laurence.
Ils reprirent leur petit déjeuner où
ils l'avaient laissé afin de retourner explorer les alentours de la source et
la grotte qu'ils avaient découverte la veille. Le travail n'avançait pas vite,
Paul était perturbé par la présence de Laurence, il ne pouvait pas la quitter
des yeux, il ne comprenait pas comment il avait pu céder si facilement aux
avances de cette jeune femme. Il essayait de se concentrer sur ce qu'il faisait
mais il laissait échapper ses outils.
— Je n'arrive pas à me concentrer. Que
dirais-tu de retourner à la grotte pour voir ce que nous pourrions y trouver ?
— Oui avec plaisir, dit Laurence en se
relevant alors qu'elle était en train de dégager un fragment de céramique
bleue.
Main dans la main, ils prirent le
sentier vers la falaise comme lors de leur dernier passage, ils sentirent des
frémissements sur leur peau et virent les feuilles remuer alors qu'il ne
semblait pas y avoir de vent. Paul constata qu'il pouvait bien voir les
vestiges quasiment invisibles de la route pavé, en faisant attention, on
remarquait la légère différence de végétation entre la zone où les pavés
étaient recouverts et le reste de la forêt. Lorsqu'ils furent devant l'entrée
de la grotte, Paul sortit les lampes torches qu'il avait pris soin de prendre
le matin et ils avancèrent prudemment dans la semi-obscurité.
— On dirait que les parois brillent ! remarqua
Laurence.
— Cela m'avait frappé hier, mais je ne
pensais pas que cela allait si loin.
Ils s'étaient profondément enfoncés
dans la falaise. Le passage souterrain avait fait quelques coudes mais il était
facile de suivre le couloir principal si on faisait attention aux motifs gravés
sur les parois. Ils finirent par arriver au fond d'une immense chambre
souterraine.
— Je crois que nous ne pouvons pas
aller plus loin ! dit Laurence en se rapprochant de Paul.
Il balaya les parois avec la torche
mais nulle part, il ne voyait d'ouverture. Il distinguait bien quelques
gravures sur les parois mais absolument rien qui laisserait présager la
présence d'un passage dérobé.
— On n'est pas à Hollywood, il n'y a
pas de passage secret, soupira Laurence.
— Oui je suis bien d'accord ! Mais
alors pourquoi cette route pavée ? Elle n'a aucune raison d'être.
— Sauf ! Si cette pièce servait de
salle de réserve pour le temple de la source. Il fallait bien transporter les
marchandises en toute sécurité.
— Pour une distance aussi courte !
Faire une voie pavée aussi large !
— On ignore tout de ce qu'était ce
sanctuaire et de son importance. Nous allons devoir attendre le retour de
Thibault avec le sondeur pour nous faire une idée.
— Je le sais bien mais… Oh regarde ce
bas-relief !
Ils se rapprochèrent des motifs
sculptés sur la paroi. Paul sortit son appareil photo afin de pouvoir les
analyser tranquillement depuis la maison avec son ordinateur. Plus ils
découvraient de choses et plus le site leur semblait mystérieux. Ils étaient
passés d’un petit sanctuaire antique dédié à une divinité locale à quelque
chose de bien plus majestueux. La route pavée, la colonnade autour de
sanctuaire, le porche d'entrée de la grotte et peut être d’autres découvertes à
venir leur faisait prendre conscience qu’ils devraient faire appel à des
renforts supplémentaires.
En prenant les photos, Paul et
Laurence se rendirent compte que les gravures décrivaient de petites saynètes,
certaines de la mythologie antique en mêlant légendes celtes et gréco-romaine
et d’autres des scènes de la vie quotidienne à diverses époques. Celle qui
paraissait avoir été gravée le plus récemment montraient un homme en train
d’importuner une jeune femme.
— Vous admirez le mur des fantômes ! dit
une voix derrière eux.
Le vieux voisin les avait rejoints
sans qu’ils l’eussent entendu. Devant leur mine stupéfaite, il leur raconta
alors que les gens de la région qui connaissaient ce site disaient que ce mur
représentait les raisons pour lesquelles les morts devenaient des fantômes. Ces
gravures exposaient aux yeux de tous et surtout du gardien des enfers les
causes qui les empêchaient de trouver le repos dans la mort.
