vendredi 19 juin 2020

Le Voyage de Noces -01- La Demande


Dans le soleil couchant, le petit bimoteur survolait la savane à la recherche de la piste de cet aérodrome de brousse. L'avion n'était pas équipé pour le vol aux instruments donc le pilote devait impérativement se poser avant la nuit. Il repéra enfin le petit bâtiment de tôle faisant office d'aérodrome et de poste de contrôle et posa son appareil avec autant de douceur possible sur cette piste herbeuse, tout juste balisée par quelques tas de pierres.
Une fois les moteurs coupés, un homme immense vêtu d'un vieil uniforme déteint s'approcha de l'appareil afin de contrôler les papiers des nouveaux arrivants. Il voyait la porte s'ouvrir, deux hommes blancs en descendirent et se dirigèrent vers lui.
— Votre passeport et votre visa, Messieurs ! demanda le militaire en tendant la main vers eux.
Sans un mot, le plus petit et le plus frêle des deux sortit une arme et l'abattit sans aucune émotion.
— Pourquoi ? interrogea l'autre laconiquement.
— Je ne veux pas que l'on puisse savoir par où nous sommes passés.
— Un billet aurait été moins violent !
—Peut-être, mais il se serait souvenu de deux blancs qui se sont posés un soir. A ma manière, on est sûr qu'il ne parlera plus. Je te rappelle que nous sommes dans une région où le seul droit qui règne est la loi du plus fort. Aide-moi plutôt à cacher ce corps !
Tirant péniblement le lourd cadavre du garde de l'aérodrome, il le hissa péniblement dans l'avion, avant de refermer la porte.
— Ça va empester quand nous allons revenir, se plaignit l'autre en soupirant.
— Qui t'a dit que nous allions repartir par avion ? Ce terrain est grillé, tout le monde nous a entendu arriver à plusieurs kilomètres à la ronde.
Prenant leur sac à dos, ils s'éloignèrent de la piste et une fois à bonne distance, le tueur lança une grenade sur le petit appareil qui s'embrasa immédiatement.
— Filons vite, ce feu d'artifice va attirer du monde.
Pressant le pas, les deux hommes s'enfoncèrent dans les broussailles entourant le terrain et disparurent dans le crépuscule alors que des bruits de moteurs se faisaient entendre au loin. Sans se retourner, ils marchaient rapidement, le plus jeune harcelant son compagnon qui traînait plusieurs mètres derrière lui.
— Dépêche-toi on ne va pas y passer la nuit, il nous faut atteindre les collines avant le lever du jour, nous serons à l'abri de la forêt.
Ils pressèrent le pas et au bout de plusieurs heures dans la nuit, juste éclairés par le clair de Lune, ils arrivèrent à la lisière de la forêt. Harassés par la marche rapide, ils s'accordèrent quelques minutes de pause et consultèrent la carte sur leur tablette.
— Tu es sûr que cette tablette ne va pas nous faire repérer ?
— Ne t'inquiète pas, elle n'est pas connectée au réseau, elle peut juste servir de récepteur.
Tout en grignotant quelques barres énergétiques, il analysa rapidement le terrain qu'ils allaient devoir traverser jusqu’à leur objectif, un village perdu au milieu de la forêt au fond d'une vallée encaissée dont la seule route d'accès devait être étroitement surveillée.
— Je pense que nous y serons demain dans la soirée, si la traversée de ces bois ne nous réserve pas de mauvaise surprise. Car avec ce couvert végétal, les images satellites ne montrent pas bien la configuration du terrain et on va surtout avoir cette rivière à franchir en restant discret.
— Oui je le pense aussi mais nous allons aussi devoir compter avec la météo. C'est la saison des pluies et je pense que le ciel ne va pas forcément nous aider, ajouta l'homme trapu au moment ou un éclair zébra le ciel au-dessus de la canopée.
Les premières gouttes de cet orage tropical commencèrent à tomber et il rangea rapidement sa tablette dans le sac à dos imperméabilisé avant le départ.
— Je pense que nous allons devoir attendre la fin de cette averse car marcher de nuit dans ces conditions risque d'être délicat.
— Au contraire, nous devrions en profiter. Les indigènes vont rester à l'abri et avec nos boussoles GPS, nous savons dans quelle direction marcher. N'oublie pas que plus vite nous aurons accompli notre mission plus vite nous serons rentrés et je crois que tu es attendu au pays.
Marchant avec prudence sur le sol détrempé et glissant dans une quasi-obscurité malgré leurs lunettes de vision nocturne, ils progressaient lentement sous les frondaisons. Ils n'entendaient que la pluie et du tonnerre, même les animaux sauvages s'étaient abrités. Sans un mot, évitant les pièges de la forêt, ils approchèrent sûrement de leur but. La pluie finit par cesser et la jungle se remit à vivre. Epuisés par leur marche, ils décidèrent de s'arrêter pour se reposer avant que le jour ne se leva. Ils trouvèrent un abri au pied d'une falaise et s'emmitouflèrent dans une couverture. Ils s'installèrent sous le surplomb rocheux et après avoir décidé des tours de garde, le plus jeune s'endormit rapidement tandis que son compagnon surveillait avec attention les bruits et les mouvements autour de leur bivouac.
