A vingt-trois
ans, Viviane était un peu anxieuse. C'était le début d'une grande aventure qui
commençait pour elle. Brillante étudiante, elle venait de décrocher son
agrégation de lettres modernes et elle avait reçu son affectation dans un
prestigieux lycée d'une petite ville en bord de mer.
Elle profitait
des vacances d'été pour chercher un logement. N'ayant pas encore commencé à
travailler, et malgré la preuve qu'elle serait en poste dès la rentrée dans
l'établissement le mieux coté de la cité, les loueurs faisaient grise mine
quand elle se présentait. Les modestes moyens de ses parents ne leur
permettaient pas d'apporter une garantie suffisante en raison des prix
pratiqués dans cette station balnéaire réputée.
Elle
commençait à désespérer car elle se voyait mal commencer l'année en résidant
dans un mobil-home d'un camping avec la mauvaise saison qui approchait à grand
pas. Une de ses futures collègues qui l'accompagnait dans sa quête lui parla
d'un homme un peu excentrique, d'un âge indéfinissable possédant un manoir
dominant la ville. Il était très solitaire même si on rapportait qu'il
organisait régulièrement des soirées privées dont les invités étaient triés sur
le volet. On apercevait alors un discret ballet de berlines luxueuses arrivant
de partout. Ses hôtes restaient quelques jours et repartaient aussi
discrètement qu'ils étaient arrivés.
— Je sais
qu'il recherche une personne pour l'aider dans certaines tâches, tu verras
c'est un homme très cultivé et aussi très charmant.
— Mais ! Je
travaille…
— Oui ! Mais
avec tes horaires, tu as beaucoup de temps libre.
— Oui bien sûr
! Mais il va me falloir préparer les cours, corriger les copies…
Je suis
d'accord avec toi, mais tu ne vas pas faire que cela… Je le connais bien, je
l'ai rencontré lors de conférences sur l'histoire de la ville, il y a
maintenant près de dix ans et je suis toujours en contact avec lui. Il me donne
beaucoup de conseils pour mes cours d'histoire, c’est une véritable
encyclopédie ambulante.
Elle ne
raconta pas à sa nouvelle collègue qu’elle le côtoyait encore car elle était la
maîtresse d’un de ses assistants.
— D'accord !
Je veux bien lui demander s'il peut me louer une chambre pour quelques
semaines.
Marie lui
donna les coordonnées de cet homme afin qu'elle puisse l'appeler.
— Laisse un
message sur son répondeur, je n'ai jamais réussi à l'avoir directement. Mais
attends-toi à ce qu'il te rappelle très tard dans la soirée.
— Pas de souci
! Je suis plutôt du genre couche-tard.
Les deux
femmes se séparèrent et Viviane se permit de traîner un peu dans le
centre-ville avant de rentrer afin de se familiariser avec son atmosphère qui
la changeait de celle de la mégapole où elle avait passé sa jeunesse. Elle
regagna son mobil-home tard dans la soirée après avoir profité du coucher de soleil
sur le port.
Il était
presque minuit lorsque son téléphone sonna. C'était le Professeur Van Dyck qui
acceptait de la recevoir et qui lui fixait un rendez-vous pour le lendemain
soir à neuf heures et demi en lui recommandant d'être ponctuelle. Elle fut
étonnée de l'heure tardive et se demanda ce qui pouvait motiver un homme seul à
recevoir une jeune femme à ce moment-là de la journée. Mais ce qui la troublait
le plus, ce n'était pas l'horaire, mais la voix chaude et envoûtante qui lui
avait parlé. Elle essayait d'imaginer le personnage qui se cachait ainsi, un
seigneur de la nuit. Elle se souvenait de ces romans fantastiques qui la
faisaient rêver adolescente. Ces créatures nocturnes semi-humaines, vampires,
loups-garous, démons et autres sorciers ou nécromanciens. Revenue à la réalité,
elle rigola d'avoir pensé cela en se disant : En fait ! Ce doit être un simple
noctambule.
A l'heure
prévue, elle arriva devant la propriété. Elle sonna à la grille imposante qui
s'ouvrit en grinçant après plusieurs minutes d'attente à la porte. En
s'approchant doucement, elle découvrit la demeure plongée dans le noir hormis
une lumière diaphane, indiquant que la porte d'entrée était ouverte. Elle
s'avançait lentement, hésitait à entrer, intriguée. Une voix grave tira alors
notre héroïne de sa torpeur. Elle franchit le seuil et écarta de son visage
quelques insectes qui ressemblaient à des hannetons. Elle remarqua à peine la
poudre bleuâtre qui l'enveloppait et elle pénétra dans un salon dans lequel se
trouvait une cheminée allumée, ce qui paraissait bizarre en cette saison bien
agréable. Une odeur lui assaillit les narines. Une puissante odeur de musc,
celle d'un homme mûr et elle fut troublée une nouvelle fois. La voix grave
résonna encore et elle sursauta.
— Alors jeune
fille ! Vous rêvassez ! Je ne sais ce qu'il m'a pris d'accepter ce rendez-vous.
Encore une tête de linotte sans cervelle !
La jeune
enseignante piqua un fard sous ces insinuations. Elle qui était fraîchement
diplômée. Sa respiration s'accéléra, elle se prépara à répondre sèchement. Mais
un autre sentiment la parcourut. Le feu lui montait aux joues et cela lui
chauffait aussi le bas ventre. Ce ton, cette odeur lui rappelaient ce maître de
conférences qui lui avait fait connaître des émotions similaires et intimes
qu'elle avait tenues secrètes. Mais elle ne voulait pas rater cette occasion de
trouver un logement, et elle se retint.