Il leur montra la scène qui illustrait
le meurtre d’une jeune femme par un groupe de soudards.
— Vous voyez cette demoiselle ! Elle a
été violée et assassinée par des soldats en bagaudes. Depuis son fantôme erre
dans la région pour protéger les jeunes filles des hommes trop entreprenants…
— Une protectrice…
— Plus que cela, une vengeresse… vous
voyez cette dernière gravure. Cet homme était un pervers qui s’en prenait aux
très jeune filles. Un jour il a disparu au cours d’une de ses promenades
matinales…
— Et alors ? demanda Laurence.
— Elle l’a attiré jusqu'à la source
que vous étudiez et il s’est noyé. Son corps n’est jamais remonté et sa famille
qui connaissait ses travers n’a rien fait pour le retrouver, trop contente d’en
être débarrassée. Depuis, il erre aussi, il ne pourra rejoindre les limbes que
lorsqu'il aura réparé ses méfaits…
Les deux jeunes écoutèrent le vieil
homme qui leur expliquait chaque gravure. Pour plusieurs d’entre elles Paul fit
le rapprochement avec des membres de la famille d’Elisabeth. Encore des
questions à lui poser, mais connaissait-elle l’existence de cette grotte et de
ses mystères.
Laurence s’était rapprochée de lui et
venait de poser sa tête sur son épaule.
Quand il eut fini de parler, le vieil
homme se recula et les laissa seuls. Ils ne le virent même pas disparaître
tellement ils étaient pris par les histoires résumées sur la paroi.
Ce fut quand la main de Laurence
s’attarda dans le dos de Paul que celui-ci sortit de sa torpeur. Il regarda la
jeune femme qui l’accompagnait et une nouvelle fois, mû par une force
invisible, il l’embrassa. Une lueur vive les enveloppa et ils perdirent la
notion du temps.
Lorsque Thibault rentra avec le
matériel qu’il était allé récupérer, il chercha ses deux chefs dans la maison.
Aucun des messages annonçant son retour n’avaient reçu de réponse. Inquiet, il
grimpa à la source.
Il fut surpris de découvrir du
matériel installé et qui s’était arrêté faute de batterie. Ni Paul ni Laurence
n’étaient visibles. Il regarda autour de lui, il ne trouvait aucun indice de
leur présence. Il avait beau les appeler, il ne recevait aucune réponse. Quand
il vit le chemin pavé, il se dirigea vers la grotte. Il lui sembla que les
ronces et les autres herbes folles avaient été dégagées même s’il ne pouvait
pas en être certain.
Il franchit le seuil du souterrain,
intrigué par la sphère lumineuse qu’il voyait au fond. Il s’approcha lentement
et il distingua deux personnes enlacés. Quand il fut près du couple, il tendit
doucement le bras et du bout des doigts, il frôla la bulle bleue.
Aussitôt, la lueur disparut et il
reconnut Paul et Laurence qui sursautèrent en le voyant.
— Thibault ? Que fais-tu là ? Fit
Laurence
— Ce serait plutôt à moi de vous
demander ce que vous faites là ! Cela fait deux jours que je vous ai dit que
j’arrivais avec le radar et vous n’avez pas répondu…
— Comment ça deux jours ? Nous ne
sommes là que depuis quelques minutes… dit Paul un peu honteux d’avoir été
surpris dans cette position avec sa collaboratrice par leur étudiant.
— Je suis parti il y a cinq jours et
je vous ai dit mercredi soir que je serai là dans l’après-midi… nous sommes
vendredi.
— C’est impossible… nous sommes juste
mercredi matin. Le vieux voisin venait de nous expliquer la signification des
scènes sur ces gravures…
— Quelles scènes ? Je ne vois que des
symboles abstrait typique du néolithique…
— Je ne comprends plus rien… pourtant
Laurence tu les as vu comme moi ?
— Oui ! Tu as même fait des photos.
Regarde !
Paul alluma l’appareil et montra les
clichés à Thibault et la date indiqué sur l’appareil.
