jeudi 29 octobre 2020

Le Manoir aux Fleurs -04- La Directrice

 

Après sa nuit agitée, elle acheva de se préparer et de se maquiller pour cacher ses cernes. Elle avait rendez-vous avec sa directrice pour prendre les dernières informations et connaître le nom du professeur expérimenté qui allait l'accompagner pendant sa première année. Elle voulait aussi profiter de la connexion Internet du lycée pour commencer ses recherches sur le Professeur Wilhelm Van Dyck, comte de son état.

— Bonjour Mademoiselle ! Vous semblez épuisée, il ne vous reste plus que quelques jours avant la rentrée, lui lança sévèrement sa nouvelle supérieure.

Vêtue d'un tailleur strict, elle ressemblait à une de ces gouvernantes de roman de la fin du dix-neuvième siècle.

— Ne vous inquiétez pas, Madame la directrice, j'ai enfin trouvé un appartement.

— Vraiment ! C'est merveilleux, c'est vrai que ce n'est pas facile de se loger dans notre belle ville et nous ne sommes pas très aidés.

— C'est Marie qui m'a permis de le trouver, elle est pleine de ressources.

— Je le sais, c'est une jeune professeure très dynamique et très attachante.

Viviane semblait apercevoir une lueur brillante dans les yeux de Mme de Longueville.

— Où logez-vous ?

Quand elle le lui dit, il lui sembla voir la même ombre que sur le visage de la vieille femme du camping.

Après plus d'une heure de discussion où Viviane apprit avec plaisir que sa tutrice serait Marie, elle fut autorisée à se rendre dans la salle des professeurs pour pouvoir brancher son ordinateur. Elle commença aussitôt à surfer sur le net en tapant les mots clés "Professeur Van Dyck", "Comte Wilhelm Van Dyck". Elle avait même pensé à photographier les armoiries du comte sculptées sur un bas-relief au-dessus de l'entrée monumentale de la propriété. En dépit de ses efforts, elle ne trouva absolument rien de probant : cet homme n'existait sur aucun réseau social. La seule chose qu'elle trouva et qui la surprit, ce fut grâce à la photo des armoiries. Elle découvrit qu'il s'agissait d'une représentation stylisée de l'Ouroboros devant un svastika surmonté de l'équerre des Francs-Maçons. Ces symboles qui remontaient à l'Egypte et l'Inde antique, seraient ceux d'une confrérie secrète fondée depuis des millénaires et dont les membres seraient des immortels ayant des factotums humains dont certains pourraient aussi obtenir l'éternelle jeunesse à condition de se nourrir de l'énergie psychique émanant de certaines femmes.

Ces informations la laissaient songeuse d'autant plus qu'elle ne les avait trouvées que sur des sites dont elle savait que pour certains ils propageaient de fausses informations et pour d'autres qu'ils étaient tenus par des illuminés versés dans les sciences occultes ou les délires mystiques. Ce n'était pas de cette manière qu'elle en saurait plus. Elle devrait interroger Marie sur son hôte. Elle tenta alors une ultime recherche sur le château où elle résidait et là, qu'elle ne fut pas sa surprise de découvrir que si la bâtisse actuelle semblait dater du dix-neuvième, sa construction remontait en fait au début du Moyen-Âge, sur un ancien temple consacré à la déesse Diane, lui-même édifié sur un ancien sanctuaire préhistorique. Elle trouva quelques légendes qui racontaient des apparitions plus ou moins fantomatiques au cours de la période d'abandon du site entre la Révolution et le Second Empire. Toutes ces histoires parlaient aussi de mystérieuses disparitions, de cris et de gémissements.

Elle était de plus en plus perplexe et ne se rendait pas compte du temps qui passait. Elle entendit des pas derrière elle, c'était la directrice qui venait lui proposer de déjeuner avec elle.

— Déjà ?

— Et oui ! Je vois que vos recherches vous ont fait perdre la notion du temps. Mais je suppose que vous avez fait chou-blanc sur le comte Van Dyck…

— Oui et non… Mais pourquoi me parler de lui ?

— J'ai eu affaire à lui, il y a longtemps… lui dit-elle.

Puis, pour elle-même, elle chuchota : dans une autre vie.

— Ah oui ! Et alors que savez-vous de lui ?

Madame de Longueville éluda la question d'un haussement d'épaule et lui répondit simplement.

— Soyez prudente !

Décidément, le mystère s'accroissait autour de ce Comte. Mais Viviane était bien décidée découvrir ce qui se tramait dans ce mystérieux manoir.

— Puis-je laisser mes affaires ici ? Si vous êtes d'accord, je compte bien revenir travailler cette après-midi.

— Bien sûr, il n'y a personne dans le lycée et je vais fermer la porte à clé. Venez ! Je vous emmène dans un petit restaurant de la cité médiévale.

Les deux femmes arpentaient les ruelles de la vieille ville dont l'étroitesse les protégeait de la chaleur écrasante du soleil de midi.

A partir de la rentrée, vous ne pourrez plus porter de robes aussi légères, avec nos olibrius vous aurez intérêt à vous assurer à ne pas laisser visible certaines parties de votre corps, sinon vous allez vivre un enfer.

            Oui, je me doute, je les connais bien, j'étais parmi eux, il n'y a pas encore si longtemps. répondit-elle en riant. Ne vous inquiétez pas, j'ai des tenues de travail !

La directrice riait devant tant d'insouciance et de jeunesse. Elles franchirent le seuil du restaurant. Elle découvrit une salle voûtée, aux murs en pierres apparentes. Une jeune serveuse les invita à la suivre, et à la grande surprise de Viviane, celle-ci les installa dans une petite pièce au-delà d'une vieille porte en bois à l'écart de la grande salle.

— J'ai mes habitudes ! Lui lança la directrice devant son air étonné.

— Ici nous serons tranquilles et à l'abri des oreilles indiscrètes pour discuter du sujet qui nous préoccupe.

La serveuse leur donna la carte des plats et les laissa choisir. Elle revint quelques minutes plus tard avec leur commande puis sortit. Quand elle eut refermé la porte, Viviane vit sa compagne faire des gestes dans l'air et s'asseoir calmement.

