mardi 29 septembre 2020

Fantômes -03- Voyage

Elisabeth préparait activement son prochain voyage en Irlande. Avec Paul, ils avaient effectué plusieurs allers-retours dans la maison de tante Janis. Lors de ces week-ends, ils en avaient profité pour faire du tri dans la grange attenante, encombrée de nombreux vieux objets accumulés au fil des ans et dont beaucoup étaient tellement endommagés qu'ils en étaient irrécupérables.

A chaque voyage, elle ramenait quelques carnets afin d'avoir la collection complète à proximité pour les consulter facilement. Fréquemment des écrits faisaient références à des évènements ou des croquis relatés dans des carnets qui bien évidement étaient restés dans la malle du grenier.

La veille de son départ, en faisant sa valise, elle y fourra sans trop bien savoir pourquoi le vieux doudou récupéré là-bas. Elle décida également de prendre les carnets qu’elle comptait bien consulter après ses journées de travail. Le fait d’être seule à l’hôtel ne lui pesait pas trop mais elle souhaitait les décrypter, surtout les dessins que Janis avait joints à ses écrits.

Paul l'accompagna à l'aéroport et lui souhaita un bon séjour à la découverte de ses origines.

— Fais attention à toi, méfie-toi des fantômes ! lui murmura-t-il amusé.

— Ne t'inquiète pas, je sais me défendre ! Bonnes fouilles à toi !

Ils se séparèrent après un long baiser romantique et elle le vit lui faire un signe de la main au moment de franchir la porte du hall d'embarquement.

Le vol n’était pas très long mais Elisabeth se rendit compte, en triturant le doudou devant le premier cahier, que quelque chose clochait également au niveau de l’équipage qui la regardait étrangement du coin de l’œil. Mais tout à coup, son esprit s’éclaira, elle reconnut les traits familiers d’une des hôtesses. Son visage s’illumina, un besoin pressant l'obligea à se lever et elle se dirigea d’un pas mal assuré vers le fond de la cabine. A peine sortie des toilettes, elle croisa à nouveau le regard de celle, dont elle était sûre maintenant, qui était une amie d’enfance.

— Virginie, c’est toi ?

— Oh, Elisabeth, il me semblait bien t’avoir reconnue mais tu sais, on ne peut pas se permettre d’alpaguer tous les passagers sous prétexte qu’on semble reconnaître quelqu’un.

Rapidement elles s'échangèrent leurs numéros de téléphone afin de pouvoir rester en contact.

Arrivée à destination, Elisabeth se rendit au comptoir pour récupérer la voiture de location. Puis elle se mit en route jusqu’à la petite ville où elle avait réservé une chambre dans une petite pension de famille des environs.

Une étrange familiarité la submergea une fois la porte franchie. Elle ressentait comme une "présence" réconfortante lorsqu’une dame d’âge moyen arriva vers elle. Elle la détailla des pieds à la tête, c’était une irlandaise bien ancrée dans ses traditions.

Une fois installée dans sa petite chambre aux allures victoriennes, elle s’allongea avec un des carnets afin de se détendre du voyage et avant une journée chargée, le lendemain.

Beaucoup d’idées tourbillonnaient dans sa tête à la lecture des premières pages. Heureusement, elle avait emmené avec elle plusieurs guides des environs et l'hôtesse avait mis à la disposition des clients un panel de dépliants plus alléchants les uns que les autres.

Une petite promenade s’imposait. Comme elle avait un peu de temps avant le dîner qu’elle prendrait dans les environs, elle se renseigna auprès de la propriétaire, au demeurant très gentille, qui lui indiqua que vu l’heure, elle lui conseillait un jardin commémoratif à proximité.

— Comme je ne connais rien au coin, vous pouvez m’en dire un peu plus sur cet endroit ?

— Vous allez pouvoir le constater par vous-même, c’est un très beau jardin, une oasis de calme et de tranquillité. Si vous aimez les plantes, les fleurs, la quiétude, vous pouvez trouver des endroits pour vous relaxer, méditer et vu qu'il ne fait pas trop mauvais, ça devrait pouvoir vous convenir.

