dimanche 28 juin 2020

Le Voyage de Noces -10- Le Grand Serpent

Alors que Ketia découvrait avec ravissement son rôle de servante de la Grande Déesse et qu’Elodie dormait grâce à l’influence du jus du fruit du Léthé, au pied du volcan des monts de la Lune, tout était en train de se mettre en place pour un nouvel affrontement entre le Grand Serpent et Athéna.

Michaël et ses hommes venaient de s’arrêter pour la nuit. Depuis quelques jours, ils progressaient avec prudence. En effet, le long du sentier où dans les fourrées alentours, ils avaient découvert plusieurs corps de miliciens. Les visages de ces cadavres étaient déformés par un rictus étranges à l’image de celui qu'avait pris Armand quand il était mort sous la tente. Les hommes prenaient peur et murmuraient entre eux que le Grand Serpent allait venir les prendre comme il avait pris ces hommes. Ils retrouvaient leurs anciennes croyances dans la Grande Déesse qui devait les protéger du mal incarné par le Général. Pour eux, c'était lui, l’incarnation du Grand Serpent.

Dans leurs recherches d’Elodie et Franck avec les militaires de l’armée gouvernemental, ils avaient découvert le charnier sur le site de l'ancien camp du Général. La colère s'était emparée de tous ceux qui poursuivaient ceux qu'ils appelaient maintenant les barbares.

La découverte de ces centaines de corps avait suscité l'indignation générale et si certains avaient parfois eu de la sympathie pour les hommes du Général, celle-ci avait disparu. Celui que des doux-rêveurs avaient pris pour un Robin des Bois détroussant les puissantes compagnies minières au profit des habitants de la forêt n’était plus vu que comme un immonde bandit. Les quelques survivants atrocement mutilés racontèrent comment ils avaient été enlevés dans leurs villages pour travailler dans les mines et les plantations de drogue, et comment leurs femmes et leurs filles avaient été utilisées pour le plaisirs des soldats.

A l’annonce de ce carnage, la France promit au gouvernement local de l'aider à se débarrasser de ce Général sadique et meurtrier. Michael put ainsi bénéficier de matériel de communication dernier cri qui lui permettait avec ses hommes et quelques soldats de l'armée gouvernementale de rester en contact avec le capitaine et surtout Mama So.

Si la plupart des soldats étaient restés sur les lieux du massacre pour montrer qui était réellement ce Général aux journalistes accourus en masse comme des vautours, le capitaine avait confié aux villageois dirigés par Michaël de retrouver le Général, accompagnés par une escouade commandée par un sergent expérimenté. Ils ne devaient pas intervenir mais ils devraient donner le plus d'informations possibles pour que leurs forces spéciales pussent sauver les otages, dont on n'avait retrouvé aucune trace. Tout portait donc à croire que Franck et Elodie étaient toujours en vie.

Cela faisait maintenant plusieurs jours qu’ils étaient sur la piste des fuyards. Si certains hommes commençaient à s’inquiéter de ces étranges cadavres, Michael était plus inquiet par le dernier message qu’il venait de recevoir de Mama So.

En effet, alors que tous les soirs depuis leur départ de l’ancien camp du Général, elle lui disait qu’ils se rapprochaient d’Elodie et de Franck, et qu'ils ne se déplaçaient plus depuis quelques jours. Ce soir-là, elle lui avait annoncé qu’elle ne pouvait plus déterminer si Elodie était encore en vie.

— Elle ne ressentait plus la présence du gri-gri qu’elle avait donné à la jeune femme.

— Je ne comprends pas, lui disait-elle, c’est le pendentif qui me permet de savoir où elle se trouve. Je lui ai bien dit de toujours le porter sur elle.

— Elle l’a peut-être perdu ?

— Non ! Si elle l’avait perdu, je serais toujours en contact avec lui. Et s’il avait été brisé, je l’aurai su car j’aurais senti ses différents fragments se disperser…

— Alors que s’est-il passé ?

— Je l’ignore mais c’est comme si depuis le milieu de la nuit, le pendentif n’était plus de ce monde… Cela m’a réveillée au milieu d’un rêve où je voyais un dragon avaler Elodie…

— Nous ne sommes plus très loin du lieu où tu nous avais dit qu’ils se trouvaient. Nous devrions y être demain en milieu de journée. Je vous recontacterai à ce moment-là…

Au même moment, des hommes s'agitaient dans le camp. L’un d’eux avait entendu du bruit dans les frondaisons. Michael alerté par son pisteur, sortit de la tente de communication pour voir ce qu’il se passait avec ses inquiétudes en tête.