Soudain un bruit de mouvement le fit sursauter. Il se redressa silencieusement afin de voir au-delà des fourrés dans lesquels ils s'étaient dissimulés et aperçut un spectacle auquel il ne s'attendait pas. Un énorme rhinocéros noir, une femelle certainement, suivie par un petit, s'approchait d'eux. Hypnotisé par cette apparition, il restait immobile et ne voyait pas les ombres qui se déplaçaient rapidement de l'autre côté de l'animal.
Une rafale d'arme automatique retentit et en même temps que le majestueux animal s'effondra. Le dormeur sursauta dans son sommeil et se leva d'un bond. Revenant de sa surprise, le guetteur posa sa main sur l'épaule de son compagnon et le força à se baisser.
Taisant leur colère sur l'acte ignoble dont ils venaient être témoins, ils regardaient les braconniers découper la corne de l'animal et l'un d'eux découvrant le bébé rhinocéros à quelques mètres, ajusta son arme et lâcha une nouvelle rafale. Avant de partir, ces hommes truffèrent la carcasse de l'animal de pièges mortels au cas où des rangers la découvriraient et voudraient chercher des indices.
Serrant ses poings, le jeune homme ravala sa rage et repéra le chemin par lequel ces hommes s'éloignaient.
— On ne peut rien faire pour le moment, tu dois te reposer, mais je te garantis que cet acte ne restera pas impuni. Maintenant, nous sommes sûrs que les braconniers sévissent bien dans cette région isolée. Ils ne se cachent même plus et agissent en plein jour. Nous devons leur montrer qu'ils ne sont plus, eux non plus en sécurité.
— Comment comptes-tu le leur faire savoir ?
— Si mes informations sont exactes, je sais qui nous allons retrouver dans ce village et surtout, je leur réserve une surprise de mon cru.
— Nous devrons arriver par l'arrière du village, afin de les surprendre.
— Oui ! A pied en faisant attention, on doit pouvoir descendre de la crête discrètement et pouvoir nous approcher de la grande maison sans être repérés. Mais repose-toi, je vais faire le guet même si je pense que personne ne viendra par ici maintenant.
Tandis que son compagnon s'installait, le jeune homme se leva et arpenta les environs sans faire de bruit. Il s'approcha des carcasses des animaux et contournant prudemment la mère dont le cadavre avait été piégé, il examina attentivement le petit. Il ne devait pas avoir encore deux ans. Encore une fois la bêtise et la cupidité humaine mettaient en péril la survie d'une espèce. Tout en surveillant la forêt, il réfléchissait à la meilleure manière de mettre hors d'état de nuire ce groupe de trafiquants. Il savait aussi que ce ne serait pas sans danger même si pour le moment tout se passait presque comme prévu.
Après quelques heures, son compagnon se réveilla et afin d'être prêts à affronter les imprévus, ils se préparaient consciencieusement et effacèrent toutes les traces de leur passage.
Silencieusement, ils se glissèrent entre les arbres et arrivèrent enfin en vue du village. Comme ils s'y attendaient, tous les gardes étaient postés le long de la route d'accès et sûrs de leur position, aucun ne se trouvait de l'autre côté. En rampant, ils se retrouvèrent juste sous leur objectif et ils glissèrent un œil dans la pièce principale de la maison où plusieurs dizaines de personnes étaient attablées. Ils se reculèrent aussitôt et s'éloignèrent dans la forêt pour réfléchir à ce qu'ils vont faire.
— Tu as vu le chef de la bande ?
— Oui, j'ai eu l'impression de revoir la scène de Star-Wars avec Jabba dans son antre entouré de ses esclaves. Ce chinois est vraiment repoussant, je n'ai jamais vu un homme aussi gros. Mais j'ai surtout vu les barbouzes qui l'entourent, ils sont armés jusqu'aux dents, cela ne va pas être facile de repartir.
— Le stock d'ivoire se trouve dans le bâtiment à côté. Va déposer les charges comme nous l'avons décidé, moi je me charge de la maison.
Les deux hommes se séparèrent et chacun se glissa sous les bâtiments afin de déposer les charges explosives et incendiaires au niveau des piliers de bois qui permettaient au plancher de ne pas être au niveau du sol. Au bout de quelques minutes, ils se retrouvèrent à nouveau hors du village.
— Le feu d'artifice va commencer. J'ai repéré un 4x4 pas loin de la sortie du village. Avec la panique, il ne devrait plus y avoir de garde.
Il regarda sa montre et au moment prévu, une série d'explosions secoua le village. Aussitôt tous les trafiquants se mirent à courir dans tous les sens, s'éloignant des maisons, se dispersant dans la forêt. Des explosions éparses continuaient de se produire de manière aléatoire dans le village.
Pendant ce temps, les deux hommes s'approchaient de leur moyen de transport pour quitter le pays. Ils progressaient courbés quand ils tombèrent nez à nez avec l'homme qui avait abattu le rhinocéros. Sans hésiter ce coup-ci, le vieux l'abattit d'un coup de revolver. L'homme s'effondra surpris devant eux et leur libéra ainsi l'accès au véhicule.
Sans hésiter, ils montèrent dans la voiture dont par chance, les clés étaient restées sur le contact. Au moment de tourner la clé, ils entendirent une clameur derrière eux.
— Sun-Tsé est mort !
Un sourire éclaira le visage du jeune homme.
— Je m'étais promis de me venger, murmura-t-il.
Son compère démarra le tout-terrain et ils s'enfuirent en trombe du village.