— Voilà ! Nous pouvons parler sérieusement !

— Qu'avez-vous fait ?

J'ai placé un sortilège de secret autour de nous pour que rien de ce qui se passe dans cette pièce ne puisse en sortir.

Viviane rigola, sa chef fronça les sourcils.

— Ne rigolez pas ! C'est très sérieux !

— Mais la magie n'existe pas !

— Détrompez-vous ! La magie est bien plus présente dans notre monde que ce que vous croyez.

— Mais on n'est pas dans Harry Potter !

— Bien sûr que non ! Il n'existe pas d'école de magie ! Et le monde magique est bien plus féroce que celui décrit dans par J. K. Rowling, même si elle est bien informée.

La jeune femme était de plus intriguée. Ces romans qui avaient bercé sa jeunesse et son adolescence auraient donc une part de vérité. Continuant sur sa lancée, elle ajouta.

— Le monde enchanté ressemble plus aux contes de Grimm ou de Perrault et aux mythologies antique. Et si vous voulez mieux découvrir la réalité des créatures qui peuple notre monde, relisez les mythologies antiques, oubliez les romans pour grands adolescents.

— Je le ferai.

La directrice commença alors à lui raconter son histoire : elle était née ici et avait toujours connu le manoir et ses mystères. Son enfance avait été bercée par les légendes que racontait sa grand-mère. Elle avait longtemps cru que ce n'était que des contes destinés à faire peur aux enfants et aux jeunes filles un peu trop aventureuses. Cependant, à l'aube de ses quinze ans, avec une camarade, elles avaient décidé de braver l'interdit et s'étaient introduites furtivement de nuit dans la propriété. Plus elles avançaient vers le château et plus elles avaient l'impression d'être épiées. Elles s'encourageaient mutuellement et soudain, comme elles arrivaient à proximité d'un dolmen au centre d'une clairière, elles furent enveloppées par une nuée d'insectes qui libéraient une sorte de poussière bleue phosphorescente. Effrayées, elles rebroussèrent chemin en courant, se faisant griffer par les ronces qui semblaient s'ingénier à retarder leur course, elles trébuchèrent plusieurs fois sur des racines qui sortaient du sol sur leur passage. Mme de Longueville lui raconta aussi comment les buissons leur fouettaient les cuisses et les fesses sous leur jupe, et en se retirant les branches couvertes d'épines leur déchirèrent la culotte et la peau. Elles ne furent soulagées et ne se sentirent en sécurité que lorsqu'elles furent enfermées dans la chambre de Mariette.

Elles étaient seules dans la petite maison de son amie. Elles ôtèrent leurs vêtements pour voir les marques de griffures sur leur peau et constatèrent avec surprise que les branches leur avaient fait une cicatrice en forme de huit allongée sur la fesse droite. Mais ce qui arriva ensuite dans la chambre fut encore plus étonnant. Elles étaient vierges et n'avait pas encore de petit ami. Mais de se voir nues ainsi, elles eurent envie de se rapprocher et commencèrent à s'embrasser comme deux amantes. Leurs mains se caressaient, exploraient leurs corps adolescents et elles finirent par se retrouver tête-bêche sur le lit à se lécher intimement jusqu'au plaisir. Ce fut dans cette position que les parents de Mariette les surprirent au petit matin.

— Cet endroit semble avoir un effet sur la libido, dit Viviane, en se souvenant de ses rêves, rougissante.

— Vous l'avez constaté vous aussi.

— Oui et je pense que Marie en subit les effets aussi.

— C'est sûr. Mais attendez que je finisse mon histoire.

— Bien évidemment, vous imaginez bien que deux jeunes filles en train de faire l'amour à l'époque risquait de créer un scandale, surtout vu la position sociale de nos familles respectives. Mariette était plus âgée que moi et fut envoyée dans un pensionnat à l'autre bout de la région avec interdiction de me revoir. Pour ma part, je ne pouvais plus sortir sans être accompagnée d'une vieille tante.

— J'imagine bien la tête de vos parents à l'époque.

— Oh oui ! Mais moi, je n'en menais pas large. Je ne comprenais pas ce qui nous arrivait car jamais Mariette et moi n'avions eu la moindre attirance amoureuse, nous étions amies simplement. Mes parents étaient soulagés car avec Mariette, je ne risquais pas d'être enceinte.

— Oui c'est clair !

— Je vécus cloîtrée jusqu'à ce que puisse quitter le domicile familial et donc je me plongeais dans mes études. Mais je m'étais promis de faire la lumière sur les évènements de cette nuit-là.

— Vous avez dû être discrète, je suppose ?

— Parfaitement, je ne pouvais rien dire à mes parents et il me fallait tromper la surveillance de ma duègne. Heureusement, la bibliothèque locale est richement fournie et mes études en sciences humaines me permirent d'avoir accès à certains documents sans éveiller les soupçons. En effet le sujet de ma thèse portait sur les croyances populaires, le fondement des légendes et le comportement des populations.

— Moi, je compte bien écrire une thèse qui porterait sur les mythes fondateurs de la science-fiction et du fantastique moderne, un professeur à l'université m'encourage à le faire.

— Vous n'aurez pas beaucoup de temps lors de votre première année.

— Je le sais mais le logement que j'occupe m'offrira peu de distractions, ce qui me permettra d'avancer.

— Oui, j'imagine qu'il doit être aussi austère à l'intérieur que l'apparence qu'il a quand on le voit d'ici.

— Oh oui ! Il n'y a pas de connexion internet et même le téléphone ne passe pas.

La femme âgée resta songeuse en apprenant cela.

— Ça me conforte dans mon idée qu'il se passe des choses surnaturelles dans cette propriété. Reprenons !

— J'ai donc découvert que personne n'avait réalisé de monographie complète sur le site du manoir, ce que je me suis empressée de faire. J'ai gardé mes notes secrètes jusqu'à l'avènement d'internet où j'ai créé ce site qui vous a permis de découvrir son histoire.

— C'est donc vous ?

