jeudi 22 octobre 2020

Fantômes -09- Libération

  

Quelques semaines plus tard, le message de Natacha auprès de Paul était bien passé. Elisabeth avait été convaincue d’accepter la présence de Laurence. Elle comprenait que le désir de cette femme pour son fiancé avait été exacerbé par les fantômes.

Ils se retrouvèrent donc tous en cette veille de Samaïn ou de Toussaint dans le manoir de Tante Janis. Madame Rose était stupéfaite par ce qu’elle y découvrait. Malgré sa jeunesse africaine au milieu des grigris et autres talisman, elle n’en croyait pas ses yeux.

Elle avait tout de suite reconnu en Gérald, un homme particulier. Elle savait que son apparente jeunesse était due à un terrible sacrifice. Mais elle reconnaissait en lui un homme de pouvoir.

Parmi eux seuls Paul et Thibault ne possédaient aucune particularité surnaturelle. Elisabeth comme sa mère était consciente de leur différence sans en comprendre la nature, Laurence était possédée par la partie maléfique de l’esprit de l’oncle Pierre. Il y avait aussi les fantômes qui les entouraient sans oser se manifester. Ils ressentaient la présence de toutes ces pouvoirs dans le manoir.

Tous étaient réunis dans le grand salon autour de la cheminée où ils avaient allumé un feu pour couper le froid lié au premières gelées de l’automne.

— Dès que nous serons prêts, nous monterons à la source pour préparer le rituel que je vais devoir accomplir.

Un silence de plomb tomba alors sur la pièce. Même les quelques oiseaux qui chantaient encore en cette période de l'année ne se faisaient plus entendre. Laurence ne ressentait pas le mouvement des spectres autours d'eux. Ils attendaient tous les paroles que Gérald allait prononcer.

— Comme vous le savez tous maintenant, cette demeure, la source et la caverne sont un point de passage entre notre monde et un des plans du sur-monde. Natacha et Elisabeth, vous êtes les descendantes directes des grandes prêtresses qui étaient les gardiennes de ce sanctuaire et de la porte. A ce titre, vous ne pouvez pas rester loin de ce lieu sans ressentir un manque. Au bout d'un moment plus ou moins long, vous devez impérativement revenir, n’est-ce pas ?

Les deux femmes ne répondirent pas, Gérald avait raison. Elles ne pouvaient pas dire le contraire, elles avaient besoin de se ressourcer dans cette maison régulièrement. Gérald continua son exposé.

— Avec Madame Rose qui était autrefois une prêtresse de la Déesse dans son pays et Laurence qui habitée par une entité surnaturelle, nous sommes donc cinq à être détenteur de pouvoir…

— Et nous ? demanda Paul. Comment allons-nous pouvoir vous aider ?

— Exactement comme je pensais le faire la première fois où je suis venu. J’ignorais alors que nous serions aussi nombreux à détenir ces facultés. Autour de la source, il y a cinq pierres qui forme un pentagramme dont la source est le centre. Paul et les femmes, vous vous tiendrez chacun sur une pierre. Moi, je serai au centre et Thibault, tu veilleras à ce que rien ne nous perturbe pendant que je ferai le rituel…

— En quoi consiste ce rituel et que va-t-il se passer ?

— Il est simple, il s’agit juste de réciter une invocation avec la pierre que j’ai sur moi. Si tout se passe normalement, une ouverture se fera entre notre monde et le monde des morts et les fantômes pourront passer dans le plan qui devrait être le leur.

— Mais pour la chose qui me hante ? questionna Laurence.

— Pour elle, cela sera du ressort de Madame Rose, Elisabeth et Natacha. Elles pourront appeler l’entité qui habite la source et qui pourront lui demander de te délivrer.

— Moi ? Mais comment cela ? Je n’y connais rien ! C’est Janis qui connaissait tout cela pas nous.

— Je le sais et c'est pour cela que je dis que vous le ferez ensemble. Madame Rose détient le savoir-faire et vous lui apporterez la force. Je serai présent comme médiateur.

