La
petite Viviane avait fêté ses quatre ans quelques jours plus tôt. Toute la
petite famille était en tournée avec le cirque dont le spectacle attirait de
plus en plus de monde. Florent n'avait jamais osé parler de cette nuit-là à
quiconque même si Günter avait deviné le déroulement des évènements. Arthur et
Sylvie n'étaient toujours pas revenus de leur convocation et le couple se demandait
s'ils les reverraient un jour. Heureusement qu'ils avaient laissé les
instructions nécessaires pour qu'ils puissent s'occuper du manoir.
Ils
étaient tous les trois en train de marcher tranquillement sur les rives du lac
au bord duquel le cirque s'était installé, comme à son habitude. Les deux
parents toujours aussi amoureux évoquaient avec tristesse les évènements
tragiques des derniers jours.
—
Je n'y suis pour rien là ! dit Florent.
—
Je le sais mon amour ! Et je pense que là tu ne pouvais rien y faire.
—
Je ne pouvais rien y faire et surtout, crois-moi ! Je ne devais surtout pas
intervenir, sinon l'avenir serait encore plus sombre qu'il ne le sera déjà.
C'est
en disant ces mots qu'ils virent le couple de Veilleurs sortir des flots et
s'approcher d'eux en souriant.
Arthur
et Sylvie prirent Florent dans leur bras.
—
Je savais que tu ne fléchirais pas, lui dit-elle.
—
Oui, mais ce fut dur ! J'ai longtemps hésité avant de prendre ce chemin.
—
Elle devait mourir. Tu le sais.
Oui,
je le sais. Il faut parfois que quelques personnes meurent pour en sauver
beaucoup plus. Je l'ai compris. Exactement comme ce qui vient de se passer
hier.
Camille
les regardait, elle ne comprenait pas. Depuis ce jour d'août, elle avait du mal
à accepter que son amour ait pu faire une chose aussi horrible et que ses amis
le soutenaient et approuvaient son acte. Les évènements des jours précédents
renforçaient son sentiment d'incompréhension. Il avait eu la possibilité
d'éviter à des milliers de personnes de mourir et il n'avait rien fait.
Remarquant
son trouble, Florent prit les mains de sa femme. Arthur comprit ce qu'il
voulait faire et il lui fit un signe de tête pour lui exprimer son accord.
—
Retournons à la caravane et je vais te montrer.
—
Il invita Camille et ses amis à s'asseoir autour de la table et rassura son
épouse.
—
Surtout ! N'aie pas peur. Ce ne sont que des images de ce qui aurait pu
arriver.
—
Tu me connais, je serais forte !
Il
lui sourit et lui posa un baiser sur les lèvres. Les deux couples
s'installèrent et quand ils furent tous calmes et détendus, Florent commença à
leur montrer ce qu'il avait vu lors de son passage chez la Dame.
Les
images se succédaient dans leurs esprits. Ce fut d'abord le mariage de la Princesse
avec son nouvel amoureux, puis des scènes de joies dans les rues de nombreuses
villes arabes. L’argent du milliardaire égyptien avait servi à financer les
partis politiques qui renversaient un par un les dictatures du bassin
méditerranéen.
Camille
ne put s'empêcher de rompre le cercle.
—
Pourquoi as-tu pris ce chemin-là ? Regarde tous ces gens comme ils sont
heureux, aujourd'hui ils sont tous en guerre.
—
Je t'avais dit d'attendre la fin…
—
Excuse- moi ! Mon amour !
Il
recommença à se concentrer et les scènes de joies furent remplacées par des scènes
de guerre et de désolation. Libérées de l'emprise de leur régime dictatorial
beaucoup de provinces de ces pays réclamèrent leur indépendance, des guerres
civiles meurtrières s'en suivirent. Devant les risques de plus en plus
importants de voir la route du pétrole être coupée, les grandes puissances
intervinrent et de régionaux les conflits se sont étendus. Quelques décennies
plus tard, le monde était à feu et à sang une nouvelle fois.
En
lâchant les mains de Camille et Sylvie, il vit sa femme blême, elle avait du
mal à tenir sur sa chaise. En bafouillant, elle lui dit : tu vis avec ces
images en permanence ?
—
Oui ! Avec le temps, et grâce à l'enseignement de la Dame, j'ai appris à savoir
comment trouver le bon sentier parmi toutes ses images. Les choix que je fais
semblent parfois étranges, mais ce sont les meilleurs pour notre survie.
—
Mais ne pouvais-tu pas intervenir plus tard ?
—
Non hélas ! J'ai passé des jours à réfléchir à chercher comment ne pas la
sacrifier, mais il n'y avait pas d'autres points nodaux. C'était le maillon
faible de cette trame du temps.
—
Camille resta pensive quelques instants et prit son mari dans ses bras.
—
Tu as fait ce qui était le mieux. Plus jamais je ne douterai de tes choix.
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