Il vit ses hommes pointer leurs armes vers les fougères qui remuaient à quelques mètres. Le sergent commandant la compagnie de soldats leur fit signe d’attendre son ordre avant de tirer.

Soudain, ils virent surgir un homme hagard qui s’avançait vers eux en titubant. Sur un geste du sergent, deux militaires lui sautèrent dessus et l’immobilisèrent.

— Le Grand Serpent… Le Grand Serpent… répétait l’homme les yeux dans le vide.

Reconnu comme un des tueurs du camp, les hommes le traînaient sans ménagement à l’écart pour l’attacher à un arbre.

— Nous allons l’interroger, dit le sergent à Michael.

— Je doute que vous en tiriez quelque chose. Il a l’air d’être aussi perturbé que l’était Armand quand nous l’avons trouvé…

— Ne vous inquiétez pas, mes hommes savent faire parler même les plus récalcitrants.

Michael frémit à ces mots. Il ne savait que trop bien quelles étaient les méthodes que l’armée utilise pour obtenir des renseignements. Il tourna le dos au sous-officier qui rejoignit ses hommes près de leur prisonnier.

Des cris et des hurlements s’élevèrent alors dans la forêt puis un coup de feu retentit.

Le sergent entra tête basse dans la tente de Michael.

— Alors ?

— Rien ! Il n’a rien dit. Il a juste fini en disant “le Grand Serpent vient me prendre.”

— Comme Armand, murmure Michael. Mais pourquoi avez-vous tiré ? Il est mort en disant ces mots non ?

— Oui, mais son corps bougeait encore. Comme s’il était possédé. Un des hommes a tiré dans la tête.

Michael hocha la tête sans rien dire. Il n’en savait toujours pas plus.

— Sergent ! Sergent !

— Qu’y a-t-il Patrick ? demanda le sergent au soldat qui venait d’entrer dans la tente.

— En fouillant le prisonnier, on a trouvé cette pierre. Je sais où ils sont.

En entendant ces mots, Michaël qui était un peu abattu après sa conversation avec Mama So se leva d'un bond en renversant sa chaise.

— Que dis-tu ? Tu sais où ils sont !

— Oui Monsieur Michaël ! Ils sont dans la mine de la grotte. Il n'y a que là que l'on trouve ces pierres bleues… dit-il en jetant une petite pierre brillante sur la table. Et comme la pierre est encore luisante, cela veut dire qu'il l’a ramassée il y a moins de trois heures.

— Comment cela ?

— Oh ! Vous savez. Quand j'étais enfant, il m'est arrivé de piéger des touristes en leur vendant des pierres comme cela. Avec des copains, on allait les chercher dans cette grotte… Enfin on ne s'enfonçait pas trop à cause du monstre qui vit dans les entrailles du volcan… et on ramenait quelques pierres que l'on arrachait aux parois. Seulement ces pierres perdent leur éclat au bout de trois à quatre heures, or celle-ci brille toujours.

— Ce qui veut dire que nous ne sommes plus très loin alors…

— Oui ! dit le sergent songeur. Si nous envoyons quelques hommes sur place pendant la nuit, nous pourrons informer les français de la position du Général.

Aussitôt Michaël et le sergent prirent contact avec le colonel français pour l'informer de la nouvelle situation.

— Bien ! Essayez de prendre le plus de renseignements possible. Signalez-nous votre position, des hélicoptères décolleront aussitôt que vous nous aurez confirmé la position du Général.

En quelques minutes, ils donnèrent à quelques hommes dont Vivien l'ordre de trouver cette grotte et de fournir des renseignements pour que les forces spéciales françaises pussent intervenir. Michael aurait aimé les accompagner mais sa présence les gênerait plus qu'autre chose. Avec le sergent, ils passèrent la nuit, accompagnés par une bouteille de whisky à se lever au moindre bruit qui pourrait indiquer le retour de leurs hommes.

Équipés de lunettes de vision nocturne, la dizaine d'hommes quitta le campement, guidés par le jeune soldat qui avait trouvé la pierre de la Déesse.

Ils avançaient silencieusement dans la jungle. Le bruit de la progression se noyait dans le brouhaha nocturne des animaux.

— Les singes sont très agités cette nuit, murmura un soldat à Vivien.