— L’appareil à du avoir un souci, il
indique mercredi…
— Ben oui ! Normal… Nous sommes
mercredi…
— Non ! Nous sommes vendredi…
Retournons à la maison et mettons cela au clair. D’ailleurs vous verrez les
appareils autour de la source sont tous arrêtés par manque de batteries.
Quelques minutes plus tard, ils sont
tous sur la terrasse de la maison. Paul a chargé les images qu’il avait prises
afin de les examiner attentivement. Quand ils commencèrent à les afficher sur
l’écran, ils ne prirent pas conscience du mouvement d’air qui se produisit
derrière eux.
Ils étaient tous fébriles. Aucun
d'entre eux n’avait parlé pendant le retour. Ils avaient rangé le matériel
laissé à la source afin d’analyser les enregistrements.
La situation dans laquelle Thibault
les avait surpris rendait Paul et Laurence gênés. Si on ajoutait à cela, le
décalage temporel entre eux et le jeune homme, ils étaient encore plus perdus.
Paul s’était rendu compte qu’Elisabeth
lui avait laissé des messages auxquels il n’avait pas répondu. Que pouvait il
lui dire après ce qu’il venait de faire avec son assistante ?
Seul Thibault conservait l’esprit
lucide et cherchait à comprendre ce qu’ils étaient en train de vivre.
— Vous vous souvenez qu’avant de
partir, je vous disais que le fond de la grotte avec son porche sculpté dans la
paroi me faisait penser à un portail…
— Oui ! mais rafraîchis-nous la
mémoire !
— Eh bien ! Voilà…
Thibault leur expliqua qu’il avait
profité de son retour à leur bureau pour lancer des recherches avec les photos
qu’il avait en sa possession. Avec l’algorithme qu’il avait conçu, il avait
lancé des comparaisons.
Il avait ainsi trouvé des motifs très
proches de ceux trouvés dans la grotte et autour de la source, répartis un peu
partout dans le monde.
Ensuite, Il avait ajouté
divers éléments des mythologies qui parlaient de routes, de passages.
Donc, il avait pu identifier trois
sites en France dont un en plein centre de Paris.
Il = dit à Paul qu’Elisabeth était
proche d’un de points de passage en Irlande et que, bien sûr, beaucoup de
grands sites archéologiques ou religieux pourraient aussi être des portails.
— Si comme tu le dis ce sont des
points de passage, où mènent ils ? demanda Laurence.
— Je l’ignore. Les éléments que j’ai
trouvés ne sont pas clairs et proviennent tous de légendes. Dans certains cas,
c'est vers la mort, les enfers ou le paradis, dans d’autres cas, le monde des
fées ou des dieux…
Paul était pensif. Comment se
faisait-il qu’aucun archéologue ou historien n’ait fait mention de ces
ressemblances ? Pourquoi seuls des textes mythologiques ou des contes pour
enfants faisaient référence à ces lieux.
Ils regardaient avec attention les
motifs et les gravures représentant les personnages. Ces scènes étaient
clairement des instantanées de la vie quotidienne à différentes époques. Au
moment où ils détaillaient celles qui montraient l’incendie d’une ferme par des
villageois en colère, il y eut une coupure de courant.
Sous leurs yeux incrédules, une puis
deux formes se matérialisèrent. En quelques secondes, ce qui n’était que des
formes vaporeuses devinrent des êtres de chairs. Ils étaient vêtus à la mode du
dix-huitième siècle, un homme et une femme, d’apparence assez jeune. Même si
leur visage montrait qu’ils avaient certainement vécus de pénibles épreuves.
— Qui êtes-vous ? osa questionner
Thibault, peut-être le moins impressionné des trois.
— Emiliette et Léopold… répondit le
fantôme qui venait d’apparaître sous leurs yeux. Nous habitions cette maison,
il y a bien longtemps. Et, nous vivions tranquilles notre éternité depuis notre
mort.
Paul n’arrivait pas croire ce qu’il voyait,
il se souvenait qu’avec Elisabeth, il avait découvert dans les carnets de tante
Janis l’historique de la propriété depuis la fin de la Renaissance. Ces deux
personnes étaient de lointains ancêtres de sa fiancée.