— Sachez
Monsieur que je ne suis pas une de ses jeunes pimbêches qui se croient tout
permis ! Je respecterai les conditions que vous m'indiquerez pour pouvoir
bénéficier de ce logement correspondant à mes revenus.
— Vraiment !
répondit l'homme qu'elle avait entendu sans le voir car il était assis de dos
sur un fauteuil haut face à la cheminée.
— J'ai besoin
de ce logement.
— Je
comprends, mais permettez-moi une question.
— Oui !
Répond-elle timidement.
— Indiquez-moi
de qui Dante dit-il être l'envoyé lorsqu'il rencontre Virgile aux enfers ?
— De Béatrice
son aimée ! La réponse fusa si vite que la jeune diplômée en fut presque gênée.
— Bien ! Une
lettrée ! Un tant soit peu !
La jeune femme
souffla intérieurement, soulagée. Il s'ensuivit un jeu de question réponse
portant sur les grandes œuvres de la littérature depuis Don Quichotte, jusqu'à
La Recherche du Temps Perdu en passant par les œuvres moins connues de Cyrano
de Bergerac. Enfin le comte Van Dyck prononça la phrase qui libéra la jeune
femme.
— J'accepte de
vous louer cette chambre…
— Merci,
Monsieur ! Ne put-elle s'empêcher de l'interrompre tellement elle était
contente.
Cela ne sembla
pas offusquer l'homme toujours assis dans son fauteuil et dont elle n'avait
toujours pas vu le visage. Il reprit :
— Mademoiselle
! Sachez que je serai très strict dans mes conditions. Je vous les
communiquerai sous pli dans la semaine. Mais j'ai à faire pour ce soir et je
vous prie de bien vouloir sortir.
— Merci
monsieur. Je ferai en sorte d'être à la hauteur.
— Allez !
Maintenant sortez ! Je ne jugerai que sur pièce ! On m'attend !
A nouveau, ce
ton de voix la fit fondre intérieurement. Les nœuds qu'elle avait à l'estomac
étaient descendus d'un niveau. Elle était tellement heureuse et le stress
ressenti s'était mue en excitation à l'idée de pouvoir résoudre son problème de
logement. Mais quelles pourraient être ces conditions si strictes annoncées ?
Le professeur
Van Dyck était troublé, quelque chose chez cette jeune femme lui semblait
étrange. En plus de son érudition, elle ne ressemblait pas aux autres jeunes
personnes à qui il avait proposé cette chambre. En dépit de ses pouvoirs de
discernement, il n'avait pas pu trouver la faille qui lui aurait permis
d'imposer son autorité. Elle ne semblait pas si réelle qu'elle le paraissait.
Pensif, il la regarda traverser le parc pour se diriger vers la grille.
Elle
redescendit vers la ville sereine et détendue même si la forme de l'entretien
avait été très particulière. A aucun moment, elle n'avait vu l'homme bouger
dans le fauteuil. Elle avait deviné en contre-jour une chevelure poivre et sel
et encore elle n'en était même plus certaine. En y réfléchissant, il lui
semblait que cette voix provenait du fauteuil pendant leur court dialogue mais
maintenant, elle se rendait compte qu'elle avait été littéralement enveloppée
par elle. Comme si elle l'avait perçue directement dans son esprit. Décidément
le mystère autour de ce Professeur Van Dyck augmentait. Plongée dans ses
pensées, elle ne s'était pas rendu compte qu'une voiture s'était approchée
d'elle dans la descente.
— Viviane
veux-tu que je te raccompagne chez toi ?
Elle sursauta
et reconnut le véhicule de sa future collègue et déjà amie.
— Oh oui !
Avec plaisir. La nuit est tombée, je n'ai pourtant pas eu l'impression que mon
rendez-vous avait duré aussi longtemps.
— Oui c'est le
problème quand on rencontre le Professeur, le temps file de manière étrange.
Alors, il t'héberge ?
— Oui ! Enfin
je pense ! Il m'a dit qu'il me ferait parvenir une liste de conditions à
remplir.
Songeuse, son
amie ne répondit rien et aborda d'autres sujets de discussion plus futiles.
L'angoisse de
ne pas trouver de logement disparue, la jeune femme se sentait fatiguée. Elle
se coucha et sans réfléchir ni comprendre pourquoi, elle s'allongea nue sous sa
couette, une chose qu'elle ne faisait jamais lorsqu'elle dormait seule. Morphée
la rattrapa rapidement et elle s'endormit. Elle fit alors un rêve étrange.
Un rayon de
soleil vint lui chatouiller le visage. Elle se réveilla luisante de sueur, la
poitrine gonflée. Elle se dressa dans son lit et regarda partout autour d'elle.
Elle avait l'impression d'avoir réellement vécu son rêve.
— Quel rêve !
C'était si réel ! Pensa-t-elle.
Elle ne savait
pas que l’influence du comte avait déjà commencé à faire son effet sur elle.
Encore sous le
choc, elle se rendit dans la salle de bain pour prendre une douche et se calmer
un peu avant de prendre son petit déjeuner. Elle avait une journée chargée.
Elle devait se rendre dans son futur lycée pour y rencontrer la directrice et
ensuite Marie lui avait promis de lui faire visiter quelques sites historiques
de la région. "Profitons des quelques jours de congés qu'il nous reste
!" Lui avait-elle dit la veille en la laissant devant l'entrée du camping.
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