— Pouvez-vous également me conseiller un endroit où je pourrai prendre une petite collation rapide après mon petit tour ? A dire vrai, je suis un peu fatiguée de mon périple de la journée et je ne voudrais pas trainer longtemps ce soir, demain, j’ai une grosse journée.

— Alors là, vous ne serez jamais déçue ici. Vous êtes sans aucun doute dans l'une des villes des plus animées d’Irlande, relax et décontractée. Vous n'aurez que l’embarras du choix et tout dépend de vos goûts.

— Oh je mange de tout ! J'aimerais découvrir quelque chose de typiquement irlandais, sans tomber dans le stew classique, donc un pub pas trop loin d’ici que je puisse faire un petit tour au bord de l’océan avant de rentrer.

— Alors ! Allez plutôt vers le centre-ville ! Comme nous sommes en bord de mer privilégiez un plat à base de poissons.

Elizabeth remercia chaleureusement Mme O'Meara. Comme elle n'avait pas envie de perdre trop de temps et qu'elle ressentait tout de même une certaine fatigue, la voiture fut la bienvenue.

Le parc était effectivement facile d’accès et une fois arrivée sur les lieux, elle se sentit envahie par un sentiment de plénitude extrême. La propriétaire ne lui avait pas menti. Cela foisonnait de plantes et de fleurs en tout genre, toutes répertoriées. Elle avança lentement sur les petits chemins bordés de pierres arborant différents blasons. Elle arriva à un emplacement où chaque partie de l’Irlande y était représentée par une pierre particulière.

Ses pas la guidèrent comme automatiquement vers un endroit spécifique du jardin, elle se sentait comme "dirigée". Elle s’assit un instant pour se relaxer. Une sculpture captiva son regard. Irrémédiablement attirée par ce qui se dégageait de cette représentation de femme victorienne, elle s’en approcha. Elle inspecta scrupuleusement la texture du matériau, passant doucement sa main sur la pierre lisse, puis elle s’attarda sur le visage et, troublée, remarqua avec stupeur qu’il ressemblait beaucoup à celui de sa grand-tante. Elle fut prise d’un étourdissement et retourna s’asseoir afin de reprendre ses esprits, avant de quitter le jardin pour se diriger vers un pub, près du port, conseillé par Mme O'Meara.

Elle en poussa la porte et fut de suite charmée par l’ambiance chaleureuse qui y régnait. Un serveur s’approcha d’elle et lui proposa de patienter quelques instants au bar pour avoir le temps de lui débarrasser une table, ce qu’elle fit avec plaisir. Elle commanda une pinte de Guiness, jugeant que cela lui suffirait jusqu’à la fin du repas.

A côté d’elle, un jeune homme d’une trentaine d’année sirotait un whisky. Il grommelait quelques mots en anglais pour lui souhaiter la bienvenue, un habitué apparemment. Elle le remercia. Perdue dans ses pensées, elle ne remarqua pas de suite que l’inconnu essayait d’engager une conversation, pour finalement comprendre que c’était à elle qu’il adressait la parole. Elle se tourna vers lui dans l’idée de le remettre à sa place. Mais, quand elle se rendit compte qu’il lui parlait de bières du pays et elle se résolut à lui répondre.

— Je ne connais que la Guiness. Je la pensais être le véritable symbole de l’identité irlandaise puisqu'elle est incontournable lors des manifestations du pays. Mais, bien entendu, je suis ouverte à toute proposition de dégustation d’autres spécialités.

— La prochaine fois que vous entrez dans un pub, je vous suggère de tenter d’autres spécialités, je trouve que la Guiness a perdu de sa superbe malgré sa renommée. Il y a tellement d’autres façons de déguster les produits locaux. La Guiness ! Vous la trouvez partout, alors qu’une bonne stout…

Elisabeth fit dévier la conversation sur la culture du pays. Le jeune homme semblait s’y connaître tellement bien qu’elle mourait d’envie d’en savoir plus sur ces anecdotes historiques auxquelles il faisait référence. Elles lui semblaient bien plus précises que celles qu’elle avait pu lire dans les livres.

— J’attends mon amie qui va arriver d’une minute à l’autre, nous pourrions dîner tous ensemble, je vous raconterai l’histoire du manoir de ma famille.

