Elisabeth préparait activement son
prochain voyage en Irlande. Avec Paul, ils avaient effectué plusieurs
allers-retours dans la maison de tante Janis. Lors de ces week-ends, ils en
avaient profité pour faire du tri dans la grange attenante, encombrée de
nombreux vieux objets accumulés au fil des ans et dont beaucoup étaient
tellement endommagés qu'ils en étaient irrécupérables.
A chaque voyage, elle ramenait
quelques carnets afin d'avoir la collection complète à proximité pour les consulter
facilement. Fréquemment des écrits faisaient références à des évènements ou des
croquis relatés dans des carnets qui bien évidement étaient restés dans la
malle du grenier.
La veille de son départ, en faisant sa
valise, elle y fourra sans trop bien savoir pourquoi le vieux doudou récupéré
là-bas. Elle décida également de prendre les carnets qu’elle comptait bien
consulter après ses journées de travail. Le fait d’être seule à l’hôtel ne lui
pesait pas trop mais elle souhaitait les décrypter, surtout les dessins que
Janis avait joints à ses écrits.
Paul l'accompagna à l'aéroport et lui
souhaita un bon séjour à la découverte de ses origines.
— Fais attention à toi, méfie-toi des
fantômes ! lui murmura-t-il amusé.
— Ne t'inquiète pas, je sais me
défendre ! Bonnes fouilles à toi !
Ils se séparèrent après un long baiser
romantique et elle le vit lui faire un signe de la main au moment de franchir
la porte du hall d'embarquement.
Le vol n’était pas très long mais
Elisabeth se rendit compte, en triturant le doudou devant le premier cahier,
que quelque chose clochait également au niveau de l’équipage qui la regardait
étrangement du coin de l’œil. Mais tout à coup, son esprit s’éclaira, elle
reconnut les traits familiers d’une des hôtesses. Son visage s’illumina, un
besoin pressant l'obligea à se lever et elle se dirigea d’un pas mal assuré
vers le fond de la cabine. A peine sortie des toilettes, elle croisa à nouveau
le regard de celle, dont elle était sûre maintenant, qui était une amie
d’enfance.
— Virginie, c’est toi ?
— Oh, Elisabeth, il me semblait bien
t’avoir reconnue mais tu sais, on ne peut pas se permettre d’alpaguer tous les
passagers sous prétexte qu’on semble reconnaître quelqu’un.
Rapidement elles s'échangèrent leurs
numéros de téléphone afin de pouvoir rester en contact.
Arrivée à destination, Elisabeth se
rendit au comptoir pour récupérer la voiture de location. Puis elle se mit en
route jusqu’à la petite ville où elle avait réservé une chambre dans une petite
pension de famille des environs.
Une étrange familiarité la submergea
une fois la porte franchie. Elle ressentait comme une "présence"
réconfortante lorsqu’une dame d’âge moyen arriva vers elle. Elle la détailla
des pieds à la tête, c’était une irlandaise bien ancrée dans ses traditions.
Une fois installée dans sa petite
chambre aux allures victoriennes, elle s’allongea avec un des carnets afin de
se détendre du voyage et avant une journée chargée, le lendemain.
Beaucoup d’idées tourbillonnaient dans
sa tête à la lecture des premières pages. Heureusement, elle avait emmené avec
elle plusieurs guides des environs et l'hôtesse avait mis à la disposition des
clients un panel de dépliants plus alléchants les uns que les autres.
Une petite promenade s’imposait. Comme
elle avait un peu de temps avant le dîner qu’elle prendrait dans les environs,
elle se renseigna auprès de la propriétaire, au demeurant très gentille, qui
lui indiqua que vu l’heure, elle lui conseillait un jardin commémoratif à
proximité.
— Comme je ne connais rien au coin,
vous pouvez m’en dire un peu plus sur cet endroit ?
— Vous allez pouvoir le constater par
vous-même, c’est un très beau jardin, une oasis de calme et de tranquillité. Si
vous aimez les plantes, les fleurs, la quiétude, vous pouvez trouver des
endroits pour vous relaxer, méditer et vu qu'il ne fait pas trop mauvais, ça
devrait pouvoir vous convenir.
— Pouvez-vous également me conseiller
un endroit où je pourrai prendre une petite collation rapide après mon petit
tour ? A dire vrai, je suis un peu fatiguée de mon périple de la journée et je
ne voudrais pas trainer longtemps ce soir, demain, j’ai une grosse journée.
