Michaël ne restait pas
inactif. Dès son retour chez lui, il rassembla quelques hommes dans son salon
pour mettre en place une stratégie pour retrouver ses amis.
Il n’avait aucun doute,
ils avaient été enlevés par un groupe de rebelles qui opéraient depuis l'autre
côté de la frontière. Il avait invité James et Mama So à venir habiter dans la
grande demeure coloniale.
Il savait que les
intuitions de cette femme étaient souvent justes. Il considérait que le
cérémonial et les rites qu’elle déployait pour impressionner ceux qui venaient
la voir étaient sûrement plus du décorum qu’utile mais il était important que
les hommes pensassent que les esprits étaient de leur côté.
Vivant depuis toujours au
milieu de ces gens, il était moins imperméable qu’Élodie à leurs croyances et
il avait plusieurs fois eu l'occasion de voir Mama So en action.
Cette femme le surprenait
à chaque fois. Ce soir, elle était penchée sur la carte de la région et devant
les hommes qui restaient muets, elle plantait des punaises à différents
endroits de la carte.
— Là ! C’est le lieu où
Blaise et Jonah ont été tués…
Un peu plus loin, elle
posa deux autres punaises pour indiquer les positions des captures d’Élodie et
de Franck. Elle pointa ensuite le lieu du camp des rebelles.
Michael prit des photos
qu’il envoya au colonel français qui l'avait reçu ainsi qu’au capitaine de
l'armée gouvernementale. Il ne savait pas comment les deux hommes allaient
prendre ces informations, mais un survol de cette zone ne coûtait rien pour les
avions qui partaient en mission plus au Nord, avec la recrudescence de
l'activité des rebelles.
Il se pencha sur la carte
et regardait les punaises qui indiquaient selon Mama So les lieux de
l'enlèvement de ses amis.
— Si Mama So a raison, et
je ne vois pas pourquoi elle se tromperait, n'est-ce pas ?
Un murmure de
confirmation parcourut l'assemblée autour de lui. Ils connaissaient tous les
pouvoirs de cette femme étrange mais si chaleureuse.
— Donc, je reprends,
selon Mama So, Franck a été enlevé à cet endroit, au pied de cette colline et Élodie près du sommet. Pourquoi étaient-ils séparés, on ne le saura que lorsque
nous les aurons retrouvés. D'ici, il nous faudra une journée de voiture pour
atteindre la fin de la route. Ensuite je pense qu'en marchant bien, une petite
matinée de marche pour atteindre les lieux qui ne sont pas très éloignés.
Ensuite, ce sera plus compliqué car s'il y a bien une route qui conduit là où
ils seraient retenus en otage, nous risquons de tomber sur les brigands. Vous
êtes toujours avec moi ?
En chœur, ils répondirent
qu'ils le suivraient jusqu'à ce que ces bandits fussent mis hors d'état de nuire.
Aucun d'eux ne voulait utiliser le terme de rebelles car s'ils avaient parfois
combattu le pouvoir central, ils n'avaient jamais commis les exactions de ces
milices.
— Tenez-vous prêts à
partir demain à l'aube. Mama So et James vous resterez ici pour nous dire si
vous avez des informations par la police ou l'armée.
— Oui Monsieur Michaël !
La pauvre femme ne se
remettait pas de la mort de ses fils et elle était inquiète de la disparition
du troisième. Elle n'arrivait pas à voir dans ses sorts ce qu'il était devenu.
Il semblait avoir disparu, mais elle n'avait pas ressenti la douloureuse
déchirure de la mort.
— Je les avais prévenus,
dit-elle à son mari quand ils sont seuls dans leur chambre. Le Grand Serpent se
réveille et la Déesse est en colère.
— Ce sont des blancs, ils
ne connaissent rien à nos coutumes.
— Oh ! Ce n'est pas pour
la jeune fille que je m'inquiète, elle est protégée, elle porte le sang de la
déesse en elle, je l'ai senti dès que je l'ai vu… Elle est forte, elle va
revenir.
— Pour qui t'inquiètes-tu
alors ? lui demande-t-il en la serrant contre lui.