Sidérés par cette apparition, ils restaient
silencieux. On pouvait voir qu'ils tentaient de comprendre ce qu’ils étaient en
train de vivre mais que l’effroi les frappait en raison de l’étrangeté de la
situation. Laurence tremblait, Paul ne pouvait prononcer un mot. Thibault était
le moins effrayé des trois. A la vue des fantômes, instantanément les récits de
son ami Gérald lui revinrent en tête. La possibilité d'un monde de l'entre deux
lui avait été révélée déjà, même s'il en était resté dubitatif en raison de sa
tournure d’esprit. Il réfléchissait, ce que Gérald racontait lorsqu’ils se
retrouvaient avec des copains pour jouer ne seraient donc pas uniquement des
histoires. S’il acceptait de croire aux fantômes, il devait donc accepter que
les portails, les fées, les dieux, les démons et autres créatures fantastiques
existaient.
Laurence fut la plus prompte à réagir.
Depuis que Paul lui avait remis le fragment de roche provenant de la stèle de
la source, son esprit était plus sensible aux manifestations en provenance du
sur-monde. Elle comprenait maintenant que ce qui leur avait semblé être des
courants d'air était le passage des spectres auprès d'eux.
— Où est Pierre, je veux lui parler…
Aussitôt les deux apparitions
frémirent et s'agitèrent. Elles semblaient vouloir leur dire quelque chose, elles
étaient affolées et leur trouble devint si intense qu'elles ne purent conserver
leur matérialité et disparurent.
Paul et Thibault la regardèrent
intrigués.
— Qui est ce Pierre ? demanda
Thibault.
— Tu te souviens de ces noms gravés
sur la pierre que nous avons relevés le premier jour…
— Oui, bien sûr !
— C'était un arrière grand-oncle
d’Elisabeth, répondit Paul. Un homme peu recommandable, il a disparu
mystérieusement, au grand soulagement de la famille m'a-t-elle dit.
— Oui, renchérit Laurence. Paul, tu me
pardonneras, mais j'ai découvert ce carnet sous une latte disjointe du parquet
de ma chambre et je l'ai lu…
— C'est un carnet de Janis !
— Oui ! Et c'est un carnet qu'elle a
tenu secret… Et je comprends pourquoi… Cette maison cache un lourd secret et
les fantômes qui la hantent en sont peut-être la clé.
— Que veux-tu dire ?
—Tu le sais Thibault… Ton hypothèse
des portails, ce n'est pas qu'une hypothèse… C'est une réalité…
Paul la regardait incrédule, Laurence
la cartésienne, comment pouvait-elle sortir de telles énormités. Elle vit la
stupeur sur le visage de son collègue.
— Lis ce carnet… et tu comprendras.
Thibault était tout aussi désemparé
mais aussitôt, il se plongea dans ces notes et intégra cette nouvelle donnée à
ses algorithmes de travail. Il avait oublié la présence du couple et pris son
ordinateur. Puis, il alla s’enfermer dans sa chambre.
Paul sortit sur la terrasse le carnet
à la main, songeur. Laurence le suivait et elle se colla contre lui.
— Je ne comprends plus rien !
— Je crois que nous pouvons stopper
les fouilles que nous avons commencé. Nous devrions même détruire ce que nous
avons découvert…
Elle lui dit cela en lui caressant la
poitrine et en cherchant ses lèvres. Sous l'influence de l'esprit de la source,
altéré par la perversité de l’oncle Pierre, Laurence était en train de
soumettre Paul à son emprise. Une part de son être savait qu'il devait la
repousser mais il en était incapable. Il voyait sa collègue comme une amante
dont il n'aurait jamais imaginé qu’il en existât une aussi flamboyante. Il
ressentait dans son corps la puissance d'un amour brut. Il plongeait dans cette
amour, oubliant le reste. A nouveau, ils passèrent la nuit ensemble.
Si le fantôme de Pierre aspirait à la
rédemption pour enfin connaître la paix et cesser son errance, le travail du
fragment poursuivait son emprise maléfique. La perversion pénétrait de plus en
plus profondément le corps de Laurence en libérant un besoin insatiable de
prédation. Son trouble augmentait, il lui insufflait sa volonté de domination
sur les personnes de l'autre sexe. Elle devait séduire pour dominer. Pendant
qu'elle était avec Paul, elle réfléchissait à la manière de séduire Thibault
pour le prendre dans ses filets.
