Le lendemain, ils montèrent tous à la
source. Gérald était attentif à la nature qui l'entourait. Il remarqua
rapidement que le sentier qu'ils empruntaient était bordé par des bornes que
l'érosion avait rendue semblables aux rochers. Son œil aiguisé avait repéré
qu'ils n'étaient pas comme les pierres de la région. Autour du sanctuaire, ils
trouvèrent d'autres rochers similaires formant un pentagramme dont la source
était le centre.
— C’est la première fois que je vois
ce genre de structure.
— Je comprends que cela vous trouble
Paul, mais ce motif est bien plus fréquent qu'on ne l'imagine… Malheureusement,
les religions modernes ont souvent réutilisé ces blocs pour les insérer dans
leurs sanctuaires quand ce ne sont pas les habitants qui les ont prises pour
leurs habitations. Nous sommes en présence d'un site qui n'a jamais été
récupéré par les cultes qui se sont succédés depuis la conquête romaine. Et je
pense que vous pourriez avoir une surprise…
— Comment cela ?
— Il est dommage que nous ne soyons
que quatre. Pour le rituel que je me propose de faire il faudrait que nous
soyons six, un à chaque point de la figure et un au centre. C'est à dire au
niveau de la source.
— Nous pourrions être ces personnes,
dirent alors Léopold et Emiliette qui venaient de surgir du néant.
— Comment êtes-vous arrivés jusqu'ici
?
— Comme nous vous l'avons dit hier
soir, les barrières qui nous enferment sont de plus en plus poreuses. Il nous
est de plus en plus facile de sortir…
Gérald réfléchit un instant avant de
leur répondre.
— Je ne sais pas si cela marchera, je
ne l'ai jamais fait avec des non-humains.
— Nos esprits sont humains même si
nous n'avons plus de corps…
— Nous essayerons, peut-être plus
tard, mais… pour le moment, je voudrais en savoir plus.
Ils prirent alors la voie pavée qui
menait à la grotte. Les sens de Gérald aux aguets cherchaient à capter toutes
les modifications des flux énergétiques qui parcouraient cet antique
sanctuaire.
Il savait que le don qu'il avait reçu
en se mariant avec sa bien-aimée était extraordinaire, mais il était conscient
qu'il n'avait pas la puissance d'un initié et encore moins celle d'un appelé.
Il ne portait pas le Sang Sacré qui lui aurait permis de mettre en action les
artefacts présents et il n’avait pas la capacité de traverser le portail qui se
dressait devant eux.
Il examina en détail le médaillon
gravé d'un cygne sur la paroi au fond de la grotte. Cette salle souterraine
avait été taillée dans la falaise. Les siècles d'abandon avaient rendu ses
parois irrégulières mais on devinait encore bien les bas-reliefs sculptés tout
autour.
Il fit remarquer à ses compagnons les
contours à peine visibles de Cerbère qui surmontait le porche d'entrée de la
grotte.
— Comment un tel site a-t-il pu rester
aussi longtemps ignoré du monde ?
Paul et Laurence, main dans la main
étaient tout aussi dubitatifs que Gérald. Thibault prenait autant de photos que
possible.
— Nous aurons du mal à empêcher les
curieux de venir quand nous aurons publié nos résultats. Je ne sais pas comment
Elisabeth et sa mère prendront la chose…
— Je ne sais pas si vous devez révéler
tout cela…
— Je vais devoir justifier les
dépenses et l'emprunt du matériel…
— Ne parlez que de la pierre gravée de
la source ! Cela occupera vos collègues assez longtemps et elle n'est pas assez
spectaculaire pour attirer l'attention des touristes.
Paul devait reconnaître qu’il n'avait
pas tort. La découverte d'une pierre aussi ancienne couverte de caractères
runiques dans le sud de l'Europe était déjà une bien belle découverte.
Gérald frotta le sol devant le cygne
et il mit à jour des lignes creusées dans le sol. Ils se mirent tous à frotter
doucement avec leur main et un pentacle apparut sous leur œil.
— C’est le même que celui qui est
dessiné avec les pierres autour de la source, murmura Thibault soudain pris de
crainte.
— Oui ! dit Gérald, mais celui-ci, si
je ne me trompe pas, ouvre un portail vers une autre dimension.
Laurence réagit alors, elle se
souvenait de la vision qu’elle avait eu quelques jours plus tôt.
— La porte des enfers ! C’est la porte
des enfers. C’est ici que les pèlerins venaient après avoir honoré la déesse de
l’Amour dans le sanctuaire. C’est ce que j’ai vu… Les gens passaient sous le
porche et disparaissaient dans la grotte… Je les ai vu.