— Oui c'est moi. De même pour le blason qui se trouve au-dessus du portail d'entrée. Mais j'ai dû utiliser ce stratagème pour faire croire à un délire ésotéro-mystique.

— Quant au Professeur Van Dyck, je n'ai eu l'occasion de le croiser qu'une fois. Ce fut lors de ma remise de diplôme, il avait été invité par l'université comme sommité locale. D'ailleurs cette année-là, la remise de diplômes eut lieu dans la soirée, l'emploi du temps de notre comte, ne lui permettait pas d'être là plus tôt. Je reçus donc mon parchemin de ses mains. Lorsque nos yeux se sont croisés, j'ai eu l'impression qu'il pénétrait mon âme et je pris peur devant son sourire énigmatique. Je ne me suis plus jamais approchée du château depuis.

— A ce point ?

— Vous l'avez vu, non ?

— Non, la seule fois où j'ai eu affaire à lui physiquement, il était de dos, assis dans son fauteuil et il n’a même pas daigné se retourner.

— Etrange, car on dit qu'il est amateur de jeunes femmes !

— Comment cela ?

— Quand il sort, il est toujours accompagné par des jeunes femmes, qui ne sont peut-être pas toutes des canons de beauté mais elles ont toutes un charme certains et les hommes ne peuvent s'empêcher de les regarder.

— Ce n'est pas mon cas ! dit Viviane en éclatant de rire. Les seules choses qui font que les hommes me remarquent, c'est mon cul et ma poitrine !

La directrice sourit et sembla se détendre un peu en continuant de raconter.

— Après la cérémonie, je n'ai plus jamais entendu parler du Professeur. Pendant des années, le manoir sembla vide mais toujours entretenu même si on ne voyait jamais personne entrer ou sortir. Depuis notre incursion, les murs autour de la propriété avaient été relevés et je pense que des sorts anti-intrusion furent posés.

— Vous me parlez souvent de sorts et de magie, quand vous y êtes-vous intéressée ?

— Quelques années après que j'ai commencé à travailler au lycée. Avec la position de mes parents, j'ai pu obtenir ce poste sans difficulté, de plus ceux-ci voulaient lutter contre mes tendances homosexuelles comme ils le disaient. Ils me présentaient à tour de bras tous les jeunes gens bien nés de la région. Je suis tombé amoureuse d'un jeune officier et nous nous sommes mariés mais nous n'avons jamais pu avoir d'enfants. Je ne serai pas surprise que cela ait un lien avec la lueur bleue mais pour le moment, je n'en ai jamais pu obtenir la certitude.

— Si ce que vous dites est vrai, alors il se pourrait que je sois moi aussi devenue "stérile", j'ai moi aussi respiré cette poussière en entrant dans le manoir.

— Je l'ignore, je vais chercher. Mais pour la magie, un de mes beaux-frères qui se destinait à la prêtrise devint mon confident et il fut le seul à savoir ce qui m'était arrivé ce soir-là. Il me conseilla alors d'aller voir un couple de ses amis. Je profitais de mes vacances pendant que mon époux était en mission à l'étranger pour me rendre chez eux. C'est la femme qui m'a initiée aux arcanes de la magie blanche. Je restais chez eux bien plus longtemps que prévu car mon mari perdit la vie dans des circonstances étranges dans cette contrée lointaine.

— Je suis désolée…

— Oh ! C'est du passé maintenant, cela va faire plus de vingt ans maintenant.

— Comment est-il mort, si je peux me permettre ?

— Officiellement une mine a explosé au passage de son convoi, mais selon un de ses hommes qui est maintenant hospitalisé en hôpital psychiatrique, une sorte de dragon a jailli d'une caverne et s'est jeté sur leur véhicule en crachant des flammes.

— Un dragon ?

— Non cela me ferait plutôt penser à un basilic des montagnes. Mais laissez-moi finir.

— Oui Madame. dit-elle penaude.

Et surtout, plus elle regardait cette femme parler, plus une sensation de chaleur envahissait son bas ventre.

— Sylvie et son mari, Arthur me proposèrent de rester avec eux, le temps que je récupère du décès de mon époux et l'administration m'accorda un congé longue maladie. Je restais donc deux longues années avec eux et c'est ainsi que j'appris ce que je sais sur le Professeur Van Dyck et ses pareils et comment m'en protéger du mieux possible.

— Et moi ! Alors suis-je en danger ?

— Non ! Je ne pense pas, d'ailleurs nous ne sommes pas en réel danger.

— Comment cela ?

— Le Comte ne nous fera pas de mal, ce dont il a besoin, c'est de notre énergie psychique. Le plus grand danger qui nous guette, c'est de devenir dépendantes de son désir pour nous.

— Est-ce si dangereux ?

— Vous ne savez pas ce que c'est que de mourir sous les orgasmes. Je vous donnerais quelques récits que je n'ai pas publiés encore.

— Merci Madame.

Disant ces mots, elle tendit sa main vers la directrice qui inconsciemment approcha aussi la sienne. Leurs doigts se frôlèrent et elles se regardèrent en souriant. Et sans comprendre ce qui leur arrivait, elles partagèrent leurs pensées, leurs envies, leurs désirs. Elles restèrent ainsi de longue minutes sans parler.

— Elles reprirent leurs esprits, et Viviane vit le visage de sa directrice se décomposer.

— Que venons-nous de faire ?

— Je crois que nous venons de partager une expérience de pensée unique, Madame !

— Oui et c'est cela qui m'inquiète ! dit Madame de Longueville en respirant profondément. La puissance du Professeur a encore augmenté.

— Ce qui veut dire ?

— Je pensais pouvoir vous protéger Marie et toi, mais je n'en suis plus si sûre. Il va te falloir être très prudente et tenter de résister à la puissance psychique du Comte.

— Oui Madame, je résisterai.

Leur repas finit, les deux femmes regagnèrent le lycée où la future professeure de littérature plancha sur ses premiers cours. Elle préféra ne pas tenter le diable en continuant ses recherches sur cette étrange confrérie. Et en fin d'après-midi, elle prit congé de la directrice et regagna son domicile, troublée et un peu inquiète sur ce qu'elle lui avait appris sur le comte.