— Oui je trouve aussi… Mais c'est bien pour nous, les brigands ne nous entendront pas approcher.

— Là ! Regardez ! L'entrée de la grotte. Il n'y a qu'un garde…

— Il faudrait que l'on puisse entrer pour savoir combien ils sont à l'intérieur…

— Il n'y a aucune autre entrée ?

— Dans mon souvenir, non ! Et le Général connaît bien cette grotte. Il est de la région et à ce que l'on dit, c'est un serviteur du Grand Serpent.

Les hommes firent un signe de conjuration en entendant les paroles du jeune soldat. Certains regardaient avec angoisse autour d'eux. Les animaux trop remuants les inquiétaient. Ils avaient l'habitude de la jungle et ils savaient que même si la forêt est bruyante la nuit, cette nuit-là était trop agitée.

— Comment s'approcher et entrer ?

— Il faudrait éliminer ce garde ?

— Impossible… Si on le tue, ils sauront que nous sommes là et ils attendront les français voire ils tueront les otages…

— Et alors ? Ce sont des colonisateurs…

Ils se tournèrent tous vers l'homme qui venait de prononcer ces mots. Beaucoup d'entre eux se souvenaient des actes ou de l'inaction des militaires français lors des différents conflits qui enflammaient la région depuis des décennies. La mort de quelques européens ne les gênaient pas plus que cela et ils se disaient qu'ils pourraient nettoyer cette grotte eux même.

Le pisteur les fit taire.

— Je vais y aller… je suis le plus discret d'entre nous… Essayez de détourner l'attention du garde pendant une minute à mon signal et attendez-moi pendant une heure. Si dans une heure, je ne suis pas revenu ici, c'est qu'ils m'auront pris.

— Mais tu ne sais pas ce qui t'attend à l'intérieur !

— Je sais, mais, si on n'entre pas on ne saura pas non plus.

Il laissa là ses compagnons et il disparut dans la végétation. Ils suivirent sa progression grâce à leurs lunettes et quand ils le virent faire le signal, deux d'entre eux dérangèrent une famille de sangliers endormis et la repoussèrent vers la grotte. Le garde en voyant les bêtes venir vers lui quitta son poste juste le temps que le pisteur pénétra à l'intérieur.

Ce qu'il y découvrait, dépassait son imagination. Il connaissait les histoires et les légendes qui racontaient le combat entre le Grand Serpent et la Grande Déesse. Mais là, il les découvrait gravées dans la pierre. Il fut ébloui par ces parois qui luisaient malgré le faible éclairage des torches. Il abandonna ses lunettes pour laisser ses yeux s'habituer à cette nouvelle et étrange luminosité.

— Heureusement que c'est moi qui suis entré, pensa-t-il. Si un militaire était entré à ma place son uniforme l'aurait trahi immédiatement.

Il se cacha dans une anfractuosité juste après l'entrée de la caverne pour observer la situation. Il déposa son sac derrière un rocher et entra plus avant pour se mélanger avec un petit groupe d'hommes qui jouaient aux cartes. Certains levèrent la tête et l'invitèrent à jouer avec eux. Il s'arrangea pour perdre deux ou trois parties et les quitta pour s'enfoncer dans la grotte. Un autre groupe de garde à l'entrée d'une immense salle l'avait vu se lever du groupe de joueurs et le laissa passer sans rien dire.

Il put ainsi voir que le général avait toujours une centaine de soldats autour de lui. Il repéra de loin deux de ses lieutenants mais ne tenta pas de s'en approcher. Il longea, nonchalant, les alcôves qui servaient de dortoirs aux hommes et remarqua que l'une d'elle était gardée. Il tenta le tout pour le tout. Si elle était surveillée, cela voulait dire que les otages étaient là. Discrètement, il prit des photos avec son téléphone et s'approcha du garde à moitié endormi.

— Tu dors l'ami ? interpela-t-il le gardien.

— L'homme sursauta et le regarde intrigué.

— Tu es nouveau, toi ?

— Non, mais j'étais de patrouille dans la forêt. Je viens de rentrer. On a été attaqué par une bête sauvage…

— Le Grand Serpent ? Il paraît qu'il rôde dehors. J'ai cru le voir pendant la marche mais je n'ai rien vu.

— Je ne sais pas si c'est le Grand Serpent mais toujours est-il que trois de mes camarades sont morts.

Le garde prit un air contrit avant de lui répondre que dans la caverne ce n'était guère plus réjouissant.