— Alors là, vous ne serez jamais déçue
ici. Vous êtes sans aucun doute dans l'une des villes des plus animées
d’Irlande, relax et décontractée. Vous n'aurez que l’embarras du choix et tout
dépend de vos goûts.
— Oh je mange de tout ! J'aimerais
découvrir quelque chose de typiquement irlandais, sans tomber dans le stew
classique, donc un pub pas trop loin d’ici que je puisse faire un petit tour au
bord de l’océan avant de rentrer.
— Alors ! Allez plutôt vers le
centre-ville ! Comme nous sommes en bord de mer privilégiez un plat à base de
poissons.
Elizabeth remercia chaleureusement Mme
O'Meara. Comme elle n'avait pas envie de perdre trop de temps et qu'elle ressentait
tout de même une certaine fatigue, la voiture fut la bienvenue.
Le parc était effectivement facile
d’accès et une fois arrivée sur les lieux, elle se sentit envahie par un
sentiment de plénitude extrême. La propriétaire ne lui avait pas menti. Cela
foisonnait de plantes et de fleurs en tout genre, toutes répertoriées. Elle
avança lentement sur les petits chemins bordés de pierres arborant différents
blasons. Elle arriva à un emplacement où chaque partie de l’Irlande y était
représentée par une pierre particulière.
Ses pas la guidèrent comme
automatiquement vers un endroit spécifique du jardin, elle se sentait comme
"dirigée". Elle s’assit un instant pour se relaxer. Une sculpture
captiva son regard. Irrémédiablement attirée par ce qui se dégageait de cette
représentation de femme victorienne, elle s’en approcha. Elle inspecta
scrupuleusement la texture du matériau, passant doucement sa main sur la pierre
lisse, puis elle s’attarda sur le visage et, troublée, remarqua avec stupeur
qu’il ressemblait beaucoup à celui de sa grand-tante. Elle fut prise d’un
étourdissement et retourna s’asseoir afin de reprendre ses esprits, avant de
quitter le jardin pour se diriger vers un pub, près du port, conseillé par Mme
O'Meara.
Elle en poussa la porte et fut de suite
charmée par l’ambiance chaleureuse qui y régnait. Un serveur s’approcha d’elle
et lui proposa de patienter quelques instants au bar pour avoir le temps de lui
débarrasser une table, ce qu’elle fit avec plaisir. Elle commanda une pinte de
Guiness, jugeant que cela lui suffirait jusqu’à la fin du repas.
A côté d’elle, un jeune homme d’une
trentaine d’année sirotait un whisky. Il grommelait quelques mots en anglais
pour lui souhaiter la bienvenue, un habitué apparemment. Elle le remercia.
Perdue dans ses pensées, elle ne remarqua pas de suite que l’inconnu essayait
d’engager une conversation, pour finalement comprendre que c’était à elle qu’il
adressait la parole. Elle se tourna vers lui dans l’idée de le remettre à sa
place. Mais, quand elle se rendit compte qu’il lui parlait de bières du pays et
elle se résolut à lui répondre.
— Je ne connais que la Guiness. Je la
pensais être le véritable symbole de l’identité irlandaise puisqu'elle est incontournable
lors des manifestations du pays. Mais, bien entendu, je suis ouverte à toute
proposition de dégustation d’autres spécialités.
— La prochaine fois que vous entrez
dans un pub, je vous suggère de tenter d’autres spécialités, je trouve que la
Guiness a perdu de sa superbe malgré sa renommée. Il y a tellement d’autres
façons de déguster les produits locaux. La Guiness ! Vous la trouvez partout,
alors qu’une bonne stout…
Elisabeth fit dévier la conversation
sur la culture du pays. Le jeune homme semblait s’y connaître tellement bien
qu’elle mourait d’envie d’en savoir plus sur ces anecdotes historiques
auxquelles il faisait référence. Elles lui semblaient bien plus précises que
celles qu’elle avait pu lire dans les livres.
— J’attends mon amie qui va arriver
d’une minute à l’autre, nous pourrions dîner tous ensemble, je vous raconterai
l’histoire du manoir de ma famille.