— Vous semblez plein de bon sens, je suis un peu fatiguée et comptais manger sur le pouce mais vous m’alléchez avec vos histoires, répondit-elle en repensant au trouble ressenti à la vue de la statue

Matthew demanda au serveur de leur préparer une table plus grande et Caitlin se joignit à eux, un peu surprise de voir son fiancée avec une autre femme. Mais quand elle croisa le regard d’Elizabeth, une confiance mutuelle s’installa immédiatement.

— Vous savez, je suis issu d'une longue lignée irlandaise, mes ancêtres habitaient déjà le manoir de mes parents. C’est une bâtisse que l’on s’est transmise de père en fils et j’en hériterai également quand le moment sera venu. Si je vous racontais tout ce qu’on en dit dans la région, vous n’en croiriez pas vos oreilles. Ils prétendent que plusieurs manoirs sont hantés, dont celui de mes parents. Pour moi, ce sont des foutaises.

— Hantés ?

Elle ne put réprimer un intérêt certain.

Elizabeth repensa à leur séjour chez tante Janis et se disait que ces phénomènes étranges ne pouvaient pas avoir une grosse incidence sur son psychisme si vraiment ce qu’on racontait était vrai.

Elle finit cette journée bien remplie par une balade digestive au bord de l’Atlantique en compagnie des deux amoureux. Puis elle les quitta pour retourner à sa chambre pour un repos bien mérité. Matthew lui avait donné son numéro en lui faisant promettre de le rappeler le lendemain afin de pouvoir continuer cette conversation au plus vite. Elizabeth avait hâte de visiter la maison qu’il lui avait décrite ainsi que de rencontrer ses parents.

De retour dans sa chambre, son cerveau était tellement en ébullition qu’elle sut quelle n’arriverait pas s’endormir aussi vite qu’elle l’avait espéré. Elle essaya de focaliser son attention sur la décoration de la chambre mais peine perdue. Elle se releva et ouvrit la mallette de bijoux fantaisie pour en refaire l’inventaire. A peine étalés sur la petite table, elle fut prise d’un bâillement et le lit king-size, moelleux à souhait, lui rappelait qu’il était là pour lui offrir une nuit réparatrice.

Une première journée de travail plus tard, l’organisation de ses visites commençait. Elle n’avait pas de temps à perdre car les lieux qu’elle souhaitait découvrir étaient nombreux et elle bouillait d’impatience d’être au week-end pour rencontrer les parents de Matthew et le passer en leur compagnie.

Le soir, épuisée par sa première journée, elle se reposait en feuilletant les carnets de sa grand-tante quand son téléphone sonna. Paul lui raconta sa journée de travail et lui décrivit les préparatifs qu'ils faisaient avec ses collègues pour essayer de percer le mystère de la pierre de la source. Elle lui raconta sa rencontre avec Matthew et Caitlin et son excitation à l'idée de rencontrer cette famille d'aristocrates irlandais. Ils lui permettraient peut-être d'étoffer son carnet d'adresse.

Les jours suivants, elle alla à la rencontre de ses clients potentiels pour se faire connaître. Elle enchaînait les rendez-vous pris avant son départ et le soir avant de rentrer se coucher, elle s'arrêtait dans ce pub où elle avait rencontré ses nouveaux amis. Elle les y retrouvait et appréciait de partager les débuts de soirée avec eux. Il lui confirma l'invitation du week-end. Et le vendredi soir, ils l'attendirent devant son logement pour l'emmener dans le domaine familial.

Après une bonne heure de route dans la campagne, ils arrivèrent devant un manoir qui semblait défier l'océan. Les lumières du coucher du soleil sur les pierres et la végétation subjuguaient Elisabeth qui ne savait dans quelle direction tourner son regard. Caitlin ne put s'empêcher de rire.

— J'ai fait la même tête que toi en arrivant ici. Matthew fait toujours ce coup à ses amis quand il les emmène au château familial.

— C'est magnifique ! Je n'avais jamais rien vu de si féérique.

— Nous sommes au pays des fées et des leprechauns ! Ajouta Matthew d'un air malicieux.

— On dirait un château écossais.

— Mes ancêtres étaient originaires d'Ecosse et ont reçu cette terre du roi d'Angleterre il y a quelques siècles. Ils ont construit le château dans le style écossais pour se rappeler leur terre natale.

