samedi 27 juin 2020

Le Voyage de Noces -09- La Déesse


Élodie ignorait depuis combien de jours ils étaient dans cette grotte. Ses seuls repères temporels étaient les repas et les moments où le Général venait la chercher pour son plaisir. Cependant, depuis leur arrivée dans ce qui semblait être leur sanctuaire, il était moins brutal. Il lui permettait même de se déplacer librement dans la caverne à condition qu’un gardien restât avec elle.
Un soir pendant qu’il récupérait après l’avoir utilisée, il lui avait même confié que les hommes partis à leur poursuite avaient renoncé. Le Grand Serpent les protégeait, disait-il.
Elle se demandait ce que pouvait être ce Grand Serpent dont ils parlaient tous, une divinité, un animal mythique ? Ketia refusait d'aborder ce sujet et faisait un signe comme pour conjurer une malédiction à chaque fois que ce mot était prononcé. A la différence du Général, elle lui répétait sans cesse que la Déesse les sauverait en marmonnant des prières.
Depuis qu’ils avaient arrêté de fuir devant leurs poursuivant, l’état de Franck s’améliorait doucement, sa blessure cicatrisait lentement mais la fièvre ne baissait pas. Le Général avait beau lui avoir promis de lui donner des médicaments, pour le moment elle ne pouvait le soulager qu’avec une décoction de plantes que l’un des hommes plus ou moins guérisseur lui préparait. Elle sait bien que cela ne serait pas suffisant et que sans antibiotiques, il ne guérirait pas rapidement.
Elle avait beau supplier le Général d’envoyer quelques hommes en chercher, elle avait même accepté de lui des choses qu’elle refusait de faire avec Franck, celui-ci n’avait rien fait.
— Personne ne sortira d’ici tant que le Grand Serpent ne nous aura pas ouvert le chemin, finit-il par lui dire
— Mais c’est une chimère… Cette créature n’existe pas, osa-t-elle lui répondre.
Il lui donna une gifle magistrale qui l’envoya rouler contre le mur de sa chambre.
— Sors de la caverne et tu vas voir si c’est une légende…
Trop choquée pour répliquer, elle préféra se taire et ne protesta pas quand il la tira par les cheveux pour la remettre sur le lit et la violer une nouvelle fois.
Lorsqu’au matin, elle regagna son alcôve, elle remarqua sur une des parois des gravures qui luisaient légèrement. Elle s’en approcha et constata qu’elles représentaient une scène où une femme et un reptile se faisaient face. Elle se demandait comment elle n’avait pas pu la remarquer plus tôt. Elle profita du fait que les soldats étaient encore endormis et que les gardes étaient postés près de l’entrée de la caverne pour suivre ce qui faisait comme une bande dessinée le long de ce couloir qui s’enfonçait sous la montagne.
La faible phosphorescence émise par les algues qui recouvraient la roche lui permettait d’avancer sans trébucher et sans avoir besoin de lumière. Les scènes gravées racontaient la légende du Grand Serpent et de la Déesse.
Elle comprit alors les réactions du Général et de Ketia et la révérence qu’ils avaient lorsqu’ils prononçaient leur nom. Ces deux divinités s’affrontaient depuis la nuit des temps selon ce qu’elle comprenait des scènes gravées et surtout elles cherchaient à s’imposer aux habitants de la région. L’équilibre entre le bien et le mal était toujours précaire et une victoire de la Déesse était toujours suivie d’une revanche du Grand Serpent.
Pendant qu’elle contemplait la paroi sculptée, elle n’avait pas entendu l’approche sournoise d’un soudard du Général qui comptait bien lui aussi profiter de cette femme que son chef s’était réservée. Depuis qu’Elodie avait obtenu que Ketia ne fut plus livrée aux hommes pour satisfaire leurs bas instincts, ceux-ci la regardaient d’un air mauvais.
Il lui sauta dessus et rapidement la bâillonna et lui arracha ses vêtements. Elle avait beau se débattre, il était beaucoup plus fort qu’elle. Elle se résista et tenta de crier en espérant que les bruits de lutte allaient attirer les autres.
Alors qu’il venait de l’immobiliser au sol et qu’il commençait à se frotter contre elle, elle aperçut une ombre dans le dos de son agresseur. Ketia était là, debout derrière lui. Elle tenait une pierre dans ses mains au-dessus de sa tête et d’un geste rageur, elle l’abattit sur le crâne de l’homme.