— Pour les habitants de
la vallée. Le Grand Serpent va bientôt sortir et ils vont tous mourir. Comme
dans la légende…
— C'est une histoire pour
faire peur aux enfants et souviens-toi de ce que disait le vieil Albert, le
père de Monsieur Michaël, ces gens avaient été pris par une éruption
volcanique, c'est pour cela que l'on a retrouvé leurs corps statufiés.
— Non ! L'éruption a
toujours lieue après le réveil du Grand Serpent. La Déesse et ses servantes
réveillent le volcan pour endormir et emprisonner le Grand Serpent.
James comprit qu'il ne
pouvait pas raisonner sa femme et ne la contredisait plus. Il la serra contre
lui et la câlina avant de s'endormir. Même s'il ne partait pas avec Michaël, il
voulait être debout pour préparer les affaires de celui qu'il avait connu tout
petit.
Resté seul dans le salon,
Michaël reçut un message du colonel français qui l'informait qu'il avait obtenu
l'autorisation de sa hiérarchie pour mettre des hommes et des moyens à la recherche
du couple disparu et qu'il le remerciait pour les informations de Mama So.
Michaël était content. Il
savait que les militaires du capitaine étaient compétents, même s'ils n'étaient
pas assez nombreux. Ils allaient mettre tout leur cœur pour mener les
recherches et surtout pour détruire ce groupe de miliciens rebelles. L'appui de
la technologie française était un atout non négligeable. Le survol de la vallée
par les chasseurs dans l'après-midi avait calmé les villageois mais n'avait pas
servi à grand-chose, du moins le pensait-t-il.
Il ne comprenait pas
comment les rebelles avaient pu savoir qu'un couple de blancs voyageait dans
cette vallée, si loin de leurs bases. Cela faisait des années qu'ils ne
s'aventuraient plus dans cette région car ils savaient qu'ils seraient
rapidement pourchassés et éliminés. Ils préféraient faire leurs pillages
beaucoup plus loin où aucune résistance ne s'opposait à leurs incursions.
Il ne pouvait y avoir
qu'une explication, pensait-il. Quelqu'un leur avait signalé la présence d’Élodie et de Franck au village et le trajet de leur excursion. Peu de
personnes étaient au courant de ce safari-photo, James et ses fils. Il écarta
aussitôt le majordome de sa liste, il ne l'aurait pas trahi, c'était un homme
fidèle. Ses fils ? Mais pourquoi ? Les deux aînés venaient d'être assassinés,
il ne restait plus qu'Armand, le plus jeune dont Mama So ne retrouvait pas la
trace.
Ils en sauraient plus sur
place.
Après plusieurs heures de
route, ils arrivèrent là où il avait déposé le petit groupe quelques jours plus
tôt. L’espace était déjà investi par des véhicules militaires et quelques
policiers.
— Bonjour Monsieur
Michaël, nous attendions votre arrivée. Le capitaine est dans la tente là-bas.
Michaël se rendit dans la
tente indiquée par le soldat et entra.
— Bonjour, mon capitaine
! Du nouveau ?
— Hélas ! Rien de plus
que ce que nous savions. Les deux hommes ont été hachés menus par plusieurs
rafales d'armes automatiques, au moins trois hommes. Ce qui nous a surpris,
c’est qu’ils n’ont pas pris le temps de fouiller le camp comme s’ils avaient
été surpris…
— Comment cela ?
— Nous avons retrouvé
l'ordinateur de mademoiselle Élodie et une partie de son matériel
photographique. Je ne suis pas un spécialiste, mais il y en a pour une petite
somme…
— Et vous avez trouvé
quelque chose ? Des indices ?
— Sur place, juste les
douilles de la fusillade et les traces de pas des assassins qui sont montés
vers le sommet là où Monsieur Franck et Mademoiselle Élodie ont été kidnappés.
Je crois que nous ne trouverons rien de plus… Hélas !
— Serait-ce des hommes du
Général N'Gopba ?
— Difficile à dire, ils
ont l'habitude de signer leur passage de manière plus sanglante et en Général,
ils pillent tout ce qu’ils peuvent.
— Des braconniers ? Des
contrebandiers ?
— Non plus, je vous le
dis, rien n’a été volé...
Ces révélations
laissaient Michael perplexe. Cet enlèvement lui semblait de plus en plus
mystérieux.
