mercredi 28 octobre 2020

Le Manoir aux Fleurs -02- Journée Délivrance

 

Au matin, Viviane venait à peine de finir son petit déjeuner que Marie frappa à la porte du mobil-home.

— Entre ! Mais je ne suis pas encore prête !

Elle sortit de la salle d'eau nue sous sa serviette de bain.

— Je m'habille et j'arrive.

Elle passa devant son amie qu'elle embrassa avant de rentrer dans la chambre pour passer une robe sans fermer la porte pour pouvoir l'entendre et lui répondre.

— J'ai prévu de t'emmener dans un ancien bois sacré avec quelques ruines intéressantes. Je crois que Chateaubriand venait y trouver l'inspiration pour rédiger ses "Mémoires d'Outre-Tombe".

— J'ai hâte de découvrir ce lieu, alors !

Marie put entrevoir les formes voluptueuses de son amie quand elle enfila ses dessous. Elle en fut troublée mais ne dit rien quand Viviane sortit de la chambre vêtue d'une petite robe d'été qui, tout en restant sage, laissait suggérer un corps fait pour le plaisir.

— Pense à prendre un maillot de bain, au retour nous ferons une pause près d'un petit étang discret où nous pourrons nous baigner tranquillement loin des touristes.

— OK ! Je prépare cela !

Après de longues minutes au milieu de la campagne, elle obliqua sur une petite route qui s'enfonçait dans un bois de chêne. Elles s'arrêtèrent au milieu de la forêt et l'historienne guida sa compagne sur le sentier qui les menait aux ruines. Elle découvrit un ensemble de murs, de colonnes en pierre de taille plus ou moins grosses.

— D'après les archéologues, il s'agirait d'un sanctuaire néolithique transformé en temple par les romains puis qui est devenu un ermitage abandonné pendant la Grande Peste qui a ravagé l'Europe au Moyen Age.

— Ce lieu est envoûtant. Je comprends pourquoi on imagine Chateaubriand dans ces ruines. On a presque l'impression que l'on est en contact avec l'au-delà.

Viviane frissonna et se retourna.

— Qu'est-ce que tu as ?

— J'ai eu l'impression d'être caressée entre les cuisses.

— C'est le vent ! rigola Marie. Il n'y a pas de fantôme ici !

— Oui je sais bien mais j'ai l'impression d'être observée.

— Regarde ! Avec tous les touristes qui traînent, ce n'est pas étonnant !

Elle s'approcha de son amie et elle lui posa une bise sur la joue en lui murmurant à l'oreille :

— Deux jeunes femmes pas trop moches qui sont seules, ça ne laisse pas les hommes indifférents.

— Oui, tu as raison !

Malgré ces propos, elle était mal à l'aise. Les deux femmes poursuivirent leur visite et Marie expliqua l'histoire du site, les légendes qui l'accompagnaient. En particulier celle que lui avait rapportée le Professeur : à certaines périodes de l'année, ce serait un point de passage entre les mondes. Si les rituels étaient respectés, des démons pouvaient passer et venir choisir des épouses parmi les femmes humaines pour se reproduire.

Elles finirent leur visite en prenant un repas frugal au restaurant qui jouxtait le monument puis elles se dirigèrent vers l'étang pour y passer une après-midi de farniente au soleil.

Seules au bord de l'eau, elles étaient allongées en maillot de bain et continuaient leur discussion. C'était la première fois qu'elles passaient autant de temps ensemble.

— Veux-tu que je te mette de la crème dans le dos, tu es en train de rougir.

— Oui et je te ferai de même ensuite.

Viviane se mit sur le ventre et de douces mains commencèrent à enduire son dos de crème. Elle ferma les yeux et ne dit rien quand Marie dénoua le haut de son maillot pour mieux couvrir la peau. Elle se détendait même si son esprit était toujours occupé par les fameuses conditions de son futur logeur. Elle appréciait les caresses de son amie sur son dos et elle se détendit. A son tour, elle enduisit la peau de Marie de crème et une fois préparées pour affronter le soleil, elles s'allongèrent pour discuter et commencèrent à se câliner plus comme des amantes que comme des amies.

— Tu as l'air songeuse.

— Oui ! J'ai eu l'impression d'avoir été épiée toute la journée. A un moment quand nous nous câlinions, j'ai eu l'impression qu'une ombre furtive nous regardait.

— Tu as trop lu de romans fantastiques.

— Non je t'assure, j'ai bien vu quelque chose s'approcher de nous mais disparaître quand j'ai levé les yeux.

