À
l'autre bout du château dans une chambre avec un lit un baldaquin, allongés
côte à côte , Sylvie et son compagnon reprenaient leurs esprits après une joute
amoureuse dont ils étaient tous les deux sortis vainqueurs.
—
Comment as-tu su que ce serait celui qu'il fallait ?
—
Arthur ! Tu sais bien que mon intuition m'a rarement trompée quand il s'agit de
trouver un Appelé pour la Dame de l'Onde. Cela va faire des siècles que nous
sommes chargés de cette tâche et combien de fois nous sommes-nous trompés ?
—
Assez peu souvent, certes, mais à chaque fois, ce fut une catastrophe !
Souviens-toi de certaines années sombres… Tu avais pensé trouver celui qui
saurait influencer le cours des évènements…
—
Et je l'ai trouvé ! Effectivement, les choses n'ont pas tourné comme nous
l'avions imaginé, mais il fut l'élément déclencheur. Je sens que ce nouveau
compagnon sera lui aussi la clé d'un évènement majeur qui va changer le flot du
temps.
En
disant ces mots, drapée dans sa longue chevelure brune, Sylvie se leva et
alluma une cigarette qu'elle alla fumer nue sur la terrasse. Ses cheveux noirs
de jais contrastaient avec la pâleur de sa peau et brillaient sous la lumière
froide de la pleine lune. Elle regardait son compagnon qui lui souriait.
—
Je suis certaine que ce trompettiste va nous surprendre ! Et n'oublie pas que
je l'ai trouvé près du fleuve. Il allait rejoindre la Dame à sa manière !
—
Je l'espère. J'ai pu me rendre compte qu'il a l'esprit assez vif et il semble
assez ouvert. Il n'a pas eu l'air surpris quand nous lui avons dit que nous
n'étions pas les seuls occupants de ce manoir, mais que parfois ceux qui
vivaient là avant nous venaient nous rendre une petite visite.
—Oui,
j'ai vu son visage s'éclairer et j’ai apprécié son sourire. Nous verrons ce
qu'il en est demain matin.
Dans
sa chambre, Florent dormait calmement alors qu'une lueur blafarde s'approcha de
lui. Il s'agita un peu lorsqu'elle l'enveloppa quelques secondes.
Au
matin, il se réveilla détendu, mais troublé par le rêve qu'il avait fait au
cours de la nuit. Il était encore songeur en descendant l'escalier qui le
conduisait vers la cuisine. Il sentait déjà les effluves de café chaud.
Lorsqu'il
entra, il fut accueilli par Arthur qui prenait son petit déjeuner en lisant le
journal du matin.
—
Bonjour, vous avez bien dormi ? Sylvie ne va pas tarder à nous rejoindre. Elle
est absente, car, comme à son habitude, immédiatement levée, elle file monter
sa jument.
—
Oui merci, cela faisait longtemps que je n'avais pas aussi bien dormi. En
disant cela, il pensait toujours à son étrange rêve.
—
Que vous arrive-t-il ? Vous me semblez bien songeur.
Florent
allait répondre, mais Sylvie, radieuse dans sa tenue de cavalière, pénétra dans
la cuisine. Il n'arrivait pas à détacher son regard de cette apparition. Elle
se dirigea vers son mari et lui posa un baiser tendre puis salua son hôte avec
un grand sourire.
—
Vous allez venir avec nous pour découvrir où en sont les artistes du cirque ?
—
Ce sera avec plaisir, mais j'aimerais passer chez moi afin de mettre des
vêtements frais et peut-être plus adéquat avec ce nous allons faire.
—
Pas de soucis, notre chauffeur vous déposera chez vous pour que vous puissiez
faire ce que vous avez à y faire. Il vous conduira là-bas ensuite. Il connaît
l'endroit.
—
Oui ! De notre côté, nous partirons en avant et vous nous rejoindrez.
Ils
finirent tranquillement de prendre leur collation et quelques viennoiseries en
commentant les nouvelles du jour.
Florent
remonta dans sa chambre pour récupérer l'étui contenant sa trompette, avant de
se faire accompagner chez lui par le chauffeur de ses hôtes. Lorsqu'il quitta
le manoir, il en profita pour bien le regarder et admirer le parc à la
française aux parterres bien ordonnés ainsi que ses haies taillées au cordeau.
Il n'osait pas imaginer le coût de l'entretien d'une telle propriété. Il n'en
ratait pas une miette comme si c'était la dernière fois qu'il le voyait.
Lorsque
la berline franchit la grille du parc, l'homme prit la parole.
—
Si je peux me permettre, au vu du temps qu'il va faire, je conseille à Monsieur
de prévoir de quoi se baigner, car le chapiteau s'élève au bord d'un plan d'eau
et les artistes ont l'habitude d'aller piquer une tête après leur répétition.
—
Je vous remercie, je vais préparer cela alors !
Il
hocha la tête en réponse et le conduisit jusqu'au pied de son immeuble sans
ajouter un mot.
Une
fois arrivé, Florent s'engouffra dans l'immeuble en indiquant au chauffeur un
endroit propice pour l'attendre. Il remplit rapidement un petit sac avec les
affaires conseillées et, quelques minutes plus tard, ils repartaient en
direction du périphérique avant de s'engager sur l'autoroute du Sud. Après
quelques heures, la voiture quitta la voie rapide pour s'engager vers un massif
forestier de belle taille. Au détour d'un virage, il découvrit avec
émerveillement un lac dans lequel un majestueux chapiteau se reflétait comme
dans un miroir.