Pendant ce temps, Éléonore était songeuse dans son bureau, sa discussion avec Viviane avait réveillé de vieux souvenirs en elle. Elle se demandait ce qu'était devenue cette amie dont elle n'avait plus eu de nouvelles après cette nuit de folie. Et c'est plongé dans cette rêverie qu'elle traversa le couloir. Le claquement de ses talons fit relever le nez de Léonard en train de finir de réparer un interrupteur. Il resta bouche-bée à la suivre du regard par-dessus ses lunettes. Le parfum qu'elle laissait derrière le troublait profondément.

En rentrant chez elle, Madame la directrice réfléchissait. Et si Viviane était enfin la personne qui allait lui permettre de mettre fin à la guerre qu'elle et ses alliés menait depuis des années contre le comte Van Dyck. Pour la première fois, elle avait peut-être une alliée dans la forteresse ennemie. Elle allait devoir jouer serrer pour ne pas effrayer sa jeune collègue. Elle y pensait toujours quand celle-ci vint justement la saluer avant son départ. 

Le Manoir aux Fleurs -03- Emménagement

 

Quelques jours après sa réponse laissée sur le répondeur du comte Van Dyck, un autre courrier arriva au camping à l'attention de Viviane. Celui-ci était plus conventionnel, une simple enveloppe Kraft, contenant un jeu de clés. Cependant le même parfum émanait de l'enveloppe, signant son auteur. Elle était aux anges : elle avait résolu son principal souci, le logement.

Le jour de son départ, elle alla faire les démarches à l'accueil du camping pour solder sa note. La vieille femme qui tenait le poste lui demanda ce qu'elle avait trouvé.

— Le propriétaire du manoir sur la colline accepte de me louer un petit meublé, sous réserve de quelques menus services.

Elle ne lui parla pas des autres conditions estimant qu'elle n'avait pas à le savoir mais il lui sembla voir une ombre passer sur son visage. Elle l'entendit maugréer quelque chose au sujet du passé et de son éternel recommencement.

Le cœur léger, sa valise à la main, elle prit bien soin d'entrer dans la demeure par l'arrière. La vieille porte grinça, preuve qu'elle n'avait pas été beaucoup ouverte ces derniers temps. Elle monta une volée d'escalier, après avoir aperçu une autre porte et sur le palier deux portes se faisant face.

— Sûrement la porte de service, se dit-elle. Elle prit alors le trousseau de clés et ouvrit la porte qui lui semblait donner sur son appartement.

La porte s'ouvrit sans un bruit. Viviane resta sans voix. Hormis le fait que ce logement n'avait pas dû servir depuis un moment, il était en parfait état, sans fioriture, bien aménagé, lumineux sans être immense mais suffisant pour une personne seule. Il était meublé et la qualité du mobilier n'avait rien à envier aux pauvres meubles en kit qu'elle avait connus dans d'autres appartements pendant ses études et qui avaient rarement résisté à plus d'un déménagement.

Tout dans l’ameublement indiquait une vie de solitaire, une petite table, une seule chaise, un lit simple, une petite armoire. Elle l'ouvrit pour y poser sa valise et y aperçut du linge de chambre, de toilette, et même une garde-robe.

— La locataire précédente les a sûrement oubliés, pensa-t-elle, je les donnerais au comte pour qu'il les lui rende.

Elle les regarda rapidement et découvrit des sous-vêtements dont certains la firent rougir. Qui pouvait porter ce genre de chose ? Elle tenait entre ses doigts un sous-vêtement minimaliste et elle vit aussi ce qui semblait être une robe de soirée en tissu très léger. Mais ce qui la surprit le plus, c'est que ces vêtements semblaient tous à sa taille.

Elle ouvrit la fenêtre pour aérer un peu et profiter de la fraîcheur de la soirée et elle crut voir une silhouette déambuler dans le jardin. Elle se rappela alors une des consignes du comte, respecter scrupuleusement son intimité. Elle ignorait si cela en faisait partie mais ne voulait pas subir dès son arrivée les foudres de son logeur, elle détourna le regard. Taraudée par l'envie d'en savoir plus sur son hôte, elle sortit son ordinateur et se rendit compte bien vite qu'il n'y avait aucune prise de téléphone et elle constata aussi qu'aucun signal ne parvenait à son téléphone portable. Elle sourit en se disant que le Professeur avait décidément bien des mystères.

Elle réfléchit alors au loyer et à son règlement. Rien n'avait été indiqué à ce sujet. Elle décida qu'elle déposerait un chèque dans la boîte aux lettres qu'elle avait remarquée à l'entrée.

Détendue, elle se prépara un repas frugal. Elle finit de ranger ses maigres possessions et se coucha. Pour la première fois depuis bien longtemps, elle trouva le sommeil rapidement malgré les bruits étranges qui lui parvenaient du jardin et d'autres pièces du manoir.

Le lendemain, c'est le cœur joyeux qu'elle retrouva son amie Marie qui l'avait invitée à venir prendre le café. A son arrivée, Marie l'accueillit en robe de chambre prétextant qu'elle sortait de la douche. Viviane s'excusa et lui dit qu'elle pouvait repasser plus tard. Mais elle la fit entrer en lui indiquant le salon attenant à la chambre. Elle se débarrassa vite fait du peignoir qui l'habillait pour passer un long t-shirt. Au passage, Viviane remarqua une petite marque sur le haut de la fesse de son amie et sans la reconnaître elle se disait qu'elle l'avait déjà vue, mais impossible de se rappeler où.

Elle se leva pour retrouver dans la cuisine son amie qui préparait le café, elle n'aimait pas discuter quand l'autre personne n'était pas dans la même pièce. Après leur café, elles passèrent la journée ensemble, profitant du soleil sur la plage et aux terrasses des restaurant du front de mer. Avec la volonté de prolonger leur intimité, Viviane accepta l'invitation de Marie de rester la nuit avec elle. La nuit fut plus le théâtre de joutes amoureuses entre les deux amantes qu'un moment calme et tranquille.

