Madame Rose tenait la peluche dans ses
mains. Natacha regardait la pièce qui servait de bureau à cette femme qui
irradiait une puissance et une énergie surnaturelles. Elle avait reconnu en sa
cliente une initiée aux mystères de la Déesse et elle se demandait pourquoi
cette femme dont les pouvoirs dépassaient les siens avait besoin de son aide.
L’ours en peluche semblait extérieurement
tout à fait normal, il avait servi de doudou et cela se voyait. Une bouche
d'enfant avait longuement tété un de ses bras tandis que les coutures étaient
sur le point de craquer.
Mais malgré son apparente banalité,
dès qu'elle l'avait eu en main, madame Rose avait ressenti la présence
d'Héloïse. Si le spectre n'était pas présent, le lien qui le rattachait à
l'objet était puissant.
— Où avez-vous eu cette peluche ?
— C'était le doudou de ma fille, il
est resté longtemps dans notre maison de famille à la campagne…
— Pourquoi venir me voir maintenant ?
— Je pense que vous pouvez m'aider à
comprendre ce qui a transformé ma fille…
Natacha commença à raconter les
modifications du comportement de sa fille depuis qu'elle avait décidé de
reprendre ce doudou oublié avec elle. Elle lui expliqua comment Elisabeth avait
rompu avec Paul et sa nouvelle relation avec cette ancienne copine de lycée.
Madame Rose écoutait en réfléchissant
à ce qu'elle pouvait faire. Plus elle touchait la peluche et plus elle
comprenait que la magie dont elle était imprégnée était puissante.
— C'est une magie très ancienne et
très élémentaire qui est à l'œuvre… Une magie oubliée depuis des siècles…
— Je le sais… mais justement comment
la neutraliser ?
— C’est compliqué ! Vous savez pour
neutraliser un sort, il faut bien connaître la personne qui l’a préparé. Ce
sort semble très ancien, tellement ancien qu’il semble avoir été lancé par une
entité élémentaire et non par un ensorceleur.
— Je ne comprends pas, je suis
certaine que cet ours en peluche n’était pas ensorcelé lorsque ma fille était
petite… Ou alors…
— Ou alors… quoi ? questionna Madame
Rose devant l’air pensif de Natacha.
— C’est ma tante qui l’avait offert à
Elisabeth quelques jours après sa naissance. Je ne le trouvais pas très beau
mais elle m’avait dit à ce moment-là. “Ce
qui est important, ce n’est pas sa beauté mais le pouvoir qu’il recèle…”
J’avais pensé qu’elle parlait de la capacité qu’avait ce doudou à calmer mon
bébé quand elle commençait à avoir ses angoisses… Et, cela a durer jusqu’à son
entrée au lycée…
— Et si vous me parliez de cette
tante, que je puisse la connaître… Cela m’aidera beaucoup.
Natacha lui parla donc de tante Janis.
Elle lui décrivit son apparente excentricité et surtout son goût des voyages
qui l'avait conduite de Lhassa à Nazca en passant par Abers Rock, le désert du
Nouveau Mexique où les Montagnes de la Lune.
Elle lui dit comment elle avait amassé
des connaissances ésotériques considérables. La maison était devenue un
véritable musée qui rassemblait des objets de pouvoir venus d'un peu partout
dans le monde. Chaque objet avait une place et une fonction bien précise afin
de protéger les habitants du manoir des forces occultes.
— Je pense que je devrais me rendre
dans cette maison. Je comprendrais sûrement mieux la situation.
— Oui, bien sûr ! Tout ce que vous
voudrez pour que ma fille retrouve son bien-être et sa sérénité.
— Puis je garder ce doudou ?
— Oui je pense qu’Elisabeth ne m’en
voudra pas. A son âge, elle a trouvé un autre doudou pour calmer ses craintes
et dormir…
Madame Rose sourit et les deux femmes
se quittèrent en se promettant de se tenir informées pour la visite au manoir.
Gérald avait emmené Laurence au
château montagnard tenu par Günter, une de ses vieilles connaissances. Il avait
rassuré la jeune femme en lui disant qu’il avait toute confiance en son ami qui
saurait prendre soin d’elle et l’aider à surmonter et vaincre l’entité qui la
possédait. Pendant tout le voyage, elle était restée plus ou moins prostrée et
silencieuse sur son siège. Plusieurs fois, il avait eu peur qu’elle ne cherche
à partir en sautant de la voiture. Malgré la fatigue, il fit le trajet sans
faire la moindre pause.
La tentation aurait été trop forte
pour la jeune femme de renoncer. Il ne connaissait pas la puissance de la chose
qui l’habitait et il ne voulait pas prendre de risque.