Elisabeth écoutait cette échange entre Gérald et sa mère avec surprise, de quels pouvoir parlaient-ils ? Mais elle n’eut pas le temps de poser de question car Gérald les pressait pour se rendre à la source. Elle fut surprise quand il leur demanda de prendre le vieil ours en peluche et la cane de l’oncle Pierre.

Ils montèrent tranquillement dans les brumes automnales. Les fantômes les accompagnaient. Paul marchait en tête avec Gérald. Elisabeth fermait la marche avec sa mère. Celle-ci lui expliqua brièvement ce que certains villageois racontaient au sujet de leur famille.

— Nous avons longtemps été craintes car on nous prenait pour des sorcières. Tes ancêtres possédaient des connaissances qui leur permettaient de soigner les villageois des environs bien mieux que les médecins des villes.

— Oui ! J'ai lu cela dans les carnets de tante Janis, mais elles utilisaient des herbes en décoction ou fumigation. Rien de magique !

— Attends de voir ce que Gérald nous prépare, je pense qu'il n'est pas qu'un simple musicologue.

— Comment cela ?

— Il est bien plus âgé qu'il n'en a l'air.

— Pourquoi ?

— Il ne peut pas avoir acquis ces connaissances en si peu de temps ou alors c'est un puissant sorcier… mais je ne ressens pas son pouvoir... Donc, j'en conclus qu'il est bien plus âgé qu'il ne le dit.

— Je ne comprends rien, maman…

— Tu en comprendras plus ce soir… tu vas découvrir l'héritage que tu as reçu de tes ancêtres…

Elisabeth était encore plus décontenancée. Le groupe arriva enfin dans cette clairière. L’exploration avait permis de dégager quelques murs, les colonnes du pentagramme et la voie pavée. Elisabeth et Natacha découvrait la source sous un autre jour.

— Je n'avais pensé qu'il pouvait y avoir tout cela dans cette forêt…

Madame Rose était stupéfaite, cela lui rappelait un temple de son pays où elles honoraient la Grande Déesse avec d'autres femmes.

Seuls Paul et Thibault voyaient ces ruines comme un site archéologique, même si leur rationalisme en avait pris un coup.

Gérald leur indiqua leur place. Il les mit en garde sur les dangers du rituel qu'il pratiquerait dans la soirée.

— Je préfère attendre ce soir, car comme vous en avez entendu parler, il est plus facile de maintenir un portail ouvert les nuits comme celle d'aujourd'hui que les autres jours. Mais nous aurions pu faire cela cet été si nous avions été assez nombreux…

— Que devrons nous faire ? demanda Paul.

— Pas grand-chose… Juste me regarder et tendre vos mains dans la direction de votre voisin… Et surtout ne pas vous laisser distraire par ce qui pourrait arriver autour de nous.

Quand les fantômes les virent s'installer, ils commencèrent à s'exciter. Ils en devenaient presque visibles. Gérald souriait. Cela sera encore plus facile qu'il ne l'avait pensé.

— Je vais juste répéter le rituel en vue de ce soir, vous êtes prêts ?

— Oui ! dirent-ils en cœur.

Gérald leva les mains au-dessus de lui et appela les vieilles divinités.

A la surprise de ses amis, il prononçait ses paroles dans une langue parfaitement compréhensible et après avoir invoqué Aphrodite et Hadès, il appela les fantômes par leur nom.

— Pierre… Léopold... Emiliette... Héloïse... Théodoric... Caius… Approchez-vous et franchissez ce seuil...

Aucun des participants ne remarqua le faible tremblement de l’air au-dessus de l’eau.

— Quittez le non-monde où vous vous êtes perdus et rejoignez le monde d’Hadès !

Il resta immobile plusieurs minutes les mains toujours levées puis il les abaissa avant d’inviter ses compagnons à faire de même.

— Vous avez vu ce fut bref et vous avez parfaitement gardé votre concentration pendant cette répétition, il faudra refaire cela ce soir.