Au petit matin presqu'un peu gênée, Viviane quitta à regret son amie qui dormait comme un loir. Elle reprit le chemin de la demeure et manqua d'outrepasser la première des règles en entrant par la porte d'entrée. Ce fut le grincement furieux de celle-ci qui la ramena sur terre. Contrite, honteuse comme si elle avait été prise en fraude, Viviane rebroussa chemin rapidement pour regagner son nid douillet mais austère. Sa nuit suivante fut à nouveau peuplé de rêves tous plus étranges les uns que les autres. Ce fut en se réveillant dans la nuit qu'elle comprit que les cris qu'elle entendait n'étaient pas que dans son rêve. Elle se tourna longuement dans son lit, troublée et elle eut du mal à trouver le sommeil en dépit des efforts qu'elle fit pour retrouver son calme après les images qui lui trottaient dans la tête.

mercredi 28 octobre 2020

Historiettes - Soirée Enneigée

  

Depuis plusieurs heures, Clémentine arpentait de long en large le hall de la gare attendant avec impatience que le quai d'où devait partir son train soit affiché. Elle observait avec amusement le comportement des gens, entre les excités qui n'arrêtent pas de vociférer dès qu'une annonce ne correspond pas à leur attente et ceux fatalistes qui savent que râler ne changera rien. Un incident technique avait obligé le train à s'arrêter en plein voie quelques heures plus tôt et tout le monde était bien obligé d'attendre que le problème soit résolu. Les agents de la gare faisaient leur possible pour renseigner les voyageurs avec les maigres informations à leur disposition.

De temps à autre, son regard croise celui d'autres voyageurs, elle est attirée par le regard bleu profond d'un homme à la chevelure brune dans la force de l'âge. Malgré son visage carré, des traits de l'homme semble émaner une profonde tendresse. Elle lui sourit et reçoit un sourire en retour.

Je n'aurais pas tout perdu ce matin, pense-t-elle. Rien de tel qu'un sourire pour réchauffer un cœur solitaire.

Quand soudain, l'annonce tant attendue retentit dans les haut-parleurs de la gare, "Le train en provenance de Paris et à destination de Rodez arrivera voie Quatre. Cinq minutes d'arrêt !"

Aussitôt la foule se met en mouvement et Clémentine, qui se trouve juste à l'entrée de l'escalier qui permet d'accéder au quai est prise dans la bousculade de ces personnes impatientes. Surprise par le geste d'une maman excédée après son enfant qui ne marche pas assez vite, elle se recule mais pas assez rapidement pour ne pas recevoir le coude dans le visage. Ce coup involontaire entraîne la chute de ses lunettes qui touchent le sol en même temps que le pied d'un homme qui ne peut rien faire d'autre que les écraser.

— Excusez-moi ! lui dit-il en se baissant pour ramasser les lunettes déformées mais dont heureusement les verres ne sont pas cassés.

— Vous n'y êtes pour rien ! lui répond-elle. C'est cette folle hystérique qui aurait pu faire attention. Où est-elle d'ailleurs ?

Mais la femme qui ne s'est rendu compte de rien est déjà sur l'autre quai. Elle s'apprête sans doute à monter dans le train avant même que les passagers en soient descendus.

Calmement, malgré la sourde colère qui monte en elle en raison de la perte de ses lunettes, Clémentine trouve la voiture quand laquelle elle a réservée sa place. A sa grande surprise et à sa grande joie, elle découvre qu'il s'agit d'une voiture à compartiments. Elle prend place à côté de la fenêtre et sort de son petit sac de voyage le roman qu'elle avait prévu de lire pendant le trajet.

Elle va partager son compartiment avec un jeune couple très amoureux pour qui le monde n'existe pas hors de leur bulle et une petite mamie aux cheveux violets qui la salue avant de replonger dans son tricot. La place en face d'elle est libre quand la porte s'ouvre et laisse entrer le brun aux yeux bleus de la gare. Il lui sourit et s'installe.

— C'est mon jour de chance ! lui lance-t-il en s'installant face à elle. Je ne m'attendais pas à ce que le hasard me propose de voyager avec une aussi jolie femme.

Clémentine ne sait que répondre et sent son visage couvert de taches de rousseur s'empourprer. Elle baisse le regard et bafouille un remerciement.

Ne pouvant lire à cause de l'absence de lunettes, elle regarde le paysage qui commence à blanchir en raison de la neige qui se fait de plus en plus abondante.

— J'espère que là-bas les routes seront dégagées pour que Claire puisse venir me chercher à la gare, murmure-t-elle.

Son compagnon de voyage l'ayant entendu lui demande jusqu'où elle va.

— Je descends à Aurillac pour aller passer quelques jours chez une amie qui possède une maison au milieu de nulle part.

— Décidemment, la fortune me sourit ! Je descends là aussi, je vais passer le week-end chez ma sœur et j'espère en profiter pour prendre quelques clichés pour illustrer un article dans une revue à laquelle je collabore.

— Si le soleil est de la partie vous aurez sûrement de beaux paysages enneigés.

— Je ne m'intéresse pas uniquement aux paysages ! répond-il en souriant.

Clémentine comprenant l'allusion de son compagnon de voyage éclate de rire.

— Moi ! Vous voulez rire ! Ai-je le physique d'un mannequin ?

— Ce n'est pas le physique le plus important, mais ce qui se dégage du sujet. Et avec votre chevelure flamboyante et vos yeux si verts, vous êtes l'incarnation de la déesse mère. Mais je manque à mes devoirs, je me présente, Donatien. Et vous-même si ce n'est pas indiscret ?

— Clémentine.

— Un joli prénom pour un fruit dont le meilleur est caché par l'enveloppe.

Sentant son téléphone vibrer, Clémentine le sort de sa poche et constate qu'elle vient de recevoir un message. Elle plisse des yeux pour essayer de le lire.

— Un souci ? lui demande-t-il.

— Dans la bousculade à la gare, mes lunettes sont tombées et se sont brisées et du coup je suis un peu gênée pour lire ce message que mon amie vient de m'envoyer. Cela vous gênerait-il de me le lire ?

