jeudi 25 juin 2020

Le Voyage de Noces -07- Recherches

Michaël ne restait pas inactif. Dès son retour chez lui, il rassembla quelques hommes dans son salon pour mettre en place une stratégie pour retrouver ses amis.
Il n’avait aucun doute, ils avaient été enlevés par un groupe de rebelles qui opéraient depuis l'autre côté de la frontière. Il avait invité James et Mama So à venir habiter dans la grande demeure coloniale.
Il savait que les intuitions de cette femme étaient souvent justes. Il considérait que le cérémonial et les rites qu’elle déployait pour impressionner ceux qui venaient la voir étaient sûrement plus du décorum qu’utile mais il était important que les hommes pensassent que les esprits étaient de leur côté.
Vivant depuis toujours au milieu de ces gens, il était moins imperméable qu’Élodie à leurs croyances et il avait plusieurs fois eu l'occasion de voir Mama So en action.
Cette femme le surprenait à chaque fois. Ce soir, elle était penchée sur la carte de la région et devant les hommes qui restaient muets, elle plantait des punaises à différents endroits de la carte.
— Là ! C’est le lieu où Blaise et Jonah ont été tués…
Un peu plus loin, elle posa deux autres punaises pour indiquer les positions des captures d’Élodie et de Franck. Elle pointa ensuite le lieu du camp des rebelles.
Michael prit des photos qu’il envoya au colonel français qui l'avait reçu ainsi qu’au capitaine de l'armée gouvernementale. Il ne savait pas comment les deux hommes allaient prendre ces informations, mais un survol de cette zone ne coûtait rien pour les avions qui partaient en mission plus au Nord, avec la recrudescence de l'activité des rebelles.
Il se pencha sur la carte et regardait les punaises qui indiquaient selon Mama So les lieux de l'enlèvement de ses amis.
— Si Mama So a raison, et je ne vois pas pourquoi elle se tromperait, n'est-ce pas ?
Un murmure de confirmation parcourut l'assemblée autour de lui. Ils connaissaient tous les pouvoirs de cette femme étrange mais si chaleureuse.
— Donc, je reprends, selon Mama So, Franck a été enlevé à cet endroit, au pied de cette colline et Élodie près du sommet. Pourquoi étaient-ils séparés, on ne le saura que lorsque nous les aurons retrouvés. D'ici, il nous faudra une journée de voiture pour atteindre la fin de la route. Ensuite je pense qu'en marchant bien, une petite matinée de marche pour atteindre les lieux qui ne sont pas très éloignés. Ensuite, ce sera plus compliqué car s'il y a bien une route qui conduit là où ils seraient retenus en otage, nous risquons de tomber sur les brigands. Vous êtes toujours avec moi ?
En chœur, ils répondirent qu'ils le suivraient jusqu'à ce que ces bandits fussent mis hors d'état de nuire. Aucun d'eux ne voulait utiliser le terme de rebelles car s'ils avaient parfois combattu le pouvoir central, ils n'avaient jamais commis les exactions de ces milices.
— Tenez-vous prêts à partir demain à l'aube. Mama So et James vous resterez ici pour nous dire si vous avez des informations par la police ou l'armée.
— Oui Monsieur Michaël !
La pauvre femme ne se remettait pas de la mort de ses fils et elle était inquiète de la disparition du troisième. Elle n'arrivait pas à voir dans ses sorts ce qu'il était devenu. Il semblait avoir disparu, mais elle n'avait pas ressenti la douloureuse déchirure de la mort.
— Je les avais prévenus, dit-elle à son mari quand ils sont seuls dans leur chambre. Le Grand Serpent se réveille et la Déesse est en colère.
— Ce sont des blancs, ils ne connaissent rien à nos coutumes.
— Oh ! Ce n'est pas pour la jeune fille que je m'inquiète, elle est protégée, elle porte le sang de la déesse en elle, je l'ai senti dès que je l'ai vu… Elle est forte, elle va revenir.
— Pour qui t'inquiètes-tu alors ? lui demande-t-il en la serrant contre lui.