— Tu devais encore être en train de rêver.

— Je ne sais pas, cela semblait si réel.

— Il est temps de rentrer…

Elles reprirent la route du camping et elles se racontèrent leurs expériences amoureuses et les qualités et les défauts hommes quand ils faisaient l'amour. Elles se moquèrent de ceux qui fiers de la taille de leur sexe ignoraient le mode d'emploi d'un corps féminin.

Le cœur battant, après cette journée passionnante et riche en émotions de toutes sortes, Viviane regagna son mobil-home.

A l'intérieur l'attendait une enveloppe posée sur la table. Une odeur la troubla car c'était la même que dans les souvenir de son rendez-vous nocturne. De nombreuses questions l'assaillaient : comment cette lettre s'était-elle retrouvée là ? Qui l'avait amenée et comment était-il entré ? Etait-il encore présent ? La porte et les fenêtres étaient bien fermées quand elle était arrivée et il n'y avait aucune trace d'effraction.

Elle prit le pli. La matière était noble, le grain de l'enveloppe était agréable au toucher. Fébrilement, elle décacheta le sceau de cire rouge orné d'armoiries inconnues de Viviane. Elle était aussi excitée que lors de la réception de son courrier de validation de l’agrégation. Ce soir-là, elle était tellement heureuse de sa réussite qu'elle n'avait pas hésité à profiter pleinement d'un coup d'un soir qui l'avait laissée sans voix au matin, ivre de plaisir. Elle se souvint alors que cet homme portait un parfum très proche de la fragrance de ce courrier. Un signe ?

Elle put lire les phrases suivantes.

"Mademoiselle,

Après avoir réfléchi à votre demande, j'ai décidé d'y répondre favorablement.

Cela me permet de vous faire l'offre suivante que vous êtes libre de refuser mais sachez que tout acceptation ne pourra faire l'objet d'un retour en arrière sans conséquences importantes."

Viviane s'arrête un moment pour peser ces mots plein de double sens. Elle est troublée car cela lui rappelait le ton de son maître de chaire à l'Université. Elle reprit sa lecture.

"La proposition est la suivante : vous disposerez du logement de mon ancienne domestique qui comprend les pièces suivantes :

-une chambre,

-une cuisine,

-un petit salon,

- un petit cabinet de toilette, sur le palier accessible par la porte de service.

Par contre en échange de ce logement j'impose les obligations suivantes à ma locataire :

-discrétion,

-allers et venues par la cour arrière et en aucun cas par la porte principale,

-interdiction de recevoir sous aucun prétexte,

-interdiction d'user de la porte de service pour un autre motif que l'accès au cabinet de toilette,

-respect le plus strict de l'intimité du propriétaire,

-à cela il faudra ajouter quelques services rendus (courses, dépôt de courrier ...) compte tenu que vous vous rendrez en ville pour votre travail."

            C'est la meilleure ! pensa Viviane.

            Voilà qu'il me prend pour une vulgaire femme de chambre et pourquoi pas sa soubrette tant qu'il y est, le vieux pervers. Je ne vais pas m'enfermer dans ce cloître tout de même ! j'ai besoin de vivre.

En colère, elle ne faillit pas lire le reste du courrier.

"Comprenant parfaitement que mes conditions peuvent être extrêmement sévères le montant du loyer sera fixé à…" Elle n'en crut pas ses yeux en lisant le montant et elle dut le relire plusieurs fois pour être certaine du chiffre. Ce loyer était bien en dessous des tarifs prohibitifs pratiqués dans la région.

"Cette offre vaut pour une semaine après quoi elle sera nulle et non avenue."

Elle posa la lettre et commença à réfléchir. Au vu de la somme, elle pouvait bien faire le sacrifice d'un peu de liberté et satisfaire aux exigences un peu surannées du Professeur. Il ne lui interdisait pas non plus de sortir et de vivre sa vie de jeune femme.

Elle décida donc d'accepter la proposition et se demanda comment le lui faire savoir. Répondre par courrier, message sur le répondeur qu'est ce qui froisserait le moins la susceptibilité de son futur propriétaire ?

— Après tout, nous sommes au vingt et unième siècle et ce n'est pas parce que Monsieur utilise du papier vélin et cachette ses enveloppes à la cire que je dois faire de même… se dit-elle.

Elle prit la décision de laisser un message sur le répondeur du Professeur Van Dyck pour l'informer qu'elle acceptait toutes ses conditions.

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