— Non ce sera un plaisir.

Elle lui tend le téléphone et il le lui lit.

—Votre amie vous informe que sa voiture est en panne, et que de ce fait elle vous invite à prendre un taxi pour monter chez elle.

Dépitée, Clémentine remercie Donatien et se demande si un taxi acceptera de la conduire jusqu'à la maison de Claire.

Donatien laisse la jeune femme à ses pensées et se plonge dans son livre.

 

L'agent du train annonce enfin l'arrivée en gare d'Aurillac. Elégamment, Donatien descend le sac de Clémentine du support de bagages et ils sortent ensemble.

A sa descente, à la surprise de Clémentine qui ne s'attendait pas à cela, Donatien est accueilli à bras ouverts par un jeune homme à la chevelure aussi blonde que les blés. Ils s'embrassent longuement et Donation se tournant vers Clémentine :

— Clémentine, voici Julien mon compagnon !

— Enchantée, vous avez de la chance d'avoir un tel homme charmant comme compagnon.

— Merci ! Je reconnais que Donatien est une personne très attentive et attentionnée…

— Désolé de te couper dans tes compliments mon ami ! Mais cette jeune femme ici présente à un souci. Son amie qui devait venir la chercher à la gare est en panne de voiture. Ne pourrions-nous pas faire un petit détour pour la conduire vers son hôtesse ?

— Bien sûr, où habite votre amie ?

Clémentine leur donne l'adresse de Claire. Elle voit le visage de Julien se crisper un peu.

— J'espère que la neige n'est pas encore trop épaisse car la route qui monte là-bas est assez étroite et est peu fréquentée. Mais tentons !

— Je vous remercie c'est vraiment très gentil à vous.

Encadrant la jeune femme, chacun des deux hommes la prend par le bras et ils sortent ainsi de la gare.

Julien prend le volant et sort de la ville enneigée pour s'engager sur les petites routes de montagnes alors que la nuit tombe, pendant que Clémentine appelle son ami pour lui expliquer sa rencontre avec les deux hommes et qu'ils se sont gentiment proposé de la conduire malgré le temps. Il roule prudemment en se demandant si la neige leur permettra de redescendre sans risque.

Clémentine apprend que les deux hommes sont tous les deux originaires de la région et qu'ils sont amis depuis le lycée. Elle leur dit que Claire et elles sont des amies d'enfance et que Claire a décidé de venir s'installer dans la région pour profiter de sa passion pour les grands espaces et essayer de vivre de ses poteries.

— Au fait ! lance Donatien. Ma sœur est ophtalmo, peut-être pourra-t-elle vous aider pour vos lunettes ?

— Merci, mais c'est juste le verre qui est tombé, je pense qu'une visite chez un opticien sera suffisant. Je verrais cela demain si le temps et la voiture de Claire nous permettent de redescendre en ville.

— C'est ce petit chemin à droite ! signale-t-elle au conducteur qui s'engage dans un passage enneigé encore plus étroit que la route qu'ils viennent de quitter.

Au bout de quelques minutes, ils stoppent devant une maison de pierre. Claire qui les attendaient, sort de la maison bien emmitouflée.

— Entrez ! Venez-vous mettre au chaud !

Elle insiste auprès des hommes pour qu'ils restent un peu avant de redescendre.

— De toute manière avec cette neige, vous allez vous retrouver coincés quelque part dans la montagne, alors autant rester ici au chaud. Dit-elle en souriant.

Reconnaissant la justesse de ses propos, les deux hommes acceptent de rester. Mais quelques minutes seulement ! souligne Julien.

— Vous allez rester manger au moins.

— Oh oui ! ajoute Clémentine, "Vous n'avez pas fini de me raconter votre histoire."

— Quand c'est demandé avec un si joli sourire, nous ne pouvons que nous incliner.

 

Ils s'installent tous au salon autour de la cheminée. Claire se rend à la cuisine pour rapporter de quoi grignoter avant que le repas ne soit prêt.

— J'ai fait quelque chose de simple ! s'excuse-t-elle.

— C'est déjà très gentil de nous inviter à dîner, nous n'allons pas faire les difficiles non plus. Mais je tiens un bar à cocktail, je peux vous en faire quelques-uns pour faire passer cet apéro improvisé.

— Clémentine ! Montre le bar à Julien. Il trouvera peut-être son bonheur.

Au retour de Claire, ils sont tous installés dans les fauteuils tandis que Julien leur propose des cocktails en fonction de ce qu'il a pu découvrir dans le bar de Claire.

Le calme à peine troublé par le crépitement des flammes dans la cheminée, les quelques verres avalés, le repas prit sur le pouce autour du feu, permettent aux discussions de se faire plus intimes et donnent l'impression qu'ils se connaissent depuis toujours.

Alors que Claire, aidée par Donation, se rend à la cuisine pour débarrasser le repas et apporter le dessert qu'elle avait préparé dans l'après-midi, Clémentine, apercevant la guitare de son amie appuyée dans un angle de la pièce, se lève pour la prendre et commence à poser quelques accords. Elle se lance alors avec Julien dans un concert improvisé, reprenant le répertoire des chants de veillées, allant de Santiano à Toi+Moi.

Alors qu'ils finissent San Francisco, la bûche de la cheminée se brise dans une gerbe d'étincelle et de fumée.

— Il n'y a plus de bois, il va falloir aller en chercher dehors, remarque Claire. Elle attrape un gilet et se prépare à sortir.

— Non ! Reste au chaud, nous allons y aller.

Julien et Donatien reviennent quelques minutes plus tard les bras chargés de bûches.

— La neige a cessé et le ciel est complètement dégagé. La lune brille de tous ses feux. Cela vous dirait une petite balade digestive au clair de lune ? De plus, cette luminosité est magique je pense pouvoir prendre des photos intéressantes ce soir, s'exclame Donatien en montrant son appareil.

Les filles se couvrent et tous sortent dans la nuit enneigée. La neige tombée en abondance recouvre la campagne mais leur permet malgré tout de marcher sans trop s'enfoncer. Claire les conduits vers un étang dont la surface plate gelée brille dans la nuit. Julien s'en approche et pose prudemment un pied sur la glace.

