mercredi 28 octobre 2020

Historiettes - Soirée Enneigée

  

Depuis plusieurs heures, Clémentine arpentait de long en large le hall de la gare attendant avec impatience que le quai d'où devait partir son train soit affiché. Elle observait avec amusement le comportement des gens, entre les excités qui n'arrêtent pas de vociférer dès qu'une annonce ne correspond pas à leur attente et ceux fatalistes qui savent que râler ne changera rien. Un incident technique avait obligé le train à s'arrêter en plein voie quelques heures plus tôt et tout le monde était bien obligé d'attendre que le problème soit résolu. Les agents de la gare faisaient leur possible pour renseigner les voyageurs avec les maigres informations à leur disposition.

De temps à autre, son regard croise celui d'autres voyageurs, elle est attirée par le regard bleu profond d'un homme à la chevelure brune dans la force de l'âge. Malgré son visage carré, des traits de l'homme semble émaner une profonde tendresse. Elle lui sourit et reçoit un sourire en retour.

Je n'aurais pas tout perdu ce matin, pense-t-elle. Rien de tel qu'un sourire pour réchauffer un cœur solitaire.

Quand soudain, l'annonce tant attendue retentit dans les haut-parleurs de la gare, "Le train en provenance de Paris et à destination de Rodez arrivera voie Quatre. Cinq minutes d'arrêt !"

Aussitôt la foule se met en mouvement et Clémentine, qui se trouve juste à l'entrée de l'escalier qui permet d'accéder au quai est prise dans la bousculade de ces personnes impatientes. Surprise par le geste d'une maman excédée après son enfant qui ne marche pas assez vite, elle se recule mais pas assez rapidement pour ne pas recevoir le coude dans le visage. Ce coup involontaire entraîne la chute de ses lunettes qui touchent le sol en même temps que le pied d'un homme qui ne peut rien faire d'autre que les écraser.

— Excusez-moi ! lui dit-il en se baissant pour ramasser les lunettes déformées mais dont heureusement les verres ne sont pas cassés.

— Vous n'y êtes pour rien ! lui répond-elle. C'est cette folle hystérique qui aurait pu faire attention. Où est-elle d'ailleurs ?

Mais la femme qui ne s'est rendu compte de rien est déjà sur l'autre quai. Elle s'apprête sans doute à monter dans le train avant même que les passagers en soient descendus.

Calmement, malgré la sourde colère qui monte en elle en raison de la perte de ses lunettes, Clémentine trouve la voiture quand laquelle elle a réservée sa place. A sa grande surprise et à sa grande joie, elle découvre qu'il s'agit d'une voiture à compartiments. Elle prend place à côté de la fenêtre et sort de son petit sac de voyage le roman qu'elle avait prévu de lire pendant le trajet.

Elle va partager son compartiment avec un jeune couple très amoureux pour qui le monde n'existe pas hors de leur bulle et une petite mamie aux cheveux violets qui la salue avant de replonger dans son tricot. La place en face d'elle est libre quand la porte s'ouvre et laisse entrer le brun aux yeux bleus de la gare. Il lui sourit et s'installe.

— C'est mon jour de chance ! lui lance-t-il en s'installant face à elle. Je ne m'attendais pas à ce que le hasard me propose de voyager avec une aussi jolie femme.

Clémentine ne sait que répondre et sent son visage couvert de taches de rousseur s'empourprer. Elle baisse le regard et bafouille un remerciement.

Ne pouvant lire à cause de l'absence de lunettes, elle regarde le paysage qui commence à blanchir en raison de la neige qui se fait de plus en plus abondante.

— J'espère que là-bas les routes seront dégagées pour que Claire puisse venir me chercher à la gare, murmure-t-elle.

Son compagnon de voyage l'ayant entendu lui demande jusqu'où elle va.

— Je descends à Aurillac pour aller passer quelques jours chez une amie qui possède une maison au milieu de nulle part.

— Décidemment, la fortune me sourit ! Je descends là aussi, je vais passer le week-end chez ma sœur et j'espère en profiter pour prendre quelques clichés pour illustrer un article dans une revue à laquelle je collabore.

— Si le soleil est de la partie vous aurez sûrement de beaux paysages enneigés.

— Je ne m'intéresse pas uniquement aux paysages ! répond-il en souriant.

Clémentine comprenant l'allusion de son compagnon de voyage éclate de rire.

— Moi ! Vous voulez rire ! Ai-je le physique d'un mannequin ?

— Ce n'est pas le physique le plus important, mais ce qui se dégage du sujet. Et avec votre chevelure flamboyante et vos yeux si verts, vous êtes l'incarnation de la déesse mère. Mais je manque à mes devoirs, je me présente, Donatien. Et vous-même si ce n'est pas indiscret ?

— Clémentine.

— Un joli prénom pour un fruit dont le meilleur est caché par l'enveloppe.