— Nous sommes arrivés. Ici, tu ne
risques rien. Je reviendrai te chercher quand je saurais comment te libérer.
Il partagea une longue embrassade avec
Günter tandis que Laurence sortait de la voiture. Cette voiture avait du charme
mais son confort ne valait pas celui des berlines modernes. Elle avait mal au
dos et surtout une furieuse envie de soulager sa vessie. Gérald avait
systématique refusé de répondre à ses demandes de pause. Ce fut avec une colère
non dissimulée qu’elle demanda à l’ami de Gérald où se trouvait les toilettes
pour s’y précipiter, laissant les deux hommes dans la cour à leurs
retrouvailles.
— Bonjour Madame, puis je vous aider ?
lui dit une femme d’un âge indéterminée quand elle fut entrée dans le hall.
— Où sont les toilettes ?...
— A gauche derrière l’escalier qui est
devant vous…
Elle trouva les lieux sans difficulté,
et Laurence où plutôt l'entité qui la possédait se mit à réfléchir. Elle avait
à peine vu le château mais sa taille imposante lui faciliterait les choses pour
sa fuite. Elle avait remarqué que la petite route qui y menait partait depuis
un petit village dans la vallée. Il ne lui serait pas difficile une fois dans
le village de trouver un bus ou un train pour rentrer chez elle.
En sortant des toilettes, elle
continua dans le couloir qui donnait sur l’arrière du bâtiment et sortit par
une petite porte de service. Elle avait pris son sac à main et tant pis pour sa
valise qui se trouvait dans la voiture, ce n’était pas les vêtements qu’elle
contenait qui lui manqueraient.
Elle traversa rapidement l’espace
entre le château et le petit bois qui couvrait la pente entre le manoir et le
village. Elle se retourna et il lui sembla apercevoir la femme qui lui avait
indiqué la direction des toilettes derrière une fenêtre, souriante. De rage,
elle lui montra son poing et elle descendit dans le chemin qui tournait dans le
sous-bois. Au bout de quelques minutes de marche, elle aperçut enfin la lisière
de la forêt et elle accéléra en imaginant déjà les premières maisons et sa
liberté.
Elle s’arrêta aussitôt quand elle vit
qu’elle se trouvait face à l’entrée principale du château. Gérald et Günter lui
sourirent et ils l’invitèrent à revenir vers eux. Elle tourna les talons pour
repartir sous les arbres en les maudissant.
A chaque fois qu’elle émergeait dans
l’espace dégagé, elle se retrouvait à l’entrée du manoir.
Après plusieurs tentatives, elle dut
se résigner à venir vers les deux hommes. Gérald lui tendit la main avec affabilité.
— Je me doutais que la possédée en toi
tenterait ce genre de chose. Günter a juste perturbé ta perception de la
réalité pour que tu reviennes automatiquement vers cette cour…
— Mais je veux partir, je ne veux plus
de votre aide… Je veux rentrer chez moi…
— Qui veut rentrer ? Laurence ou le
démon ?
La voix de la femme du manoir retentit
dans la cour. Elle obligea Laurence à baisser la tête. Cette voix de
commandement que Laurence avait prise pour tenter d’imposer son autorité au
fantômes dans la maison de tante Janis, cette femme la prenait avec elle.
— Nous allons voir avec Gérald ce que
nous pouvons faire pour vous libérer de cette emprise. Tant que nous n’aurons
pas pris de décision, vous restez avec nous… Vous pourrez vous promenez partout
dans le château et dans le parc mais vous ne pourrez pas vous éloigner plus
loin que vous n’avez été aujourd’hui.
Laurence tremblait. L’entité qui la
possédait s’était recroquevillée dans un coin de son esprit et la véritable
Laurence reprenait le contrôle de sa volonté.
— Merci ! lui dit-elle en larmes.
Aidez-moi ! Je n’en peux plus.
— Je le comprends ma chère, dit la
femme, Gérald vous a conduit ici pour cela. Günter va vous montrer votre
chambre et dès le retour de Gérald, nous aviserons.
Épuisé par les longues heures de routes, Gérald se coucha tôt avant de repartir le lendemain pour rencontrer Sylvie et Arthur. Il y avait longtemps de cela, ce fut avec eux qu’il découvrit la réalité du monde dans lequel ils vivaient et sa nature. Avec eux, il pourra définir le meilleur moyen de rompre les sortilèges qui entouraient le manoir, de libérer les fantômes et surtout Laurence du charme dans lequel elle se trouvait piégée. Il voulait aussi connaître l’état d’avancement des travaux de Paul et Thibault.
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