La
luxueuse berline s'arrêta à côté d'un SUV appartenant probablement à ses hôtes.
Il marcha vers le chapiteau et commença à entendre la musique qui rythmait les
numéros. Il entra et s'approcha de ses hôtes. Arthur le vit et d'un signe de la
main, l'invita à les rejoindre. Il observait les artistes évoluer sur la piste.
Il appréciait l'adresse des jongleurs, la précision du lanceur de couteaux et
le bagou du magicien. Mais celle qui attira son regard fut une écuyère qui
faisait de la voltige sur un magnifique alezan. Non seulement elle était une
gracieuse voltigeuse, mais aussi une jongleuse émérite. Il ne la quitta pas des
yeux et lorsque le numéro se termina, il la suivit du regard et n'entendit pas
Arthur lui demander son avis sur la musique.
—
Hein ! Excusez-moi ! dit-il en sursautant. Que me demandiez-vous ? Ah oui, la
musique ! Il réfléchit un peu en se remémorant les divers morceaux.
—
Je pense qu'il faudrait plus harmoniser entre les numéros, que l'on retrouve un
thème commun. Un thème joué de manière différente selon les artistes et
l'intensité dramatique que vous voulez lui donner.
Sylvie
notait ces remarques et dit qu'elle les transmettrait au compositeur de la
musique. Florent prit sa trompette et joua ce qu'il venait d'expliquer. La
plupart des artistes étaient revenus pour l'écouter et il eut droit à une
ovation lorsqu'il cessa de jouer.
—
Vous savez merveilleusement bien faire ressortir les émotions que nous voulons
transmettre dans nos numéros. La synergie entre la musique, le texte et ce que
nous faisons devraient faire frissonner le public le félicita le metteur en
scène.
Ensemble,
ils se mirent à discuter sur la musique et comment ponctuer les numéros. Ils
étaient toujours en train de parler lorsque la jeune voltigeuse les rejoignit,
vêtue d'un maillot de bain sous un paréo. Elle l'écoutait les yeux brillants et
semblait en extase quand il illustrait ses propos à la trompette. À la fin de
son exposé musical, le groupe se sépara pour se préparer à la baignade
traditionnelle, seule resta la jeune femme qui le dévorait des yeux. Ils
commencèrent à se parler et à partager leurs émotions et leurs histoires qui
par bien des aspects se ressemblaient. Ils en oublièrent le monde qui les
entourait quand une trapéziste les interrompit.
—
Eh ! Les amoureux, vous oubliez la tradition, tout le monde au bain !
—On
arrive, lui répondit-elle et se tournant vers Florent : tu as ce qu'il faut
pour te baigner ?
—
Oui, on m'avait prévenu avant de partir, dit-il les yeux rivés sur la jeune
femme debout devant lui, dans le contre-jour de l'entrée du chapiteau.
C'était
la première fois depuis longtemps que sa musique était reconnue et qu'il
pouvait jouer un morceau de son cru sans être obligé de rejouer les inévitables
classiques du jazz qu'attendaient les touristes qui venaient dîner dans le
club.
—
Allons-y ! Sinon nous allons finir tout habillé dans le lac. Lui dit-elle en
riant.
Ils
sortirent et rejoignirent les autres qui étaient prêts à plonger. Certains
étaient déjà dans l'eau à se rafraîchir. Florent décida de s'isoler afin de se
changer à l'abri des regards. Il enfila rapidement son short de bain et
s'installa à l'ombre d'un saule en compagnie de sa nouvelle amie, très pensif
de ce qu'il vivait depuis la veille au soir. Il observait de loin ses nouveaux
camarades en se disant qu'il serait bien avec eux et qu’il devrait se trouver
une chambre pour se loger dans la région, car il n'avait pas les moyens de
faire le trajet tous les jours depuis Paris.
C'est
plongé dans ses réflexions que son regard fut attiré par une femme qui
émergeait du lac. Si l'écuyère l'avait ébloui par sa grâce et son élégance, il
ne savait que dire de l'apparition qui sortait de l'onde telle Vénus sortant
des eaux. Une longue chevelure brune entourait son visage, voilant dans le même
temps sa nudité. Elle semblait entourée d'un halo de brume qui diffractait la
lumière du soleil. Il se sentit transpercé par ce regard. Une force
irrépressible le guidait vers la main qu'elle lui tendait. Il se leva et avança
dans l'eau lentement. Il reconnut alors la femme de son rêve et ne se posa pas
de question et ne remarqua même pas l'eau qui semblait s'écarter devant lui. Il
marchait sans réfléchir sûr et certain que son destin était d'aller à la
rencontre de cette femme.
À
l'autre bout de la plage, une voix criait vers lui et surtout affola les baigneurs
qui voyaient cet homme s'avancer lentement mais sûrement vers le milieu du lac.
Et malgré toute la célérité dont ils firent preuve, ils ne purent que constater
sa disparition au milieu du plan d'eau. Ils ne comprenaient pas pourquoi ils ne
le voyaient pas se débattre comme le ferait toute personne se noyant. Camille
resta les yeux pleins de larmes à fixer le point ou Florent avait disparu. Pour
la première fois qu'elle se sentait en phase avec un homme, celui —ci
disparaissait sous ses yeux.
Dans
leur coin, Arthur et Sylvie se regardèrent en souriant, complices.
—
Alea jacta est ! Il a rencontré la
Dame !
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