jeudi 22 octobre 2020

Fantômes -07- Séparation

De retour à leur bureau, Paul et Thibault analysaient l'ensemble des données qu'ils avaient recueillies autour de la source et dans la caverne. Ils recoupaient ces éléments avec les découvertes faites par d'autres de par le monde, à travers les siècles. Thibault avait programmé leurs machines et peu à peu, il voyait apparaître un réseau de portails qui quadrillait la planète. Son algorithme recherchait parmi les contes et légendes tout ce qui pouvait se rapporter à des passages vers d'autres mondes. Si la forêt de Brocéliande ou le lac d'Avalon semblaient des positions évidentes, beaucoup d'autres étaient bien plus délicates à situer.

Paul travaillait sur l'interprétation des glyphes trouvées sur les pierres et dans la caverne. Mais, il était partagé par des sentiments divers. Sa vie affective l'emportait sur ses recherches. Elisabeth lui avait donné très peu de nouvelles, ces derniers jours. Il savait juste qu'elle passait de bons moments avec cette Daïreen et qu'elle avait fait des découvertes intéressantes dans les carnets de Janis. Il ne savait pas comment se comporter quand il serait face à elle à sa descente de l'avion.

Dans la voiture, sur le chemin de l'aéroport, il repensait à tout cela. Devait-il lui avouer ce qui c'était passé avec Laurence ? Comment lui expliquer qu'ils avaient agi sous l'influence d'une force maléfique ? Il savait qu’Elizabeth était probablement, elle aussi, sous l’influence d’Héloïse, comment réagirait-elle ? Etait-ce la meilleure façon d’aborder son amie que de lui faire des reproches pour son séjour si long ? Non il ne pouvait pas, il n’avait pas toujours répondu à ses messages, non plus.

Dans l'avion, Elisabeth culpabilisait aussi de son aventure avec Daïreen et de l'attirance qu’elle ressentait pour son ancienne camarade de classe. Elle s’interrogeait sur l’attirance nouvelle qu’elle ressentait pour les femmes. Elle s’inquiétait aussi des découvertes de ses amis dans sa maison. Elle se concentrait sur toutes les informations qu’elle allait pouvoir donner à partir des carnets de Janis.

Paul attendait au bas des escalators. Il ne cessait de se poser des questions sur la manière d'avouer son infidélité et comment l'avouer. Perdu dans ses pensées, il ne voyait pas Elisabeth descendre. Son avion était arrivé un peu en avance, elle l'attendait dans un fauteuil un peu plus loin. Elle le surprit en lui disant bonjour par derrière. Il sursauta en se retournant.

Ils hésitèrent avant de s'embrasser, chacun gêné par ce qu'il ne voulait pas dire à l'autre. Une simple bise scella leurs retrouvailles.

En prenant la valise d'Elisabeth, Paul lui demanda :

— Alors ces carnets ?

— Alors ces fouilles ? dit Elisabeth dans la même seconde.

Leurs éclats de rire fit retomber la tension d’un coup. Ils s’embrassèrent. Main dans la main, ils rejoignirent leur voiture. Héloïse saturée de sensations par la présence de tous les voyageurs et par l'amour sincère entre les deux amants se réfugia dans le doudou.

La disparition de l'influence d'Héloïse fit prendre conscience à Elisabeth que son amour pour Paul était toujours aussi fort. Cependant, elle remarqua qu'il ne semblait pas naturel quelque chose le perturbait.

Dans la voiture, alors qu'ils venaient de sortir du parking, elle lui posa la question qui lui brûlait les lèvres depuis quelques minutes.

— Que me caches-tu ? Je vois bien que tu veux me parler mais que tu n'oses pas…

Paul prit une profonde inspiration et s'arrêta sur le bord de la route avant de répondre.

— Tu te souviens que dans la maison de Janis, il y a beaucoup d'objet étranges à connotation religieuse voire magique…

— Oui ! Bien sûr ! Je t'ai même rappelé de ne pas les déplacer.

— Justement, en prenant la canne de ton arrière-grand-oncle, j'ai bousculé l'équilibre de ces objets… Cela a…

— Libéré les fantômes qui habitent la maison !

— Exactement ! Et…Tous ne sont pas bienveillants, donc…

— Donc ? Quoi ? Allez, vas-y ! Dis-moi…

— Je ne sais pas comment te le dire, mais…

— Mais quoi ?

— C’est-à-dire que… Entre Laurence et moi…

— Quoi entre Laurence et toi ?

Paul baissa les yeux et il rougit. Il restait muet, incapable de prononcer le moindre mot. Elisabeth dut exprimer ce qu'il n'arrivait pas à dire.

— Vous avez couché ensemble…

Au même instant, Héloïse sortit de sa transe et retrouva son emprise sur la jeune femme. Elisabeth fut emportée par la colère et prenant sa valise, elle sortit de la voiture en claquant la porte.

— Pars ! Tu m'entends, pars ! Je ne veux pas rester une minute de plus avec toi !...