— Pour les habitants de la vallée. Le Grand Serpent va bientôt sortir et ils vont tous mourir. Comme dans la légende…
— C'est une histoire pour faire peur aux enfants et souviens-toi de ce que disait le vieil Albert, le père de Monsieur Michaël, ces gens avaient été pris par une éruption volcanique, c'est pour cela que l'on a retrouvé leurs corps statufiés.
— Non ! L'éruption a toujours lieue après le réveil du Grand Serpent. La Déesse et ses servantes réveillent le volcan pour endormir et emprisonner le Grand Serpent.
James comprit qu'il ne pouvait pas raisonner sa femme et ne la contredisait plus. Il la serra contre lui et la câlina avant de s'endormir. Même s'il ne partait pas avec Michaël, il voulait être debout pour préparer les affaires de celui qu'il avait connu tout petit.
Resté seul dans le salon, Michaël reçut un message du colonel français qui l'informait qu'il avait obtenu l'autorisation de sa hiérarchie pour mettre des hommes et des moyens à la recherche du couple disparu et qu'il le remerciait pour les informations de Mama So.
Michaël était content. Il savait que les militaires du capitaine étaient compétents, même s'ils n'étaient pas assez nombreux. Ils allaient mettre tout leur cœur pour mener les recherches et surtout pour détruire ce groupe de miliciens rebelles. L'appui de la technologie française était un atout non négligeable. Le survol de la vallée par les chasseurs dans l'après-midi avait calmé les villageois mais n'avait pas servi à grand-chose, du moins le pensait-t-il.
Il ne comprenait pas comment les rebelles avaient pu savoir qu'un couple de blancs voyageait dans cette vallée, si loin de leurs bases. Cela faisait des années qu'ils ne s'aventuraient plus dans cette région car ils savaient qu'ils seraient rapidement pourchassés et éliminés. Ils préféraient faire leurs pillages beaucoup plus loin où aucune résistance ne s'opposait à leurs incursions.
Il ne pouvait y avoir qu'une explication, pensait-il. Quelqu'un leur avait signalé la présence d’Élodie et de Franck au village et le trajet de leur excursion. Peu de personnes étaient au courant de ce safari-photo, James et ses fils. Il écarta aussitôt le majordome de sa liste, il ne l'aurait pas trahi, c'était un homme fidèle. Ses fils ? Mais pourquoi ? Les deux aînés venaient d'être assassinés, il ne restait plus qu'Armand, le plus jeune dont Mama So ne retrouvait pas la trace.
Ils en sauraient plus sur place.
Après plusieurs heures de route, ils arrivèrent là où il avait déposé le petit groupe quelques jours plus tôt. L’espace était déjà investi par des véhicules militaires et quelques policiers.
— Bonjour Monsieur Michaël, nous attendions votre arrivée. Le capitaine est dans la tente là-bas.
Michaël se rendit dans la tente indiquée par le soldat et entra.
— Bonjour, mon capitaine ! Du nouveau ?
— Hélas ! Rien de plus que ce que nous savions. Les deux hommes ont été hachés menus par plusieurs rafales d'armes automatiques, au moins trois hommes. Ce qui nous a surpris, c’est qu’ils n’ont pas pris le temps de fouiller le camp comme s’ils avaient été surpris…
— Comment cela ?
— Nous avons retrouvé l'ordinateur de mademoiselle Élodie et une partie de son matériel photographique. Je ne suis pas un spécialiste, mais il y en a pour une petite somme…
— Et vous avez trouvé quelque chose ? Des indices ?
— Sur place, juste les douilles de la fusillade et les traces de pas des assassins qui sont montés vers le sommet là où Monsieur Franck et Mademoiselle Élodie ont été kidnappés. Je crois que nous ne trouverons rien de plus… Hélas !
— Serait-ce des hommes du Général N'Gopba ?
— Difficile à dire, ils ont l'habitude de signer leur passage de manière plus sanglante et en Général, ils pillent tout ce qu’ils peuvent.
— Des braconniers ? Des contrebandiers ?
— Non plus, je vous le dis, rien n’a été volé...
Ces révélations laissaient Michael perplexe. Cet enlèvement lui semblait de plus en plus mystérieux.