Le mot "THE END" s'afficha sur l'écran et Elodie regarda son compagnon le regard énamouré.

— La fin est un peu bizarre, tu ne trouves pas ?
— C'est souvent le cas avec ce réalisateur. Il laisse toujours la possibilité d'une suite.
— Bah ! Pas grave ! En tout cas, moi je connais la suite que je vais donner à cette soirée, lui dit-elle, souriante. Tu as intérêt à être à la hauteur du héros de ce film.
Elle lui prit la main et ils sortirent du cinéma.
— Nous allons avoir un vrai Noël blanc cette année. Remarque-t-il alors que la neige recommence à tomber dans la nuit de l'hiver.
— Oui ! Et en parlant de Noël, ta sœur nous a invités pour le réveillon.
— Je vais devoir me farcir mon beau-frère et ses airs suffisants. Il ne s'est pas arrangé depuis qu'il a décroché ce poste de responsable commercial dans sa boîte. Je ne sais pas comment ma sœur fait pour le supporter. Heureusement qu'il y a ma petite nièce sinon ces repas seraient vite insupportables. Mais je suppose que nous ne pouvons pas faire autrement qu'y aller.
— Il suffira d'éviter de le brancher sur ses sujets de prédilections.
Arrivant à leur voiture, ils prirent la direction de leur appartement. Ils se garèrent dans le garage souterrain et entrèrent dans l'ascenseur. Une fois isolés du reste du monde, il prit Elodie dans ses bras et l'embrassa tendrement comme aux premiers jours de leur rencontre.
Enlacés, ils pénétrèrent dans l'appartement et achevèrent leur câlin sur le canapé, toujours aussi fougueux, le temps n'ayant apparemment pas eu de prise sur leur amour.
Quelques heures plus tard, Elodie en tenue décontractée dans la cuisine préparait le repas. Occupée à nettoyer une salade, elle ne remarqua pas l'arrivée furtive de son amoureux derrière elle. Il vint de nouveau l'enlacer et lui murmura un "Je t'aime" dans l'oreille en lui glissant une petite boîte sous les yeux.
— Qu'est-ce ?
— Ouvre et tu verras !
Fébrile, Elodie dénoua le petit lien qui entourait la boîte et l'ouvrit. Elle le regarda en rougissant, les yeux embués de larmes.
— Veux-tu m'épouser ? Demanda-t-il avec un grand sourire.
— Bien sûr que je le veux. Depuis le temps que j'attendais que tu me le demandes.
Elle lui sauta au cou et elle l'étouffa de baisers.

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