De retour à leur bureau, Paul et
Thibault analysaient l'ensemble des données qu'ils avaient recueillies autour
de la source et dans la caverne. Ils recoupaient ces éléments avec les
découvertes faites par d'autres de par le monde, à travers les siècles.
Thibault avait programmé leurs machines et peu à peu, il voyait apparaître un
réseau de portails qui quadrillait la planète. Son algorithme recherchait parmi
les contes et légendes tout ce qui pouvait se rapporter à des passages vers
d'autres mondes. Si la forêt de Brocéliande ou le lac d'Avalon semblaient des
positions évidentes, beaucoup d'autres étaient bien plus délicates à situer.
Paul travaillait sur l'interprétation
des glyphes trouvées sur les pierres et dans la caverne. Mais, il était partagé
par des sentiments divers. Sa vie affective l'emportait sur ses recherches. Elisabeth
lui avait donné très peu de nouvelles, ces derniers jours. Il savait juste
qu'elle passait de bons moments avec cette Daïreen et qu'elle avait fait des
découvertes intéressantes dans les carnets de Janis. Il ne savait pas comment
se comporter quand il serait face à elle à sa descente de l'avion.
Dans la voiture, sur le chemin de
l'aéroport, il repensait à tout cela. Devait-il lui avouer ce qui c'était passé
avec Laurence ? Comment lui expliquer qu'ils avaient agi sous l'influence d'une
force maléfique ? Il savait qu’Elizabeth était probablement, elle aussi, sous
l’influence d’Héloïse, comment réagirait-elle ? Etait-ce la meilleure
façon d’aborder son amie que de lui faire des reproches pour son séjour si
long ? Non il ne pouvait pas, il n’avait pas toujours répondu à ses
messages, non plus.
Dans l'avion, Elisabeth culpabilisait
aussi de son aventure avec Daïreen et de l'attirance qu’elle ressentait pour
son ancienne camarade de classe. Elle s’interrogeait sur l’attirance nouvelle qu’elle
ressentait pour les femmes. Elle s’inquiétait aussi des découvertes de ses amis
dans sa maison. Elle se concentrait sur toutes les informations qu’elle allait
pouvoir donner à partir des carnets de Janis.
Paul attendait au bas des escalators.
Il ne cessait de se poser des questions sur la manière d'avouer son infidélité
et comment l'avouer. Perdu dans ses pensées, il ne voyait pas Elisabeth
descendre. Son avion était arrivé un peu en avance, elle l'attendait dans un
fauteuil un peu plus loin. Elle le surprit en lui disant bonjour par derrière.
Il sursauta en se retournant.
Ils hésitèrent avant de s'embrasser,
chacun gêné par ce qu'il ne voulait pas dire à l'autre. Une simple bise scella
leurs retrouvailles.
En prenant la valise d'Elisabeth, Paul
lui demanda :
— Alors ces carnets ?
— Alors ces fouilles ? dit Elisabeth
dans la même seconde.
Leurs éclats de rire fit retomber la
tension d’un coup. Ils s’embrassèrent. Main dans la main, ils rejoignirent leur
voiture. Héloïse saturée de sensations par la présence de tous les voyageurs et
par l'amour sincère entre les deux amants se réfugia dans le doudou.
La disparition de l'influence
d'Héloïse fit prendre conscience à Elisabeth que son amour pour Paul était
toujours aussi fort. Cependant, elle remarqua qu'il ne semblait pas naturel
quelque chose le perturbait.
Dans la voiture, alors qu'ils venaient
de sortir du parking, elle lui posa la question qui lui brûlait les lèvres
depuis quelques minutes.
— Que me caches-tu ? Je vois bien que
tu veux me parler mais que tu n'oses pas…
Paul prit une profonde inspiration et
s'arrêta sur le bord de la route avant de répondre.
— Tu te souviens que dans la maison de
Janis, il y a beaucoup d'objet étranges à connotation religieuse voire magique…
— Oui ! Bien sûr ! Je t'ai même
rappelé de ne pas les déplacer.
— Justement, en prenant la canne de
ton arrière-grand-oncle, j'ai bousculé l'équilibre de ces objets… Cela a…
— Libéré les fantômes qui habitent la
maison !
— Exactement ! Et…Tous ne sont pas
bienveillants, donc…
— Donc ? Quoi ? Allez, vas-y !
Dis-moi…
— Je ne sais pas comment te le dire,
mais…
— Mais quoi ?
— C’est-à-dire que… Entre Laurence et
moi…
— Quoi entre Laurence et toi ?
Paul baissa les yeux et il rougit. Il
restait muet, incapable de prononcer le moindre mot. Elisabeth dut exprimer ce
qu'il n'arrivait pas à dire.
— Vous avez couché ensemble…
Au même instant, Héloïse sortit de sa
transe et retrouva son emprise sur la jeune femme. Elisabeth fut emportée par
la colère et prenant sa valise, elle sortit de la voiture en claquant la porte.
— Pars ! Tu m'entends, pars ! Je ne
veux pas rester une minute de plus avec toi !...
Paul essaya de la raisonner, il lui
expliquait qu'ils avaient été possédée et qu'elle aussi était sous l'emprise
d'une entité. Mais Elisabeth tirant sa valise derrière elle, s'éloignait sans
regarder derrière elle. Elle ne voulait, ou plutôt, elle ne pouvait pas
entendre ce que son fiancé lui expliquait.