— Puis-je monter avec mes
hommes jusqu'au campement ? De plus c’est du matériel que je leur avais prêté,
j’aimerais le récupérer.
— Bien sûr, allez-y, je
vous l'ai dit, nous n'avons plus rien à tirer du campement.
— Et pour l'ordinateur et
le matériel de mon amie ?
— Hélas ! C’est une pièce
à conviction…
Michael ne se faisait pas
d'illusions, le capitaine le revendrait sûrement au marché noir. Mais s’il
voulait conserver de bonnes relations il devait se montrer conciliant.
En sortant de la tente,
le capitaine héla ses hommes et ils prirent la direction du campement. Il avait
emmené avec lui le meilleur pisteur du village et il lui avait demandé de lui
signaler tout ce qui lui semblerait suspect.
Là où il avait fallu
plusieurs heures de marche à Franck et Élodie qui s’étaient souvent arrêtés
pour prendre des photos, Ils ne mirent que deux heures.
— Alors Vivien, qu’as-tu
vu ?
— Rien de spécial Monsieur
Michael, mais il flotte dans l'air une odeur de très grande peur…
—J’ai l'impression que
plus nous nous approchons et plus cette odeur est forte… Mais je ne reconnais
pas l'animal qui a pu créer une telle panique.
Quelques minutes plus
tard, ils découvraient le camp. Les impacts de balles avaient déchiqueté les
feuilles et les branches près de l'endroit où les deux jeunes gens étaient
morts.
Les tentes avaient été
endommagées mais ils pourraient les utiliser. Les vivres et le matériel étaient
intacts, seul l'ordinateur et le matériel photo avaient disparu.
Il déplie la carte sur la
carte et il examina les points notés par Mama So. Il leur faudrait une heure
pour monter là où Franck avait été enlevé et une demi-heure de plus pour
atteindre le point de disparition d'Elodie.
Il était trop tard pour
faire cela ce soir. La nuit tombait vite dans ces régions.
— Monsieur Franck ! Venez
voir ! Vite !
La voix de Vivien
l'appelait à quelques dizaines de mètres du camp. Il arriva à petites foulées
et regarda au bout du doigt du pisteur.
— Regardez ces traces !
Il se pencha pour
regarder les empreintes au sol. La végétation était écrasée et cassé. Cela
ressemblait aux traces de pas d'un gros animal.
— On dirait un gros
lézard !
— Oui, Mais je n’en ai
jamais vu d'aussi gros. Il doit bien faire dans les deux cent cinquante kilos
si je me fie à leur profondeur. Et, je sais maintenant que l'animal que je
cherchais, c’est ce gros lézard.
Michael était toujours
impressionné par la capacité de Vivien à décrire avec précision les animaux
qu’il pistait. En général, Il ne se trompait pas de plus de cinq kilogrammes
dans l’estimation de la masse d’un animal.
— C’est la première fois
que je vois ce genre de traces et que je rencontre cet animal. Puis-je le
pister un peu ? demanda-t-il tout excité.
— Oui, mais ne t’éloigne
pas de trop, la nuit ne va pas tarder. Et on ne sait pas si cette bête est
dangereuse ou pas !
— Vous parlez au meilleur
pisteur de la forêt… Même par une nuit sans lune, je retrouverais le camp.
— File ! Lui lança-t-il
en souriant.
Avec les cinq autres
hommes, il nettoya le camp un peu bousculé par les militaires et les policiers
et installa une autre tente pour dormir. Il devait reconnaître que les fils de
James avaient fait du beau boulot pour aménager le campement.
Un des hommes qui se reposait
après la remise en état du campement, sursauta alors qu’il buvait sa bière.
— Que se passe-t-il ?
— On nous observe…
Aussitôt, les hommes se
baissèrent et attrapèrent leurs armes sans un bruit.
D’un signe de la main,
celui qui les avait alertés leur montra un mouvement suspect dans la
végétation. Michaël leur demanda par geste de baisser leurs armes et
d’attendre. Ils n’avaient aucune raison de tirer sur un animal et encore moins
sur Vivien qui pourrait revenir silencieusement.