— Puis-je monter avec mes hommes jusqu'au campement ? De plus c’est du matériel que je leur avais prêté, j’aimerais le récupérer.
— Bien sûr, allez-y, je vous l'ai dit, nous n'avons plus rien à tirer du campement.
— Et pour l'ordinateur et le matériel de mon amie ?
— Hélas ! C’est une pièce à conviction…
Michael ne se faisait pas d'illusions, le capitaine le revendrait sûrement au marché noir. Mais s’il voulait conserver de bonnes relations il devait se montrer conciliant.
En sortant de la tente, le capitaine héla ses hommes et ils prirent la direction du campement. Il avait emmené avec lui le meilleur pisteur du village et il lui avait demandé de lui signaler tout ce qui lui semblerait suspect.
Là où il avait fallu plusieurs heures de marche à Franck et Élodie qui s’étaient souvent arrêtés pour prendre des photos, Ils ne mirent que deux heures.
— Alors Vivien, qu’as-tu vu ?
— Rien de spécial Monsieur Michael, mais il flotte dans l'air une odeur de très grande peur…
—J’ai l'impression que plus nous nous approchons et plus cette odeur est forte… Mais je ne reconnais pas l'animal qui a pu créer une telle panique.
Quelques minutes plus tard, ils découvraient le camp. Les impacts de balles avaient déchiqueté les feuilles et les branches près de l'endroit où les deux jeunes gens étaient morts.
Les tentes avaient été endommagées mais ils pourraient les utiliser. Les vivres et le matériel étaient intacts, seul l'ordinateur et le matériel photo avaient disparu.
Il déplie la carte sur la carte et il examina les points notés par Mama So. Il leur faudrait une heure pour monter là où Franck avait été enlevé et une demi-heure de plus pour atteindre le point de disparition d'Elodie.
Il était trop tard pour faire cela ce soir. La nuit tombait vite dans ces régions.
— Monsieur Franck ! Venez voir ! Vite !
La voix de Vivien l'appelait à quelques dizaines de mètres du camp. Il arriva à petites foulées et regarda au bout du doigt du pisteur.
— Regardez ces traces !
Il se pencha pour regarder les empreintes au sol. La végétation était écrasée et cassé. Cela ressemblait aux traces de pas d'un gros animal.
— On dirait un gros lézard !
— Oui, Mais je n’en ai jamais vu d'aussi gros. Il doit bien faire dans les deux cent cinquante kilos si je me fie à leur profondeur. Et, je sais maintenant que l'animal que je cherchais, c’est ce gros lézard.
Michael était toujours impressionné par la capacité de Vivien à décrire avec précision les animaux qu’il pistait. En général, Il ne se trompait pas de plus de cinq kilogrammes dans l’estimation de la masse d’un animal.
— C’est la première fois que je vois ce genre de traces et que je rencontre cet animal. Puis-je le pister un peu ? demanda-t-il tout excité.
— Oui, mais ne t’éloigne pas de trop, la nuit ne va pas tarder. Et on ne sait pas si cette bête est dangereuse ou pas !
— Vous parlez au meilleur pisteur de la forêt… Même par une nuit sans lune, je retrouverais le camp.
— File ! Lui lança-t-il en souriant.
Avec les cinq autres hommes, il nettoya le camp un peu bousculé par les militaires et les policiers et installa une autre tente pour dormir. Il devait reconnaître que les fils de James avaient fait du beau boulot pour aménager le campement.
Un des hommes qui se reposait après la remise en état du campement, sursauta alors qu’il buvait sa bière.
— Que se passe-t-il ?
— On nous observe…
Aussitôt, les hommes se baissèrent et attrapèrent leurs armes sans un bruit.
D’un signe de la main, celui qui les avait alertés leur montra un mouvement suspect dans la végétation. Michaël leur demanda par geste de baisser leurs armes et d’attendre. Ils n’avaient aucune raison de tirer sur un animal et encore moins sur Vivien qui pourrait revenir silencieusement.
