Alors
qu'il semblait toujours inconscient dans son lit, veillé par Günter, Florent
revivait son bref séjour chez la Dame. Il se souvenait de son premier réveil
là-bas.
Une
odeur de chocolat chaud lui chatouillait les narines. Il se redressa dans son
lit. Il découvrit la petite table recouverte de plats avec des fruits et des
viennoiseries. Il mit quelques secondes pour se remémorer ses dernières heures
et son arrivée dans ce lieu étrange avant de se lever.
Il
réalisa qu'il était nu. Il chercha ses vêtements, mais ne les trouva pas. Il ne
vit qu'une sorte de longue tunique et une ceinture de cuir déposés sur le
dossier du canapé. Il les enfila avant de s'approcher de la table. Il observa
le paysage depuis la fenêtre. Cette étrange luminosité bleuâtre était toujours
là malgré le soleil qui brillait dans un ciel d'un bleu sombre presque violet.
Au loin, des sommets enneigés scintillaient et se reflétaient dans le lac au
pied du château. Il était songeur. Pourquoi moi ?
Il
n'eut pas le temps d'y penser davantage. Stella entra dans la pièce pour
l'inviter à rejoindre la Dame dans la salle de réception.
Il
la découvrit debout, pensive, face à une tapisserie ancienne. Il toussota un
peu afin de lui faire remarquer sa présence.
—
Je vous avais entendu arriver ! lui dit-elle souriante en se tournant. Elle
était resplendissante comme la veille, vêtue d'une simple robe bleue nuit, un
diadème en argent lui retenait les cheveux.
—
Allez-vous me dire ce que vous attendez de moi ? J'ai beaucoup réfléchi cette
nuit, et je ne vois pas comment je pourrais influencer le destin du Monde…
—
Vous allez l'influencer c'est certain. Je vais vous montrer des choses que peu
de personnes ont vues, une connaissance inédite. Mais vous resterez libre de
décider à chaque instant quand vous serez de retour chez vous d'utiliser ou non,
ce savoir.
—
C'est une grande responsabilité que vous me donnez ?
—
Le poids de la connaissance est toujours un fardeau, mais vous êtes né pour
cela… Suivez-moi ! Je vais vous faire visiter.
Elle
le conduisit hors du manoir et le guida vers l'étendue d'eau qu'il apercevait
de sa chambre. Ils marchèrent tranquillement dans les allées de ce parc. Elle
semblait flotter dans l'air, les mouvements de ses pieds étaient invisibles
sous sa longue robe étincelante. Elle lui faisait découvrir son domaine.
Au
fil des jours, il en connut tous les recoins. Accompagné de Stella ou de
Viviane, il découvrait certains mystères du monde. Mais à chaque fois qu'il
voulait en savoir plus, elles lui répondaient qu'il devait attendre d'être
prêt.
—
Quand le serai-je ? demanda-t-il un jour à Stella.
—
Quand la Dame estimera que c'est le bon moment elle vous conduira au sanctuaire
et vous découvrirez ce que vous aurez à connaître.
Ce
matin-là, ce fut la Dame qui vint le chercher après sa collation matinale. Au
lieu de le guider dans le parc, elle se dirigea vers le lac qui se devinait
dans les brumes de la vallée.
Arrivés
sur la berge, elle l'invita à monter à bord d'une embarcation. Elle donna un
ordre bref et deux rameurs les conduisirent sur l'île. Ils furent accueillis
par une femme sans âge.
Il
regarda autour de lui, l'autre rive semblait perdue dans la brume pourtant le
soleil brillait dans un ciel sans nuages. Des oies, des grues, des colombes
volaient autour d'eux et au-dessus de ce qui semblait être un temple. La Dame
remarqua ses interrogations.
—
Nous venons de franchir un nouveau voile. Ici le temps ne se déroule pas comme
dans mon domaine et encore moins comme dans votre monde. Le passé et le futur
se confondent parfois.
—
À peine sa phrase finie, il vit surgir un homme vêtu d'une robe de bure, qui le
fixa les yeux hagards.
—
Je vous présente Frère Jacques Clément… il est arrivé ici il y quelques minutes
de notre temps, mais il vient de votre passé.
—
Comment cela ?
—
Il arrive du seizième siècle selon votre datation…
—
C'est le moine qui a assassiné Henri III ? dit-il incrédule.
—
Exactement, enfin pas encore puisqu'il est ici.
—
Mais pourquoi ? Il est un Appelé aussi ?