— Vous semblez plein de bon sens, je
suis un peu fatiguée et comptais manger sur le pouce mais vous m’alléchez avec
vos histoires, répondit-elle en repensant au trouble ressenti à la vue de la
statue
Matthew demanda au serveur de leur
préparer une table plus grande et Caitlin se joignit à eux, un peu surprise de
voir son fiancée avec une autre femme. Mais quand elle croisa le regard
d’Elizabeth, une confiance mutuelle s’installa immédiatement.
— Vous savez, je suis issu d'une
longue lignée irlandaise, mes ancêtres habitaient déjà le manoir de mes parents.
C’est une bâtisse que l’on s’est transmise de père en fils et j’en hériterai
également quand le moment sera venu. Si je vous racontais tout ce qu’on en dit
dans la région, vous n’en croiriez pas vos oreilles. Ils prétendent que
plusieurs manoirs sont hantés, dont celui de mes parents. Pour moi, ce sont des
foutaises.
— Hantés ?
Elle ne put réprimer un intérêt
certain.
Elizabeth repensa à leur séjour chez tante
Janis et se disait que ces phénomènes étranges ne pouvaient pas avoir une
grosse incidence sur son psychisme si vraiment ce qu’on racontait était vrai.
Elle finit cette journée bien remplie
par une balade digestive au bord de l’Atlantique en compagnie des deux amoureux.
Puis elle les quitta pour retourner à sa chambre pour un repos bien mérité.
Matthew lui avait donné son numéro en lui faisant promettre de le rappeler le
lendemain afin de pouvoir continuer cette conversation au plus vite. Elizabeth
avait hâte de visiter la maison qu’il lui avait décrite ainsi que de rencontrer
ses parents.
De retour dans sa chambre, son cerveau
était tellement en ébullition qu’elle sut quelle n’arriverait pas s’endormir
aussi vite qu’elle l’avait espéré. Elle essaya de focaliser son attention sur
la décoration de la chambre mais peine perdue. Elle se releva et ouvrit la
mallette de bijoux fantaisie pour en refaire l’inventaire. A peine étalés sur
la petite table, elle fut prise d’un bâillement et le lit king-size, moelleux à
souhait, lui rappelait qu’il était là pour lui offrir une nuit réparatrice.
Une première journée de travail plus
tard, l’organisation de ses visites commençait. Elle n’avait pas de temps à
perdre car les lieux qu’elle souhaitait découvrir étaient nombreux et elle
bouillait d’impatience d’être au week-end pour rencontrer les parents de Matthew
et le passer en leur compagnie.
Le soir, épuisée par sa première
journée, elle se reposait en feuilletant les carnets de sa grand-tante quand
son téléphone sonna. Paul lui raconta sa journée de travail et lui décrivit les
préparatifs qu'ils faisaient avec ses collègues pour essayer de percer le
mystère de la pierre de la source. Elle lui raconta sa rencontre avec Matthew
et Caitlin et son excitation à l'idée de rencontrer cette famille d'aristocrates
irlandais. Ils lui permettraient peut-être d'étoffer son carnet d'adresse.
Les jours suivants, elle alla à la
rencontre de ses clients potentiels pour se faire connaître. Elle enchaînait
les rendez-vous pris avant son départ et le soir avant de rentrer se coucher,
elle s'arrêtait dans ce pub où elle avait rencontré ses nouveaux amis. Elle les
y retrouvait et appréciait de partager les débuts de soirée avec eux. Il lui
confirma l'invitation du week-end. Et le vendredi soir, ils l'attendirent
devant son logement pour l'emmener dans le domaine familial.
Après une bonne heure de route dans la
campagne, ils arrivèrent devant un manoir qui semblait défier l'océan. Les
lumières du coucher du soleil sur les pierres et la végétation subjuguaient
Elisabeth qui ne savait dans quelle direction tourner son regard. Caitlin ne
put s'empêcher de rire.
— J'ai fait la même tête que toi en
arrivant ici. Matthew fait toujours ce coup à ses amis quand il les emmène au
château familial.
— C'est magnifique ! Je n'avais jamais
rien vu de si féérique.
— Nous sommes au pays des fées et des
leprechauns ! Ajouta Matthew d'un air malicieux.
— On dirait un château écossais.
— Mes ancêtres étaient originaires
d'Ecosse et ont reçu cette terre du roi d'Angleterre il y a quelques siècles.