Déboussolé, Paul la vit monter dans un
taxi qui passait à cet instant. Il la suivit. Il vit la voiture s'arrêter
devant une adresse inconnue. Une jeune femme qu'il ne connaissait pas sortit de
l'immeuble et serra Elisabeth dans ses bras. Les deux femmes disparurent dans
l'entrée. Paul rentra dans l'appartement vide complètement désespéré.
Quelques jours plus tard, Elisabeth et
Natacha se retrouvèrent dans le salon de thé où elles avaient leurs habitudes.
Elle lui parla un peu de ses découvertes irlandaises, mais surtout, elle lui
dévoila l'infidélité de Paul avec Laurence. Natacha réfléchit avant de
répondre.
— Ma
chérie ! C'est un garçon très bien. Cela fait presque dix ans que vous êtes
ensemble et tu le connais mieux que personne. Je te rappelle aussi que vous avez tous les deux perturbé l’équilibre fragile et les
protections mises en place par tante Janis.
Vous avez mis en branle des forces qui vous dépassent.
— Je le sais maman, mais je ne peux
pas m'empêcher de lui en vouloir… En fait, non ! C'est de ma propre faiblesse
dont je l'accuse.
Natacha regarda sa fille étonnée.
— De quelle faiblesse veux-tu parler ?
Elisabeth en larmes raconta à sa mère
son aventure avec Daïreen et la liaison qu'elle venait de commencer avec
Virginie.
— Je ne te reconnais pas là, ma fille
! Ce n'est pas toi ! Et tu n'as rien dit à Paul ?
— Non ! Je n'en ai pas eu le courage…
— Je vais aller lui parler. Je vais
lui raconter ce que tu m'as dit et je vais essayer de lui faire comprendre que
ni l'un ni l'autre, vous êtes responsables de ce qui vous arrive.
— Merci maman…
— Mais, je veux que tu me racontes
tout ce dont tu te souviens depuis que vous êtes allés au vieux manoir.
— Oui je vais essayer.
Ce fut ainsi que les deux femmes
passèrent toute leur après-midi à parler. Elisabeth tentait de décrire tous les
gestes qu'ils avaient fait, le ménage, les promenades, le tri, sans oublier cette
danse à la source ni les rêves étranges qui la hantaient la nuit quand elle
était là-bas.
Natacha fronçait les sourcils à
l'évocation de certains détails. Elle lui demanda de lui montrer le vieux
doudou qu'elle avait ramené avec elle.
Elisabeth alla chercher l’ours en
peluche tout râpé dans sa chambre et le montra à sa mère qui l’examina sous
toutes les coutures sans remarquer quoi que ce soit d'anormal. Elle sortit
alors une petite carte de visite de son sac à main et appela le numéro.
— Madame Rose ?
Elisabeth ne pouvait pas entendre ce
que disait la correspondante de sa mère, mais elle comprit qu’elle passerait à
la maison rapidement pour voir cette peluche.
— Ma fille, je pense qu’une partie de
ce qui t’arrive est dû à ce doudou. Mais je n’arrive pas à savoir ce qu’il en
est exactement…
— Mais qui est cette Madame Rose ?
— Tu te souviens de la carte que nous
avions trouvée dans cette boutique de produits de bien-être… Eh bien ! C’est
une médium, voyante, sorcière, enfin comme tu voudras… Mais je pense que c’est
la seule qui pourra nous aider.
— Je l’espère…
Elisabeth restait songeuse. Certes,
elle déplorait que l'amour qui l'unissait à Paul tomba en déliquescence. Depuis
toutes ces années, une véritable complicité s'était créée entre eux et en décidant
de se marier quelques semaines avant la visite à la maison de tante Janis, ils étaient
arrivés au point d'accomplissement de leur amour.
Ni Paul, ni elle n'avait envisagé que
la réouverture de cette demeure put entraîner de tels changement. Elle avait
toujours pensé que sa grande tante et sa mère lui cachaient des choses, mais ce
qu'elle avait découvert dans les carnets trouvés dans la malle dépassait
l'entendement.
Ces deux femmes l'avaient protégée et
elle leur en était reconnaissante. Maintenant, c'était à son tour de prendre la
relève. Héritière de la demeure, elle devenait la protectrice du domaine et de
la porte. Elle avait compris pourquoi ses aïeules n'avaient eu que des filles,
elle savait que ses enfants seraient des filles.
Elle regrettait de ne pas avoir pu
partager ses connaissances avec Paul, mais quand il lui avait avoué son
infidélité, elle n'avait pas pu résister à l'envie de prendre sa valise et de
claquer la porte.
Cela faisait maintenant presque un
mois qu'elle était rentrée et presque autant de temps qu'elle et Paul s'étaient
séparés. Elle passait de temps à autre la soirée avec Virginie mais son cœur
saignait. Ses doigts la démangeaient de laisser un message à son fiancé pour
prendre de ses nouvelles. Seulement, elle ne savait pas comment formuler ses
mots. L'initiative de sa mère porterait peut-être ses fruits. Elle ne pouvait
qu'attendre.
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