L’origine de leur
méfiance apparut. Armand émergea en titubant de la forêt et s’effondra devant
eux. Aussitôt, ils se portèrent à son aide et l’installèrent sous une tente. Le
jeune homme était hagard, les yeux vides de toute expression. Michaël essayait
de lui parler mais il ne semblait pas comprendre.
Un seul mot sortait de sa
bouche, “joka”. Un mot qu’il répétait
à chaque question que Michaël lui posait.
— Il est possédé, dit un
des hommes.
— Possédé, Je ne sais
pas, mais il a été choqué… laissons-le se reposer.
Ils prirent leur repas
dehors en mangeant une antilope des forêts que l’un d’eux avait abattu. Ils
avaient laissé la tente où Armand était alité ouverte afin de pouvoir le
surveiller. Ils l’entendaient gémir et répéter ce mot “joka” régulièrement.
Michael se demandait si
Mama So n’avait pas raison en parlant du réveil du Grand Serpent. Il repensait
aux légendes que lui racontait sa grand-mère quand il était enfant. Des
légendes qu’elle tenait de sa grand-mère alors l’épouse du chef de la tribu des
hommes qui l’accompagnaient.
Il y avait très longtemps
bien avant que la mémoire des hommes ne fut gravée sur les pierres ou couchée
sur le papier, la cupidité d’un homme avait réveillé un grand serpent. Ce
monstre ravageait la région, il mangeait le bétail, il détruisait les récoltes
et surtout il tuait les hommes qui osaient le défier. Il n’avait pas besoin
d’armes, de dents ou de griffes. Son regard pétrifiait les hommes qui
devenaient fous et qui finissaient par mourir de peur.
La venue de la Déesse du
volcan avait permis de capturer ce grand serpent et de le renvoyer dans son
sommeil duquel il n’aurait jamais dû sortir.
Sa grand-mère lui avait
aussi dit que son ancêtre qui avait vaincu le grand serpent avait été acclamé
par la tribu qui en avait fait son chef. Depuis le culte de la déesse
salvatrice s’était imposé à la tribu qui la remerciait ainsi de son aide. Mais
dans l’ombre, des adorateurs du Grand Serpent sévissaient toujours. Ils
espéraient le retour du monstre qui leur promettait richesse et puissance.
Un cri d’Armand le sortit
de ses pensées.
— Joka inichukua, le
dragon m’emmène…
Il eut une dernière
convulsion et il retomba inerte sur le lit. Les yeux vitreux, son corps
flasque, le cœur avait cessé de battre. Le jeune homme venait de mourir.
L'un de ses amis lui
ferma les yeux et murmura la phrase rituelle de la tribu. "Il a rejoint la Déesse."
Les cinq hommes restèrent
immobiles à le veiller quelques minutes.
Ce fut à ce moment que
Vivien réapparut, excité et effrayé.
Ils retournèrent tous à
la table et en se restaurant, il leur raconta ce qu’il avait découvert. La
piste de l’animal lui avait permis de remonter pendant quelques kilomètres vers
le volcan. Mais pas dans la direction où Franck et Élodie avaient été enlevés,
plutôt vers les falaises et ses grottes sombres et labyrinthiques. Il avait
vu les carcasses d’animaux divers qui semblaient avoir été dévorés par une
mâchoire de crocodile. Il voulait se rapprocher plus près de la falaise, mais
quand il avait croisé les corps des tueurs des enfants de James, il avait pris
peur et il avait renoncé.
— Pourquoi, toi qui es le
plus intrépide de tous ?
— Oui, Monsieur Michael,
intrépide mais pas fou… je veux avoir une femme et des enfants…
Ses amis rirent autour de
la table ce qui fit descendre la tension d’un cran.
— Leur regard dans la
mort, Monsieur Michaël ! Leur regard… Ils ont vu le diable…
Vivien dont les parents
étaient devenus les membres d’une église évangélique ne croyait plus à la
Déesse protectrice de ses ancêtres mais à Dieu et au diable.
— Comme Armand, dit alors
celui qui avait fermé les yeux de son ami.
— Oui! Comme Armand. Que se passe-t-il Monsieur
Michael ?
— Je l’ignore pour le
moment, mais je compte bien le découvrir. Allons dormir, demain nous monterons
sur la colline pour découvrir ce qui s’est passé pour Franck et Élodie.
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