Dans le soleil couchant, le petit bimoteur
survolait la savane à la recherche de la piste de cet aérodrome de brousse.
L'avion n'était pas équipé pour le vol aux instruments donc le pilote devait
impérativement se poser avant la nuit. Il repéra enfin le petit bâtiment de
tôle faisant office d'aérodrome et de poste de contrôle et posa son appareil
avec autant de douceur possible sur cette piste herbeuse, tout juste balisée
par quelques tas de pierres.
Une fois les moteurs coupés, un homme immense
vêtu d'un vieil uniforme déteint s'approcha de l'appareil afin de contrôler les
papiers des nouveaux arrivants. Il voyait la porte s'ouvrir, deux hommes blancs
en descendirent et se dirigèrent vers lui.
— Votre passeport et votre visa, Messieurs !
demanda le militaire en tendant la main vers eux.
Sans un mot, le plus petit et le plus frêle
des deux sortit une arme et l'abattit sans aucune émotion.
— Pourquoi ? interrogea l'autre
laconiquement.
— Je ne veux pas que l'on puisse savoir par où
nous sommes passés.
— Un billet aurait été moins violent !
—Peut-être, mais il se serait souvenu de deux
blancs qui se sont posés un soir. A ma manière, on est sûr qu'il ne parlera
plus. Je te rappelle que nous sommes dans une région où le seul droit qui règne
est la loi du plus fort. Aide-moi plutôt à cacher ce corps !
Tirant péniblement le lourd cadavre du garde
de l'aérodrome, il le hissa péniblement dans l'avion, avant de refermer la
porte.
— Ça va empester quand nous allons revenir, se
plaignit l'autre en soupirant.
— Qui t'a dit que nous allions repartir par
avion ? Ce terrain est grillé, tout le monde nous a entendu arriver à
plusieurs kilomètres à la ronde.
Prenant leur sac à dos, ils s'éloignèrent de
la piste et une fois à bonne distance, le tueur lança une grenade sur le petit
appareil qui s'embrasa immédiatement.
— Filons vite, ce feu d'artifice va attirer du
monde.
Pressant le pas, les deux hommes s'enfoncèrent
dans les broussailles entourant le terrain et disparurent dans le crépuscule alors
que des bruits de moteurs se faisaient entendre au loin. Sans se retourner, ils
marchaient rapidement, le plus jeune harcelant son compagnon qui traînait
plusieurs mètres derrière lui.
— Dépêche-toi on ne va pas y passer la nuit,
il nous faut atteindre les collines avant le lever du jour, nous serons à
l'abri de la forêt.
Ils pressèrent le pas et au bout de plusieurs
heures dans la nuit, juste éclairés par le clair de Lune, ils arrivèrent à la
lisière de la forêt. Harassés par la marche rapide, ils s'accordèrent quelques
minutes de pause et consultèrent la carte sur leur tablette.
— Tu es sûr que cette tablette ne va pas nous
faire repérer ?
— Ne t'inquiète pas, elle n'est pas connectée
au réseau, elle peut juste servir de récepteur.
Tout en grignotant quelques barres
énergétiques, il analysa rapidement le terrain qu'ils allaient devoir traverser
jusqu’à leur objectif, un village perdu au milieu de la forêt au fond d'une
vallée encaissée dont la seule route d'accès devait être étroitement
surveillée.
— Je pense que nous y serons demain dans la
soirée, si la traversée de ces bois ne nous réserve pas de mauvaise surprise.
Car avec ce couvert végétal, les images satellites ne montrent pas bien la
configuration du terrain et on va surtout avoir cette rivière à franchir en
restant discret.
— Oui je le pense aussi mais nous allons aussi
devoir compter avec la météo. C'est la saison des pluies et je pense que le
ciel ne va pas forcément nous aider, ajouta l'homme trapu au moment ou un
éclair zébra le ciel au-dessus de la canopée.
Les premières gouttes de cet orage tropical
commencèrent à tomber et il rangea rapidement sa tablette dans le sac à dos
imperméabilisé avant le départ.
— Je pense que nous allons devoir attendre la
fin de cette averse car marcher de nuit dans ces conditions risque d'être
délicat.
— Au contraire, nous devrions en profiter. Les
indigènes vont rester à l'abri et avec nos boussoles GPS, nous savons dans
quelle direction marcher. N'oublie pas que plus vite nous aurons accompli notre
mission plus vite nous serons rentrés et je crois que tu es attendu au pays.