— Cela va faire plusieurs semaines qu'il est gelé, je pense que la glace est assez épaisse pour que nous puissions faire quelques glissades sans danger, propose Claire en riant.

— Tu es sûre ? demande Clémentine testant la glace à son tour.

Elle fait quelques pas, glissant doucement tandis que Donatien mitraille le paysage et ses compagnons.

Se tenant par la main, Claire et Clémentine patinent sur l'étang en tentant de conserver leur équilibre instable. Soudain, le pied de Claire glisse plus qu'elle ne l'aurait pensé et elle perd l'équilibre. Clémentine la rattrape et les deux femmes se retrouvent enlacées. Apercevant l'objectif de l'appareil, elles échangent par jeu un long baiser sous la lune.

Par précaution, ils regagnent tous le chemin et retournent se mettre au chaud.

Arrivés à la maison, ils sont accueillis par le générique de fin du dernier Spiderman diffusé par la télévision qui était restée allumée mais que personne ne regardait.

— Qui veut une boisson chaude ? Propose Claire.

De nouveau installés autour du feu à se réchauffer avec qui un thé, qui une tisane ou un chocolat, Clémentine et Claire inondent la pièce d'accords de guitare sous les flashs de Donatien.

A une heure avancée de la nuit, Claire montre une chambre où Julien et Donatien pourront dormir tandis qu'elles aussi gagnent chacune leurs chambres respectives.

 

Le lendemain matin, Clémentine est réveillée par une odeur de café et de viennoiserie. Elle est surprise car ce n'est pas dans les habitudes de Claire de se lever si tôt. Enfilant son peignoir, elle se lève et est éblouie par le soleil sur la campagne enneigée. Elle sort de sa chambre et descend dans la cuisine où Julien et Donation ont préparé le café et ont été chercher des croissants à la boulangerie du village.

— Les routes sont dégagées, nous allons pouvoir rentrer. Merci pour cette soirée très agréable.

— Merci à vous de m'avoir conduit ici hier soir. J'espère que nous nous reverrons.

— Sûrement ! dit Donatien. Cela ne dépendra que de vous !

 

Après le petit déjeuner, les deux hommes prennent congés de leurs hôtesses et s'éloignent doucement.

— Ils étaient vraiment charmants, et ce Donation, quel regard ! soupire Clémentine. Quel dommage qu'il soit déjà en couple.

— Allez ma chérie ! Tu vas bien le trouver un jour ton prince charmant ! Se moque gentiment Claire en la serrant dans ses bras. Pierre doit passer dans la matinée pour voir la voiture et si tout va bien, nous pourrons passer chez un opticien pour tes lunettes.

 

Quelques jours plus tard, Clémentine remonte dans le train pour rentrer chez elle, elle se souviendra longtemps de son voyage aller qui lui a permis de rencontrer l'homme le plus charmant qu'elle n'est jamais croisée. Plongée dans ses pensées et dans son livre, elle sursaute à l'annonce de sa gare.

Prenant son sac, elle descend du train et sort de la gare et qu'elle n'est pas sa surprise en découvrant dans le kiosque de presse devant la gare de voir sa photo en une d'un magazine photo, sous le titre "La Reine de l'Hiver". Elle baisse rapidement le regard espérant que personne ne la remarque.

Le Manoir aux Fleurs -02- Journée Délivrance

 

Au matin, Viviane venait à peine de finir son petit déjeuner que Marie frappa à la porte du mobil-home.

— Entre ! Mais je ne suis pas encore prête !

Elle sortit de la salle d'eau nue sous sa serviette de bain.

— Je m'habille et j'arrive.

Elle passa devant son amie qu'elle embrassa avant de rentrer dans la chambre pour passer une robe sans fermer la porte pour pouvoir l'entendre et lui répondre.

— J'ai prévu de t'emmener dans un ancien bois sacré avec quelques ruines intéressantes. Je crois que Chateaubriand venait y trouver l'inspiration pour rédiger ses "Mémoires d'Outre-Tombe".

— J'ai hâte de découvrir ce lieu, alors !

Marie put entrevoir les formes voluptueuses de son amie quand elle enfila ses dessous. Elle en fut troublée mais ne dit rien quand Viviane sortit de la chambre vêtue d'une petite robe d'été qui, tout en restant sage, laissait suggérer un corps fait pour le plaisir.

— Pense à prendre un maillot de bain, au retour nous ferons une pause près d'un petit étang discret où nous pourrons nous baigner tranquillement loin des touristes.

— OK ! Je prépare cela !

Après de longues minutes au milieu de la campagne, elle obliqua sur une petite route qui s'enfonçait dans un bois de chêne. Elles s'arrêtèrent au milieu de la forêt et l'historienne guida sa compagne sur le sentier qui les menait aux ruines. Elle découvrit un ensemble de murs, de colonnes en pierre de taille plus ou moins grosses.

— D'après les archéologues, il s'agirait d'un sanctuaire néolithique transformé en temple par les romains puis qui est devenu un ermitage abandonné pendant la Grande Peste qui a ravagé l'Europe au Moyen Age.

— Ce lieu est envoûtant. Je comprends pourquoi on imagine Chateaubriand dans ces ruines. On a presque l'impression que l'on est en contact avec l'au-delà.

Viviane frissonna et se retourna.

— Qu'est-ce que tu as ?

— J'ai eu l'impression d'être caressée entre les cuisses.

— C'est le vent ! rigola Marie. Il n'y a pas de fantôme ici !

— Oui je sais bien mais j'ai l'impression d'être observée.

— Regarde ! Avec tous les touristes qui traînent, ce n'est pas étonnant !

Elle s'approcha de son amie et elle lui posa une bise sur la joue en lui murmurant à l'oreille :

— Deux jeunes femmes pas trop moches qui sont seules, ça ne laisse pas les hommes indifférents.

— Oui, tu as raison !