Sentant son téléphone vibrer, Clémentine le sort de sa poche et constate qu'elle vient de recevoir un message. Elle plisse des yeux pour essayer de le lire.

— Un souci ? lui demande-t-il.

— Dans la bousculade à la gare, mes lunettes sont tombées et se sont brisées et du coup je suis un peu gênée pour lire ce message que mon amie vient de m'envoyer. Cela vous gênerait-il de me le lire ?

— Non ce sera un plaisir.

Elle lui tend le téléphone et il le lui lit.

—Votre amie vous informe que sa voiture est en panne, et que de ce fait elle vous invite à prendre un taxi pour monter chez elle.

Dépitée, Clémentine remercie Donatien et se demande si un taxi acceptera de la conduire jusqu'à la maison de Claire.

Donatien laisse la jeune femme à ses pensées et se plonge dans son livre.

 

L'agent du train annonce enfin l'arrivée en gare d'Aurillac. Elégamment, Donatien descend le sac de Clémentine du support de bagages et ils sortent ensemble.

A sa descente, à la surprise de Clémentine qui ne s'attendait pas à cela, Donatien est accueilli à bras ouverts par un jeune homme à la chevelure aussi blonde que les blés. Ils s'embrassent longuement et Donation se tournant vers Clémentine :

— Clémentine, voici Julien mon compagnon !

— Enchantée, vous avez de la chance d'avoir un tel homme charmant comme compagnon.

— Merci ! Je reconnais que Donatien est une personne très attentive et attentionnée…

— Désolé de te couper dans tes compliments mon ami ! Mais cette jeune femme ici présente à un souci. Son amie qui devait venir la chercher à la gare est en panne de voiture. Ne pourrions-nous pas faire un petit détour pour la conduire vers son hôtesse ?

— Bien sûr, où habite votre amie ?

Clémentine leur donne l'adresse de Claire. Elle voit le visage de Julien se crisper un peu.

— J'espère que la neige n'est pas encore trop épaisse car la route qui monte là-bas est assez étroite et est peu fréquentée. Mais tentons !

— Je vous remercie c'est vraiment très gentil à vous.

Encadrant la jeune femme, chacun des deux hommes la prend par le bras et ils sortent ainsi de la gare.

Julien prend le volant et sort de la ville enneigée pour s'engager sur les petites routes de montagnes alors que la nuit tombe, pendant que Clémentine appelle son ami pour lui expliquer sa rencontre avec les deux hommes et qu'ils se sont gentiment proposé de la conduire malgré le temps. Il roule prudemment en se demandant si la neige leur permettra de redescendre sans risque.

Clémentine apprend que les deux hommes sont tous les deux originaires de la région et qu'ils sont amis depuis le lycée. Elle leur dit que Claire et elles sont des amies d'enfance et que Claire a décidé de venir s'installer dans la région pour profiter de sa passion pour les grands espaces et essayer de vivre de ses poteries.

— Au fait ! lance Donatien. Ma sœur est ophtalmo, peut-être pourra-t-elle vous aider pour vos lunettes ?

— Merci, mais c'est juste le verre qui est tombé, je pense qu'une visite chez un opticien sera suffisant. Je verrais cela demain si le temps et la voiture de Claire nous permettent de redescendre en ville.

— C'est ce petit chemin à droite ! signale-t-elle au conducteur qui s'engage dans un passage enneigé encore plus étroit que la route qu'ils viennent de quitter.

Au bout de quelques minutes, ils stoppent devant une maison de pierre. Claire qui les attendaient, sort de la maison bien emmitouflée.

— Entrez ! Venez-vous mettre au chaud !

Elle insiste auprès des hommes pour qu'ils restent un peu avant de redescendre.

— De toute manière avec cette neige, vous allez vous retrouver coincés quelque part dans la montagne, alors autant rester ici au chaud. Dit-elle en souriant.

Reconnaissant la justesse de ses propos, les deux hommes acceptent de rester. Mais quelques minutes seulement ! souligne Julien.

— Vous allez rester manger au moins.

— Oh oui ! ajoute Clémentine, "Vous n'avez pas fini de me raconter votre histoire."

— Quand c'est demandé avec un si joli sourire, nous ne pouvons que nous incliner.

 

Ils s'installent tous au salon autour de la cheminée. Claire se rend à la cuisine pour rapporter de quoi grignoter avant que le repas ne soit prêt.

— J'ai fait quelque chose de simple ! s'excuse-t-elle.

— C'est déjà très gentil de nous inviter à dîner, nous n'allons pas faire les difficiles non plus. Mais je tiens un bar à cocktail, je peux vous en faire quelques-uns pour faire passer cet apéro improvisé.

— Clémentine ! Montre le bar à Julien. Il trouvera peut-être son bonheur.

Au retour de Claire, ils sont tous installés dans les fauteuils tandis que Julien leur propose des cocktails en fonction de ce qu'il a pu découvrir dans le bar de Claire.