Marchant avec prudence sur le sol détrempé et
glissant dans une quasi-obscurité malgré leurs lunettes de vision nocturne, ils
progressaient lentement sous les frondaisons. Ils n'entendaient que la pluie et
du tonnerre, même les animaux sauvages s'étaient abrités. Sans un mot, évitant
les pièges de la forêt, ils approchèrent sûrement de leur but. La pluie finit
par cesser et la jungle se remit à vivre. Epuisés par leur marche, ils décidèrent
de s'arrêter pour se reposer avant que le jour ne se leva. Ils trouvèrent un
abri au pied d'une falaise et s'emmitouflèrent dans une couverture. Ils
s'installèrent sous le surplomb rocheux et après avoir décidé des tours de
garde, le plus jeune s'endormit rapidement tandis que son compagnon surveillait
avec attention les bruits et les mouvements autour de leur bivouac.
Soudain un bruit de mouvement le fit
sursauter. Il se redressa silencieusement afin de voir au-delà des fourrés dans
lesquels ils s'étaient dissimulés et aperçut un spectacle auquel il ne
s'attendait pas. Un énorme rhinocéros noir, une femelle certainement, suivie
par un petit, s'approchait d'eux. Hypnotisé par cette apparition, il restait
immobile et ne voyait pas les ombres qui se déplaçaient rapidement de l'autre
côté de l'animal.
Une rafale d'arme automatique retentit et en
même temps que le majestueux animal s'effondra. Le dormeur sursauta dans son
sommeil et se leva d'un bond. Revenant de sa surprise, le guetteur posa sa main
sur l'épaule de son compagnon et le força à se baisser.
Taisant leur colère sur l'acte ignoble dont
ils venaient être témoins, ils regardaient les braconniers découper la corne de
l'animal et l'un d'eux découvrant le bébé rhinocéros à quelques mètres, ajusta
son arme et lâcha une nouvelle rafale. Avant de partir, ces hommes truffèrent
la carcasse de l'animal de pièges mortels au cas où des rangers la
découvriraient et voudraient chercher des indices.
Serrant ses poings, le jeune homme ravala sa
rage et repéra le chemin par lequel ces hommes s'éloignaient.
— On ne peut rien faire pour le moment, tu
dois te reposer, mais je te garantis que cet acte ne restera pas impuni.
Maintenant, nous sommes sûrs que les braconniers sévissent bien dans cette
région isolée. Ils ne se cachent même plus et agissent en plein jour. Nous
devons leur montrer qu'ils ne sont plus, eux non plus en sécurité.
— Comment comptes-tu le leur faire savoir ?
— Si mes informations sont exactes, je sais
qui nous allons retrouver dans ce village et surtout, je leur réserve une
surprise de mon cru.
— Nous devrons arriver par l'arrière du
village, afin de les surprendre.
— Oui ! A pied en faisant attention, on doit
pouvoir descendre de la crête discrètement et pouvoir nous approcher de la
grande maison sans être repérés. Mais repose-toi, je vais faire le guet même si
je pense que personne ne viendra par ici maintenant.
Tandis que son compagnon s'installait, le
jeune homme se leva et arpenta les environs sans faire de bruit. Il s'approcha
des carcasses des animaux et contournant prudemment la mère dont le cadavre
avait été piégé, il examina attentivement le petit. Il ne devait pas avoir
encore deux ans. Encore une fois la bêtise et la cupidité humaine mettaient en
péril la survie d'une espèce. Tout en surveillant la forêt, il réfléchissait à
la meilleure manière de mettre hors d'état de nuire ce groupe de trafiquants.
Il savait aussi que ce ne serait pas sans danger même si pour le moment tout se
passait presque comme prévu.
Après quelques heures, son compagnon se
réveilla et afin d'être prêts à affronter les imprévus, ils se préparaient
consciencieusement et effacèrent toutes les traces de leur passage.
Silencieusement, ils se glissèrent entre les
arbres et arrivèrent enfin en vue du village. Comme ils s'y attendaient, tous
les gardes étaient postés le long de la route d'accès et sûrs de leur position,
aucun ne se trouvait de l'autre côté. En rampant, ils se retrouvèrent juste
sous leur objectif et ils glissèrent un œil dans la pièce principale de la
maison où plusieurs dizaines de personnes étaient attablées. Ils se reculèrent
aussitôt et s'éloignèrent dans la forêt pour réfléchir à ce qu'ils vont faire.
— Tu as vu le chef de la bande ?