Malgré ces propos, elle était mal à l'aise. Les deux femmes poursuivirent leur visite et Marie expliqua l'histoire du site, les légendes qui l'accompagnaient. En particulier celle que lui avait rapportée le Professeur : à certaines périodes de l'année, ce serait un point de passage entre les mondes. Si les rituels étaient respectés, des démons pouvaient passer et venir choisir des épouses parmi les femmes humaines pour se reproduire.

Elles finirent leur visite en prenant un repas frugal au restaurant qui jouxtait le monument puis elles se dirigèrent vers l'étang pour y passer une après-midi de farniente au soleil.

Seules au bord de l'eau, elles étaient allongées en maillot de bain et continuaient leur discussion. C'était la première fois qu'elles passaient autant de temps ensemble.

— Veux-tu que je te mette de la crème dans le dos, tu es en train de rougir.

— Oui et je te ferai de même ensuite.

Viviane se mit sur le ventre et de douces mains commencèrent à enduire son dos de crème. Elle ferma les yeux et ne dit rien quand Marie dénoua le haut de son maillot pour mieux couvrir la peau. Elle se détendait même si son esprit était toujours occupé par les fameuses conditions de son futur logeur. Elle appréciait les caresses de son amie sur son dos et elle se détendit. A son tour, elle enduisit la peau de Marie de crème et une fois préparées pour affronter le soleil, elles s'allongèrent pour discuter et commencèrent à se câliner plus comme des amantes que comme des amies.

— Tu as l'air songeuse.

— Oui ! J'ai eu l'impression d'avoir été épiée toute la journée. A un moment quand nous nous câlinions, j'ai eu l'impression qu'une ombre furtive nous regardait.

— Tu as trop lu de romans fantastiques.

— Non je t'assure, j'ai bien vu quelque chose s'approcher de nous mais disparaître quand j'ai levé les yeux.

— Tu devais encore être en train de rêver.

— Je ne sais pas, cela semblait si réel.

— Il est temps de rentrer…

Elles reprirent la route du camping et elles se racontèrent leurs expériences amoureuses et les qualités et les défauts hommes quand ils faisaient l'amour. Elles se moquèrent de ceux qui fiers de la taille de leur sexe ignoraient le mode d'emploi d'un corps féminin.

Le cœur battant, après cette journée passionnante et riche en émotions de toutes sortes, Viviane regagna son mobil-home.

A l'intérieur l'attendait une enveloppe posée sur la table. Une odeur la troubla car c'était la même que dans les souvenir de son rendez-vous nocturne. De nombreuses questions l'assaillaient : comment cette lettre s'était-elle retrouvée là ? Qui l'avait amenée et comment était-il entré ? Etait-il encore présent ? La porte et les fenêtres étaient bien fermées quand elle était arrivée et il n'y avait aucune trace d'effraction.

Elle prit le pli. La matière était noble, le grain de l'enveloppe était agréable au toucher. Fébrilement, elle décacheta le sceau de cire rouge orné d'armoiries inconnues de Viviane. Elle était aussi excitée que lors de la réception de son courrier de validation de l’agrégation. Ce soir-là, elle était tellement heureuse de sa réussite qu'elle n'avait pas hésité à profiter pleinement d'un coup d'un soir qui l'avait laissée sans voix au matin, ivre de plaisir. Elle se souvint alors que cet homme portait un parfum très proche de la fragrance de ce courrier. Un signe ?

Elle put lire les phrases suivantes.

"Mademoiselle,

Après avoir réfléchi à votre demande, j'ai décidé d'y répondre favorablement.

Cela me permet de vous faire l'offre suivante que vous êtes libre de refuser mais sachez que tout acceptation ne pourra faire l'objet d'un retour en arrière sans conséquences importantes."

Viviane s'arrête un moment pour peser ces mots plein de double sens. Elle est troublée car cela lui rappelait le ton de son maître de chaire à l'Université. Elle reprit sa lecture.

"La proposition est la suivante : vous disposerez du logement de mon ancienne domestique qui comprend les pièces suivantes :

-une chambre,

-une cuisine,

-un petit salon,

- un petit cabinet de toilette, sur le palier accessible par la porte de service.

Par contre en échange de ce logement j'impose les obligations suivantes à ma locataire :

-discrétion,

-allers et venues par la cour arrière et en aucun cas par la porte principale,

-interdiction de recevoir sous aucun prétexte,

-interdiction d'user de la porte de service pour un autre motif que l'accès au cabinet de toilette,

-respect le plus strict de l'intimité du propriétaire,

-à cela il faudra ajouter quelques services rendus (courses, dépôt de courrier ...) compte tenu que vous vous rendrez en ville pour votre travail."

            C'est la meilleure ! pensa Viviane.

            Voilà qu'il me prend pour une vulgaire femme de chambre et pourquoi pas sa soubrette tant qu'il y est, le vieux pervers. Je ne vais pas m'enfermer dans ce cloître tout de même ! j'ai besoin de vivre.

En colère, elle ne faillit pas lire le reste du courrier.

"Comprenant parfaitement que mes conditions peuvent être extrêmement sévères le montant du loyer sera fixé à…" Elle n'en crut pas ses yeux en lisant le montant et elle dut le relire plusieurs fois pour être certaine du chiffre. Ce loyer était bien en dessous des tarifs prohibitifs pratiqués dans la région.

"Cette offre vaut pour une semaine après quoi elle sera nulle et non avenue."

Elle posa la lettre et commença à réfléchir. Au vu de la somme, elle pouvait bien faire le sacrifice d'un peu de liberté et satisfaire aux exigences un peu surannées du Professeur. Il ne lui interdisait pas non plus de sortir et de vivre sa vie de jeune femme.

Elle décida donc d'accepter la proposition et se demanda comment le lui faire savoir. Répondre par courrier, message sur le répondeur qu'est ce qui froisserait le moins la susceptibilité de son futur propriétaire ?

— Après tout, nous sommes au vingt et unième siècle et ce n'est pas parce que Monsieur utilise du papier vélin et cachette ses enveloppes à la cire que je dois faire de même… se dit-elle.

Elle prit la décision de laisser un message sur le répondeur du Professeur Van Dyck pour l'informer qu'elle acceptait toutes ses conditions.