Elle n'était plus la jeune archéologue
réservée et timide. Elle ne pouvait plus contrôler son désir pour les hommes.
Elle était mue par le besoin impératif de satisfaire sa soif de plaisir. Elle
devenait une vampire qui se nourrissait de l'adoration que les hommes devaient
lui porter.
Paul ne l’écoutait pas et s’il sentait
la main de sa collègue lui caresser le torse sous son t-shirt, il ne s’en
préoccupait pas. Il feuilletait ce carnet. Il était différent des autres qu’ils
avaient trouvés avec Elisabeth. Celui-ci était une liste de notes écrite au fur
et à mesure sans ordre logique, sans aucune mise en forme. Comme si elle avait
été trop pressée de retranscrire ses pensées et ses idées pour les rédiger plus
tard, pour ne pas les oublier. Il releva la tête et ses yeux croisèrent ceux de
Laurence. Il voulut lui parler mais il ne résista pas quand elle approcha son
visage pour poser ses lèvres sur les siennes. Et, il en oublia ce qu’il voulait
lui dire.
Pendant ce temps, Thibault réussit à
contacter son ami Gérald et il lui raconta les dernières péripéties qu’ils
venaient de vivre. Plus il lui en racontait et plus le regard de son ami se
figeait.
— Tu me dis que vous avez vu des
fantômes !
— Comment qualifier des personnes qui
se matérialisent sous tes yeux et qui disparaissent presque aussitôt ?
— Effectivement… mais ce n’est pas
cela ce qui m’inquiète le plus, c’est surtout le comportement de tes chefs. Tu
me disais bien que Paul est fiancé ?
— Oui ! Enfin c’est qu’il nous a dit
et quand on le voyait avec Elisabeth cela semblait évident, mais en arrivant ce
matin… Après les avoir surpris, je ne suis plus sûr de rien… Et ce soir encore,
Laurence et Paul étaient vraiment très proches…
— Je crains qu’un esprit maléfique ait
pris Laurence sous son emprise… Les images que tu viens de m’envoyer sont bien
celles d’un portail trans-dimensionnel. Mais contrairement aux autres portail
qui mène au monde des fées ou au sur-monde, celui-ci est l’entrée d’un monde
bien plus mystérieux et peuplé de créatures bien plus dangereuses.
— Tu me parles de portails entre les
mondes alors que jusqu’à présent quand je te parlais de mes théories tu te
contentais de sourire…
— Tu ne faisais qu’émettre des
théories à partir des résultats que ton ordinateur te sortait quand tu rentrais
des données. Cela ne te mettait pas en danger… Mais là, tu es en danger…
— En danger ? Comment cela ?
— Le sanctuaire que vous fouillez est
un ancien sanctuaire dédié à Aphrodite, et si tu te souviens de ta mythologie,
qui était l’époux d’Aphrodite ?
— Oui Héphaïstos, le dieu des enfers…
— Et, là vous avez une source, une
caverne avec un portail et une route qui relie l’un à l’autre… Le symbole de
l’amour passion qui entraîne la mort…
— Mais comment Laurence a-t-elle pu
changer comme cela ? Et Paul ?
— Que sais-tu des fantômes qui hantent
cette maison ? Je suis sûr qu’ils sont là pour une raison bien précise…
— Je ne sais pas, ceux que nous avons
vu nous ont dit qu’ils vivaient une existence tranquille jusqu’à notre arrivée
et Paul nous a parlé d’un membre de la famille de sa fiancée qui aurait eu un
passé assez louche avant de disparaître mystérieusement…
— Rien de plus ?
— A part que la tante bizarre était
maniaque du rangement et qu’elle ne voulait que personne ne touche à ses
breloques ésotériques…
— Et vous y avez touché ?