Paul essaya de la raisonner, il lui expliquait qu'ils avaient été possédée et qu'elle aussi était sous l'emprise d'une entité. Mais Elisabeth tirant sa valise derrière elle, s'éloignait sans regarder derrière elle. Elle ne voulait, ou plutôt, elle ne pouvait pas entendre ce que son fiancé lui expliquait.

Déboussolé, Paul la vit monter dans un taxi qui passait à cet instant. Il la suivit. Il vit la voiture s'arrêter devant une adresse inconnue. Une jeune femme qu'il ne connaissait pas sortit de l'immeuble et serra Elisabeth dans ses bras. Les deux femmes disparurent dans l'entrée. Paul rentra dans l'appartement vide complètement désespéré.

Quelques jours plus tard, Elisabeth et Natacha se retrouvèrent dans le salon de thé où elles avaient leurs habitudes. Elle lui parla un peu de ses découvertes irlandaises, mais surtout, elle lui dévoila l'infidélité de Paul avec Laurence. Natacha réfléchit avant de répondre.

Ma chérie ! C'est un garçon très bien. Cela fait presque dix ans que vous êtes ensemble et tu le connais mieux que personne. Je te rappelle aussi que vous avez tous les deux perturbé l’équilibre fragile et les protections mises en place par tante Janis. Vous avez mis en branle des forces qui vous dépassent.

— Je le sais maman, mais je ne peux pas m'empêcher de lui en vouloir… En fait, non ! C'est de ma propre faiblesse dont je l'accuse.

Natacha regarda sa fille étonnée.

— De quelle faiblesse veux-tu parler ?

Elisabeth en larmes raconta à sa mère son aventure avec Daïreen et la liaison qu'elle venait de commencer avec Virginie.

— Je ne te reconnais pas là, ma fille ! Ce n'est pas toi ! Et tu n'as rien dit à Paul ?

— Non ! Je n'en ai pas eu le courage…

— Je vais aller lui parler. Je vais lui raconter ce que tu m'as dit et je vais essayer de lui faire comprendre que ni l'un ni l'autre, vous êtes responsables de ce qui vous arrive.

— Merci maman…

— Mais, je veux que tu me racontes tout ce dont tu te souviens depuis que vous êtes allés au vieux manoir.

— Oui je vais essayer.

Ce fut ainsi que les deux femmes passèrent toute leur après-midi à parler. Elisabeth tentait de décrire tous les gestes qu'ils avaient fait, le ménage, les promenades, le tri, sans oublier cette danse à la source ni les rêves étranges qui la hantaient la nuit quand elle était là-bas.

Natacha fronçait les sourcils à l'évocation de certains détails. Elle lui demanda de lui montrer le vieux doudou qu'elle avait ramené avec elle.

Elisabeth alla chercher l’ours en peluche tout râpé dans sa chambre et le montra à sa mère qui l’examina sous toutes les coutures sans remarquer quoi que ce soit d'anormal. Elle sortit alors une petite carte de visite de son sac à main et appela le numéro.

— Madame Rose ?

Elisabeth ne pouvait pas entendre ce que disait la correspondante de sa mère, mais elle comprit qu’elle passerait à la maison rapidement pour voir cette peluche.

— Ma fille, je pense qu’une partie de ce qui t’arrive est dû à ce doudou. Mais je n’arrive pas à savoir ce qu’il en est exactement…

— Mais qui est cette Madame Rose ?

— Tu te souviens de la carte que nous avions trouvée dans cette boutique de produits de bien-être… Eh bien ! C’est une médium, voyante, sorcière, enfin comme tu voudras… Mais je pense que c’est la seule qui pourra nous aider.

— Je l’espère…

Elisabeth restait songeuse. Certes, elle déplorait que l'amour qui l'unissait à Paul tomba en déliquescence. Depuis toutes ces années, une véritable complicité s'était créée entre eux et en décidant de se marier quelques semaines avant la visite à la maison de tante Janis, ils étaient arrivés au point d'accomplissement de leur amour.

Ni Paul, ni elle n'avait envisagé que la réouverture de cette demeure put entraîner de tels changement. Elle avait toujours pensé que sa grande tante et sa mère lui cachaient des choses, mais ce qu'elle avait découvert dans les carnets trouvés dans la malle dépassait l'entendement.

Ces deux femmes l'avaient protégée et elle leur en était reconnaissante. Maintenant, c'était à son tour de prendre la relève. Héritière de la demeure, elle devenait la protectrice du domaine et de la porte. Elle avait compris pourquoi ses aïeules n'avaient eu que des filles, elle savait que ses enfants seraient des filles.

Elle regrettait de ne pas avoir pu partager ses connaissances avec Paul, mais quand il lui avait avoué son infidélité, elle n'avait pas pu résister à l'envie de prendre sa valise et de claquer la porte.

Cela faisait maintenant presque un mois qu'elle était rentrée et presque autant de temps qu'elle et Paul s'étaient séparés. Elle passait de temps à autre la soirée avec Virginie mais son cœur saignait. Ses doigts la démangeaient de laisser un message à son fiancé pour prendre de ses nouvelles. Seulement, elle ne savait pas comment formuler ses mots. L'initiative de sa mère porterait peut-être ses fruits. Elle ne pouvait qu'attendre.


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