Élodie ferma les yeux et se retrouva éclaboussée de sang. L’homme s’affala sur elle. Avec l’aide de son amie, elle se dégagea.
— Merci ! lui dit-elle en se jetant dans ses bras. Si tu savais ce que j’ai vécu cette nuit encore…
— Je sais Élodie, je t’ai entendue quand tu étais avec le Général. Mais maintenant, nous sommes sous la protection de la Déesse. Nous sommes dans son temple et plus personne ne pourra nous faire de mal… Regarde ta pierre !
Le pendentif luisait, plus brillant que jamais. Elle le prit entre ses doigts et mue par une volonté dépassant la sienne, elle l’approcha d’une chouette gravée dans la pierre.
Un grondement se fit entendre, le sol commença alors à trembler. Les deux jeunes femmes affolées se serrèrent dans les bras l’une de l’autre pour éviter les cailloux qui commencent à tomber du plafond de la grotte.
Elles furent alors enveloppées par une nuée bleue, prise dans un silence absolu tandis qu’elles purent voir la grotte s’effondrer autour de la sphère qui les protège. Le couloir où elles se trouvaient, fut bouché par des amas de roches. Il leur était impossible de savoir ce qu’il était advenu de l’espace où elles avaient vécu ces derniers jours.
La sphère devint de plus en plus lumineuse et elles furent obligées de fermer les yeux pour ne pas être aveuglées par la lumière.
Quand elles les ouvrirent au bout de plusieurs minutes, elles ne reconnurent pas l’endroit où elles se trouvaient. Elles étaient entourées par une immense prairie au pied de collines verdoyantes et au loin un bâtiment d’un blanc étincelant attira leurs regards. Elles restèrent muettes, et elles virent une sorte de procession s’approcher dans leur direction. Des hommes et des femmes vêtues de toges, encadrés par des soldats avec des lances, précédaient un chariot tiré par quatre chevaux.
Elles ne bougeaient pas effrayées mais intriguées. La procession s’ouvrit et elles virent une femme d’une grande prestance sortir du chariot et se diriger vers elles.
— Bienvenues dans mon domaine, je vous attendais…
Ketia tomba à genou et se prosterna devant celle qu’elle appelait la Grande Déesse, elle répétait en boucle les prières et les invocations qu’Élodie lui entendait réciter depuis des jours.
Élodie la regardait mais rapidement, elle ne put plus soutenir l’intensité de son regard et baissa les yeux. Elle savait que cette femme ne pouvait pas être une femme ordinaire. Tout dans son attitude et son port altier montrait une certaine majesté. Elle ne pouvait cependant pas admettre qu’elle se trouvait face à une des grandes déesses de l’Olympe, son esprit s’y refusait même si elle avait reconnu les attributs d’Athéna.
— N’ayez pas peur, je ne suis pas venue pour vous faire du mal mais pour vous sauver et vous protéger. Je sais ce que vous avez vécu dans cette grotte et avant…
— Comment cela ? questionna Élodie, troublée par le regard bienveillant de la déesse.
— Le pendentif que Mama So t’a donné, m’a permis de savoir tout ce que tu faisais. Dès que tu l’as passé autour de ton cou, j’ai su qui tu étais et ce que tu vivais. Et quand Ketia te disait que je vous protégeais, c’était une réalité. Malheureusement, je ne pouvais pas intervenir directement… Tu étais trop loin d’un pont entre nos mondes...
Élodie écoutait cette femme et plus elle parlait, plus les questions se bousculaient dans sa tête. Ketia était à genou prosternée devant sa Déesse, elle en était tétanisée. Il fallut que l'une des suivantes d'Athéna la fît se relever pour qu'elle acceptât de lever les yeux et de les suivre en direction du sanctuaire.
Quand Élodie voulut parler, la déesse leva la main et lui dit d'attendre. Elle répondrait à toutes ses questions et bien plus encore mais devant une table où elles pourraient retrouver des forces après les souffrances passées. Elle leur répéta qu'elles ne craignaient plus rien et qu’elles étaient en sécurité.