— Tu as eu une vision, une
hallucination ! rétorqua Thibault. Tu les as vu entrer dans ta vision, ce
n’était pas forcément la réalité.
— Je suis certaine que cette vision me
montrait la réalité, j’avais vraiment l’impression d’être présente…
— Jeune homme ! Pourquoi refusez-vous
de croire ce que vous raconte cette jeune femme.
Ils ont tous sursauté en entendant la
voix du vieux voisin se manifester derrière eux. Une nouvelle fois, il avait
surgi de nulle part et il fixait Gérald
— Je vous ai entendu parler tout à
l’heure… J’ai entendu ce que vous disiez… Je vous mets en garde. Ne tentez pas
de faire ce que vous projetez et encore moins avec les spectres… Vous
risqueriez d’ouvrir la porte à quelque chose qui vous dépasse…
Gérald le fixa et il reconnut en cet
homme un être venu d’un autre plan. Il se retint de s’exclamer devant les
autres. Au vu de son aspect, même si les fées savaient donner l’illusion d’être
plus jeunes qu’ils ne sont en réalités, cet homme devait avoir plusieurs
millénaires. Sûrement une des premières fées à avoir vécu dans leur monde.
— Que voulez-vous dire ? Je ne veux
rien réveiller et encore moins faire entrer un monstre ou un démon dans ce
monde. D’ailleurs je n’en suis pas capable. Je cherche juste à permettre aux
fantômes de trouver le repos.
— Raison de plus pour ne pas mener
votre projet à bien avec des fantômes. Comment stabiliserez-vous le passage
s’il vous manque deux piliers.
— Il se refermera de lui-même, il
s'effondrera !
— C’est ce que vous croyez et c’est ce
qu’il pourrait se passer effectivement. Mais il se refermera brutalement sur
deux côtés… Que risque-t-il de se produire s'il se referme mal ? Pensez-y !
L’homme se recula et disparut dans
l’obscurité de la caverne. Les jeunes gens se regardaient surpris. Ils se
tournèrent tous vers Gérald, le regard plein de questions.
— Explique-nous Gérald ! De quoi
parlait-il ?
— Rentrons ! Je vous expliquerai cela
pendant le déjeuner. Ici, je ne sais qui pourrait nous entendre !
— Il n’y a que nous ! s’exclama Paul.
— Physiquement oui ! Mais s’il y a les
fantômes que nous connaissons, il peut aussi y avoir d’autres créatures dont
nous ignorons l’existence. Cette grotte ! Ce sanctuaire ! Ce sont des lieux où
la magie est puissante.
Ils prirent donc le chemin de la
maison et il se retrouvèrent sur la terrasse autour de la table, un verre de
rosé à la main en attendant que les grillades soient prêtes sur le barbecue.
Gérald leur expliqua alors ce qu’il
avait compris depuis qu’il était arrivé. Il leur raconta sa discussion avec les
fantômes ainsi que les recherches qu’il avait faites depuis des années sur les
portails inter-dimensionnels et comment il en avait parlé avec Thibault.
– Ces passages sont tous situés auprès
de sanctuaires tels que celui-ci. Ce sont des endroits ou la membrane entre les
mondes est extrêmement ténue.
La fraction rationnelle de Laurence
n’arrivait pas à interpréter et à accepter le discours de Gérald.
— Ce sont des élucubrations dignes
d’un manipulateur qui veut faire croire à ses auditeurs que la magie existe…
— Tu as vu comme moi les fantômes… Tu
sens bien que tu n’es pas dans ton état normal…
— La magie existe, les fées existent,
les dieux existent… Ils ne ressemblent pas à ce que les romans ou le cinéma
nous montrent mais croyez-moi, il existe des mondes parallèles au nôtre dans
lesquels ces créatures vivent…
Il voyait la moue dubitative de
Laurence qui essayait de lutter contre l’esprit maléfique qui vivait en elle.
— D’ailleurs cela va faire plus de
deux semaines que vous les côtoyez…
Ils ne purent que reconnaître la
véracité de ces paroles. Assis autour de la table, Gérald leur dit donc ce
qu’il envisageait de faire à la source.
— Les fantômes ont été piégés ici par
la naïade qui vit dans la source. Je compte l’invoquer pour qu'elle les libère
et leur permette de partir dans le monde des morts…
— Pourquoi les a-t-elle retenus ?