— J’ai fait tomber un attrape-rêve
d’un mur mais je l’ai remis en place… et je crois que Paul se promène avec un
vieux bâton de marche de cet oncle étrange…
— Il va falloir que je vienne
rapidement… et encore, je ne sais pas si mon savoir sera suffisant, vous avez
mis le doigt sur l’un des secrets les mieux gardé de notre monde… Moi-même je
ne connaissais pas de passage vers ce monde même si je me doutais de leurs
existence…
— Que risquons-nous ? demanda Thibault,
soudain inquiet.
— Je ne peux pas te le dire
exactement… Je vais me renseigner. Mais ! S'il y a des protections ou des sorts
dans ta chambre, surtout n'y touche pas.
Pas franchement rassuré par ces mots,
il eut du mal à s'endormir.
Au matin, il fit celui qui ne
remarquait pas le manège de ses chefs et surtout la gêne affichée par Paul. Il
tenta de détendre l'atmosphère en expliquant ce qu'il avait trouvé avec l'aide
de Gérald pendant la soirée. Il demanda à Paul s'il pouvait lire le carnet.
— Oui bien sûr ! Lui dit-il en lui
tendant négligemment le carnet tandis que Laurence s'activait dans la cuisine.
Comme Paul quand il le feuilleta, il
fut surpris par son contenu, des dates, des lieux, des événements et des notes.
Il le referma pensif. Il devrait rajouter cela à sa base de données. Il y avait
dans carnet plus d'informations que toutes celles qu'il avait pu glaner çà et
là depuis que Gérald avait éveillé sa curiosité pour ces portails.
— Il serait temps de monter à la
source pour voir ce que le radar de sol va nous révéler.
Paul avait dit cela d'un air décidé
qui contrastait avec son aspect déprimé quelques minutes auparavant. Laurence
fronça les sourcils. Elle était toujours en tenue de nuit et ne semblait pas
décidée à s'habiller. Elle tenta de convaincre les garçons de l'inutilité de
leurs fouilles. Mais si son amant avait pu se laisser convaincre la veille au
soir, il était revenu sur sa décision et l'enthousiasme de son étudiant lui
permettait de lutter contre le pouvoir grandissant de sa collègue. Ils se
retrouvèrent tous les deux dans la grange pour déballer et monter le matériel
au sanctuaire.
A la fin de la matinée, tout était
prêt et ils décidèrent de le mettre en place pour commencer les sondages dans
l'après-midi.
Laurence de son côté n'était pas
restée inactive, elle s'était penchée sur le déchiffrement des inscriptions
dont elle percevait maintenant le sens. Ses capacités de compréhension de ces
mystères avaient été accrues par son contact avec le fragment de roche, une
part de l’antique esprit de la source l'habitait
Sa perception de la présence des spectres
autours d'elle s'était renforcée. Plusieurs fois, elle les interpella en vain
mais quand l'un d'entre eux la frôla de trop près et de manière trop intime, en
fin d'après-midi, elle se leva et leur ordonna de se montrer.
L'esprit de la source parlant par sa
voix, elle vit quatre ombres se matérialiser devant elle. Elle reconnut les
fantômes de Léopold et Emiliette, mais les deux autres restaient flous. Elle
sut tout de suite que l'oncle Pierre n'était pas là. Léopold en gardien de la
maison ne s'en éloignait jamais, Emiliette restait avec son protecteur quant
aux deux autres, il s'agissait de très vieux fantômes qui commençaient à
s'estomper. Leurs âmes erreraient bientôt pour l'éternité dans les limbes.
— Où est Pierre ? demanda-t-elle une
nouvelle fois. Lequel d'entre vous a osé me toucher ?
Elle les fixa l’un après l'autre.
Léopold se préparait à répondre quand l'un des vieux spectres trembla et
disparut, donnant le signal aux autres qu'ils étaient libres de partir.
Laurence ne maîtrisait pas encore le pouvoir
naissant en elle qui lui permettrait de contrôler les spectres. Irritée par
cette interruption, elle sortit pour rejoindre les garçons qui travaillaient
sur le site.
Profitant de l'absence de la jeune
femme, Thibault tentait de faire comprendre à Paul le danger qui les menaçait.
Il avait beau lui expliquer ce que son ami lui avait dit la veille, Paul
refusait de l'écouter. Il ne pouvait pas croire que sa collègue fut
malveillante.
— Regarde ! lui disait le jeune homme.
