mercredi 24 juin 2020

Le Voyage de Noces -06- La Fuite

Le matin, elle voyait partir quelques hommes avec des pick-up plus ou moins récents mais surtout dépareillés, des véhicules volés lors de raids. Toujours le même schéma de départ : des commandos de quatre véhicules dont deux chargés d’hommes, un avec une mitrailleuse lourde sur le plateau et un dans lequel un des lieutenants du Général prenait place.

Quatre de ces groupes partaient pour faire des razzias dans les environs tandis qu’un cinquième restait au camp pour le protéger et garder les prisonniers. Le groupe de garde changeait tous les jours. De temps à autre Élodie entendait des coups de feu puis le rire des hommes. De sa case, elle ne pouvait pas voir sur quoi ils tiraient. Il ne valait d’ailleurs mieux pas car il s’agissait parfois de prisonniers dont le geôlier laissait volontairement la porte ouverte. Ils tentaient de fuir et les gardes s’amusaient à les tirer comme des lapins.

Cette routine quotidienne des hommes était juste rompue par le passage des avions au-dessus du camp. C’était sûrement en lien avec leur enlèvement, pensait-elle. Mais elle savait aussi que zones de combats importantes se trouvaient un peu plus au nord.

Elle n’avait plus revu Armand depuis le jour où ces hommes lui étaient tombés dessus. Qu'étaient-ils devenus, lui et ses frères ?

Cette nuit-là, elle regardait Franck qui geignait dans son sommeil, même s’il allait mieux, il avait toujours de la fièvre. Il lui faudrait des antibiotiques mais Élodie ne voulait rien demander au Général. Ketia lui avait annoncé qu’il l'autoriserait à se promener dans le camp dès le lendemain, à la seule condition qu’elle ne chercha pas à s’enfuir. Mais où pourrait-elle aller ? Elle ne laisserait pas Franck blessé derrière elle.

Pour la première fois depuis son arrivée dans ce camp, elle s’endormit l’esprit détendu. La blessure de son mari cicatrisait bien.

Au petit matin, le camp était en effervescence. Deux hommes réveillèrent Élodie et Franck et leur attachèrent les poignets dans le dos avant de les pousser hors de leur case. Ils les firent s’agenouiller pour attendre. Avec horreur, ils virent les rebelles rassembler les autres prisonniers dans un coin du camp et les abattre sans pitié. Élodie fut prise d’une nausée qu’elle ne put retenir.

Ils massacraient sans distinction les hommes, les femmes et les enfants. Elle les vit incendier les cases et détruire les pick-up. Des bidons de carburant explosaient à l’autre bout du camp. Ils n’avaient gardé que les armes et les munitions.

Une fois en ordre de marche, ils les firent se lever. Un des chefs, hilare, poussa Ketia auprès d’Élodie qui fut soulagée de voir que sa seule amie ici était en vie. La jeune fille était en larmes, l’homme était en train de s’amuser avec elle. C’était peut-être cela qui l’avait sauvée puisqu'elle n’avait pas dormi avec les autres prisonniers.

Ils entamèrent alors une marche à travers la forêt en direction du volcan qui dominait les Monts Brumeux. Après plusieurs heures de marche, Franck qui était resté silencieux, grimaçait. Sa blessure s’était à nouveau ouverte et il savait qu’il ne pourrait plus tenir ce rythme. Il tomba au sol, Un homme l’obligea à se relever, il titubait.

Comme elle n’en pouvait plus de le voir ainsi, Élodie interpella le Général.

— S’il vous plaît faîtes quelque chose ! Il ne peut plus marcher… Sa blessure s’aggrave.

Il la regarda de haut. Il savait qu'il tirait les ficelles et que la jeune femme qui lui faisait face ne pouvait rien exiger.

Je ferai tout ce que vous voudrez.

Vraiment tout ?

— Oui, vraiment tout.

Elle se mit à genoux implorante. Il lui caressa le visage avec son inséparable cravache.