— Je l’ignore, surtout qu’il semble
avoir tous des profils différents. Mais ce qui est certains c’est que le plus
vieux des fantômes fut un des ses serviteurs ou un serviteur du temple. Pour
les autres je ne sais pas.... Mais il semble qu’ils sont tous morts de manière
brutale.
— Comment comptes-tu l'invoquer et que
se passera-t-il ensuite ?
— C’est un simple rituel d’appel, il
ne requiert que peu de choses, à part d’être six. Comme le soulignait le
voisin, si nous ne sommes pas assez nombreux, le portail pourrait ne pas bien
se refermer ou pire s’ouvrir complètement au cours de l’invocation et je ne
sais pas quelle force je libérerais alors…
— Tu nous as parlé d’une naïade. Dans
mon souvenir les naïades ne sont pas méchantes…
— Oublie ce que tu as appris dans les
livres… Chaque créature magique est différente. On ne peut connaître les
desseins d’un tel être que lorsque nous sommes en contact avec lui.
— Que faire alors ? demanda Paul. Et
pourquoi risquer cela ? Les fantômes sont là depuis des siècles.
— Oui ! Mais en venant avec Elisabeth,
vous avez sans le vouloir modifié l'équilibre qui existait sur ce domaine.
Depuis ces dernières semaines, cette maison qui était comme une prison pour les
fantômes s'est ouverte. Ces spectres qui y étaient enfermés, sont maintenant
libres de partir ou ils le veulent.
— En quoi est-ce un problème ?
Les deux fantômes avec qui nous avons communiqué ne semblent pas méchants. Nous
pouvons partager la maison avec eux.
— Ces deux-là, oui ! Ils ne semblent
pas méchants, mais que savons-nous des deux fantômes sans noms et de celle qui
est avec ta fiancée…
A ces mots, Paul baissa la tête. La
liaison qu'il entretenait avec Laurence devenait de plus en plus forte. Il ne
savait pas comment il réagirait en retrouvant Elisabeth.
Gérald regarda Laurence.
— Et toi ? Tu es aussi une victime de
ces fantômes, je le sais. Je peux t'aider mais il faut que tu me fasses
confiance…
— Je ne vois pas de quoi tu veux
parler…
Le mal qui l'habitait devenait de plus
en plus puissant et il se renforçait au fur et à mesure que Paul cédait aux
charmes de sa collègue. Laurence cédait de plus en plus de terrain.
— Si, tu le sais, mais ici je ne peux
rien faire. Si la Laurence véritable veut que je l'aide, il faut qu'elle
accepte de me suivre.
Thibault interrogea son ami. Intrigué,
il ne comprenait pas que celui-ci les quitte, à peine arrivé. Gérald leur
expliqua qu'il ne pouvait rien faire pour le moment. Ils n'étaient pas assez
nombreux et il devait aller demander des conseils à des amis qui maîtrisaient
bien mieux que lui l'art de la magie.
Un peu plus tard, il s'apprêtait à
monter dans sa voiture pour rentrer chez lui. Il prenait son temps, il
attendait de voir si Laurence allait le rejoindre où s'il partait seul.
Après leur discussion, elle était
montée dans sa chambre et elle réfléchissait. Elle tentait de repousser
l'esprit mauvais qui était en train de prendre le dessus. Elle réalisait
qu'elle était en train de détruire Paul et elle avait peur d’être détruite à
son tour. Quand elle vit Gérald lever les yeux vers sa chambre, sa résolution
fut prise. Elle rassembla en catastrophe ses affaires dans sa valise et dévala
l'escalier quatre à quatre.
Gérald lui ouvrit la portière de sa
voiture. Elle ne se retourna pas pour dire au revoir à ses collègues de peur
que sa résolution la quitta.
Paul et Thibault regardèrent la Facel
Vega s'éloigner en soulevant un peu de poussière.
Libéré de l'influence de l'esprit
maléfique Paul fixa son jeune étudiant et s'effondra en sanglots.
— Qu'ai-je fait ? Comment vais-je
pouvoir dire cela à Elisabeth ?
— Écoute ! Ce n'était pas de ta faute.
Tu n'avais pas toute ta lucidité…
Depuis le manoir, les fantômes
auraient poussé un soupir de soulagement, s'ils l'avaient pu, en voyant
Laurence et sa part de malignité partir. Gérald n'avait pas relevé toutes les
barrières mais il avait placé un sort de maintien qui, s'il leur permettait de
quitter la maison, les empêchait de s'en éloigner trop. Impossible d'aller
hanter les fermes environnantes.
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