Hagard,
il sortit par la porte de service de cette célèbre boîte de Jazz de Saint
Germain des Prés. Il était encore sous le choc de sa discussion avec le gérant.
Cela faisait des années qu'il jouait de la trompette dans ce lieu mythique tous
les soirs ou presque et voilà que ce soir, après un dernier bœuf avec un groupe
invité pour la soirée, il venait d'apprendre qu'il n'y serait plus le bienvenu.
Il
tenait son étui dans ses bras, dans la nuit tiède de l'été et ses pas le
dirigeaient vers les quais et la Seine.
— Toi aussi tu t'es fait virer de chez toi ?
lança-t-il à un vieux chien au pelage abîmé qui le regardait tout en fouillant
dans un sac-poubelle.
Il
n'y avait plus personne dans les rues, les derniers passants étaient rentrés
chez eux après la fermeture des bars et restaurants et ceux qui commençaient
tôt n'étaient pas encore arrivés. C'étaient ces quelques heures magiques où
Paris n'appartenait qu'à celui qui s'y promenait.
À
quelque distance de là, dans un quartier de la rive droite, le long d'une large
avenue bordée d'arbres, une soirée à thème se terminait. Des femmes en
crinoline et des hommes en habits sortaient de cet hôtel particulier et
montaient les uns après les autres dans de superbes berlines de luxe. Une de
ces voitures prit la direction du centre de Paris. Longeant les Tuileries, elle
se dirigea vers le Pont Neuf. Au moment où elle le franchissait, la femme cria.
—
Chauffeur ! Arrêtez-vous !
La
voiture s'arrêta et la femme sortit en courant pour attraper l'homme debout sur
le parapet qui s'apprêtait à se jeter dans le fleuve.
—
Qu'alliez-vous faire ? Pensez aux personnes qui auraient retrouvé votre
corps !
—
Si vous saviez ! lui répondit-il. Je viens de perdre mon travail et ma raison
de vivre. Alors que m'importe ce que pensent les autres.
—
Un travail cela se retrouve. Que faisiez-vous ? Et vous ne sentez pas
l'alcool, donc vous ne finissez pas ici après avoir passé la soirée à ressasser
votre malheur.
—
Je suis musicien de Jazz ! Trompettiste exactement. Et je viens de me
faire virer par le patron de la boîte, car il paraît que sa dame me lorgne de
manière trop gourmande.
—
Prenez votre étui et montez ! Je n'ai pas envie de finir la soirée sur ce
pont et vous non plus.
—
Oui, Madame ! dit-il.
Sous
le charme de cette femme, il monta dans la voiture. Il était mû par ne sorte de
force irrépressible, lui disant de monter et de suivre cette inconnue. Sans
comprendre ce qui lui arrivait, son envie d'en finir avait disparu. Cette femme
par ces quelques mots lui redonna confiance en lui et en son avenir.
—
Florent ! Se présenta-t-il.
—
Sylvie ! Enchantée.
La
voiture redémarra et elle entama la conversation. La nuit aidant elle était
volubile et harcelait son hôte de questions. Elle voulait tout savoir de lui,
ce qu'il aimait, où il vivait, ses amours, ses plaisirs, ses désespoirs.
Il
lui répondait sans se poser de questions. Après tout, il n'avait plus rien à
perdre.
Après
quelques minutes de trajet, ils franchirent le portail d'un petit manoir de la
grande banlieue parisienne.
—
Je vous propose de passer la nuit ici, il y a de la place.
En
sortant de la voiture, il regarda admiratif la façade éclairée de la bâtisse.
Son hôtesse l'accompagnait et arrivés dans le hall d'entrée, un homme d'âge mur
vint les rejoindre.
—
Mon chéri, je te présente Florent, un musicien en perdition.
—
Je te reconnais bien là ma chérie, lui dit-il en l'embrassant, tu es toujours à
jouer à la bonne samaritaine !
—
Je n'allais pas le laisser se jeter dans la Seine, même si c'est un geste
romantique !
—
Allez, mon ami ! Allons au salon et racontez-moi vos aventures. Peut-être
y trouverai-je matière à écrire.
—
Vous êtes écrivain ?
—
Oh écrivain ! C'est vite dit ! Je tente de raconter des histoires !
Actuellement, c'est une troupe de cirque qui m'a demandé d'imaginer une
histoire pour que leurs numéros sur la piste ne soient pas qu'un enchaînement
de prouesses, mais qu'il y ait un fil conducteur.
—
Ah oui ! Ça change de ces cirques où l'on passe du coq à l'âne entre
chaque numéro.
—
C'est le cirque moderne ! Il faut au moins cela pour attirer les spectateurs.
Sylvie
arriva alors pour les informer que la chambre de Florent était prête. Malgré
l'heure avancée, ils continuèrent de parler tous les trois autour d'un vieil
armagnac que l'homme venait de sortir de sa réserve. Ensemble, ils devisaient
sur le monde du spectacle qui n'était plus le même et dans lequel l'argent et
le superficiel avaient plus d'importance que la profondeur et la qualité des
artistes.
—
Demain si vous le voulez, venez avec moi, je vais visiter le cirque dont je
vous parle pour voir où ils en sont dans leurs répétitions.
—
Ce sera avec plaisir.
—
Emmenez votre instrument, qui sait ? Ils auront peut-être une place pour vous !
Ajoute Sylvie en riant.
Ils
achevèrent leur verre avant de retrouver chacun leur chambre.
Détendu
par l'accueil qui lui avait été fait, Florent se coucha l'esprit plein
d'étoiles, de trapézistes, de voltigeuses à cheval au son d'un orchestre de
cirque dont les envolées musicales annonçaient les moments intenses et forts
d'un numéro d'équilibriste ou de jonglage.
De
nombreuses interrogations traversaient ses pensées.
Et
si son avenir passait par le cirque ? Quitter l'oppression de la ville et
partir sur les routes, voir du pays comme autrefois les ménestrels.
Cette
rencontre inattendue venait de lui ouvrir de nouveaux horizons. Des sentiments
variés parcouraient son esprit, tiraillé entre le désespoir de son licenciement
et l'espoir apporté par cette rencontre inattendue. L'entrain de ce couple le
stimulait.
Il
était encore pensif quand les voiles du sommeil se posèrent sur lui pour
l'emmener aux pays des songes.
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