Regarde comme tu es avec elle… Je ne suis pas aveugle. Vous avez couché
ensemble.
Paul ne pouvait que baisser la tête,
il lui était impossible de nier. Il se savait fautif mais il ne savait comment
exprimer à son étudiant qu'il lui était impossible de résister aux charmes de
Laurence.
— Gérald, mon ami, voudrait venir pour
examiner ce que nous avons découvert. Il m’a dit qu'il pourrait peut-être nous
donner des explications…
— Il est historien ou archéologue ?
— Non…
— Alors que peut-il nous apporter ?
Répliqua Paul d'un ton bourru qui ne lui ressemblait pas.
— Il est musicien et il est
spécialiste des musiques ethniques et celtiques en particulier… Il a
redécouvert de nombreuses musiques rituelles en interprétant des symboles
gravés sur divers sites archéologiques… Et il est aussi un spécialiste de
l'ésotérisme lié à cette culture…
— Je n'en ai jamais entendu parler…
— Normal, tu ne t'intéresses qu'au
jazz, dit Thibault en riant.
Il espérait faire retomber la tension de
son chef.
— J'ai assisté un jour à un de ses
concerts où il projetait des photos de menhir gravé et il jouait de la flûte de
pan en suivant les lignes gravées.
— Il n'a jamais publié cela ?
— Non ! car comme, tu viens le dire,
il n'est pas historien… Juste musicien… Il préfère faire passer ses idées par
l'art et la musique plutôt que dans nos obscures revues de spécialistes…
— Il n'a pas tort…
— Mais ! Pour en revenir à Gérald, je
suis certain que sa vision moins technique que la nôtre pourra nous aider.
Paul ne dit rien. Il se contentait de
regarder l’écran qui leur montrait une image du sous-sol en fonction de ce que
le radar avait détecté dans la clairière entourant la source. Comme ils
l'avaient supposé, ils étaient en présence d'une structure rectangulaire de
taille modeste, une colonnade entourait un bâtiment avec une pièce unique et
peut être une sorte d'estrade à une extrémité. Au bord de la clairière il
avait mis en évidence ce qui pouvait être l'angle d’un autre bâtiment.
Sans défricher, ils ne pouvaient pas
en savoir plus. En passant l'appareil sur le sentier qu'il avait emprunté, ils
se rendirent compte que la terre avait recouvert le pavage et que la chaussée
atteignait surement la maison voir même au-delà. Ces découvertes les laissaient
perplexes.
En l'absence de fragments de poteries
ou de pièces de monnaies, il leur était impossible de dater les sites qui
n'étaient mentionnés dans aucun texte qu'ils connaissaient.
Laurence les retrouva dans cet état,
les yeux rivés sur l'écran.
— Que regardez-vous ?
— Les sondages indiquent qu'il y a
bien plus qu'un simple temple…
Elle s'approcha et effleure Paul qui
frissonne à son contact. Il la regardait à nouveau avec son air énamouré. La
proximité de la source augmentait la puissance de l'esprit malin qui habitait
la jeune femme. Cependant son professionnalisme prenait le dessus sur son envie
de séduire les garçons, elle prit le temps de regarder l'écran.
Elle voyait le sanctuaire et les
divers bâtiments se matérialiser autour d'elle. Ses sens aiguisés, elle savait
comment l’ensemble du site s’organisait au moment de sa splendeur, il y avait
de nombreux siècles.
Elle regardait autour d’elle : les
arbres disparaissaient pour faire place au logement des prêtresses d’Aphrodite,
la voie pavée qui se dirigeait vers la falaise était empruntée par des pèlerins
qui faisaient leur dernier voyage vers le royaume d’Hadès. Elle était submergée
d’images du temple en pleine activités. Elle voyait les servantes de la déesse
de l’amour accompagnées de ses adorateurs. Ils entraient dans les petites
chapelles qui entouraient le temple pour lui rendre hommage avant de rentrer
chez eux ou de prendre le chemin de la falaise.