— Bien ! Alors mes hommes vont l’aider car on ne peut pas s’arrêter. Le Grand Serpent nous appelle.

En réalité, il était talonné de près par les troupes gouvernementales. Elles étaient aidées par des hommes des sections spéciales et elles avaient retrouvé la trace du jeune couple. Elles voulaient les libérer et en même temps neutraliser le danger de la milice du Général N'Gopba. Il savait que la découverte des corps au camp allait ralentir ses poursuivants mais aussi renforcer leur détermination. Il se gardait bien de donner des nouvelles à la jeune femme, il ne fallait pas qu’elle eut trop d’espoir.

Il aboya quelques ordres dans sa langue et des hommes improvisèrent un brancard avec des branches et des feuilles. Ils allongèrent Franck dessus et la marche reprit. Élodie marchait à côté du brancard en tenant la main de son mari.

A la fin de l’après-midi, les hommes du Général investirent plusieurs grottes dans le fond d’une profonde gorge étroite envahie par la végétation luxuriante. Ils installèrent le camp et le fortifièrent du mieux possible pour éviter toute surprise pendant la nuit. Ils avaient piégé le chemin qu’ils avaient emprunté et dans cette région escarpée, il y avait peu de chance que leurs poursuivants osassent les suivre dans l’obscurité.

Alors que le calme était tombé sur le campement, une ombre furtive malgré sa masse s’approchait d’Élodie endormie.

— Debout…

Secouée et tirée, elle se réveilla en sursaut et s’apprêta à crier quand une main se plaqua sur sa bouche.

— Tu m’as promis de faire tout ce que je veux pour que j’aide ton mari, alors suis moi et pas un mot.

Elle reconnut la voix du Général et ce fut en tremblant qu’elle le suivit.

Il la traînait plus qu'elle ne le suivait jusqu'à la grotte où il avait installé la paillasse qui lui servait de lit. Il la jeta dessus et il profita de son état de stupeur pour lui attacher la cheville avec une corde à une lourde malle et ses poignets aux dessus de la tête.

— Ainsi, je serais sûr que tu ne chercheras pas à t’échapper quand je dormirai.

Élodie le regardait avec de grands yeux. Il rigolait grassement.

— Ah oui ! Je ne t’ai pas dit, Mais tu viendras dormir avec moi toutes les nuits. Ça fait longtemps que je n’ai ni dormi ni baisé avec une blanche.

— Non je vous en prie, dormir je veux bien, Mais pas de sexe… s’il vous plaît !

— C’est toi qui t’es engagée la première alors pas de blague sinon ça pourrait mal se finir.

Élodie le vit commencer à se mettre nu. Elle était dégoûtée par ce qu’elle voyait. Rien dans cet homme ne l'attirait.

— A ton tour… À oui c’est vrai, tu ne peux pas.

Il lui ouvrit alors son chemisier et arracha son soutien-gorge. Il joua un peu avec la poitrine de la jeune femme avant de lui retirer son short et sa culotte. Quasiment nue et sans défense, elle était obligée de subir les assauts répétés de cet homme immonde. Il finit par s'endormir sur la jeune femme en larmes. Telle qu'elle était ligotée elle ne pouvait qu’attendre le réveil de son violeur et observer la grotte où elle était.

Elle remarqua alors, que le porte bonheur de Mama So luisait faiblement dans l'obscurité. Elle se demandait pourquoi car quand elle l'avait examiné un jour dans son cachot, elle ne lui avait rien trouvé de spécial. C'était juste des lanières de cuir tressées autour d'un morceau de granit. Elle avait eu plusieurs fois envie de le jeter mais au moment où elle allait le retirer de son cou, elle avait toujours été interrompue. Ce fait nouveau la questionnait.

Sans qu’elle en comprît la raison, cette lueur lui redonna de l'espoir. Elle se sentait sale à cause de cet homme qui ronflait sur elle, et qui grognait comme un porc pendant qu’il la violait. Il l'avait même frappée car il l’avait trouvée trop passive. Elle pleurait en silence, elle ne voulait pas provoquer sa colère une nouvelle fois.