Ils ont construit le château dans le style écossais pour se rappeler leur terre
natale.
Il disait cela en garant la voiture au
pied de l'escalier monumental qui conduisait à la porte d'entrée. Les parents
vinrent à la rencontre des jeunes gens et les embrassèrent affectueusement. La
petite troupe entra dans le manoir et ils s'installèrent autours de la table
pour le repas du soir en l'honneur de leur invitée française.
Ils échangèrent sur leurs vies, leurs
histoires et leurs passions. Et, ils furent curieux quand Elisabeth leur
raconta qu'elle avait, elle aussi un lointain ancêtre écossais. Elle put leur
donner son nom car elle venait de lire le carnet de Janis qui racontait la
généalogie de la famille et en particulier l'histoire de cet aïeul.
— Mais c'est le frère cadet de Stuart
notre ancêtre ! s'exclama la mère de Matthew.
— Quelle coïncidence ! Décidément, le
hasard fait bien les choses.
Après le repas, Daïreen, la cadette de
la famille proposa à Elisabeth de se rendre aux écuries pour s'occuper des
quelques chevaux qu'ils possédaient. Celle-ci accepta avec plaisir cette
invitation, cela faisait des années qu'elle n'était plus montée et elle se
souvenait avec bonheur de la période où elle se rendait au centre équestre avec
sa mère.
— Sera-t-il possible de faire une
petite promenade à cheval ?
— Oui bien sûr ! Je serais ravie de te
montrer les environs. Nous pourrons y aller demain matin si tu veux ! lui
répondit la jeune irlandaise. De plus, je pense que Matthew et Caitlin ne
seront pas très matinaux demain, si tu vois ce que je veux dire ! ajouta-t-elle
avec un petit sourire mutin.
Elisabeth sourit à son tour. Elle
avait saisi l'allusion de sa compagne, mais elle ne releva pas, après tout, ils
avaient le droit de vivre comme ils le voulaient. Ce n'était pas elle qui
allait les juger. Elle aurait bien aimé partager ce week-end avec Paul.
Elles finirent de vérifier que les
chevaux étaient bien pour la nuit et elles regagnèrent le château en discutant
comme deux vieilles amies qui se connaissaient depuis toujours. Lorsqu'elles se
séparèrent sur le pas de la porte d'Elisabeth, Daïreen lui déposa un troublant
baiser au coin des lèvres.
Elle y pensait encore quand elle se
plongea dans la lecture d'un nouveau carnet de tante Janis. Tout dans cette
pièce se prêtait à la lecture de ce carnet, l'architecture, l'ameublement et la
décoration. Sa chambre ressemblait à un cabinet de curiosités où la famille de
Matthew aurait exposé les objets rapportés par tous leurs ancêtres de leur
voyages autours du monde.
Le cahier qu'elle lisait racontait un
des nombreux séjours de Janis en Inde et au Népal. Au fur et à mesure de la
lecture, elle plongeait dans le récit envoûtant de sa grand-tante à la
découverte des sages hindous puis bouddhistes. Elle s'endormit en imaginant ces
personnages, ces paysages. Elle se promit qu'un jour, elle irait là-bas avec
Paul, peut-être en voyage de noces. Elle sentit à peine un frôlement passer
dans ses cheveux quand le sommeil vint la prendre.
Ce fut les légers coups sur la porte de
Daïreen qui la sortirent de ses rêves. Elle se souvint qu'elles avaient prévu
de partir en promenade et elle enfila rapidement ses vêtements pour aller
prendre son petit-déjeuner qui allait être copieux.
— Tiens ! Je t'ai apporté de quoi
t'habiller pour monter. Je pense que ce pantalon t'ira et pour les bottes nous
verrons dans la sellerie.
— Merci ! Lui répondit-elle.
Elle fut surprise de sa réaction en
voyant sa lointaine cousine en face d'elle. Elle ressentait la même chose que
la première fois qu'elle s'était retrouvée en face de Paul lors de cette soirée
chez des amis communs.
— Le petit-dèj' est prêt ! lui
lança-t-elle malicieusement.
— Je finis de me préparer et je te
rejoins.
Elisabeth se changea pour mettre le
pantalon qu'on venait de lui prêter avant de descendre rejoindre Daïreen et ses
parents dans la pièce où le repas était servi.