Il disait cela en garant la voiture au pied de l'escalier monumental qui conduisait à la porte d'entrée. Les parents vinrent à la rencontre des jeunes gens et les embrassèrent affectueusement. La petite troupe entra dans le manoir et ils s'installèrent autours de la table pour le repas du soir en l'honneur de leur invitée française.

Ils échangèrent sur leurs vies, leurs histoires et leurs passions. Et, ils furent curieux quand Elisabeth leur raconta qu'elle avait, elle aussi un lointain ancêtre écossais. Elle put leur donner son nom car elle venait de lire le carnet de Janis qui racontait la généalogie de la famille et en particulier l'histoire de cet aïeul.

— Mais c'est le frère cadet de Stuart notre ancêtre ! s'exclama la mère de Matthew.

— Quelle coïncidence ! Décidément, le hasard fait bien les choses.

Après le repas, Daïreen, la cadette de la famille proposa à Elisabeth de se rendre aux écuries pour s'occuper des quelques chevaux qu'ils possédaient. Celle-ci accepta avec plaisir cette invitation, cela faisait des années qu'elle n'était plus montée et elle se souvenait avec bonheur de la période où elle se rendait au centre équestre avec sa mère.

— Sera-t-il possible de faire une petite promenade à cheval ?

— Oui bien sûr ! Je serais ravie de te montrer les environs. Nous pourrons y aller demain matin si tu veux ! lui répondit la jeune irlandaise. De plus, je pense que Matthew et Caitlin ne seront pas très matinaux demain, si tu vois ce que je veux dire ! ajouta-t-elle avec un petit sourire mutin.

Elisabeth sourit à son tour. Elle avait saisi l'allusion de sa compagne, mais elle ne releva pas, après tout, ils avaient le droit de vivre comme ils le voulaient. Ce n'était pas elle qui allait les juger. Elle aurait bien aimé partager ce week-end avec Paul.

Elles finirent de vérifier que les chevaux étaient bien pour la nuit et elles regagnèrent le château en discutant comme deux vieilles amies qui se connaissaient depuis toujours. Lorsqu'elles se séparèrent sur le pas de la porte d'Elisabeth, Daïreen lui déposa un troublant baiser au coin des lèvres.

Elle y pensait encore quand elle se plongea dans la lecture d'un nouveau carnet de tante Janis. Tout dans cette pièce se prêtait à la lecture de ce carnet, l'architecture, l'ameublement et la décoration. Sa chambre ressemblait à un cabinet de curiosités où la famille de Matthew aurait exposé les objets rapportés par tous leurs ancêtres de leur voyages autours du monde.

Le cahier qu'elle lisait racontait un des nombreux séjours de Janis en Inde et au Népal. Au fur et à mesure de la lecture, elle plongeait dans le récit envoûtant de sa grand-tante à la découverte des sages hindous puis bouddhistes. Elle s'endormit en imaginant ces personnages, ces paysages. Elle se promit qu'un jour, elle irait là-bas avec Paul, peut-être en voyage de noces. Elle sentit à peine un frôlement passer dans ses cheveux quand le sommeil vint la prendre.

Ce fut les légers coups sur la porte de Daïreen qui la sortirent de ses rêves. Elle se souvint qu'elles avaient prévu de partir en promenade et elle enfila rapidement ses vêtements pour aller prendre son petit-déjeuner qui allait être copieux.

— Tiens ! Je t'ai apporté de quoi t'habiller pour monter. Je pense que ce pantalon t'ira et pour les bottes nous verrons dans la sellerie.

— Merci ! Lui répondit-elle.

Elle fut surprise de sa réaction en voyant sa lointaine cousine en face d'elle. Elle ressentait la même chose que la première fois qu'elle s'était retrouvée en face de Paul lors de cette soirée chez des amis communs.

— Le petit-dèj' est prêt ! lui lança-t-elle malicieusement.

— Je finis de me préparer et je te rejoins.

Elisabeth se changea pour mettre le pantalon qu'on venait de lui prêter avant de descendre rejoindre Daïreen et ses parents dans la pièce où le repas était servi.