Au petit matin, il la réveilla brutalement en exigeant une gâterie qu’elle se força à lui donner avant de la ramener auprès de Franck toujours endormi et fiévreux. Elle eut juste le temps avec Ketia de nettoyer la blessure de son mari avant que les miliciens ne levassent le camp pour continuer à marcher.

La jeune fille qui avait compris ce qu’Elodie avait subi pendant la nuit, resta à ses côtés et lui tint la main le plus souvent possible au cours de leur progression dans le sentier de plus en plus escarpé. Elodie serrait les poings à chaque fois que l'un des hommes qui portait le brancard de Franck trébuchait. Elle aurait voulu leur dire de faire attention, mais le Général aurait profité de cette faiblesse.

Cela faisait maintenant quelques jours qu’ils marchaient. Leurs pas les rapprochaient du volcan qui crachait de plus en plus de cendres et de bombes volcaniques. Ils en étaient suffisamment proches pour entendre les explosions les plus violentes.

Les hommes du Général étaient partagés entre le soulagement de ne plus être suivis et la crainte du volcan. De même, Ketia tremblait à chaque explosion et serrait sa main dans celle d’Élodie qu’elle ne lâchait plus.

Élodie marchait comme une poupée mécanique. Les journées et surtout les nuits se ressemblaient. Elle n’avait plus de larmes pour pleurer. Elle ne trouvait même plus de réconfort à la présence de Franck que la fièvre emportait dans un délire loin de la réalité. Même si le Général était prêt à lui donner des médicaments, ils n'avaient plus d'antibiotiques depuis leur départ précipité du camp. Les hommes incapables d'avancer étaient abandonnés sur place ou abattus parce qu’ils auraient pu dévoiler leur destination finale.

Elle n’attendait plus rien des survols réguliers des avions au-dessus de la forêt, la végétation était si dense qu’ils devaient être invisibles.

Ce jour-là, elle fut surprise du lieu de leur bivouac. À part le premier soir où elle avait été violée, ils avaient toujours passé la nuit sous les frondaisons. Ce soir-là, le Général les guida vers une caverne au pied du volcan. Elle fut obligée de rassurer la jeune Ketia qui, accrochée à son bras, refusait de franchir le seuil de la grotte.

— C’est le domaine du Grand Serpent, il va tous nous tuer pour nous manger.

— Ce sont des légendes, lui répondit Élodie pas très rassurée par la présence du cratère à quelques centaines de mètres au-dessus d'eux.

Les hommes se répartirent dans les différentes salles de cette caverne. Il était clair que ce n’était pas leur première visite dans ce lieu.

Elodie comprit vite pourquoi ils avaient tout abandonné dans la vallée. Leur véritable camp de base était cette caverne et non celui où elle avait été emmenée, il y avait maintenant presque quinze jours.

Assise à côté de Franck, elle se faisait lentement à l'idée que s'ils n'étaient pas rapidement secourus, il ne survivrait pas longtemps.

— La Grande Déesse l'appelle… murmura Ketia.

— Je le crains, lui dit Élodie avec des larmes dans les yeux.

Elle ne connaissait pas cette Grande Déesse mais elle se doutait qu’il s’agissait de la divinité que priait la jeune fille le soir quand elle la voyait prise par le Général.

Compulsivement, elle jouait avec son pendentif. Ketia sursauta.

— Une larme de la Déesse.

— Que veux-tu dire ?

— Cette pierre qui brille, c’est une larme de la Déesse. La Déesse protège ses enfants grâce à ces pierres, elle les surveille et les protège ainsi. Elle va nous sauver.

Élodie sourit à la naïveté de son amie. Cartésienne et élevée dans une famille athée, elle ne croyait ni aux dieux, ni au diable et encore moins au surnaturel, Mais elle ne voulait pas faire perdre espoir à la jeune fille. Aucune déesse ne viendrait les sauver, mais des hommes sûrement.

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