— J'ai l'impression qu'il y a des
courants d'air dans les couloirs du château ? demanda-t-elle à Elisabeth au
court du repas, pendant que la conversation tournait autour de la construction
de ce manoir.
— Certaines personnes ont cette
impression, c'est possible et nous avons dû faire beaucoup de travaux
d'aménagement pour l'isoler.
— Ce sont les fantômes de nos ancêtres
qui viennent se rappeler à notre souvenir.
— Oh mamie ! Arrête un peu, tu sais
bien que les fantômes n'existent pas !
Reprise par sa mère qui trouvait
qu'elle manquait de respect à son aînée, Daïreen se tut en maugréant. Elisabeth
posa sa main sur le bras nu de la jeune fille.
— On va aller monter, ça va nous faire
du bien !
— Oui ! Allons-y !
Elle embrassa ses parents et bras
dessus-dessous, les deux jeunes femmes se rendirent aux écuries pour préparer
leur monture.
— Ce sont des chevaux que ma famille élève
depuis des générations, ils sont adaptés au climat et au relief de la région.
On n'en trouve pas de meilleurs dans la région.
— Je vois, ils sont magnifiques ! Dit
Elisabeth en caressant le flanc d'une jument alezan.
— Viens essayer les bottes et prendre
une bombe !
Elles se mirent en selle dans la cour
et Daïreen les entraîna vers la forêt toute proche. En chemin, elles se
racontèrent leur vie et Elisabeth lui parla de sa tante et de ses carnets. La
jeune irlandaise l'écouta avec attention et quand elles sortirent du couvert de
la forêt, elle lui proposa de venir découvrir un monument qui dominait le
paysage.
— C'est magnifique ! s'exclama
Elisabeth.
— Oui ! C'est l'un des plus vieux
ensembles mégalithiques de la région. Laissons nos chevaux ici et finissons à
pied.
Les deux jeunes femmes grimpèrent sur
le sentier étroit au milieu d'un pré où pâturaient de nombreux moutons.
— Voici une allée couverte où selon la
légende le premier roi du Connaught serait enterré.
Elisabeth s'approcha. Elle posa sa
main sur une pierre et la retira aussitôt en sursautant.
— Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda
Daïreen
— La pierre vibre !
— Vraiment ? Tu as de la chance car
certaines personnes disent que cela leur est arrivé mais je ne l'ai jamais
ressenti.
— Je ne sais pas si c'est de la
chance, mais j'ai senti des picotements dans les doigts.
— Surprenant ! Mais peut-être que cela
signifie quelque chose. Il faudra que tu demandes à grand-mère, elle connaît
toutes les légendes de la région et même si elle m'énerve parfois avec ses
histoires de fantômes, de temps en temps, elle n'a pas tort.
— On verra quand on rentrera.
Elisabeth qui avait fait quelques pas
sous les pierres pouvait voir en contre-jour, la chevelure flamboyante de sa
nouvelle amie qui s'approchait d'elle. Elle frissonna mais ne recula pas quand
à l'abri des regards du monde extérieur, elle vint la serrer dans ses bras et
lui posa un baiser sur les lèvres.
De longues minutes plus tard, les deux
jeunes femmes rejoignaient le manoir au galop pour être à l'heure pour le repas
de midi.
Après avoir passé l'après-midi, à
découvrir la côte non loin du château, Elisabeth apprécia de se poser dans sa
chambre pour se replonger dans les carnets de Janis. Après avoir raconté sa
journée à Paul, mais elle ne parla pas de ce qu'elles avaient partagé avec
Daïreen. Elle était toujours troublée par ce moment sous l'allée couverte. Elle
ne savait qu'en penser. Au moment où elle continuait la découverte du voyage au
Népal de sa tante, quelqu'un frappa à la porte de sa chambre.
— Oui ! dit-elle en relevant la tête.
— Je peux entrer ? demanda Daïreen en
passant la tête dans l'ouverture de la porte.
— Bien sûr ! lui répondit-elle en
souriant. Entre !
Elle l'invita à venir s'asseoir à côté
d'elle sur le lit.
— Tu es dans les carnets de ta tante ?
— Oui, elle raconte sa rencontre avec
une chamane tibétaine.
— Que raconte-t-elle ?
— Elle écrit comment cette femme lui a
donné le moyen d'entrer en contact avec le monde des esprits. Il y a des
recettes…
— Ce doit être intéressant.