Un peu plus tard, Élodie écoutait Athéna lui raconter l'histoire du monde depuis sa naissance. Comment ses grands-parents, les premiers des veilleurs étaient nés dans une grotte au pied du mont Olympe. Elle lui parla de ses parents et des autres veilleurs qui avaient pour mission de guider et de protéger l'humanité, mais aussi des limites de leurs actions.
Ketia n'osait pas intervenir. Elle était trop impressionnée par l'aura de la déesse. Elle suivait la conversation entre les deux femmes tout en dégustant les mets que les suivantes avaient déposés sur la table avant leur arrivée. Voyant son trouble, Athéna l'interpella.
— Ketia ! Je sais que tu as toujours eu foi en moi. Veux-tu rester avec moi ?
La jeune femme ne sut que répondre. Depuis qu’elle était enfant, sa mère lui parlait de la Déesse et de sa grande sagesse. Avant que les missionnaires n'eurent convaincu sa tribu que la Déesse était une légende, les femmes de sa famille étaient ses prêtresses et étaient honorées comme telles. Lorsque les hommes du Général pillèrent son village, c’est le Général qui avait interdit qu'on la tua en tant que prêtresse de la Déesse. Il avait peur de Sa vengeance et de Son courroux. Cependant, Ketia ne savait pas si c’était une chance ou une malédiction. Pendant de longues semaines, elle avait servi d'objet récréatif aux soldats.
— J'en serai honorée mais je ne suis pas digne d'un tel honneur.
Athéna la regardait avec tendresse.
— Ta mère, ta grand-mère et toutes tes ancêtres avant elles m'ont honorée et servie. Tu mérites d'être récompensée car malgré tes épreuves tu as cru en moi.
Katie s'incline profondément et se releva lorsqu'une suivante du nom de Sophia l'invita à la suivre.
— Élodie, je ne te propose pas de me servir car tu as un rôle bien différent à jouer…
— Lequel ?
— Tu le découvriras quand tu seras rentrée dans ton monde… Mais je te rassure, ce bébé que tu portes en ton sein n'est pas de ce porc immonde qui n'eut de cesse de te violer ces dernier jours…
— Mais ! Je ne suis pas enceinte...
— En es-tu sûre ? N'as-tu pas remarqué des choses troublantes en toi…
— Je ne saurais pas répondre, avec ce que j’ai vécu depuis mon enlèvement tant de choses se sont passées.
La Déesse sourit en voyant le geste réflexe de la jeune femme dont les mains se portèrent sur son ventre.
— Oui. C'est le bébé de Franck que tu portes en toi…
Élodie baissa la tête et commença à pleurer à la mention de son mari qui était resté dans la grotte.
Athéna se leva et posa ses mains sur ses épaules.
— Tu ne pouvais pas le sauver et même ici, je n'aurais rien pu faire pour lui. Son corps était trop affaibli pour survivre. Si cela peut te consoler, il est mort dans son sommeil peu après que vous ayez franchi le portail. Il est parti avec le souvenir de ton sourire au-dessus de son visage…
Elodie releva la tête en esquissant un petit sourire. Certes les mots de la Déesse se voulaient réconfortants mais personne ne pourrait remplacer son premier véritable amour.
Pour tromper son chagrin, elle attrapa dans une coupe un fruit dont la chair bleue était absolument délicieuse. Elle mord à pleines dents dans ce fruit dont elle ignore le nom mais qui est si succulent.
— Mange ! Élodie ! Mange pour trouver les forces de vivre et d’oublier ton passé.
Athéna connaissait les effets de ces fruits sur les humains. C’était pour cela qu'elle n'empêche pas la jeune femme d'en manger. Affamée par les privations subies pendant qu’elle était prisonnière du Général, Élodie reprit plusieurs fois de ce fruit au point que la déesse dut lui dire d’arrêter. Elle savait que si elle en consommait une trop grande quantité, la jeune femme et surtout son enfant risquaient de ne pas y survivre.
Quand elle vit Élodie commencer à piquer du nez, elle fit signe à deux de ses servantes de venir l’aider à rejoindre la chambre qui l'attendait. Les effets du fruit du Léthé n'allaient pas tarder à se manifester. La jeune femme se laissa emporter sans résistance.
— A mon tour d'agir ! J'ai sauvé celles qui devaient être sauvées. Maintenant, le moment est venu pour que j’intervienne.

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