—
Oui, c'en est un, mais il faut qu'il se remette et qu'il accepte le rôle qu'il
doit avoir dans l'Histoire.
—
Vous allez en faire un tueur ?
Non,
il va être l'instrument du destin. Je vous ai dit que vous alliez découvrir un
savoir auquel peu de personnes ont accès. Il est temps que je vous conduise au
sanctuaire de la Fortune.
Il
regarda le moine hébété qui ne comprenait pas où il était arrivé.
—
Mes servantes vont le conduire au château pour qu'il reprenne ses esprits. Il
est arrivé directement ici, mais il n'est pas encore prêt pour l'expérience que
vous allez vivre.
Elle
ne dit plus rien et ils avancèrent lentement dans la brume qui devenait de plus
en plus épaisse, mais cela ne gênait pas leur progression. Il lui sembla
entendre des bruits de voix, des échos de batailles, des cris de joie ou des
larmes de douleurs. Sans que rien ne le laissât présager, l'air se dégagea et
le temple se dévoila intégralement devant ses yeux.
—
Vous devez entrer seul, je ne peux pas vous suivre.
—
Pourquoi ?
—
Une barrière invisible m'empêche de rentrer. Pourquoi ? Je l'ignore ! Seuls les
êtres Appelés peuvent la franchir. Je serai là à votre retour pour vous guider
vers le destin que vous aurez choisi… Rappelez-vous ! Vous êtes maître de votre
avenir, c'est à vous de choisir en votre âme et conscience.
Florent
franchit le seuil du bâtiment. Il était perturbé par la perspective qui
s'offrait à lui. Alors qu'il avançait dans la nef centrale, il eut l'impression
que l'autre extrémité s'éloignait de lui et à ses côtés, il découvrit d'autres
Appelés. Chacun devait venir de lieux et d'époques différents, même si tous
portaient la même tunique que lui. Leurs couleurs de peau, leurs coupes de
cheveux et divers détails indiquaient les différences culturelles. Il fut
assourdi par le silence qui régnait dans ce lieu alors qu'à droite comme à
gauche, les nefs se multipliaient à l'infini. Combien sommes-nous ? Une voix
intérieure l'invita à progresser, à s'imprégner de l'atmosphère, à se détendre,
à accepter l'incompréhensibilité de ce qu'il ressentait. Un pas. Puis un autre.
Et ainsi de suite… Ne pas chercher à communiquer avec ses voisins qui sont dans
le même état d'hébétude. Avancer. Toujours avancer.
Il
ne saurait dire combien de temps il marcha. À chaque pas vers ce qui semblait
être la sortie, des images lui traversaient l'esprit. Des visions confuses puis
de plus en plus nettes. L'histoire du monde se projetait devant lui. Tous les
passés, tous les présents, tous les futurs. S'il déviait de sa trajectoire, il
pouvait suivre une autre histoire. Il revivait l'apparition de l'homme, la
découverte du feu, la domestication des premiers animaux, les débuts de
l'agriculture, les premières civilisations. Il souffrait avec les catastrophes,
les guerres, les épidémies. Il exultait avec les naissances, les fêtes.
Il
vit l'assassinat de César, l'avènement de Gengis Khan, il sut la vérité sur la
mort de Kennedy.
Il
réalisa que s'il continuait à avancer, il allait découvrir le futur ou plutôt
les futurs à venir. Il hésita un peu et la voix se fit rassurante "Ce
qui est passé est passé… Ce qui est futur n'est pas encore arrivé." Il
progressa d'un pas, aussitôt il se sentit agressé par une multitude d'images.
Il tâtonna dans les futurs possibles. Il chercha à comprendre son rôle.
Soudain,
il comprit comment les images qui lui parvenaient. Il comprit aussi pourquoi il
avait été appelé et ce qu'il devrait faire le jour venu. Effectivement, il
s'agirait d'une action anodine, mais qui aura des répercussions. Le battement d'aile d'un papillon peut
provoquer un ouragan à l'autre bout du monde. Il prit conscience de la
vérité de cette phrase. Ce qu'il devrait faire provoquera une tornade, mais
s'il ne le faisait pas, ce qui adviendrait serait encore plus violent que le
plus puissant des cyclones.
Il
réalisa alors qu'il avait traversé la nef. La Dame lui faisait face, souriante.
—
Vous avez compris votre rôle ?
—
Oui Ma Dame ! Et en disant ces mots, il s'effondra sur le sol.
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