Madame Rose intervint alors.

— Et nous, ne devrions-nous pas répéter aussi ?

— Non ! Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Les fantômes qui habitent la maison, ne sont pas des entités très puissantes. Elles n’ont pas été sensibles à cette répétition et elles sont partantes pour passer dans l’au-delà. La force qui possède Laurence est bien plus forte et il ne faudrait pas éveiller ses soupçons. Ce soir avec la Lune qui sera pleine et au zénith, nous aurons plus de pouvoirs…

— Oui ! c’est sûr, plus la Lune est haute dans le ciel et plus nos pouvoirs sont puissants…

Elisabeth les écoutait parler, après l’invocation de Gérald, elle se sentait soulagée d’un poids et elle aperçut sa mère trembler. Pendant leur retour vers le manoir, elle décrit à Natacha ce sentiment de légèreté qu’elle ressentait depuis quelques minutes. Mystérieuse, elle lui dit simplement qu’elle en apprendrait plus ce soir lors de du désenvoûtement de Laurence puis elle se tût.

Quelques heures plus tard, ils étaient de nouveaux autour de la source et ils se remirent en place. Thibault était resté en retrait car il était le seul à ne pas être concerné par le rituel de Gérald. Il écoutait d’un air absent les paroles que son ami récitait de nouveau mais il le trouvait moins convainquant et moi ferme que dans l’après-midi, il s’en étonnait. Il lui en demanderait la raison plus tard.

Gérald invita les quatre femmes à venir près de la pierre. Il demanda à Laurence de se mettre au milieu de la petite mare. Elle frissonna au contact de l'eau fraîche qui lui montait au genou. Madame Rose, Natacha et Elisabeth se placèrent au bord de l’eau. Madame Rose psalmodia les premiers mots de l'invocation de désenvoutement. Natacha et Elisabeth reprenaient après elle.

Au pied de Laurence, l'eau commença à frémir. Des vaguelettes parcouraient la surface de l'onde.

Gérald lança un nom pendant que Madame Rose chantonnait de manière monocorde.

Une gerbe d'eau jaillit au milieu des femmes. Quand le calme fut revenu, ils virent une femme nue à la peau laiteuse, aux longs cheveux blonds et aux regard émeraude les fixer.

— Que me voulez-vous ? Qui êtes-vous ?

— C'est alors qu'à la surprise de Paul, Thibault et surtout Elisabeth que Natacha pris la parole.

— Esprit protecteur de la source, je te demande, moi ta fille, de libérer cette femme. Libère-là du mal qui l'habite et la hante.

— Que me donnerez-vous en échange ?

Ils entendirent alors une voix masculine sortir de nulle part.

— Moi ! Je viens te servir…

— Paul et Thibault se retourneront et ils virent alors le vieux voisin s'approcher.

Il entra dans l'eau et avec la naïade, ils prirent les mains de Laurence. Le silence se fit dans la clairière. Alors que le Lune se reflétait dans la mare. Laurence poussa un grand cri qui ressemblait un hurlement de douleur qui se terminait en cri de plaisir. Ils purent apercevoir une ombre orangée sortir de la bouche de la jeune femme qui se dirigeait vers la pierre dans laquelle elle se fondit.

Elle tremble sur ses jambes et tomba à genoux.

— Allez la chercher, dit Gérald à Paul et Thibault.

Quand il n'y eut plus que le voisin et la naïade dans l'eau, un violent coup de tonnerre retentit. Un éclair venait de frapper la falaise au-dessus de l'entrée de la grotte. Un grondement énorme remplit l'air en même temps que des tonnes de roches s'effondrèrent pour fermer la caverne à tout jamais. Profitant de la distraction causée par ce tumulte, les deux êtres surnaturels disparurent dans l’eau.

Il leur fallut quelques minutes pour reprendre leurs esprits. Ce fut Paul qui les incita à rejoindre la maison pour qu'ils puissent se sécher et se réchauffer. Laurence était à moitié consciente et ils durent la soutenir dans la descente.