— Les femmes ont disparu et le Général est en colère. Il a fait exécuter les hommes chargés de les surveiller.

— Et toi ?

— Oh moi je ne risque rien… Lui il ne bouge plus depuis hier et je pense qu'il ne bougera plus.

— Pourquoi ?

— Regarde par toi-même.

Il souleva le rideau qui isolait l'alcôve et le pisteur découvrit le corps de Franck, inanimé.

— Il est mort !

— Oui mais je n'ai rien dit. Je tiens à la vie… j'ai une femme et des enfants qui m'attendent.

Je te comprends… Mais dis-moi, les femmes, comment ont-elles disparues ?

— Je l'ignore mais on a retrouvé Zak, le crâne fracassé par une pierre dans ce couloir, au pied d'un éboulement… Le général nous a fait retourner toutes les pierres de la caverne… elles se sont volatilisées… Moi je pense que la Déesse les protégeait. La Française portait un pendentif de protection… Je l'avais dit au Général mais il m'a répondu que c'était des contes de bonnes femmes… Et la petite Ketia… c'est une prêtresse de la Déesse. Je le sais car j'ai connu sa mère...

Il ne dit rien et écouta le garde continuer de raconter les dernières heures dans la caverne. Il devait maintenant trouver un moyen de sortir pour retrouver ses compagnons et informer Michaël de la nouvelle situation.

— Ce n'est pas que ta conversation m'embête mais je viens de rentrer de patrouille. J'ai faim et je suis fatigué...

— Je comprends... pour dormir, tu as l'embarras du choix mais pour manger… je crois que nous n'avons plus grand chose. Les chasseurs sont rentrés bredouilles ces derniers jours…On est trop nombreux pour la forêt.

— Bah ! Je trouverai bien quelque chose à grignoter.

Il fit semblant de regarder dans les diverses alcôves comme pour chercher la meilleure pour s'installer et discrètement, il se dirigea vers la sortie.

Il espérait que ses compagnons regarderaient dans sa direction quand il apparaîtrait à l'entrée de la grotte afin qu'il pût passer sans se faire repérer par le garde. Il récupéra discrètement son sac et fit un signe discrètement. Au bout de ce qui lui sembla de longues minutes, il entendit un rugissement dans la forêt et la végétation agitée par de nombreux remous. Divers cris et grognement résonnaient, comme un combat entre deux animaux ou plus. Il regardait le garde qui comme lui, avait détourné le regard et s'avança un peu vers l'origine de ce raffut. Il en profita pour se glisser derrière lui et disparaître dans la nuit. Il avait obtenu toutes les informations nécessaires. Quand ils se sut hors de vision du bandit, il s'arrêta et se retourna pour regarder à nouveau dans la direction des grognements. Le garde était toujours immobile comme hypnotisé par ce qu'il voyait.

Un énorme lézard mais avec un corps long comme celui d'un serpent et plusieurs paires de pattes qui lui donnaient une agilité incroyable en rapport à sa taille, se dressait devant l'entrée de la caverne.

— Le Grand Serpent… Ce n'est pas une légende...

Il réussit à conserver son calme et évita surtout de regarder les yeux de la bête. Les histoires racontaient toutes que s'il nous regardait dans les yeux, il prenait possession de notre esprit.

Il se souvenait d'Armand et des hommes retrouvés morts le long de la piste. Il voyait aussi le garde immobile face à la bête. Lui avait été piégé par le regard.

Il prit son téléphone et malgré l'obscurité filma le combat entre le Grand Serpent et quelques hommes qui surgissaient de la grotte.

L'affrontement fut bref. Ceux qui venaient de surgir, avaient masqué leurs yeux et tiraient sans regarder dans la direction de leur cible. Le reptile recula sous les impacts de balles qui ne semblaient pas lui faire beaucoup de mal. D'un revers de queue, il balaya l'espace entre lui et ses agresseurs et faucha deux ou trois hommes qui s'étaient un peu trop approchés puis il disparut dans la nuit.

Il attendit un peu stupéfait par ce qu'il venait de voir. Il reprit ses esprits avant de retrouver ses compagnons qui eux aussi avaient suivi ce combat depuis leur poste d'observation. Ils se saluèrent rapidement en silence, soulagés de s’être retrouvés et de ne pas avoir eu à affronter ce monstre, puis ils rentrèrent sans traîner au campement

Ils marchaient rapidement, silencieusement. Les mots seraient pour plus tard quand ils seraient en sécurité.

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