— J'ai l'impression qu'il y a des courants d'air dans les couloirs du château ? demanda-t-elle à Elisabeth au court du repas, pendant que la conversation tournait autour de la construction de ce manoir.

— Certaines personnes ont cette impression, c'est possible et nous avons dû faire beaucoup de travaux d'aménagement pour l'isoler.

— Ce sont les fantômes de nos ancêtres qui viennent se rappeler à notre souvenir.

— Oh mamie ! Arrête un peu, tu sais bien que les fantômes n'existent pas !

Reprise par sa mère qui trouvait qu'elle manquait de respect à son aînée, Daïreen se tut en maugréant. Elisabeth posa sa main sur le bras nu de la jeune fille.

— On va aller monter, ça va nous faire du bien !

— Oui ! Allons-y !

Elle embrassa ses parents et bras dessus-dessous, les deux jeunes femmes se rendirent aux écuries pour préparer leur monture.

— Ce sont des chevaux que ma famille élève depuis des générations, ils sont adaptés au climat et au relief de la région. On n'en trouve pas de meilleurs dans la région.

— Je vois, ils sont magnifiques ! Dit Elisabeth en caressant le flanc d'une jument alezan.

— Viens essayer les bottes et prendre une bombe !

Elles se mirent en selle dans la cour et Daïreen les entraîna vers la forêt toute proche. En chemin, elles se racontèrent leur vie et Elisabeth lui parla de sa tante et de ses carnets. La jeune irlandaise l'écouta avec attention et quand elles sortirent du couvert de la forêt, elle lui proposa de venir découvrir un monument qui dominait le paysage.

— C'est magnifique ! s'exclama Elisabeth.

— Oui ! C'est l'un des plus vieux ensembles mégalithiques de la région. Laissons nos chevaux ici et finissons à pied.

Les deux jeunes femmes grimpèrent sur le sentier étroit au milieu d'un pré où pâturaient de nombreux moutons.

— Voici une allée couverte où selon la légende le premier roi du Connaught serait enterré.

Elisabeth s'approcha. Elle posa sa main sur une pierre et la retira aussitôt en sursautant.

— Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda Daïreen

— La pierre vibre !

— Vraiment ? Tu as de la chance car certaines personnes disent que cela leur est arrivé mais je ne l'ai jamais ressenti.

— Je ne sais pas si c'est de la chance, mais j'ai senti des picotements dans les doigts.

— Surprenant ! Mais peut-être que cela signifie quelque chose. Il faudra que tu demandes à grand-mère, elle connaît toutes les légendes de la région et même si elle m'énerve parfois avec ses histoires de fantômes, de temps en temps, elle n'a pas tort.

— On verra quand on rentrera.

Elisabeth qui avait fait quelques pas sous les pierres pouvait voir en contre-jour, la chevelure flamboyante de sa nouvelle amie qui s'approchait d'elle. Elle frissonna mais ne recula pas quand à l'abri des regards du monde extérieur, elle vint la serrer dans ses bras et lui posa un baiser sur les lèvres.

De longues minutes plus tard, les deux jeunes femmes rejoignaient le manoir au galop pour être à l'heure pour le repas de midi.

 

Après avoir passé l'après-midi, à découvrir la côte non loin du château, Elisabeth apprécia de se poser dans sa chambre pour se replonger dans les carnets de Janis. Après avoir raconté sa journée à Paul, mais elle ne parla pas de ce qu'elles avaient partagé avec Daïreen. Elle était toujours troublée par ce moment sous l'allée couverte. Elle ne savait qu'en penser. Au moment où elle continuait la découverte du voyage au Népal de sa tante, quelqu'un frappa à la porte de sa chambre.

— Oui ! dit-elle en relevant la tête.

— Je peux entrer ? demanda Daïreen en passant la tête dans l'ouverture de la porte.

— Bien sûr ! lui répondit-elle en souriant. Entre !

Elle l'invita à venir s'asseoir à côté d'elle sur le lit.

— Tu es dans les carnets de ta tante ?

— Oui, elle raconte sa rencontre avec une chamane tibétaine.

— Que raconte-t-elle ?

— Elle écrit comment cette femme lui a donné le moyen d'entrer en contact avec le monde des esprits. Il y a des recettes…

— Ce doit être intéressant.