Natacha et Madame Rose lui enfilèrent des vêtements secs et elles la couchèrent dans son lit pour qu'elle récupérât.

— C'est fini ? Demanda Thibault.

— Oui ! C'est fini.

— Est ce que tu peux nous expliquer ce dont nous avons été témoins ? demanda Paul.

— Vous avez vu une divinité oubliée… un élémental d'eau, une puissance de la Nature. Il a fallu le talent de Madame Rose pour appeler son esprit et la force de Natacha et d’Elisabeth pour la convaincre de sortir de l’oubli.

— Oui ! Mais, ma mère a parlé d’elle comme sa fille ? questionna Elisabeth en regardant Natacha qui baissait le regard.

— Oui ! J’ai entendu cela aussi, reprit Thibault.

Natacha leur raconta alors une vieille légende familiale. Les femmes se transmettaient de générations en générations qu’un de leurs ancêtres, dont la femme était stérile s’était égaré dans ces bois un soir de pleine de Lune lors de la fête de Samaïn. Il traquait une biche depuis plusieurs heures. Il la vit plonger dans la mare et disparaître.

En s’approchant prudemment, surpris et inquiet de cette disparition, il est entré dans l’eau. Il entendit alors un chant mélodieux qui l'hypnotisa et il perdit conscience.

Quand il s’est réveillé, il était allongé à l’ombre d’un chêne, un bébé endormi à côté de lui. Il prit le bébé avec lui et rentra au village. Avec sa femme, ils élevèrent l’enfant comme leur fille.

Quand celle-ci fut grande, elle montra des prédispositions pour soigner et soulager les maux des hommes et des animaux. Elle s’installa dans une cabane près de la source dont elle devint la protectrice.

— Donc si je comprends bien, je serais une descendante de cette naïade ?

— Oui ! Ma chérie, et c’est ce sang divin qui nous a permis de l’appeler et de soigner Laurence…

— Pourquoi ne pas me l'avoir dit plus tôt ? Pourquoi Tante Janis ne me l'a jamais dit ?

— Il ne peut y avoir qu'une seule guérisseur et gardienne vivante. Tant que ta tante était en vie, c'était elle qui détenait ce pouvoir. Maintenant ce pouvoir te revient… De plus tu l'as reçu directement de l'esprit de la source…

— Je suis donc une guérisseuse ? Mais et toi ?

— En quelque sorte, oui… mais une guérisseuse de l’âme et surtout la gardienne de la source… Quant à moi, mon rôle était juste de te permettre de grandir pour acquérir ce pouvoir… Mon sang n'était pas assez pur pour tenir ce rôle… C'est ma rencontre avec ton père qui m'a permis de le revivifier… Lui aussi était un porteur du Sang Sacré…

Le visage d'Elisabeth se ferma à l'évocation de ce père qu'elle n'avait jamais connu et dont sa mère ne parlait qu'en terme vague comme d'une aventure d'un soir.

Madame Rose souriait, elle avait senti la puissance du pouvoir qui habitait la jeune femme. Elle avait aussi ressenti sa bienveillance et sa détresse d’avoir fait souffrir son fiancé. Par contre, elle n’avait pas compris comme les fantômes avaient disparu. Le soir, autour de la source, il ne s’était rien passé, elle en était convaincue. Et cet homme qui avait surgi de nulle part, qui était-il ? Pourquoi avait accepté de se sacrifier aussi facilement ?

Gérald la fixait, ses yeux la perforaient, elle savait qu’elle n’obtiendrait aucune réponse de cet homme au regard pluriséculaire.

Après s’être réchauffés autour du feu et avoir pris une collation revigorante, ils se retirèrent dans leur chambre.

Paul et Elisabeth retissaient le lien d’amour qui avait été sur le point de se rompre. Madame Rose se rendit au chevet de Laurence avec toutes ses questions. Thibault et Natacha s’endormirent chacun dans leur chambre.

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