Le calme à peine troublé par le crépitement des flammes dans la cheminée, les quelques verres avalés, le repas prit sur le pouce autour du feu, permettent aux discussions de se faire plus intimes et donnent l'impression qu'ils se connaissent depuis toujours.

Alors que Claire, aidée par Donation, se rend à la cuisine pour débarrasser le repas et apporter le dessert qu'elle avait préparé dans l'après-midi, Clémentine, apercevant la guitare de son amie appuyée dans un angle de la pièce, se lève pour la prendre et commence à poser quelques accords. Elle se lance alors avec Julien dans un concert improvisé, reprenant le répertoire des chants de veillées, allant de Santiano à Toi+Moi.

Alors qu'ils finissent San Francisco, la bûche de la cheminée se brise dans une gerbe d'étincelle et de fumée.

— Il n'y a plus de bois, il va falloir aller en chercher dehors, remarque Claire. Elle attrape un gilet et se prépare à sortir.

— Non ! Reste au chaud, nous allons y aller.

Julien et Donatien reviennent quelques minutes plus tard les bras chargés de bûches.

— La neige a cessé et le ciel est complètement dégagé. La lune brille de tous ses feux. Cela vous dirait une petite balade digestive au clair de lune ? De plus, cette luminosité est magique je pense pouvoir prendre des photos intéressantes ce soir, s'exclame Donatien en montrant son appareil.

Les filles se couvrent et tous sortent dans la nuit enneigée. La neige tombée en abondance recouvre la campagne mais leur permet malgré tout de marcher sans trop s'enfoncer. Claire les conduits vers un étang dont la surface plate gelée brille dans la nuit. Julien s'en approche et pose prudemment un pied sur la glace.

— Cela va faire plusieurs semaines qu'il est gelé, je pense que la glace est assez épaisse pour que nous puissions faire quelques glissades sans danger, propose Claire en riant.

— Tu es sûre ? demande Clémentine testant la glace à son tour.

Elle fait quelques pas, glissant doucement tandis que Donatien mitraille le paysage et ses compagnons.

Se tenant par la main, Claire et Clémentine patinent sur l'étang en tentant de conserver leur équilibre instable. Soudain, le pied de Claire glisse plus qu'elle ne l'aurait pensé et elle perd l'équilibre. Clémentine la rattrape et les deux femmes se retrouvent enlacées. Apercevant l'objectif de l'appareil, elles échangent par jeu un long baiser sous la lune.

Par précaution, ils regagnent tous le chemin et retournent se mettre au chaud.

Arrivés à la maison, ils sont accueillis par le générique de fin du dernier Spiderman diffusé par la télévision qui était restée allumée mais que personne ne regardait.

— Qui veut une boisson chaude ? Propose Claire.

De nouveau installés autour du feu à se réchauffer avec qui un thé, qui une tisane ou un chocolat, Clémentine et Claire inondent la pièce d'accords de guitare sous les flashs de Donatien.

A une heure avancée de la nuit, Claire montre une chambre où Julien et Donatien pourront dormir tandis qu'elles aussi gagnent chacune leurs chambres respectives.

 

Le lendemain matin, Clémentine est réveillée par une odeur de café et de viennoiserie. Elle est surprise car ce n'est pas dans les habitudes de Claire de se lever si tôt. Enfilant son peignoir, elle se lève et est éblouie par le soleil sur la campagne enneigée. Elle sort de sa chambre et descend dans la cuisine où Julien et Donation ont préparé le café et ont été chercher des croissants à la boulangerie du village.

— Les routes sont dégagées, nous allons pouvoir rentrer. Merci pour cette soirée très agréable.

— Merci à vous de m'avoir conduit ici hier soir. J'espère que nous nous reverrons.

— Sûrement ! dit Donatien. Cela ne dépendra que de vous !

 

Après le petit déjeuner, les deux hommes prennent congés de leurs hôtesses et s'éloignent doucement.

— Ils étaient vraiment charmants, et ce Donation, quel regard ! soupire Clémentine. Quel dommage qu'il soit déjà en couple.

— Allez ma chérie ! Tu vas bien le trouver un jour ton prince charmant ! Se moque gentiment Claire en la serrant dans ses bras. Pierre doit passer dans la matinée pour voir la voiture et si tout va bien, nous pourrons passer chez un opticien pour tes lunettes.

 

Quelques jours plus tard, Clémentine remonte dans le train pour rentrer chez elle, elle se souviendra longtemps de son voyage aller qui lui a permis de rencontrer l'homme le plus charmant qu'elle n'est jamais croisée. Plongée dans ses pensées et dans son livre, elle sursaute à l'annonce de sa gare.

Prenant son sac, elle descend du train et sort de la gare et qu'elle n'est pas sa surprise en découvrant dans le kiosque de presse devant la gare de voir sa photo en une d'un magazine photo, sous le titre "La Reine de l'Hiver". Elle baisse rapidement le regard espérant que personne ne la remarque.

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