— Oui, j'ai eu l'impression de revoir la scène
de Star-Wars avec Jabba dans son antre entouré de ses esclaves. Ce chinois est
vraiment repoussant, je n'ai jamais vu un homme aussi gros. Mais j'ai surtout
vu les barbouzes qui l'entourent, ils sont armés jusqu'aux dents, cela ne va
pas être facile de repartir.
— Le stock d'ivoire se trouve dans le bâtiment
à côté. Va déposer les charges comme nous l'avons décidé, moi je me charge de
la maison.
Les deux hommes se séparèrent et chacun se
glissa sous les bâtiments afin de déposer les charges explosives et
incendiaires au niveau des piliers de bois qui permettaient au plancher de ne
pas être au niveau du sol. Au bout de quelques minutes, ils se retrouvèrent à
nouveau hors du village.
— Le feu d'artifice va commencer. J'ai repéré
un 4x4 pas loin de la sortie du village. Avec la panique, il ne devrait plus y
avoir de garde.
Il regarda sa montre et au moment prévu, une
série d'explosions secoua le village. Aussitôt tous les trafiquants se mirent à
courir dans tous les sens, s'éloignant des maisons, se dispersant dans la
forêt. Des explosions éparses continuaient de se produire de manière aléatoire
dans le village.
Pendant ce temps, les deux hommes
s'approchaient de leur moyen de transport pour quitter le pays. Ils
progressaient courbés quand ils tombèrent nez à nez avec l'homme qui avait abattu
le rhinocéros. Sans hésiter ce coup-ci, le vieux l'abattit d'un coup de
revolver. L'homme s'effondra surpris devant eux et leur libéra ainsi l'accès au
véhicule.
Sans hésiter, ils montèrent dans la voiture
dont par chance, les clés étaient restées sur le contact. Au moment de tourner
la clé, ils entendirent une clameur derrière eux.
— Sun-Tsé est mort !
Un sourire éclaira le visage du jeune homme.
— Je m'étais promis de me venger,
murmura-t-il.
Son compère démarra le tout-terrain et ils
s'enfuirent en trombe du village.
Le mot "THE END" s'afficha sur
l'écran et Elodie regarda son compagnon le regard énamouré.
— La fin est un peu bizarre, tu ne trouves pas
?
— C'est souvent le cas avec ce réalisateur. Il
laisse toujours la possibilité d'une suite.
— Bah ! Pas grave ! En tout cas, moi je
connais la suite que je vais donner à cette soirée, lui dit-elle, souriante. Tu
as intérêt à être à la hauteur du héros de ce film.
Elle lui prit la main et ils sortirent du
cinéma.
— Nous allons avoir un vrai Noël blanc cette
année. Remarque-t-il alors que la neige recommence à tomber dans la nuit de
l'hiver.
— Oui ! Et en parlant de Noël, ta sœur nous a
invités pour le réveillon.
— Je vais devoir me farcir mon beau-frère et
ses airs suffisants. Il ne s'est pas arrangé depuis qu'il a décroché ce poste
de responsable commercial dans sa boîte. Je ne sais pas comment ma sœur fait
pour le supporter. Heureusement qu'il y a ma petite nièce sinon ces repas
seraient vite insupportables. Mais je suppose que nous ne pouvons pas faire
autrement qu'y aller.
— Il suffira d'éviter de le brancher sur ses
sujets de prédilections.
Arrivant à leur voiture, ils prirent la
direction de leur appartement. Ils se garèrent dans le garage souterrain et
entrèrent dans l'ascenseur. Une fois isolés du reste du monde, il prit Elodie
dans ses bras et l'embrassa tendrement comme aux premiers jours de leur
rencontre.
Enlacés, ils pénétrèrent dans l'appartement et
achevèrent leur câlin sur le canapé, toujours aussi fougueux, le temps n'ayant
apparemment pas eu de prise sur leur amour.
Quelques heures plus tard, Elodie en tenue
décontractée dans la cuisine préparait le repas. Occupée à nettoyer une salade,
elle ne remarqua pas l'arrivée furtive de son amoureux derrière elle. Il vint
de nouveau l'enlacer et lui murmura un "Je t'aime" dans l'oreille en
lui glissant une petite boîte sous les yeux.
— Qu'est-ce ?
— Ouvre et tu verras !
Fébrile, Elodie dénoua le petit lien qui
entourait la boîte et l'ouvrit. Elle le regarda en rougissant, les yeux embués
de larmes.
— Veux-tu m'épouser ? Demanda-t-il avec un
grand sourire.
— Bien sûr que je le veux. Depuis le temps que
j'attendais que tu me le demandes.
Elle lui sauta au cou et elle l'étouffa de
baisers.
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