— Oui ! Mais apparemment, il faut faire attention pour ne pas se laisser entrainer dans ce monde et surtout faire attention à la manière d'invoquer les esprits.

—Cela me semble évident, non ? N'est-ce pas ce que l'on raconte dans toutes ces histoires ?

— Oui c'est vrai ! Répondit Elisabeth en riant. Cela ne nous apprend pas grand-chose.

Daïreen regarda la pile de carnet posée à côté de son amie.

— Tu découvriras peut-être des choses plus intéressante dans ceux-ci !

Sa main frôla la cuisse nue d'Elisabeth qui frissonna en approchant son visage. Un rayon de soleil les trouva enlacées le lendemain matin.

 

La semaine suivante, Elisabeth tenta de faire sortir de son esprit le visage de Daïreen. Elle se plongea dans ses rendez-vous et évita le pub où elle avait rencontré Matthew. Elle rentrait chez Mme O'Meara pour prendre un léger repas et se plonger dans la lecture des carnets dont le contenu devenait de plus en plus étrange. Cependant, elle comprenait mieux le comportement de sa tante et les interdictions qui lui avaient été faites quand elle était enfant.

Elle était en train de boucler sa valise pour être prête le lendemain soir pour prendre l'avion quand son téléphone vibra. Elle s'attendait à un appel de Paul mais elle hésita un peu quand elle vit le numéro de Matthew s'afficher.

— Allo ! Elisabeth !

— Oui ! dit-elle troublée en reconnaissant la voix de Daïreen.

— Ça te dirait de venir passer quelques jours au manoir ? Mes parents sont en voyage et nous serons seules.

— Je devais prendre l'avion demain soir…

— S'il te plait…

La supplique et la voix charmeuse la firent craquer. Elle accepta l'invitation. Elle appela Paul pour lui expliquer qu'elle avait fait des découvertes sur les carnets de Janis. Elle trouverait peut-être des explications en Irlande et elle allait rester quelques jours de plus chez ses lointains cousins. Elle tomba sur son répondeur et laissa donc son message.

Le vendredi de son départ, au lieu de demander au taxi de la conduire à l'aéroport, elle lui donna l'adresse du manoir de Daïreen. Son amie l'attendait en haut de l'escalier et le chauffeur avait à peine franchi le portail de la propriété que les deux jeunes femmes s'embrassaient comme si cela faisait des années qu'elles s'étaient quittées.

Elisabeth passa deux semaines avec son amante qui filèrent aussi brièvement qu'une étoile filante traversant le ciel.

Pendant que leurs journées se passaient à se promener à pied, à cheval ou en voiture dans la campagne alentour, elles lisaient et décodaient les carnets de Janis en fin de soirée. Leurs nuits d'amour et de tendresse leur semblaient trop courtes. Elles durent se rendre à l'évidence, Elisabeth devait rentrer en France mais elles se promirent de se revoir rapidement.

Elle était triste de quitter l'Irlande et les bons moments qu'elle y avait passé. Elle sentait poindre une angoisse au creux de son ventre. Une inquiétude qui semblait lui venir de l'extérieur. Une force invisible lui intimait l'ordre de rester loin de Paul, de se méfier de lui.

En montant dans l'avion, Elisabeth se demanda si elle allait revoir son amie, hôtesse de l'air. Pour ne pas trop penser à tout cela, elle se replongea dans les notes qu'elle avait compilées. Elle avait réussi avec l'aide de Daïreen à déchiffrer les carnets. Elles avaient fait des découvertes surprenantes sur la maison, son environnement et les anciens occupants de la bastide.

Et, à leur grande surprise, le choix fait par les aïeux de Matthew et Daïreen pour construire leur manoir avait été mûrement réfléchi.

Comme la maison de Janis, ce château était bâti non loin d'un point de passage entre les mondes. En Irlande, ce passage se trouvait dans l'allée couverte et en France, à la source dans laquelle avec Paul, elle avait été emportée dans un tourbillon de sensualité. Pour se protéger de ses influences qui pouvaient être maléfiques, sa tante avait placé des objets venant de toutes les régions du monde. Ces objets avaient été fabriqués par divers magicien, chamanes ou encore prêtres. Lors de leur élaboration, longue pour certains de plusieurs mois, ils avaient été chargés de sorts de protection.