— Oui ! Mais apparemment, il faut
faire attention pour ne pas se laisser entrainer dans ce monde et surtout faire
attention à la manière d'invoquer les esprits.
—Cela me semble évident, non ?
N'est-ce pas ce que l'on raconte dans toutes ces histoires ?
— Oui c'est vrai ! Répondit Elisabeth
en riant. Cela ne nous apprend pas grand-chose.
Daïreen regarda la pile de carnet
posée à côté de son amie.
— Tu découvriras peut-être des choses
plus intéressante dans ceux-ci !
Sa main frôla la cuisse nue
d'Elisabeth qui frissonna en approchant son visage. Un rayon de soleil les
trouva enlacées le lendemain matin.
La semaine suivante, Elisabeth tenta
de faire sortir de son esprit le visage de Daïreen. Elle se plongea dans ses
rendez-vous et évita le pub où elle avait rencontré Matthew. Elle rentrait chez
Mme O'Meara pour prendre un léger repas et se plonger dans la lecture des
carnets dont le contenu devenait de plus en plus étrange. Cependant, elle
comprenait mieux le comportement de sa tante et les interdictions qui lui
avaient été faites quand elle était enfant.
Elle était en train de boucler sa
valise pour être prête le lendemain soir pour prendre l'avion quand son
téléphone vibra. Elle s'attendait à un appel de Paul mais elle hésita un peu
quand elle vit le numéro de Matthew s'afficher.
— Allo ! Elisabeth !
— Oui ! dit-elle troublée en
reconnaissant la voix de Daïreen.
— Ça te dirait de venir passer
quelques jours au manoir ? Mes parents sont en voyage et nous serons seules.
— Je devais prendre l'avion demain
soir…
— S'il te plait…
La supplique et la voix charmeuse la
firent craquer. Elle accepta l'invitation. Elle appela Paul pour lui expliquer
qu'elle avait fait des découvertes sur les carnets de Janis. Elle trouverait
peut-être des explications en Irlande et elle allait rester quelques jours de plus
chez ses lointains cousins. Elle tomba sur son répondeur et laissa donc son
message.
Le vendredi de son départ, au lieu de
demander au taxi de la conduire à l'aéroport, elle lui donna l'adresse du
manoir de Daïreen. Son amie l'attendait en haut de l'escalier et le chauffeur
avait à peine franchi le portail de la propriété que les deux jeunes femmes
s'embrassaient comme si cela faisait des années qu'elles s'étaient quittées.
Elisabeth passa deux semaines avec son
amante qui filèrent aussi brièvement qu'une étoile filante traversant le ciel.
Pendant que leurs journées se
passaient à se promener à pied, à cheval ou en voiture dans la campagne
alentour, elles lisaient et décodaient les carnets de Janis en fin de soirée.
Leurs nuits d'amour et de tendresse leur semblaient trop courtes. Elles durent
se rendre à l'évidence, Elisabeth devait rentrer en France mais elles se
promirent de se revoir rapidement.
Elle était triste de quitter l'Irlande
et les bons moments qu'elle y avait passé. Elle sentait poindre une angoisse au
creux de son ventre. Une inquiétude qui semblait lui venir de l'extérieur. Une
force invisible lui intimait l'ordre de rester loin de Paul, de se méfier de
lui.
En montant dans l'avion, Elisabeth se
demanda si elle allait revoir son amie, hôtesse de l'air. Pour ne pas trop
penser à tout cela, elle se replongea dans les notes qu'elle avait compilées.
Elle avait réussi avec l'aide de Daïreen à déchiffrer les carnets. Elles
avaient fait des découvertes surprenantes sur la maison, son environnement et
les anciens occupants de la bastide.
Et, à leur grande surprise, le choix
fait par les aïeux de Matthew et Daïreen pour construire leur manoir avait été
mûrement réfléchi.
Comme la maison de Janis, ce château
était bâti non loin d'un point de passage entre les mondes. En Irlande, ce
passage se trouvait dans l'allée couverte et en France, à la source dans
laquelle avec Paul, elle avait été emportée dans un tourbillon de sensualité.
Pour se protéger de ses influences qui pouvaient être maléfiques, sa tante
avait placé des objets venant de toutes les régions du monde. Ces objets
avaient été fabriqués par divers magicien, chamanes ou encore prêtres. Lors de
leur élaboration, longue pour certains de plusieurs mois, ils avaient été
chargés de sorts de protection.