Absorbée par ses visions, elle n'avait
plus conscience du monde qui l'entourait. Elle se sentait happée par une force
invisible qui lui demandait d’entrer dans le temple. Elle avançait lentement,
imprégnée par la magie du lieu et franchit le voile qui empêchait de voir
l'intérieur du sanctuaire. Elle vit alors la statue de la déesse en majesté qui
resplendissait grâce aux rayons du soleil de midi sur son visage qui pénétraient
par le toit ouvert. Elle eut l'impression que la déesse la regardait. Elle ne
pouvait pas soutenir ce regard et tomba à genoux.
— Laurence que t'arrive-t-il ? demanda
Paul en la voyant tomber à genou entre deux pieds de colonnes après qu'elle se fut
éloignée de quelques pas.
Elle sursauta et le regarda le visage
hagard.
— J'ai eu une vision…
— Une vision ! Comment cela ?
— Je voyais ce lieu tel qu'il était
autrefois quand il était un sanctuaire dédié à la déesse de l'amour… et j'ai vu
la déesse…
— Tu as rêvé.
— Peut-être mais regarde… elle montra
l'écran. Là ! Cette tâche, c'est une estrade sur laquelle se trouvait une
statue de la déesse. Ce mur à la limite de la clairière est celui d'un bâtiment
ou les servantes de la déesse accueillaient les pèlerins. Ce site de ce que
j'en ai vu s'étend sur tout cet espace plat entre la falaise et le ruisseau qui
coule près de la maison… cette route pavée n'est pas une voie romaine comme
nous l'avions pensé mais elle est bien plus ancienne…
Thibault la regardait et approuvait
ses paroles. Ce qu'elle leur décrivait correspondait à ce que Gérald lui avait
raconté la veille au soir. Il devait venir. Il était sûrement le seul à pouvoir
les éclairer sur leur découverte.
— J'ai aussi découvert des choses en
analysant les inscriptions, je vous montrerai cela ce soir, reprit Laurence.
— Je crois que nous avons fini pour
aujourd'hui. Si ce que tu nous dis est vrai, nous devrons sonder sous les
arbres…
Ils rangèrent les instruments sous la
tente prévue à cet effet et rentrèrent à la maison. Ils se mirent aussitôt
chacun devant un ordinateur pour analyser les données collectées en ce jour.
Laurence se plaça proche de Paul et lui caressait la cuisse avec sa main.
Thibault voyait leur manège. Il était troublé et mais il ne savait pas commet
comprendre, malgré les explications de son ami. Il ne pouvait pas s’empêcher de
penser à la douleur que ressentirait Elisabeth en découvrant ce qui se passait
entre son fiancé et sa collaboratrice. Il était loin de se douter que de son côté,
Elisabeth aussi était sous l’influence désastreuse d’un fantôme qui croyait la
protéger des hommes mais la jetait dans les bras des femmes.
Ce soir-là, ils établirent une
stratégie pour tenter d’explorer le plus possible de terrain dans le bois autour
de la source sans avoir besoin de défricher ou de couper les arbres. Ils ne
creuseraient que si le sondeur leur donnait des raisons de penser qu’ils
pouvaient trouver des artefacts intéressants. Ainsi, ils ne dégraderaient pas
trop le site. Paul donna son accord pour que Gérald vint les voir. Peut-être un
œil différent pourrait-il les aider à découvrir des choses auxquelles ils ne
pensaient pas.
Gérald leur annonça qu’il pourrait
passer lors du prochain week-end et il leur demandait d’amasser le maximum de
données sur les bâtiments du sanctuaire mais aussi sur la grotte. Il pensait
qu’ils trouveraient de nombreuses réponses autour du porche orné.
Les jours suivant et en attendant
l'arrivée de Gérald, ils passèrent le radar de sol sur l'ensemble de la corniche
du sanctuaire. Comme Laurence l'avait vu dans sa vision, il couvrait l'ensemble
de l’espace plat entre la falaise et la combe à l'exception d'une bande de cent
mètres où ils trouvèrent de nombreuses petites dalles enterrées.
Le soir après la mise en commun des
nouvelles du jour, Paul et Laurence se retrouvaient et Paul ne s'étonnait plus
de pas recevoir de nouvelles d'Elisabeth depuis qu'elle lui avait annoncé
qu'elle prolongeait son séjour Irlandais.
Le lien qui les unissait se délitait
au fil des jours.
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