L’origine de leur méfiance apparut. Armand émergea en titubant de la forêt et s’effondra devant eux. Aussitôt, ils se portèrent à son aide et l’installèrent sous une tente. Le jeune homme était hagard, les yeux vides de toute expression. Michaël essayait de lui parler mais il ne semblait pas comprendre.
Un seul mot sortait de sa bouche, “joka”. Un mot qu’il répétait à chaque question que Michaël lui posait.
— Il est possédé, dit un des hommes.
— Possédé, Je ne sais pas, mais il a été choqué… laissons-le se reposer.
Ils prirent leur repas dehors en mangeant une antilope des forêts que l’un d’eux avait abattu. Ils avaient laissé la tente où Armand était alité ouverte afin de pouvoir le surveiller. Ils l’entendaient gémir et répéter ce mot “joka” régulièrement.
Michael se demandait si Mama So n’avait pas raison en parlant du réveil du Grand Serpent. Il repensait aux légendes que lui racontait sa grand-mère quand il était enfant. Des légendes qu’elle tenait de sa grand-mère alors l’épouse du chef de la tribu des hommes qui l’accompagnaient.
Il y avait très longtemps bien avant que la mémoire des hommes ne fut gravée sur les pierres ou couchée sur le papier, la cupidité d’un homme avait réveillé un grand serpent. Ce monstre ravageait la région, il mangeait le bétail, il détruisait les récoltes et surtout il tuait les hommes qui osaient le défier. Il n’avait pas besoin d’armes, de dents ou de griffes. Son regard pétrifiait les hommes qui devenaient fous et qui finissaient par mourir de peur.
La venue de la Déesse du volcan avait permis de capturer ce grand serpent et de le renvoyer dans son sommeil duquel il n’aurait jamais dû sortir.
Sa grand-mère lui avait aussi dit que son ancêtre qui avait vaincu le grand serpent avait été acclamé par la tribu qui en avait fait son chef. Depuis le culte de la déesse salvatrice s’était imposé à la tribu qui la remerciait ainsi de son aide. Mais dans l’ombre, des adorateurs du Grand Serpent sévissaient toujours. Ils espéraient le retour du monstre qui leur promettait richesse et puissance.
Un cri d’Armand le sortit de ses pensées.
Joka inichukua, le dragon m’emmène…
Il eut une dernière convulsion et il retomba inerte sur le lit. Les yeux vitreux, son corps flasque, le cœur avait cessé de battre. Le jeune homme venait de mourir.
L'un de ses amis lui ferma les yeux et murmura la phrase rituelle de la tribu. "Il a rejoint la Déesse."
Les cinq hommes restèrent immobiles à le veiller quelques minutes.
Ce fut à ce moment que Vivien réapparut, excité et effrayé.
Ils retournèrent tous à la table et en se restaurant, il leur raconta ce qu’il avait découvert. La piste de l’animal lui avait permis de remonter pendant quelques kilomètres vers le volcan. Mais pas dans la direction où Franck et Élodie avaient été enlevés, plutôt vers les falaises et ses grottes sombres et labyrinthiques. Il avait vu les carcasses d’animaux divers qui semblaient avoir été dévorés par une mâchoire de crocodile. Il voulait se rapprocher plus près de la falaise, mais quand il avait croisé les corps des tueurs des enfants de James, il avait pris peur et il avait renoncé.
— Pourquoi, toi qui es le plus intrépide de tous ?
— Oui, Monsieur Michael, intrépide mais pas fou… je veux avoir une femme et des enfants…
Ses amis rirent autour de la table ce qui fit descendre la tension d’un cran.
— Leur regard dans la mort, Monsieur Michaël ! Leur regard… Ils ont vu le diable…
Vivien dont les parents étaient devenus les membres d’une église évangélique ne croyait plus à la Déesse protectrice de ses ancêtres mais à Dieu et au diable.
— Comme Armand, dit alors celui qui avait fermé les yeux de son ami.
— Oui!  Comme Armand. Que se passe-t-il Monsieur Michael ?
— Je l’ignore pour le moment, mais je compte bien le découvrir. Allons dormir, demain nous monterons sur la colline pour découvrir ce qui s’est passé pour Franck et Élodie.

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