Avec l'aide d'une pierre, elle avait
pu prendre conscience que le manoir étaient hantés par plusieurs fantômes de
ses ancêtres. Si la plupart étaient inoffensifs et espéraient simplement
trouver le chemin qui leur ferait quitter définitivement les mondes des
vivants, il y en avait deux qui semblaient plus nocifs.
Elle avait souvent entendu parlé de ce
vieil oncle Pierre qui avait eu une jeunesse trouble et qui avait disparu dans des
circonstances mystérieuses au grand soulagement de la famille. Elle n'avait
jamais compris pourquoi sa tante avait toujours gardé cette canne que Paul
avait trouvée près de la porte. En lisant le carnet, elle avait blêmi et elle
avait pris peur. Elle avait voulu prévenir Paul du danger d'utiliser cette
cane, mais depuis plusieurs jours il ne répondait plus au téléphone. Son
angoisse ressurgissait dans l'avion maintenant que la présence de Daïreen
s'estompait doucement.
D'après ce qu'elles avaient décrypté,
l'oncle Pierre se serait perdu entre les mondes avec une de ses conquêtes qui
n'avait pas voulu céder à ses avances. Il se serait emporté et alors qu'ils
étaient au abord de la source, les hurlements de la malheureuse auraient
réveillé l'esprit d'un autre spectre de la maison, Emiliette. Emiliette avait
été retrouvée morte violée à côté de la source. Elle survit sous une forme
spectrale afin de protéger les femmes de la famille de l'emprise des hommes.
Cette soirée là quand elle prit conscience du mal que voulait faire l'oncle
Pierre à cette toute jeune fille, sa colère fut si forte qu'elle put se
matérialiser et projeter le jeune homme violent contre la pierre. Sa tête la
heurta violemment et la pierre s'ébrécha. Une partie de sa malignité fut
chargée dans ce fragment de pierre, le reste de son esprit fut enfermé dans la
canne et son corps disparut par le portail qui s'était ouvert. Quand Paul avait
sorti la canne de la maison, il avait rompu les sorts de protection qui retenaient
les fantômes. Ceux-ci étaient maintenant libres de quitter les lieux où Janis
les avait enfermés. Mais le plus grave était que la partie maléfique de Pierre
se trouvait dans le fragment qu'ils avaient donné à Laurence pour qu'elle
l'étudie.
Elisabeth craignait qu'elle ne fût
tombée sous l'emprise de Pierre.
— Elisabeth, tu es dans cet avion !
Elle leva les yeux de son carnet et
découvrit le sourire de son ancienne camarade de classe.
— Oh ! Je suis ravie que tu sois là
aussi. Tu es radieuse ! Les deux jeunes femmes s'embrassèrent et Elisabeth
senti un picotement parcourir son corps quand leurs joues se frôlèrent.
— Merci ! je n'ai pas beaucoup de
temps car je suis en plein travail mais si tu veux. Appelle-moi demain, et nous
pourrons déjeuner ensemble si tu veux.
— Avec plaisir ! dit-elle en prenant
la petite carte que lui tendait Virginie.
Elle la regarda s'éloigner, sans
comprendre pourquoi son esprit était attiré par ce sourire et ces formes
féminines.
Elle replongea dans ses notes. Elle
commença à relire celles qui concernaient les environs de la maison sans se
rendre compte qu'elle avait sauté le carnet qui parlait d'Emiliette. Un carnet
dont Daïreen avait omis de lui révéler le contenu.
Elle passa la fin du vol à lire ce
carnet et elle comprit comment elle pourrait débarrasser la maison de ses
fantômes et surtout permettre aux spectres de retrouver la sérénité. Mais ce
qu'elle découvrait l'effrayait un peu. Elle allait devoir faire appel à des
forces occultes que maîtriserait un homme que sa tante décrivait comme un
vieillard au charisme surnaturel. Cependant, rien dans le carnet ne permettait
de savoir comment ni où le rencontrer. Sa tante disait
simplement qu'il apparaissait au moment où l'on ne s'y attendait pas et là où
il n'aurait pas dû être. Peut-être était-ce ce mystérieux voisin dont Paul lui
avait parlé au téléphone.
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