Avec l'aide d'une pierre, elle avait pu prendre conscience que le manoir étaient hantés par plusieurs fantômes de ses ancêtres. Si la plupart étaient inoffensifs et espéraient simplement trouver le chemin qui leur ferait quitter définitivement les mondes des vivants, il y en avait deux qui semblaient plus nocifs.

Elle avait souvent entendu parlé de ce vieil oncle Pierre qui avait eu une jeunesse trouble et qui avait disparu dans des circonstances mystérieuses au grand soulagement de la famille. Elle n'avait jamais compris pourquoi sa tante avait toujours gardé cette canne que Paul avait trouvée près de la porte. En lisant le carnet, elle avait blêmi et elle avait pris peur. Elle avait voulu prévenir Paul du danger d'utiliser cette cane, mais depuis plusieurs jours il ne répondait plus au téléphone. Son angoisse ressurgissait dans l'avion maintenant que la présence de Daïreen s'estompait doucement.

D'après ce qu'elles avaient décrypté, l'oncle Pierre se serait perdu entre les mondes avec une de ses conquêtes qui n'avait pas voulu céder à ses avances. Il se serait emporté et alors qu'ils étaient au abord de la source, les hurlements de la malheureuse auraient réveillé l'esprit d'un autre spectre de la maison, Emiliette. Emiliette avait été retrouvée morte violée à côté de la source. Elle survit sous une forme spectrale afin de protéger les femmes de la famille de l'emprise des hommes. Cette soirée là quand elle prit conscience du mal que voulait faire l'oncle Pierre à cette toute jeune fille, sa colère fut si forte qu'elle put se matérialiser et projeter le jeune homme violent contre la pierre. Sa tête la heurta violemment et la pierre s'ébrécha. Une partie de sa malignité fut chargée dans ce fragment de pierre, le reste de son esprit fut enfermé dans la canne et son corps disparut par le portail qui s'était ouvert. Quand Paul avait sorti la canne de la maison, il avait rompu les sorts de protection qui retenaient les fantômes. Ceux-ci étaient maintenant libres de quitter les lieux où Janis les avait enfermés. Mais le plus grave était que la partie maléfique de Pierre se trouvait dans le fragment qu'ils avaient donné à Laurence pour qu'elle l'étudie.

Elisabeth craignait qu'elle ne fût tombée sous l'emprise de Pierre.

— Elisabeth, tu es dans cet avion !

Elle leva les yeux de son carnet et découvrit le sourire de son ancienne camarade de classe.

— Oh ! Je suis ravie que tu sois là aussi. Tu es radieuse ! Les deux jeunes femmes s'embrassèrent et Elisabeth senti un picotement parcourir son corps quand leurs joues se frôlèrent.

— Merci ! je n'ai pas beaucoup de temps car je suis en plein travail mais si tu veux. Appelle-moi demain, et nous pourrons déjeuner ensemble si tu veux.

— Avec plaisir ! dit-elle en prenant la petite carte que lui tendait Virginie.

Elle la regarda s'éloigner, sans comprendre pourquoi son esprit était attiré par ce sourire et ces formes féminines.

Elle replongea dans ses notes. Elle commença à relire celles qui concernaient les environs de la maison sans se rendre compte qu'elle avait sauté le carnet qui parlait d'Emiliette. Un carnet dont Daïreen avait omis de lui révéler le contenu.

Elle passa la fin du vol à lire ce carnet et elle comprit comment elle pourrait débarrasser la maison de ses fantômes et surtout permettre aux spectres de retrouver la sérénité. Mais ce qu'elle découvrait l'effrayait un peu. Elle allait devoir faire appel à des forces occultes que maîtriserait un homme que sa tante décrivait comme un vieillard au charisme surnaturel. Cependant, rien dans le carnet ne permettait de savoir comment ni où le rencontrer. Sa tante disait simplement qu'il apparaissait au moment où l'on ne s'y attendait pas et là où il n'aurait pas dû être. Peut-être était-ce ce mystérieux voisin dont Paul lui avait parlé au téléphone.


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